Éditions Édouard Garand (p. 34-35).

VIII


Aramèle et Étienne étaient rentrés au logis un peu après le crépuscule.

Ils s’étonnèrent de ne pas apercevoir Thérèse, de ne pas être accueillis par son sourire.

La femme du voisinage, qui venait préparer les repas, expliqua qu’elle avait vu la jeune fille partir vers deux heures avec une jeune femme très élégante.

Aramèle devina que cette jeune femme élégante était Mrs Whittle, et il savait que Thérèse devait s’absenter un de ces jours pour accompagner la jeune femme chez une couturière de la haute-ville. L’événement n’était pas inattendu, mais il était surprenant que la jeune fille ne fût pas de retour.

Une vive inquiétude l’envahit.

Ce soir-là, le dîner fut silencieux et sombre.

Le capitaine songeait. Son front se plissait durement. Il avait l’air de manger sur le bout des lèvres, et il ne buvait pas son vin avec cette béatitude des jours ordinaires.

Étienne, pas moins inquiet qu’Aramèle, n’osait pas interrompre et déranger les méditations de son compagnon de table. Il attendait que le capitaine parlât pour exprimer les pensées qui le troublaient.

Au moment où le repas achevait le capitaine regarda le jeune homme et dit :

— Mon garçon, je te conseille d’aller chez toutes les couturières de la haute-ville et de t’informer de Thérèse. Elle devrait être de retour, il est six heures et demie, et l’on ne sait jamais ce qui peut arriver. Il sera facile de t’enquérir, attendu qu’il n’y a, je pense, que quatre ou cinq couturières à la haute-ville.

Étienne partit aussitôt.

Il revint au bout d’une heure. La deuxième couturière chez qui il s’était présenté, une Miss Bounting, l’avait informé que Thérèse avait passé une heure chez elle, dans l’après-midi, et qu’elle était repartie avec Mrs Whittle.

Aramèle ne parut pas rassuré. Il dit :

— Je parie que cette Mrs Whittle aura emmené Thérèse chez elle et l’aura gardée à dîner. Nous allons attendre un peu, et si elle ne revient pas bientôt, nous irons à sa rencontre.

Quelques instants plus tard Léon DesSerres vint rendre visite à ses amis. En apprenant l’absence de Thérèse il pâlit légèrement et dit, la voix tremblante :

— Capitaine, il y a de bons Anglais dans la ville, mais il y en a aussi de vilains. Moi, je me méfie de ces Whittle et je redoute cette Mrs Whittle en particulier parce qu’elle passe pour une femme dévergondée.

— Ah ! tu connais cette femme ? demanda Aramèle qui avait tressailli.

— Seulement par ce qu’en disent quelques jeunes Anglais de ma connaissance, et cela me suffit pour penser qu’elle n’est pas une compagne désirable pour Thérèse.

— Je suis bien de cet avis, admit Aramèle, et je me suis promis que cette Mrs Whittle ne remettra plus les pieds dans ma maison, de même que j’ai prévenu Thérèse d’éviter toute rencontre avec cette femme. Mais pour le moment le mal est fait, et nous ne pouvons qu’essayer de le guérir.

Durant quelques minutes le silence s’établit.

Aramèle se promenait lentement par la pièce et paraissait réfléchir.

Au bout d’un moment il leva les yeux sur une pendule et remarqua :

— Voyez, mes amis, il est sept heures et demie déjà…

— Je suis inquiet, murmura Léon.

— Et moi, j’ai comme un pressentiment de malheur, balbutia Étienne.

Aramèle était devenu très sombre.

— Mes enfants, reprit-il, votre inquiétude n’est pas moindre que la mienne, et je vous conseille de vous rendre chez le major Whittle et d’en ramener Thérèse. Vous invoquerez une raison quelconque. Je n’aime pas qu’on se montre impoli même avec nos ennemis, tant qu’ils n’ont pas, les premiers, manqué aux lois de la politesse ; et je pense qu’il est toujours facile de faire ses affaires sans froisser les susceptibilités d’autrui.

Les deux jeunes gens quittèrent le logis du capitaine pour se rendre chez le major Whittle.

Un fort désappointement les attendait comme bien on le pense : un domestique leur apprit que les maîtres de la maison étaient partis pour aller à une soirée d’amis.

— Mademoiselle Thérèse les accompagnait, n’est-ce pas ? demanda Léon.

— Mademoiselle Thérèse !… fit avec surprise le domestique ; je ne la connais pas.

— N’est-il pas venu ici une jeune fille avec Mrs Whittle ? interrogea à son tour Étienne.

— Je n’ai pas vu cette jeune fille.

Étienne ne voulut pas insister, n’étant pas sûr que la femme du major eût amené Thérèse chez elle.

Et les deux jeunes gens s’en allèrent plus inquiets que jamais.

En apprenant l’insuccès de leur démarche, Aramèle bondit avec fureur.

— Ah ! bien, gronda-t-il en esquissant un geste farouche, s’il faut que je mette la ville entière sens dessus dessous, je le ferai et je saurai bien, pardieu ! ce qu’est devenue Thérèse.

Brusquement le capitaine boucla sa rapière, prit son feutre, ses gants, et marcha vers la porte. Avant de sortir il prononça d’une voix menaçante :

— Quand je devrais aller sommer le gouverneur de retrouver Thérèse, j’irai !

Il partit, l’air résolu, terrible.