XIX


Ils allèrent tant qu’ils arrivèrent au bord d’une vallée perdue, au fond de laquelle ils aperçurent un fort château, bien entouré de fossés profonds et de bons murs hauts et épais. La vieille s’arrêta là.

— Sire chevalier, dit-elle, il vous faut entrer dans ce château pour y tenter la plus grande aventure du monde.

— Demoiselle, m’acquitterai-je ainsi envers vous ?

— Oui, sire.

— Je m’y essayerai donc.

Elle s’en fut, après l’avoir recommandé à Dieu. Et Lancelot embrassa Lionel et prit tendrement congé de lui ; puis il se dirigea vers la forteresse.

Dès qu’il en eut passé la porte, il entendit les gens murmurer autour de lui :

— Sire chevalier, la honte vous attend.

Il continua son chemin sans répondre, et parvint au pied de la maîtresse tour. Là, des cris de femme l’arrêtèrent : c’était cette même demoiselle que messire Gauvain n’avait pu tirer hors de sa cuve, qui le suppliait de la secourir. Il s’approche, la prend sous les aisselles et l’en ôte aussi aisément que si elle n’eût pesé plus qu’un fétu. Aussitôt elle tombe à ses pieds, lui baisant la jambe et le soulier ; et ceux de la ville commencent de s’assembler.

On le conduit à un cimetière, on lui montre une tombe sur laquelle des lettres disaient :


Cette tombe ne sera pas levée avant la venue du léopard dont le grand lion naîtra.


Lancelot y met la main et la soulève sans effort. Un serpent hideux, qui était mussé là-dessous et dont l’haleine flamboyait comme un feu ardent, se lance hors de la fosse et rampe par le cimetière, dont bientôt les arbrisseaux sont en flammes. Mais Lancelot lui court sus, et, quoique le dragon lui ait brûlé de son souffle tout le bois de son écu, il lui fait voler la tête en un instant.

Alors des chevaliers beaux et hauts à merveille vinrent le chercher à grand honneur et le menèrent au palais, où de très avenantes pucelles le désarmèrent, le baignèrent et lui passèrent un manteau digne d’un roi. Puis il fut conduit dans la salle où des seigneurs lui firent grand accueil, et, tandis qu’il causait et s’enjouait avec eux, un prud’homme entra, en si noble arroi que nul ne saurait décrire ses habits, tant ils étaient riches. Il portait au doigt un bel anneau et sur la tête une couronne d’or dont les pierres valaient un bon royaume ; son fermail et sa ceinture étaient non pareils ; mais pourquoi le ferais-je plus long ? En un mot, on n’eût su voir un plus gentil homme, ni qui parût plus haut prince.

— Sire, le roi ! dirent à Lancelot les chevaliers en se levant.

Lancelot se mit debout et souhaita la bienvenue au roi qui vint l’accoler et lui dit :

— Doux sire, nous vous avons longuement attendu ! Enfin nous vous avons. Voulez-vous m’apprendre qui vous êtes ?

— Je suis de la maison du roi Artus, compagnon de la Table ronde, et j’ai nom Lancelot du Lac.

— Dieu m’aide ! N’êtes-vous pas le fils du roi Ban qui mourut de deuil et de la reine aux grandes douleurs ?

Mais, à ce moment, la grande merveille advint : le pigeon blanc que messire Gauvain avait vu vola par la salle, portant au bec son encensoir d’or, et toutes les bonnes odeurs du monde se répandirent dans le château ; puis, les tables mises, chacun prit place sans mot dire, faisant prière et oraison : alors la plus gente des demoiselles entra, élevant son vase précieux, voilé d’un linge ; chacun s’agenouilla, et Lancelot comme les autres ; et quand elle fut sortie, vous eussiez vu les tables couvertes de tous les beaux mangers que l’on puisse imaginer ; toutefois, non plus que naguère devant monseigneur Gauvain, il n’y eut rien devant Lancelot. Mais le roi, qui s’en aperçut, lui fit porter de très bonnes viandes.