Plon (3p. 88-91).


V


La fille du roi cependant s’approchait de la table des douze pairs :

— Seigneurs, dit-elle, je vous ai servi du dernier mets : quel guerredon m’en rendrez-vous ?

— Demoiselle, dit le premier chevalier qui avait nom Callas le petit, pour vous je ferai tant que durant un an, je ne jouterai pas sans avoir ma jambe droite posée sur le cou de mon cheval, et je vous enverrai les armes de tous ceux que j’aurai ainsi conquis.

— Je ferai tendre mon pavillon à l’orée de la première forêt que je verrai, dit Talibor aux dures mains, et j’y demeurerai jusques à temps que j’aie pris dix chevaliers, dont je vous enverrai les destriers.

Alfarsar, le troisième, promit qu’il n’entrerait point dans un château qu’il n’eût outré dix champions. Et Sarduc le blanc dit qu’il ne coucherait jamais nu à nu avec une demoiselle avant d’avoir vaincu quatre chevaliers ou de l’avoir été lui-même. Le cinquième jura que, durant un an, il combattrait tous les chevaliers conduisant des pucelles, et que, s’il les amenait à merci, il enverrait leurs amies servir la fille du roi ; il avait nom Mélior de l’Épine.

— Je trancherai le chef à tous ceux que je combattrai cette année, déclara Angoire le félon, et, si je ne suis pas tué ou occis, je vous ferai parvenir leurs têtes.

— Je baiserai de force toutes les demoiselles que je trouverai en compagnie d’un chevalier, dit Patride au cercle d’or, ou bien je serai vaincu.

Meldon l’enjoué parla ensuite :

— Je chevaucherai durant un mois en chemise, le heaume en tête, l’écu au col, la lance au poing, l’épée au côté, et, ainsi fait, je jouterai contre tous.

— Demoiselle, promit Garaingant le fort, j’irai au gué du Bois, et nul chevalier n’y abreuvera son cheval que je ne le combatte, et je vous enverrai les écus de tous ceux que je vaincrai.

Malquin le Gallois jura qu’il ne cesserait d’errer jusqu’à ce qu’il eût découvert la plus belle du monde, et qu’il s’emparerait d’elle où qu’elle fût et l’enverrait servir la fille du roi. Mais Agricol le beau parleur s’exprima plus courtoisement.

— Demoiselle, je n’aurai d’autre robe que la chemise de ma mie et je porterai son voile autour de ma tête, et, sans plus d’armes que ma lance et mon écu, j’abattrai dix chevaliers, ou je serai outré.

— Demoiselle, dit le douzième, qu’on surnommait le Laid hardi, durant un an je chevaucherai sans frein ni bride et ma monture ira à sa guise ; et je combattrai à outrance ceux que je rencontrerai, et je vous enverrai les ceintures et les aumônières des vaincus.

— Et vous, sire, demanda la fille du roi à Bohor, quel guerredon puis-je attendre de vous ?

— Demoiselle, en quelque lieu que je sois, mais libre de tout serment, vous pourrez me prendre pour votre chevalier. Et mieux : pour l’amour de vous, je m’emparerai de la reine Guenièvre, fût-elle sous la conduite de quatre compagnons de la Table ronde, pourvu toutefois que messire Lancelot du Lac n’en soit pas.

— Seigneurs, grand merci !

Et la fille du roi retourna auprès de ses dames et demoiselles, et elles cardèrent ensemble jusqu’au soir.