Plon (3p. 254-256).


LVII


Maint hiver et maint été il chevaucha sans trouver d’aventure qui vaille d’être contée en un livre ; et ainsi durant cinq ans. Cependant il vit beaucoup de gens et de pays et il fut à beaucoup de cours, de manière qu’il devint de plus en plus avisé et courtois ; néanmoins il resta toujours naïf et simple de cœur.

Un jour, sur l’heure de none, il se trouva au bord d’une rivière large et profonde ; au milieu de l’eau était une île très riante où s’élevait un pavillon. Il se demandait comment il y pourrait passer, lorsqu’il vit venir le long de la rive un très bel enfant de dix ans, en compagnie d’une dame d’une beauté merveilleuse et d’une troupe joyeuse de chevaliers et demoiselles qui tenaient tous, qui un épervier au poing, qui des lévriers en laisse, qui un petit braque dans ses bras ; et c’était la fille du roi Pellès : elle chassait souvent sur cette rivière, avec le fils qu’elle avait eu de Lancelot et qu’on nommait Galaad, parce qu’elle y pouvait parfois, de loin, apercevoir son ami.

Dès qu’elle fut proche, Perceval connut bien qu’elle était la dame de tous ceux qui étaient avec elle, et, après l’avoir saluée, il lui demanda si elle n’avait point ouï parler de monseigneur Lancelot du Lac. À ce nom, la fille du roi tressaillit, puis elle commença de pleurer amèrement, comme celle qui prévoyait bien que l’homme qu’elle aimait plus que rien au monde allait s’éloigner d’elle ; pourtant elle montra à Perceval une nacelle qui était cachée sous les roseaux et lui dit que Lancelot était dans l’île ; après quoi elle s’en fut tristement.

Lorsqu’il eut débarqué, Perceval s’approcha doucement du pavillon, et, arrivé devant la porte, il jeta son écu, ôta son heaume, déceignit son épée qu’il posa devant lui, se mit à genoux, et, comme Lancelot sortait tout étonné :

— Sire, lui dit-il, monseigneur le roi et madame la reine vous mandent ; il convient que vous retourniez à la cour.

— Ce ne peut être, fit Lancelot en baissant la tête : madame me l’a défendu.

— Je vous le dis loyalement : elle vous mande, reprit Perceval.

Et il lui apprit qui il était, et de quelle façon il était devenu compagnon de la Table ronde, puis comment il s’était mis en quête de lui après tous les autres qui voulaient lui porter le message du roi et de la reine, et comment il avait erré pendant cinq ans sans le trouver. Alors Lancelot dit, en pleurant, qu’il ferait la volonté de sa dame. Sur-le-champ, il fut prendre congé du roi Pellès et se mit en chemin avec Perceval.

Quelque temps après, ils arrivèrent à Kerléon, où la reine, qui avait failli plusieurs fois expirer de chagrin durant l’absence de Lancelot, fut si heureuse de revoir son ami qu’on n’eût point pensé qu’un cœur mortel pût contenir tant de joie qu’elle en fit paraître. Et le roi et toute la cour les festoyèrent à grand amour et contentement. Mais que vous dirais-je de plus ? Il n’y eut personne dans tout le royaume de Logres qui ne fût en liesse du retour de Lancelot et qui ne s’en réjouît hautement, tant il était preux et bien aimé.