XXXI. Léonora et Concino
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Dans l'après-midi de ce jour où Capestang devait courir à la maison de la rue des Barrés, et justement vers l’heure où il se mettait en route, Léonora Galigaï sortit de son appartement et passa dans une sorte de vaste antichambre dont les trois fenêtres donnaient sur la rue de Tournon.

"Belphégor !" appela-t-elle doucement.

Le Nubien ne répondit pas. Il était là, pourtant. L’une des trois fenêtres était ouverte. Au fond de la profonde embrasure, Léonora vit Belphégor penché à cette fenêtre – celle de gauche. Elle s’approcha sans bruit de la fenêtre du milieu, fit jouer le châssis, et elle aussi se pencha. Rien n’échappait à l’œil vigilant de Léonora. Intendants, valets, femmes de chambres et jusqu’au dernier des marmitons, tout le domestique du seigneurial logis était soumis à un espionnage incessant. Il fallait cela pour assurer la sécurité de Concini. Léonora étudiait donc la rue d’un coup d’œil rapide. Mais elle ne vit rien que quelques rares passants qui doublaient le pas et détournaient la tête en arrivant à hauteur de l’hôtel. Un instant, il sembla à la marquise d’Ancre qu’elle entendait de sourdes malédictions.

"Patience ! gronda-t-elle. Les murs de l’hôtel que mon Concino habitera bientôt seront assez épais pour arrêter l’écho des clameurs de menace ; et autour de cet hôtel, il y aura assez de gardes pour que Concino puisse dormir tranquille... car cet hôtel s’appellera le Louvre."

Puis sa pensée revint à Belphégor. Le Nubien immobile, en extase, regardait quelque chose. Mais quoi ? Il parut à Léonora que ses yeux étaient fixés sur une fenêtre de l’hôtellerie des Trois Monarques. Elle sortit donc de son embrasure, s’approcha de Belphégor et le toucha à l’épaule. Le Nubien ne bougea pas. Plus rudement, elle le frappa alors. L’homme noir fut secoué d’un tressaillement terrible et se retourna violemment, les yeux hagards, comme s’il eût été trop brusquement arraché à un rêve trop profond.

"Pauvre Belphégor, dit Léonora avec un sourire aigu, on dirait que tu es amoureux..."

Le Nubien pâlit comme pâlissent les noirs, c’est-à-dire que ses lèvres se décolorèrent, et que son visage d’un beau ton d’ébène brillante prit une couleur trouble et terne. Léonora l’étudia une seconde.

"Sincère ! murmura-t-elle. Il regardait quelque fille d’auberge. Ceci n’est pas dangereux, il me semble..."

Un mathématicien, dans un calcul compliqué peut omettre un petit signe de rien. Un criminel, sur le lieu du forfait, peut oublier un objet insignifiant. Un esprit vaste, subtil, de large envergure, peut dédaigner une indication sans importance. Ceci n’est pas dangereux. Peut-être ! Le petit signe omis, c’est le principe de l’erreur qui fait qu’un calcul s’écroule. L’objet oublié, c’est peut-être l’aveu qui conduit à l’échafaud. L’indication dédaignée, c’est peut-être la catastrophe qui vient. Léonora reprit :

"Belphégor, il faut mettre en état les chambres du bas."

Le Nubien était redevenu impassible. Il s’inclina en signe d’obéissance.

"Toutes les chambres, entends-tu ? reprit encore Léonora, mais cette fois d’une voix plus basse, et en regardant autour d’elle avec défiance. Toutes ! Même la dernière ! Celle du fond !

— Le cachot à la planchette de fer !

— Oui, dit froidement Léonora : la planchette de fer ! Allons, va, et hâte-toi."

Et sans doute ce qu’évoquait cette étrange et mystérieuse appellation devait être quelque chose d’effroyable, car Belphégor frissonna... L’implacable exécuteur des vengeances secrètes de Concini couvrit ses yeux de sa main comme pour échapper à quelque tragique vision d’horreur.

Il poussa un rauque soupir, s’élança hors de l’antichambre, gagna un escalier dérobé et descendit au rez-de-chaussée. Dans la salle où il se trouvait alors, salle lointaine, obscure, voûtée en forme de crypte, il ouvrit une porte de fer. Un escalier commençait là, et, en forme de vis, s’enfonçait dans les entrailles du sol. Belphégor se mit à descendre cet escalier.


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Léonora était rentrée dans sa chambre à coucher où elle s’occupa à écrire des lettres qu’elle faisait partir l’une après l’autre par des courriers. Le soir vint. Puis la nuit s’épaissit sur Paris. Neuf heures sonnèrent. A ce moment un certain mouvement se fit dans l’hôtel qui, depuis deux heures déjà, était devenu silencieux. Alors Léonora se leva, et par le passage secret qui faisait communiquer son appartement avec celui du maréchal d’Ancre, gagna le cabinet de Concini.

Le maréchal donnait ses instructions à ses spadassins, troupe renouvelée des Quarante-cinq d’Henri III (l’un d’eux, Chalabre, était même le fils d’un des fameux bravi royaux) et assez connue déjà des Parisiens qui l’appelaient les « Ordinaires de Concini », troupe redoutable, à qui on attribuait, à tort ou à raison – plutôt à raison – la disparition de nombre de gentilshommes. À l’entrée de Léonora, et sur un signe de leur maître, ils se retirèrent.

"Vous vous apprêtez ? demanda Léonora.

— Je suis prêt, répondit Concini.

— Par où commencez-vous ? Par la rue Dauphine ou la rue des Barrés ?

— Je ne comprends pas, fit sourdement Concini.

— C’est pourtant très clair. Je vous demande si vous commencez par l’arrestation du père ou celle de la fille. Prends garde, Concino. Je devais me charger de la fille. Tu as exigé de faire toi-même cette besogne. J’ai cédé. Seulement, à mon tour, j’exige...

— Quoi ? gronda Concini. Qu’exiges-tu, voyons ?

— Que tu commences par la rue Dauphine, par le duc d’Angoulême. Le reste sera de médiocre importance. Tandis que si tu commençais par Giselle, eh bien ! je te crois assez fou, mon pauvre Concini, pour oublier le duc. Et alors, que de malheurs !

— N’est-ce que cela ? fit Concini, tout joyeux de voir Léonora d’aussi bonne composition. Per Dio, tu as raison, cara mia. Je vais d’abord rue Dauphine.

— C’est essentiel, Concino. Peut-être y va-t-il de ta tête et de la mienne : il faut que, dans une heure, Angoulême soit à la Bastille. Le reste m’importe peu, répéta-t-elle d’une voix indifférente qui acheva de convaincre Concini. Tu m’as fait épier, surveiller toute la journée. Ai-je eu un geste, une parole qui puisse te faire supposer que je veuille manquer à ma parole ? Je te dis que je ne m’inquiète pas de cette fille. Seulement, tu as juré de la ramener ici, rappelle-toi !

— Oui, oui ! dit Concini qui dissimula un sourire sardonique. C’est juré. Je la ramène ici. Elle sera sous ta surveillance, ce sera sa Bastille, à elle. Adieu, carissima. Dans une heure, tout sera fini."

En prononçant ces mots, Concini frémissait. Léonora Galigaï pâlit sous le fard qui couvrait son visage. Une flamme d’amour et de jalousie effrayante jaillit de ses yeux noirs. Elle eut un vague mouvement des bras vers Concino. Mais déjà celui-ci franchissait la porte.

"Comme il est heureux ! râla Léonora dans un soupir d’affreuse angoisse. Comme il tremble à la seule pensée de la revoir ! Attends, Concinetto mio, attends, tu vas voir de quoi est capable une femme qui aime comme j’aime !"

Elle s’élança, et, par le même chemin, regagna son appartement. Là, elle attendit cinq minutes, palpitante, l’oreille aux aguets. Enfin, un homme entra.

"Eh bien ? demanda vivement la maréchale.

— Monseigneur a descendu la rue de Tournon et est entré dans la rue Neuve-des-Fossés. Il est escorté de Rinaldo et de ses autres suivants ordinaires."

Léonora frémit de joie.

"Bon ! songea-t-elle. Il va bien à l’hôtel d’Angoulême ! Je suis sauvée !"

Elle renvoya l’espion d’un geste impérieux et passa dans son antichambre. Là attendaient deux gentilshommes, dont l’un s’appelait le vicomte de Lux et l’autre le chevalier de Brain. Ils étaient armés jusqu’aux dents : épée, poignard, pistolet. Ils saluèrent respectueusement la maréchale d’Ancre et attendirent silencieusement.

"C’est la reine Marie qui vous envoie ? demanda Léonora.

— Oui, madame, répondit de Brain.

— Quels ordres vous a-t-elle donnés ?

— Un seul, fit de Lux : celui de vous obéir ce soir comme à elle-même.

— La reine vous a-t-elle dit de quoi il s’agit ?

— Sa Majesté nous a indiqué seulement que nous devons arrêter et conduire en lieu sûr une jeune fille accusée de conspirer, et, pour le restant, de nous en référer à vos ordres.

— Messieurs, dit Léonora, en regardant fixement les deux bravi, cette jeune fille, vous la connaissez : elle s’appelle Giselle, c’est la fille du duc d’Angoulême."

Les deux hommes s’inclinèrent sans répondre.

"C’est, reprit la maréchale, cette jeune fille qui, un soir dernier, est sortie du Louvre sous votre escorte et à qui, près du Pont-au-Change, est arrivé l’accident que vous savez."

Les deux hommes s’inclinèrent de nouveau, mais gardèrent le silence.

"L’accident, continua la Galigaï en pesant sur chaque mot, n’a pas eu de suites, heureusement pour elle et malheureusement pour vous. Les gens que le service de l’État vous oblige à tuer se portent bien, paraît-il ! ajouta-t-elle soudain avec un grondement qui fit pâlir les deux assassins. J’ai pu apaiser la reine. Mais tâchez de prendre ce soir votre revanche, ou je ne réponds plus de rien.

— On la prendra ! gronda de Lux. Eh ! madame, si nous avions su que cette fille savait nager...

— Bien, bien, interrompit la Galigaï. Vous savez où vous devez aller ?

— Rue des Barrés, madame. Sa Majesté nous a donné ce détail.

— Vous avez des hommes avec vous ?

— Douze gaillards de sac et de corde qui brûleront Paris si nous voulons et qui, en ce moment même, nous attendent sur le port à l’avoine, à dix pas de la rue des Barrés.

— C’est trop, c’est beaucoup trop, fit vivement Léonora. Messieurs, il ne s’agit ce soir ni de brûler, ni de réveiller les bourgeois endormis. Vous devez procéder en douceur. L’acte que vous accomplissez est de ceux qui ne doivent laisser aucune trace. Laissez donc vos hommes dans la rue, ne les appelez que s’il y a résistance.

— Nous obéirons, madame, fit de Brain. Mais la conspiratrice arrêtée sans esclandre, en quelle prison d’État devrons-nous la conduire ?

— Ici !" répondit Léonora Galigaï d’un si sombre accent que les deux assassins en frissonnèrent.

Mais ce genre d’émotions ne les arrêtait jamais bien longtemps, sans doute ; car, reprenant leurs physionomies insoucieuses et rudes, ils s’inclinèrent très bas devant la maréchale, puis s’éloignèrent.

Le duc d’Angoulême avait rapidement atteint l’hôtel de la rue Dauphine il était monté au premier étage, avait parcouru sans lumière une enfilade pièces, et, parvenu enfin à une sorte de cabinet, avait allumé un flambeau. Alors, il ouvrit un coffre, d’où il tira une cassette de fer qu’il posa sur table devant laquelle il s’assit. Ayant ouvert la cassette, il se mit à en examiner l’un après l’autre, les papiers qu’elle contenait. Le duc avait devant lui une fenêtre – celle-là même où Capestang, la nuit précédente, avait aperçu une lumière. Il avait à sa droite une cheminée pleine de cendres noires – les cendres des papiers politiques brûlés par Cinq-Mars. Il avait enfin derrière lui la porte par laquelle il venait d’entrer, et qu’il avait simplement poussée.

Il s’absorba dans son travail qui dura longtemps, deux ou trois heures, ou peut-être plus. Il mettait à sa gauche, sur la table, les parchemins qu’il voulait garder. Il roulait dans sa main ceux qu’il voulait détruire, puis les jetait dans la cheminée et les enflammait à l’aide du flambeau. Et dans le grand silence du vieil hôtel désert, rendu plus lourd par le silence énorme de Paris endormi, le duc absorbé, n’entendait que le léger froissement des papiers qu’il remuait, le crépitement étrange, fantastique du parchemin qui achève de brûler. Sa besogne terminée, il s’était accoudé à la table, la tête dans la main, et, s’enfonçait dans une rêverie qui aboutissait à la splendide vision de la royauté.

"C’est fini, songeait-il. Dans deux heures, le mariage de ma fille et de Cinq-Mars sera un fait accompli. Dès lors, les amis du vieux marquis deviennent mes amis. Tout est prêt. Guise et Condé me soutiennent. Il y a dans Paris trois mille hommes qui n’attendent que mon signal. La complicité de Léonora Galigaï m’assure la victoire. Dans deux jours, tout sera fini. Je serai roi de France ! Roi ! ajouta-t-il en frémissant, roi de France ! Le plus beau royaume de la chrétienté ! à moi ! Oh ! je sens que je ferai de grandes choses. Allons, il est temps de retourner rue des Barrés."

Il plaça dans un portefeuille les parchemins qu’il avait mis de côté et glissa le portefeuille sous son pourpoint. Puis il se leva en soufflant le flambeau. Dans ce même instant, le duc se sentit frissonner de terreur.

Il avait soufflé sur le flambeau, la cire était éteinte, et pourtant le cabinet demeurait éclairé ! Le duc d’Angoulême se retourna d’un mouvement violent, et alors il demeura livide, un cri d’épouvante s’étrangla dans sa gorge. Dans le cabinet, à quatre pas de lui, il y avait un homme, immobile, l’épée à la main. Derrière cet homme, il y en avait sept ou huit autres également armés ; l’un d’eux portait un flambeau.

"Concini !" hurla le duc. En même temps, il saisit la table à pleines mains, la souleva de ses forces décuplées, la jeta entre lui et Concini pour s’en faire un rempart et tira son épée.

"Monsieur le duc, dit froidement Concini au nom du roi, je vous arrête.

— Vous m’arrêtez ! Vous ! vous ! Vous qui...

— Qu’on le saisisse !" vociféra Concini pour couvrir la voix du duc.

Les spadassins se ruèrent. Au premier coup que porta Angoulême, son épée se brisa. Quelques secondes de lutte, des soupirs rauques, des jurons, puis le silence.

Angoulême, bâillonné, garrotté, fut soulevé par dix bras, emporté, jeté dans un carrosse qui stationnait à la porte de l’hôtel. Là, il s’évanouit. Lorsqu’il se réveilla, il se vit dans une chambre aux murs épais et nus. Une étroite fenêtre garnie de barreaux y laissait entrer un peu d’air. Le duc s’élança à cette fenêtre et colla aux barreaux son visage convulsé. Et alors ses cheveux se hérissèrent, son cœur, un instant, cessa de battre, et de sa gorge s’exhala une clameur de désespoir terrible qui se perdit dans la nuit :

"La Bastille ! La Bastille !"


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En sortant de la Bastille, Concini et sa troupe s’élancèrent à pied vers la rue du Petit-Musc, qui aboutissait à la rue des Barrés. Deux hommes furent chargés de conduire tous les chevaux en bride jusqu’à une petite place située entre la rue des Barrés et la Seine, et qu’on appelait la place aux Vaux. Un troisième conduisit jusqu’à la porte de la maison de Marie Touchet le carrosse même qui avait servi à l’arrestation du père de Giselle.

Concini, à pas rapides, gagna donc la rue des Barrés et s’arrêta devant la maison. Il frémissait. La passion sauvage qui se déchaînait en lui le faisait trembler comme par un temps de froid, et pourtant la nuit d’été était chaude, constellée, paisible.

"Où la conduirons-nous ? lui demanda Rinaldo. À l’hôtel d’Ancre ?

— A ma maison de Reuilly, gronda Concini en respirant avec effort. Écoute Rinaldo. Il faudra que je rentre à l’hôtel. Car je prévois pour demain des événements qui... et enfin, il faut que ce soit moi qui annonce au roi la prise du duc. Tu te chargeras donc avec Montreval de la conduire à Reuilly. L’endroit est sûr. La marquise elle-même ignore que je possède cette maison. Tu me la garderas, mon bon Rinaldo."

Rinaldo fit la grimace et grommela :

"Vous oubliez, monseigneur, que nous devons faire encore une arrestation : celle du damné Capestang. Par le diadème en or que vous avez offert à la madone de Piedigrotta, et que vous auriez mieux fait de me donner à moi, je vous jure, monseigneur, que si je ne suis pas là pour mettre la main au collet du sacripant, je quitte votre service, je me donne à Guise, à Condé, ou même, au pis-aller, au petit Bourbon du Louvre !

— Rassure-toi, Rinaldo. Dès demain, tu seras relevé de ta faction, et je te promets que d’ici là, rien ne sera tenté contre le chevalier de Capestang. Mais approchons-nous de cette porte. Il s’agit de l’ouvrir en douceur, sans la trop faire crier.

— Nous avons les outils dans le carrosse. Eh ! monseigneur il ne faut que savoir s’y prendre. Les portes, voyez-vous, ne demandent pas mieux que de se laisser ouvrir... surtout, ajouta-t-il soudain, surtout...

— Quoi ? Qu’y a-t-il ? fit vivement Concini en rejoignant Rinaldo qui s’était approché de la petite porte.

— Surtout quand elles sont déjà entrebâillées ! acheva Rinaldo. Voyez monseigneur !

— Ouverte !" rugit Concini en pâlissant.

En même temps, il se rua à l’intérieur, suivi de Rinaldo et de ses acolytes. Il se heurta aux premières marches d’un escalier : en quelques bonds, il escalada. En haut, une porte : il l’ouvrit violemment. Une salle où brûlaient des flambeaux. Il en saisit un. De pièce en pièce, en bas, en haut, jusqu’aux combles, jusqu’aux caves, écumant, l’œil en feu, la gorge pleine de sanglots et de jurons, il courut... personne ! Solitude et silence ! La maison, du bas en haut, était déserte ! Concini jeta à toute volée contre un mur le candélabre de bronze qu’il tenait, et rugit :

"Malédiction !

— L’oiseau s’est envolé !" ricana Rinaldo en mettant le pied sur la cire qui communiquait le feu à une tenture.

Sans répondre, Concini s’élança au-dehors ; toujours suivi de Rinaldo, il courut jusqu’à la place aux Vaux, sauta sur son cheval et lui enfonça ses éperons dans le ventre.

"Louvignac ! cria Rinaldo en partant à son tour au galop de charge, ramenez nos hommes à l’hôtel. Il n’y a plus rien à faire ici."

Moins d’un quart d’heure plus tard, Concini et Rinaldo mettaient pied à terre devant l’hôtel d’Ancre. Comme ils franchissaient la petite porte à gauche de laquelle se trouvait le poste des gardes, deux hommes descendant le perron traversaient la cour d’honneur. Ils passaient dans le rayon de lumière qui fusait de la fenêtre du poste. À la vue de Concini, ils firent un mouvement. Mais il était trop tard. Concini les avait vus et reconnus sans doute, car sa figure convulsée par la rage s’apaisa avec cette instantanéité que lui eût enviée le fameux Mondor[1], un rire silencieux crispa ses lèvres et, arrêtant d’un geste les deux hommes :

"Monsieur de Brain ! Monsieur de Lux ! fit-il de sa voix la plus soyeuse. Et que me vaut l’honneur, à pareille heure, d’une visite des deux plus fidèles gentilshommes de Sa Majesté la reine mère ?

— Monseigneur, dit de Lux, Sa Majesté a bien voulu nous charger d’un message urgent que nous venons de porter à Mme la maréchale.

— Cela se trouve à merveille, reprit Concini, plus caressant que jamais. J’ai moi-même une importante dépêche à faire parvenir à la reine. J’espère que vous voudrez bien la porter au Louvre ?

— Nous sommes à vos ordres, monseigneur, dit de Brain qui jeta à son compagnon un regard qui en disait long sur son inquiétude.

— Bien, messieurs. Le temps d’écrire trois lignes, et je suis à vous. Veuillez m’attendre là."

En même temps, il ouvrait la porte du poste et, des yeux, de ses yeux soudain devenus terribles, il donna un ordre à l’officier qui commandait. De Lux et de Brain eurent le même regard vers la petite porte de la rue. Mais là, ils virent Rinaldo qui, les bras croisés, attendait dans une attitude nonchalante. Ils entrèrent donc dans le poste. Et aussitôt, comme par hasard, cinq ou six hommes se placèrent de manière à ce qu’ils ne pussent faire un pas ni vers la porte ni vers la fenêtre.

Dehors, Concini marcha droit à Rinaldo.

"Toi, gronda-t-il, reste ici. Tue tout ce qui essaiera de passer !"

Puis il s’élança dans l’hôtel, et gagna le passage qui, jusqu’alors, n’avait guère été utilisé que par Léonora. Il était livide. Une mousse blanchissait le coin de ses lèvres. L’afflux du sang à la tête striait de rouge ses yeux hagards. D’un coup de pied, il enfonça la porte devant laquelle il arrivait, et il se rua dans la chambre de sa femme à l’instant où elle-même y entrait par la porte opposée. Concini tira son poignard, marcha à Léonora, et, de sa main libre, étreignant son bras gauche :

"Pas de mensonge ! râla-t-il. Pas de faux-fuyant. Il me la faut. D’accord avec Maria (il voulait dire la reine mère), tu l’as fait enlever. Lux et Brain viennent de tout m’avouer. (Léonora tressaillit et haussa les épaules.) Ainsi, réponds, où l’as-tu mise ? Je te dis que je la veux ! Réponds, réponds, par le Christ, ou je frappe !"

Il leva son poignard.

"Comme tu te fais mal ! murmura Léonora d’une voix de profonde douceur.

— Réponds ! rugit Concini, délirant. Tu ne vois donc pas que je vais te tuer ! Tu ne vois donc pas que c’est tout ce que je peux faire d’attendre une seconde avant de t’égorger !"

Léonora souffrait affreusement dans son cœur de son amour insulté à ce point que pour la première fois, son mari avouait, proclamait, hurlait sa passion pour une autre. Elle souffrait aussi dans son corps, car la main de fer de Concini crispée à son bras lui labourait les chairs. Mais elle n’y prenait pas garde. Elle baissa la tête, deux larmes de désespoir jaillirent de ses yeux, et elle murmura :

"O mio amore !"

Concini grinça des dents, et, d’une voix blanche :

"Tu le veux, Léonora ! C’est toi qui le veux ! Eh bien..."

Un geste de Léonora arrêta le bras qui allait s’abattre.

"Et moi, dit-elle, j’ai ceci à te dire : tue-moi, Concino ! mais j’emporte mon secret, entends-tu ! Moi morte, tu pourras démolir Paris pierre par pierre : tu ne la trouveras pas ! Moi morte, elle mourra. Maintenant, tue-moi si tu veux ! J’avais prévu cela. J’avais prévu la trahison de ces deux imbéciles. Je prévois tout, moi ! Même que je dois périr de la main que j’adore ! Allons, Concino, qu’attends-tu pour frapper Léonora et tuer du même coup ton Oiselle !"

Concini jeta son poignard ; il se mordit le poing, et, avec un gémissement lugubre, s’abattit à genoux ; les sanglots déchirèrent sa gorge ; immobile, toute droite dans les plis rigides de ses vêtements noirs, Léonora le contemplait avec la souveraine pitié à la fois méprisante et presque maternelle de son âme supérieure. Concino ramassa le poignard qu’il venait de jeter.

"Léonora, bégaya-t-il, c’est moi qui vais mourir, c’est moi que je vais frapper si tu ne me jures de respecter la vie de cette jeune fille.

— Calme-toi, dit-elle froidement. Si j’avais voulu la tuer, elle serait morte déjà. Je veux qu’elle vive, et je t’en donnerai la preuve dès qu’elle ne sera plus dangereuse pour l’issue des événements qui se préparent.

— Oui, tu as raison ! Mais quelle preuve me donneras-tu ?

— Je te conduirai à elle !" fit simplement Léonora.

Il se releva d’un bond, la saisit dans ses bras, la couvrit de caresses ; il était ivre de sa rage, de son désespoir et de son bonheur ; il lui jurait qu’il l’aimait, qu’il n’aimait qu’elle ; et elle le laissait tout pantelant, exhaler sa passion ; elle lui souriait ; elle acceptait tout, promesses de fidélité, caresses – et enfin, après un dernier baiser furieux, il sortit précipitamment.

"O mon amour, générateur de haines sauvages ! gronda alors Léonora défaillante. Quelle vengeance ! Quelle implacable vengeance il va me falloir !"

Cependant Concini était redescendu dans la cour. Il retrouva Rinaldo où il l’avait laissé. Il lui parla rapidement à voix basse, Rinaldo souriait en homme à qui on propose une partie de plaisir ; il souriait et il y avait au coin de ses yeux un petit pétillement rouge.

"Si je crie Santa Maria, tu entends ? acheva Concini.

Santa Maria, soit ! ricana le bravo. Jamais Santa Maria n’aura été à pareille fête."

Concini ouvrit le poste, et fit signe à de Lux et de Brain de le suivre. Tous quatre sortirent de l’hôtel. Les deux agents de Marie de Médicis, voyant qu’ils n’étaient escortés que de deux hommes, se rassurèrent. Concini marchait à côté de Lux ; Rinaldo à côté de Brain.

"Messieurs, dit Concini, toute réflexion faite, j’aime mieux me rendre moi-même auprès de Sa Majesté ; la chose est d’importance ; et il faut que je vois la reine, malgré l’heure tardive."

Lux et Brain sourirent : ils savaient mieux que personne que Concini entrait chez la reine ou sortait de chez elle à des heures plus tardives encore : que de fois ils avaient secrètement monté la faction au passage que prenait Concini pour se rendre chez Marie de Médicis, et qu’ils appelaient le Pont d’amour ! Ils étaient donc parfaitement rassurés. On arriva au Pont-Neuf. Concini s’arrêta tout à coup.

"Est-ce que vous avez vu quelque chose, monseigneur ?" fit de Lux en portant la main à son épée.

L’endroit, en effet, était mal famé. Les tire-laine y pullulaient. Le guet, d’ailleurs, ne s’y hasardait jamais. A cette question, Concini répondit :

"Oui, messieurs, je viens de voir une chose : c’est que vous êtes des imposteurs."

De Lux et de Brain pâlirent.

"Monseigneur, gronda le premier, prenez garde, vous insultez deux gentilshommes de la reine !

— Fussiez-vous gentilshommes du pape, je vous dirais encore que vous avez menti, et je le prouve !

— Voyons la preuve !" ricana de Brain.

Concini paraissait fort calme. Quant à Rinaldo, il sifflotait. Deux contre deux. Lux et Brain n’avaient rien à redouter. D’ailleurs, ils se sentaient protégés par leur titre de gentilshommes de la reine, et puis ils avaient cette bravoure des gens qui se sont habitués à gagner richesse et titres en risquant leur peau tous les jours.

"Voici la preuve, reprit Concini. La maréchale que j’ai interrogée m’a assuré que vous ne lui aviez transmis aucun message de la reine. Donc, vous avez menti. Maintenant, j’ajoute : Messieurs, vous êtes des lâches."

Concini se croisa les bras. Rinaldo se rapprocha de son pas nonchalant, Lux et Brain se regardèrent et éclatèrent d’un rire strident. L’œil au aguets, la main à la poignée de la rapière, prêts à tomber en garde, ils s’étonnaient seulement de l’attitude trop paisible de Concini.

"Que dit donc monseigneur Concino Concini ? ricana de Lux.

— Hé ! As-tu donc les oreilles bouchées ? Il dit que nous sommes des lâches."

De nouveau retentit le rire aigre, strident, méprisant des deux bravi qui, comprenant que cette aventure ne pouvait se terminer que par un coup d’épée, étaient décidés à aller jusqu’au bout, c’est-à-dire à tuer Concini et Rinaldo. En effet, il n’y avait pas d’autre issue à un duel de ce genre : vainqueurs ou vaincus, si Concini sortait de là vivant, ils iraient pourrir dans quelque cul-de-basse-fosse.

"Oh ! oh ! reprit de Lux, c’est que le signor Concini s’y connaît en lâcheté, peste !

— Et en courage, donc ! continua de Brain. Témoin son bâton de maréchal qu’il a ramassé sous les courtines d’un lit, alors que d’autres sont assez fous pour aller le chercher sur un champ de bataille. Peste !"

Concini ne bougeait pas, ne tressaillait pas. Rinaldo s’était mis siffloter ; puis il bâilla.

"Dis donc, Lux, te souviens-tu la fameuse dispute de Bellegarde avec le signor Concino Concini ?

— Si je m’en souviens, par tous les diables ! J’en ris encore ! Tout Paris en rit et en rira longtemps !

— Je vois encore Bellegarde courant Paris, cherchant partout le signor Concini pour lui tirer les oreilles avant de lui passer son épée au travers du corps.

— Et Bellegarde ne trouva pas monsignor Concini ! En vain le chercha-t-il huit jours durant !

— Parbleu ! monseigneur était caché dans les caves de l’hôtel de Rambouillet !"

Lux et Brain se tenaient les côtes. Concini ne bougeait pas. Il souriait. Mais ses lèvres tremblaient légèrement. Lorsque le rire des deux hommes se fut enfin apaisé, il reprit tranquillement, comme s’il n’eût rien entendu :

"Messieurs, je dis que vous êtes des menteurs, et je l’ai prouvé. Je dis que vous êtes des lâches, et je le prouve : ce soir, nuitamment, vous avez pénétré dans une maison paisible et enlevé par violence une jeune fille sans défense. Je précise : cela s’est passé rue des Barrés. La jeune fille s’appelle Giselle. Vous voyez que je sais tout, messieurs !"

Lux et Brain gardèrent le silence. Concini reprit – et cette fois, sa voix était sourde, tremblante :

"Messieurs, j’ai une proposition à vous faire. Avant tout, laissez-moi vous dire que vous êtes libres de la rejeter ou de l’accepter. Si vous la rejetez, je vous jure d’oublier notre rencontre de ce soir et tout ce qui vient d’être dit. Si vous l’acceptez, je vous prends à mon service avec une paie double de celle que la reine vous donne ou ne vous donne pas ; car ses coffres sont vides et les miens regorgent.

— Voyons la proposition, monseigneur... dit de Brain.

— Une prière plutôt : je vous demande simplement de m’indiquer en quel lieu de Paris vous avez conduit la jeune fille que vous avez arrêtée.

— En d’autres termes, monseigneur, fit de Lux, vous nous proposez une trahison.

— Oui ! fit Concini, les dents serrées, la gorge angoissée, mais une trahison qui vous enrichit."

Lux et Brain se regardèrent. Ils parurent hésiter une seconde, qui fut pour Concini longue comme une heure. Enfin, et non sans un soupir de regret, Lux prononça :

"Moi je refuse. Et toi, Brain ?

— Moi aussi ! fit de Brain en s’inclinant.[2]

— Vous refusez ! râla Concini, dont le dernier espoir s’effondrait. Réfléchissez, messieurs ! Tenez, ne vous décidez pas à la légère. Consultez-vous. J’attendrai. Songez à ce que je vous offre.

— Inutile de réfléchir : nous refusons !"

Concini ploya les épaules comme un athlète qui vient de recevoir un coup trop rude. Il se courba, baissa la tête, accablé en apparence. En réalité, il se ramassait. Il se mordait les lèvres jusqu’au sang pour arrêter au passage l’explosion de sa fureur. Sous ses paupières, il y avait cette étrange lueur de folie qui précède le meurtre comme l’éclair précède le tonnerre.

"Messieurs, râla-t-il, vous ne savez pas le mal que vous me faites. Ah ! povero ! Ah ! je suis perdu ! Ah ! Santa Maria !"

En même temps il se détendit, bondit avec un rugissement de fauve ; le bras eut un double mouvement, de Lux tomba comme une masse, sans une plainte, la gorge ouverte. Dans la même seconde et au cri de Santa Maria, Rinaldo se rua sur de Brain, qui essaya de tirer son épée : trop tard ! le poignard, d’un coup en dessous, l’avait atteint au ventre. De Brain s’affaissa.

"À moi ! bégaya-t-il. Oh ! lâche ! assass..."

Il n’eut pas le temps d’achever : Rinaldo d’un deuxième coup de poignard dans la poitrine, le tua net. Le bravo se releva alors avec une sorte de grognement, les narines ouvertes, les lèvres retroussées comme s’il eût aspiré l’odeur du sang, et il eut un rire silencieux en regardant Concini.

Concini à genoux sur la poitrine de Lux, frappait à coups redoublés, au hasard ; la folie furieuse du sang se déchaînait en lui ; il délirait ; son bras se levait et retombait ; à chaque coup, un gémissement fusait de ses lèvres livides ; il frappait, il était plein de sang, la tête lui tournait ; le visage du cadavre n’était plus qu’une plaie rouge... et ce cadavre, enfin, il le saisit par les cheveux et le traîna jusqu’au fleuve où, d’un coup de pied, il le fit rouler. Quant à Rinaldo, il avait imité son maître en traînant le cadavre de Brain... et quelques secondes plus tard, les deux corps voguaient de conserve, s’en allaient au fil de l’eau, plongeaient, reparaissaient un instant, puis enfin ils s’enfoncèrent.


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Rentrés à l’hôtel d’Ancre, Concini et Rinaldo commencèrent par changer de vêtements. Sans doute Concini vivait une de ces heures de fièvre furieuse où le repos est impossible, où l’esprit, après l’action, conserve cette même houle tumultueuse que conserve l’océan après la tempête.

"Rassemble nos hommes ! gronda-t-il. Ah ! peste, comme disaient ces deux braves, je me sens en goût. Et, pendant que je suis en train d’en découdre, il me faut encore une peau !

— Ah ! ah ! fit Rinaldo, les yeux écarquillés. Bataille, donc ! Mai contre qui ?

— Tu oublies, Rinaldo ! ricana Concini. Ta haine ne vaut pas la mienne ! Ah ! ah ! tu oublies !

— Capestang ! grinça Rinaldo, dont l’œil s’éclaira d’une lueur funeste.

— Oui ! Tu vois que, cette fois, il nous faut tous nos hommes. Va donc les rassembler, et envoie quelqu’un jusqu’à cette auberge de la rue de Vaugirard pour éclairer un peu le terrain."

Rinaldo s’élança vers cette sorte de vaste dortoir que les ordinaires de Concini occupaient en commun, et qui était situé au deuxième étage de l’hôtel. À ce moment, il était plus de minuit. Mais, à peine rentrés de l’expédition de la rue des Barrés, les spadassins n’étaient pas couchés encore.

"Bataille, messieurs ! dit Rinaldo en entrant. Équipez-vous, armez-vous solidement. Il s’agit d’un sanglier qui découdra plus d’un de nous. À vos armes, donc, et en chasse ! Montreval, puisque te voilà tout prêt, pars devant jusqu’à l’auberge du Grand Henri, rue de Vaugirard, et reviens nous dire si le sanglier est à sa bauge !

— Bon ! fit Montreval. Le signalement du sanglier ?

— Il s’appelle Capestang !" rugit Rinaldo d’un accent de féroce triomphe.

A ce nom, un tumulte éclata. Les spadassins poussèrent un « hurrah » terrible, et, furieusement, se harnachèrent en guerre, amorçant les pistolets, se couvrant la poitrine de leurs buffles, accrochant leurs poignards et ceignant leurs rapières. En quelques minutes, ils furent prêts ; frémissants, pâles de haine, ils avaient des faces de tigres prêts à bondir. Rinaldo, un instant, les contempla avec une joie d’orgueil et de triomphe. Ils se trouvèrent dans la cour de l’hôtel sans que nul pût s’apercevoir qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire. Là, placés, en ordre de bataille, immobiles, silencieux, ils attendirent l’arrivée de Concini.

Montreval était parti en éclaireur. Un quart d’heure s’écoula. Concini parut alors. Il était armé comme les autres. Il fit un signe, et la troupe sortit de l’hôtel. A pas rapides et furtifs, ils remontèrent la rue de Tournon. Rinaldo était en tête, les yeux flamboyants, le mufle tendu vers le carnage, la poitrine pleine de grondements. Au coin de la rue de Vaugirard, il se heurta à un homme qui venait en sens inverse. C’était Montreval qui accourait.

"Eh bien ! gronda Concini.

— Eh bien, fit Montreval avec un juron de rage, la bauge est vide ! le sanglier n’est plus là !"

Rinaldo poussa une imprécation furieuse. Concini grinça des dents. Rinaldo voulait s’élancer pour s’assurer par lui-même. Mais Montreval l’arrêta :

"Inutile, dit-il. Non seulement Capestang n’est plus dans l’auberge, mais l’auberge est déserte. Son patron l’a abandonnée aujourd’hui. J’ai trouvé les portes fermées ; j’ai sauté par-dessus le mur de la cour ! j’ai tout visité, il n’y a plus âme qui vive de la cour aux greniers.

— La malédiction est sur nous ! gronda Rinaldo.

— Cet homme me tuera !" murmura Concini.

Et effarés, ils rentrèrent à l’hôtel d’Ancre, muet et sombre comme un réceptacle d’inavouables douleurs et de formidables secrets.


Notes :

  1. Philippe Girard, dit Mondor, comédien du début du XVIIe siècle ; frère d'Antoine Girard, dit Tabarin
  2. Il faut se rendre compte de ce qu'étaient ces spadassins à gages : sans pitié pour les victimes qu'on leur désignait, véritables machines à tuer, ils n'en avaient pas moins une sorte de point d'honneur. Ils se vendaient, oui. Mais ils ne trahissaient pas celui qui les avait achetés corps et âme. (Note de l'auteur)