Juven (p. 64-67).

CHAPITRE V

Où s’instance par les soins du Captain Cap une contradictoire expérience d’auto-suggestion des moins péremptoires.


À ce moment le Captain Cap crut devoir prendre un air mystérieux. Et comme, en nos yeux, s’allumait la luisance de l’anxiété :

— Ne m’en blâmez pas, dit le Captain, je ne dirai rien de plus. Mon ORDRE me le défend !

Le Captain Cap appartient à un Ordre bien extraordinaire et d’une commodité à nulle autre seconde.

À toute proposition qui lui répugne le moins du monde, le Captain Cap objecte froidement :

— Je regrette beaucoup, mon cher ami, mais mon Ordre me le défend !

Et il ajoute avec un sourire de lui seul acquis :

— Ne m’en blâmez pas.

Cependant et tout de même, Cap grillait de parler.

On affecta de s’occuper d’autre chose, et, bientôt, le Captain dit :

— Un sujet épatant !

À seule fin de connaître la suite de l’histoire, nul de nous, machiavéliquement, ne s’avisa de sourciller.

— Imaginez-vous… s’obstina Cap.

Ennuyés semblâmes-nous de cette insistance.

Alors Cap lâcha ses écluses.

Il s’agissait d’une petite bonne femme de Montmartre, jolie comme un cœur, une petite bonne femme épatante !

On l’endormait comme ça, là, v’lan ! Et ça y était !

Un sujet épatant, je vous dis !

Une fois endormie, elle n’était plus qu’un outil de cire molle entre les doigts de votre volition, si, toutefois, nous osons nous exprimer ainsi.

Si on voulait, on irait ce soir.

On y alla.


De sa rude main droite d’homme de mer, Cap prit les menues menottes de la petite bergère montmartroise, et de l’autre opéra certaines passes connues de lui seul.

Un, deux, trois… ça y est ! Elle dort.

Alors Cap sortit de sa poche une pomme de terre crue et une goyave.

Ayant pelé l’une et l’autre, et présentant au sujet un morceau de pomme de terre crue, il dit d’une voix forte où trépidait la suggestion :

— Mangez cela, c’est de la goyave !

L’enfant n’eut pas plus tôt mastiqué une parcelle du tubercule cher à Parmentier qu’elle en manifesta un grand dégoût.

Et même elle le cracha, grimaceuse en diable.

Un sourire sur les lèvres, Cap changea d’expérience.

Ce fut la goyave qu’il présenta à la jeune personne, en lui disant d’une voix non moins forte :

— Mangez cela, c’est de la pomme de terre crue.

L’enfant n’eut pas plus tôt mastiqué une parcelle de ce fruit délicieux qu’elle en redemanda.

Y passa la totale goyave.

Si vous vous imaginez que Cap fut le moins du monde désarçonné par ce résultat non prévu vous commettez une erreur grave.

Et, sortant de la maison, le Captain nous dit sur un ton du plus vif intérêt scientifique :

— Est-ce curieux, hein, le cas de dépravation de cette petite, qui adore la pomme de terre crue et ne peut sentir la goyave ?