Le Candidat (éd. L. Conard, 1910)/Acte II

ThéâtreLouis Conard (p. 55-95).
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ACTE DEUXIÈME


Le théâtre représente une promenade sous les quinconces. — À gauche, au deuxième plan, le café Français ; à droite, la grille de la maison de Rousselin. — Au lever du rideau, un colleur est en train de coller trois affiches sur les murs de la maison de Rousselin.



Scène première.

HEURTELOT, MARCHAIS, Le Garde champêtre, La Foule.
Le Garde champêtre, à la foule.

Circulez ! circulez ! laissez toute la place aux proclamations !

La Foule.

Trop juste !

Heurtelot.

Ah ! la profession de foi de Bouvigny !

Marchais.

Parbleu, puisqu’il sera nommé !

Heurtelot.

C’est Gruchet qui sera nommé ! Lisez plutôt son affiche !

Marchais.

Que je la lise ?…

Heurtelot.

Oui !

Marchais.

Commencez vous-même ! (À part.) Il ne connaît pas ses lettres ! (Haut.) Eh bien ?

Heurtelot.

Mais vous ?

Marchais.

Moi ?…

Heurtelot, à part.

Il ne sait pas épeler ! (Haut.) Allons…

Le Garde champêtre.

Et ça vote ! — Tenez, je vais m’y mettre pour vous ! D’abord, celle du comte de Bouvigny : « Mes amis, cédant à de vives instances, j’ai cru devoir me présenter à vos suffrages… »

Heurtelot.

Connu ! À l’autre ! Celle de Gruchet !

Le Garde champêtre.

« Citoyens, c’est pour obéir à la volonté de quelques amis que je me présente… »

Marchais.

Quel farceur ! assez !

Le Garde champêtre.

Alors je passe à celle de M. Rousselin ! « Mes chers compatriotes, si plusieurs d’entre vous ne m’en avaient vivement sollicité, je n’oserais… »

Heurtelot.

Il nous embête ! je vais déchirer son affiche !

Marchais.

Moi aussi, car c’est une trahison !

Le Garde champêtre, s’interposant.

Vous n’en avez pas le droit !

Marchais.

Comment, pour soutenir l’ordre !

Heurtelot.

Eh bien, et la liberté ?

Le Garde champêtre.

Laissez les papiers tranquilles, ou je vous flanque au violon tous les deux !

Heurtelot.

Voilà bien le Gouvernement ! Il est à nous vexer, toujours !

Marchais.

On ne peut rien faire !



Scène II.

Les Mêmes, MUREL, GRUCHET.
Murel, à Heurtelot.

Fidèle au poste ! c’est bien ! Prenez-les tous ; faites-les boire !

Heurtelot.

Oh ! là-dessus !…

Murel, aux électeurs.

Entrez ! et pas de cérémonie ! J’ai donné des ordres ; c’est Gruchet qui régale.

Gruchet.

Jusqu’à un certain point, cependant !

Murel, à Gruchet.

Allez donc !

Les Électeurs.

Ah ! Gruchet ! un bon ! un solide ! un patriote !

Ils entrent tous dans le café.



Scène III.

MUREL, Miss ARABELLE.
Murel, se dirigeant vers la grille de la maison Rousselin.

Il faut pourtant que je tâche de voir Louise !

Miss Arabelle, sortant de la grille.

Je voudrais vous parler, Monsieur.

Murel.

Tant mieux, miss Arabelle ! Et Louise, dites-moi, n’est-elle pas ?…

Miss Arabelle.

Mais vous étiez avec quelqu’un ?

Murel.

Oui.

Miss Arabelle.

M. Julien, je crois ?

Murel.

Non, Gruchet.

Miss Arabelle.

Gruchet ! Ah ! bien mauvais homme ! C’est vilain, sa candidature !

Murel.

En quoi, miss Arabelle ?

Miss Arabelle.

M. Rousselin lui a prêté, autrefois, une somme qui n’est pas rendue. J’ai vu le papier.

Murel, à part.

C’est donc pour cela que Gruchet en a peur !

Miss Arabelle.

Mais M. Rousselin, par délicatesse, gentlemanry, ne voudra pas poursuivre ! il est bien bon ! seulement bizarre quelquefois ! Ainsi sa colère contre M. Julien…

Murel.

Et Louise, miss Arabelle ?

Miss Arabelle.

Oh ! quand elle a su votre mariage impossible, elle a pleuré, beaucoup.

Murel, joyeux.

Vraiment ?

Miss Arabelle.

Oui ; et, pauvre petite ! Mme Rousselin est bien dure pour elle !

Murel.

Et son père ?

Miss Arabelle.

Il a été très-fâché !

Murel.

Est-ce qu’il regrette ?…

Miss Arabelle.

Oh ! non ! Mais il a peur de vous.

Murel.

Je l’espère bien !

Miss Arabelle.

À cause des ouvriers, et de l’Impartial, où il dit que vous êtes le maître !

Murel, riant.

Ah ! ah !

Miss Arabelle.

Mais non, n’est-ce pas, c’est M. Julien ?

Murel.

Continuez, miss Arabelle.

Miss Arabelle.

Oh, moi, je suis bien triste, bien triste ! et je voudrais un raccommodement.

Murel.

Cela me paraît maintenant difficile !

Miss Arabelle.

Oh ! non ! M. Rousselin en a envie, je suis sûre ! Tâchez ! Je vous en prie !

Murel, à part.

Est-elle drôle !

Miss Arabelle.

C’est dans votre intérêt, à cause de Louise ! Il faut que tout le monde soit content : elle, vous, moi, M. Julien !

Murel, à part.

Encore Julien ! Ah ! que je suis bête ; c’était pour l’institutrice ; une muse et un poète, parfait ! (Haut.) Je ferai ce qui dépendra de moi. Au revoir, Mademoiselle !

Miss Arabelle, saluant.

Good afternoon, sir  ! (Apercevant une vieille femme qui lui fait signe de venir.) Ah ! Félicité ! (Elle sort avec elle.)



Scène IV.

MUREL, ROUSSELIN.
Rousselin, entrant.

C’est inouï, ma parole d’honneur !

Murel, à part.

Rousselin ! À nous deux !

Rousselin.

Gruchet ! un Gruchet, qui veut me couper l’herbe sous le pied ! un misérable que j’ai défendu, nourri ; et il se vante d’être soutenu par vous ?

Murel.

Mais…

Rousselin.

D’où diable lui est venue cette idée de candidature ?

Murel.

Je n’en sais rien. Il est tombé chez moi comme un furieux, en disant que j’allais abjurer mes opinions.

Rousselin.

C’est parce que je suis modéré ! Je proteste également contre les tempêtes de la démagogie que souhaite ce polisson de Gruchet, et le joug de l’absolutisme, dont M. Bouvigny est l’abominable soutien, le gothique symbole ! en un mot, — fidèle aux traditions du vieil esprit français, — je demande avant tout, le règne des lois, le gouvernement du pays par le pays, avec le respect de la propriété ! Oh ! là-dessus, par exemple !…

Murel.

Justement ! on ne vous trouve pas assez républicain.

Rousselin.

Je le suis plus que Gruchet, encore une fois ! car je me prononce, — voulez-vous que je l’imprime, — pour la suppression des douanes et de l’octroi.

Murel.

Bravo !

Rousselin.

Je demande l’affranchissement des pouvoirs municipaux, une meilleure composition du jury, la liberté de la presse, l’abolition de toutes les sinécures et titres nobiliaires.

Murel.

Très bien !

Rousselin.

Et l’application sérieuse du suffrage universel ! Cela vous étonne ? Je suis comme ça, moi ! Notre nouveau préfet qui soutient la réaction, je lui ai écrit trois lettres, en manière d’avertissement ! Oui, Monsieur ! Et je suis capable de le braver en face, de l’insulter ! Vous pouvez dire ça aux ouvriers !

Murel, à part.

Est-ce qu’il parlerait sérieusement ?

Rousselin.

Vous voyez donc qu’en me préférant Gruchet… car, je vous le répète, il se vante d’être soutenu par vous. Il le crie dans toute la ville.

Murel.

Que savez-vous si je vote pour lui ?

Rousselin.

Comment ?

Murel.

Moi, en politique, je ne tiens qu’aux idées ; or les siennes ne m’ont pas l’air d’être aussi progressives que les vôtres. Un moment ! Tout n’est pas fini !

Rousselin.

Non ! tout n’est pas fini ! et on ne sait pas jusqu’où je peux aller, pour plaire aux électeurs. Aussi, je m’étonne d’avoir été méconnu par une intelligence comme la vôtre.

Murel.

Vous me comblez !

Rousselin.

Je ne doute pas de votre avenir !

Murel.

Eh bien, alors, dans ce cas-là…

Rousselin.

Quoi ?

Murel.

Pour répondre à votre confiance, — j’ai un petit aveu à vous faire : — en écoutant Gruchet, c’était après ce refus, et j’ai cédé à un mouvement de rancune.

Rousselin.

Tant mieux ! ça prouve du cœur.

Murel.

Comme j’adore votre fille, je vous maudissais.

Rousselin.

Ce cher ami ! Ah ! votre défection m’a fait une peine !…

Murel.

Sérieusement, si je ne l’ai pas, j’en mourrai !

Rousselin.

Il ne faut pas mourir !

Murel.

Vous me donnez de l’espoir ?

Rousselin.

Eh ! eh ! Après mûr examen, votre position personnelle me paraît plus avantageuse…

Murel, étonné.

Plus avantageuse ?

Rousselin.

Oui, car sans compter trente mille francs d’appointements…

Murel, timidement.

Vingt mille !

Rousselin.

Trente mille ! en plus, une part dans les bénéfices de la Compagnie ; et puis vous avez votre tante…

Murel.

Madame veuve Murel de Montélimart.

Rousselin.

Puisque vous êtes son héritier.

Murel.

Avec un autre neveu, militaire !

Rousselin.

Alors, il y a des chances !… (Faisant le geste de tirer un coup de fusil.) Les Bédouins !

Il rit.
Murel, riant.

Oui, oui, vous avez raison ! Les femmes, même les vieilles, changent d’idées facilement ; celle-là est capricieuse. Bref ! cher monsieur Rousselin, j’ai tout lieu de croire que ma bonne tante songe à moi, quelquefois.

Rousselin, à part.

Si c’était vrai, cependant ? (Haut.) Enfin, mon cher, trouvez-vous ce soir, après dîner, là, devant ma porte, sans avoir l’air de me chercher.

Il sort.



Scène V.

MUREL, seul.

Un rendez-vous pour ce soir ! Mais c’est une avance, une espèce de consentement ; Arabelle disait vrai.



Scène VI.

MUREL, GRUCHET, puis HOMBOURG, puis FÉLICITÉ.
Gruchet.

Me voilà ! je n’ai pas perdu de temps ! Quoi de neuf ? — Répondez-moi.

Murel.

Gruchet, avez-vous réfléchi à l’affaire dans laquelle vous vous embarquez ?

Gruchet.

Hein ?

Murel.

Ce n’est pas une petite besogne que d’être député.

Gruchet.

Je le crois bien !

Murel.

Vous allez avoir sur le dos tous les quémandeurs.

Gruchet.

Oh ! moi, mon bon, je suis habitué à éconduire les gens.

Murel.

N’importe, ils vous dérangeront de vos affaires énormément.

Gruchet.

Jamais de la vie !

Murel.

Et puis, il va falloir habiter Paris. C’est une dépense.

Gruchet.

Eh bien, j’habiterai Paris ! ce sera une dépense ! voilà !

Murel.

Franchement, je n’y vois pas de grands avantages.

Gruchet.

Libre à vous !… moi, j’en vois.

Murel.

Vous pouvez d’ailleurs échouer.

Gruchet.

Comment ? vous savez quelque chose ?

Murel.

Rien de grave ! Cependant Rousselin, eh ! eh ! il gagne dans l’opinion.

Gruchet.

Tantôt vous disiez que c’est un imbécile !

Murel.

Ça n’empêche pas de réussir.

Gruchet.

Alors, vous me conseillez de me démettre ?

Murel.

Non ! Mais il est toujours fâcheux d’avoir contre soi un homme de l’importance de Rousselin.

Gruchet.

Son im-por-tance !

Murel.

Il a beaucoup d’amis, ses manières sont cordiales, enfin il plaît ; et tout en ménageant les conservateurs, il pose pour le républicain.

Gruchet.

On le connaît !

Murel.

Ah ! si vous comptez sur le bon sens du public…

Gruchet.

Mais pourquoi tenez-vous à me décourager, quand tout marche comme sur des roulettes ? Écoutez-moi : Primo, sans qu’on s’en doute le moins du monde, je saurai par Félicité, ma bonne, tout ce qui se passe chez lui.

Murel.

Ce n’est peut-être pas trop délicat ce que vous faites.

Gruchet.

Pourquoi ?

Murel.

Ni même prudent ; car on dit que vous lui avez autrefois emprunté…

Gruchet.

On le dit ? Eh bien…

Murel.

Il faudrait d’abord lui rendre la somme.

Gruchet.

Pour cela, il faudrait d’abord que vous me rendiez ce qui m’est dû, vous ! Soyons justes !

Murel.

Ah ! devant les preuves de mon dévouement, et à l’instant même où je vous gratifie d’un excellent conseil, voilà ce que vous imaginez ! Mais, sans moi, mon bonhomme, jamais de la vie vous ne seriez élu ; je m’éreinte, bien que je n’aie aucun intérêt…

Gruchet.

Qui sait ? Ou plutôt je n’y comprends goutte ; tour à tour, vous me poussez, vous m’arrêtez ! Ce que je dois à Rousselin ? les autres aussi feront des réclamations ! On n’est pas inépuisable. Il faudrait pourtant que je rentre dans mes avances ! Et la note du café qui va être terrible, — car ces farceurs-là boivent, boivent ! — Si vous croyez que je n’y pense pas ! C’est un gouffre qu’une candidature ! (À Hombourg, qui entre.) Hombourg ! quoi encore ?

Hombourg.

Le bourgeois est-il là ?

Gruchet.

Je n’en sais rien !

Hombourg.

Un mot ! Je possède un petit bidet cauchois, pas cher, et qui vous serait bien utile pour vos tournées électorales ?

Gruchet.

Je les ferai à pied ; merci !

Hombourg.

Une occasion, monsieur Gruchet !

Gruchet.

Des occasions comme celles-là, on les retrouve !

Hombourg.

Je ne crois pas !

Gruchet.

Il m’est à présent, impossible…

Hombourg.

À votre service !

Il entre chez Rousselin.
Murel.

Pensez-vous que Rousselin eût fait cela ? Cet homme, qui tient une auberge, va vous déchirer près de ses pratiques. Vous venez de perdre, peut-être, cinquante voix. Je suis fatigué de vous soutenir.

Gruchet.

Du calme ! j’ai eu tort ! Admettons que je n’aie rien dit. C’est que vous veniez de m’agacer avec votre histoire de Rousselin, qui d’abord, n’est peut-être pas vraie. De qui la tenez-vous ? À moins que lui-même… Ah ! c’est plutôt une farce de votre invention, pour m’éprouver.

Rumeur dans la coulisse.
Murel.

Écoutez donc !

Gruchet.

J’entends bien.

Murel.

Le bruit se rapproche.

Des voix, dans la coulisse.

Gruchet ! Gruchet !

Félicité, apparaissant à gauche.

Monsieur, on vous cherche !

Gruchet.

Moi ?

Félicité.

Oui, venez tout de suite !

Gruchet.

Me voilà !

Il sort précipitamment avec elle. — Le bruit augmente.
Murel, en s’en allant par la gauche.

Tout ce tapage ! Qu’est-ce donc ? (Il sort.)



Scène VII.

ROUSSELIN, puis HOMBOURG.
Rousselin, sortant de chez lui.

Ah ! le peuple à la fin s’agite ! pourvu que ce ne soit pas contre moi !

Tous, criant dans le café.

Enfoncé les bourgeois !

Rousselin.

Voilà qui devient inquiétant.

Gruchet, passant au fond, et tâchant de se soustraire aux ovations.

Mes amis, laissez-moi ! non ! vraiment !

Tous.

Gruchet ! Vive Gruchet ! notre député !

Rousselin.

Comment, député ?

Hombourg, sortant de chez Rousselin.

Parbleu ! puisque Bouvigny se retire.

La bande s’éloigne.
Rousselin.

Pas possible !

Hombourg.

Mais oui, le ministère est changé. Le préfet donne sa démission ; et il vient d’écrire à Bouvigny, pour l’engager à faire comme lui, à se démettre !

Il sort par où est sortie la bande.
Rousselin.

Eh bien, alors, il ne reste plus que… (La main sur la poitrine pour dire : moi.) Mais non ! il y a encore Gruchet ! (Rêvant.) Gruchet ! (Apercevant Dodart qui entre.) Que me voulez-vous ?



Scène VIII.

ROUSSELIN, DODART.
Dodart.

Je viens pour vous rendre un service.

Rousselin.

De la part d’un féal de M. le comte, cela m’étonne !

Dodart.

Vous apprécierez ma conduite, plus tard. M. de Bouvigny ayant retiré sa candidature…

Rousselin, brusquement.

Il l’a retirée ? c’est vrai ?

Dodart.

Oui… pour des raisons…

Rousselin.

Personnelles.

Dodart.

Comment ?

Rousselin.

Je dis : il a eu des raisons, voilà tout !

Dodart.

En effet ; et permettez-moi de vous avertir d’une chose… capitale. Tous ceux qui s’intéressent à vous — je suis du nombre, n’en doutez pas — commencent à s’effrayer de la violence de vos adversaires !

Rousselin.

En quoi ?

Dodart.

Vous n’avez donc pas entendu les cris insurrectionnels que poussait la bande Gruchet ! Ce Catilina de village !…

Rousselin, à part.

Catilina de village… Jolie expression ! À noter !

Dodart.

Il est capable, Monsieur, de… capable de tout ! et d’abord, grâce à la démence du peuple, il deviendra peut-être un de nos tribuns.

Rousselin, à part.

C’est à craindre !

Dodart.

Mais les conservateurs n’ont pas renoncé à la lutte, croyez-le ! D’avance leurs voix appartiennent à l’honnête homme qui offrirait des garanties. (Mouvement de Rousselin.) Oh ! on ne lui demande pas de se poser en rétrograde ; seulement quelques concessions… bien simples.

Rousselin.

Et c’est ce diable de Murel !…

Dodart.

Malheureusement, la chose est faite !

Rousselin, rêvant.

Oui !

Dodart.

Comme notaire et comme citoyen, je gémis sur tout cela ! Ah ! c’était un beau rêve que cette alliance de la bourgeoisie et de la noblesse cimentée en vos deux familles ; et le comte me disait tout à l’heure, — vous n’allez pas me croire ?…

Rousselin.

Pardon !… je suis plein de confiance.

Dodart.

Il me disait, avec ce ton chevaleresque qui le caractérise : « Je n’en veux pas du tout à M. Rousselin… »

Rousselin.

Ni moi non plus, mon Dieu !

Dodart.

« Et je ne demande pas mieux, s’il n’y trouve point d’inconvénient… »

Rousselin.

Mais quel inconvénient ?

Dodart.

« Je ne demande pas mieux que de m’aboucher avec lui, dans l’intérêt du canton, et de la moralité publique. »

Rousselin.

Comment donc ? je le verrai avec plaisir !

Dodart.

Il est là ! (À la cantonade.) Psitt ! Avancez !…



Scène IX.

Les mêmes, LE COMTE DE BOUVIGNY.
Bouvigny, saluant.

Monsieur !

Rousselin, regardant autour de lui.

Je regarde si quelquefois…

Bouvigny.

Personne ne m’a vu ! soyez sans crainte ! Et acceptez mes regrets sur…

Rousselin.

Il n’y a pas de mal…

Dodart, en ricanant.

À reconnaître ses fautes, n’est-ce pas ?

Bouvigny.

Que voulez-vous, l’amour peut-être exagéré de certains principes…

Rousselin.

Moi aussi, Monsieur, j’honore les principes !

Bouvigny.

Et puis la maladie de mon fils !

Rousselin.

Il n’est pas malade ; tantôt, ici même…

Dodart.

Oh ! fortement indisposé ! Mais il a l’énergie de cacher sa douleur. Pauvre enfant ! les nerfs ! tellement sensible !

Rousselin, à part.

Ah ! je devine ton jeu, à toi ; tu vas faire le mien ! (Haut.) En effet, après avoir conçu des espérances…

Bouvigny.

Oh ! certes !

Rousselin.

Il a dû être peiné…

Bouvigny.

Désolé, monsieur !

Rousselin.

De vous voir abandonner subitement cette candidature.

Dodart, à part.

Il se moque de nous !

Rousselin.

Lorsque vous aviez déjà un nombre de voix.

Bouvigny.

J’en avais beaucoup !

Rousselin, souriant.

Pas toutes, cependant !

Dodart.

Parmi les ouvriers, peut-être, mais dans les campagnes, énormément !

Rousselin.

Ah ! si on comptait !…

Bouvigny.

Permettez ! D’abord la commune de Bouvigny où je réside, m’appartient, n’est-ce pas ? Ainsi que les villages de Saint-Léonard, Valencourt, La Coudrette.

Rousselin, vivement.

Celui-là, non !

Bouvigny.

Pourquoi ?

Rousselin, embarrassé.

Je croyais !… (À part.) Murel m’avait donc trompé ?

Bouvigny.

Je suis également certain de Grumesnil, Ypremesnil, Les Arbois.

Dodart, lisant une liste qu’il tire de son portefeuille.

Châtillon, Colange, Heurtaux, Lenneval, Bahurs, Saint-Filleul, Le Grand-Chêne, La Roche-Aubert, Fortinet.

Rousselin, à part.

C’est effroyable !

Dodart.

Manicamp, Dehaut, Lampérière, Saint-Nicaise, Vieville, Sirvin, Château-Régnier, La Chapelle, Lebarrois, Mont-Suleau.

Rousselin, à part.

Je ne savais donc pas la géographie de l’arrondissement !

Bouvigny.

Sans compter que j’ai des amis nombreux dans les communes de…

Rousselin, accablé.

Oh ! je vous crois, Monsieur !

Bouvigny.

Ces braves gens ne savent plus que faire ! Ils sont toujours à ma disposition, du reste, m’obéissant comme un seul homme ; — et si je leur disais… de voter pour… n’importe qui… pour vous, par exemple…

Rousselin.

Mon Dieu ! je ne suis pas d’une opposition tellement avancée…

Bouvigny.

Eh ! eh ! l’Opposition est quelquefois utile !

Rousselin.

Comme instrument de guerre, soit ! Mais il ne s’agit pas de détruire, il faut fonder !

Dodart.

Incontestablement, nous devons fonder !

Rousselin.

Aussi ai-je en horreur toutes ces utopies, ces doctrines subversives !… N’a-t-on pas l’idée de rétablir le divorce, je vous demande un peu ! Et la presse, il faut le reconnaître, se permet des excès…

Dodart.

Affreux !

Bouvigny.

Nos campagnes sont infestées par un tas de livres !

Rousselin.

Elles n’ont plus personne pour les conduire ! Ah ! il y avait du bon dans la noblesse ; et là-dessus, je partage les idées de quelques publicistes de l’Angleterre.

Bouvigny.

Vos paroles me font l’effet d’une brise rafraîchissante ; et si nous pouvions espérer…

Rousselin.

Enfin, Monsieur le comte (mystérieusement.) la Démocratie m’effraye ! Je ne sais par quel vertige, quel entraînement coupable…

Bouvigny.

Vous allez trop loin !…

Rousselin.

Non ! j’étais coupable ; car je suis conservateur, croyez-le, et peut-être quelques nuances seulement…

Dodart.

Tous les honnêtes gens sont faits pour s’entendre.

Rousselin, serrant la main de Bouvigny.

Bien sûr, Monsieur le comte, bien sûr.



Scène X.

Les Mêmes, MUREL, LEDRU, ONÉSIME, des Ouvriers.
Murel.

Dieu merci ! je vous trouve sans vos électeurs, mon cher Rousselin !

Bouvigny, à part.

Je les croyais fâchés !

Murel.

En voici d’autres ! Je leur ai démontré que les idées de Gruchet ne répondent plus aux besoins de notre époque ; et, d’après ce que vous m’avez dit ce matin, vous serez de ceux-ci mieux compris ; ce sont non seulement des républicains, mais des socialistes !

Bouvigny, faisant un bond.

Comment, des socialistes !

Rousselin.

Il m’amène des socialistes !

Dodart.

Des socialistes ! Il ne faut pas que ma personnalité !…

Il s’esquive.
Rousselin, balbutiant.

Mais…

Ledru.

Oui, citoyen ! Nous le sommes !

Rousselin.

Je n’y vois pas de mal !

Bouvigny.

Et tout à l’heure, vous déclamiez contre ces infamies !

Rousselin.

Permettez ! il y a plusieurs manières d’envisager…

Onésime, surgissant.

Sans doute, plusieurs manières…

Bouvigny, scandalisé.

Jusqu’à mon fils !

Murel.

Que venez-vous faire ici, vous ?

Onésime.

J’ai entendu dire que l’on se portait chez M. Rousselin, et je voudrais lui affirmer que je partage, à peu près… son système.

Murel, à demi-voix.

Petit intrigant !

Bouvigny.

Je ne m’attendais pas, mon fils, à vous voir, devant l’auteur de vos jours, renier la foi de vos aïeux !

Rousselin.

Très bien !

Ledru.

Pourquoi très bien ? Parce que Monsieur est M. le comte (à Murel, désignant Rousselin.), et à vous croire, il demandait l’abolition de tous les titres !…

Rousselin.

Certainement !

Bouvigny.

Comment ? il demandait…

Ledru.

Mais oui !

Bouvigny.

Ah ! c’est assez !

Rousselin, voulant le retenir.

Je ne peux pas rompre en visière brusquement. Beaucoup ne sont qu’égarés. Ménageons-les !

Bouvigny, très haut.

Pas de ménagements, Monsieur ! On ne pactise point avec le désordre ; et je vous déclare net que je ne suis plus pour vous ! — Onésime !

Il sort ; son fils le suit.
Ledru.

Il était pour vous ? Nous savons à quoi nous en tenir ! Serviteur !

Rousselin.

Pour soutenir mes convictions, je vous sacrifie un vieil ami de trente ans !

Ledru.

On n’a pas besoin de sacrifices ! Mais vous dites tantôt blanc, tantôt noir : et vous m’avez l’air d’un véritable… blagueur ! Allons, nous autres, retournons chez Gruchet ! Venez-vous, Murel ?

Murel.

Dans une minute, je vous rejoins !



Scène XI.

ROUSSELIN, MUREL.
Murel.

Il faut convenir, mon cher, que vous me mettez dans une position embarrassante !

Rousselin.

Si vous croyez que je n’y suis pas ?

Murel.

Saperlotte, il faudrait cependant vous résoudre ! Soyez d’un côté, soyez de l’autre ! Mais décidez-vous ! finissons-en !

Rousselin.

Pourquoi toujours ce besoin d’être emporte-pièce, exagéré ? Est-ce qu’il n’y a pas dans tous les partis quelque chose de bon à prendre ?

Murel.

Sans doute, leurs voix !

Rousselin.

Vous avez un esprit, ma parole d’honneur ! une délicatesse !… ah ! je ne m’étonne pas qu’on vous aime !

Murel.

Moi ? et qui donc ?

Rousselin.

Innocent ! une demoiselle, du nom de Louise.

Murel.

Quel bonheur ! merci ! merci ! Maintenant, je vais m’occuper de vous, gaillardement ! J’affirmerai qu’on ne vous a pas compris. Une dispute de mots, une erreur. Quant à l’Impartial

Rousselin.

Là, vous êtes le maître !

Murel.

Pas tout à fait ! Nous dépendons de Paris, qui donne le mot d’ordre. Vous deviez même être éreinté !

Rousselin.

Décommandez l’éreintement !

Murel.

Sans doute. Mais, comment tout de suite, prêcher à Julien le contraire de ce qu’on lui a dit ?

Rousselin.

Que faire ?

Murel.

Attendez donc ! Il y a chez vous quelqu’un dont peut-être l’influence…

Rousselin.

Qui cela ?

Murel.

Miss Arabelle ! D’après certaines paroles qu’elle m’a dites, j’ai tout lieu de croire que ce jeune poète l’intéresse…

Rousselin, riant.

La pièce de vers serait-elle pour l’Anglaise ?

Murel.

Je ne connais pas les vers, mais je crois qu’ils s’aiment.

Rousselin.

J’en étais sûr ! Jamais de la vie, je ne me trompe ! Du moment que ma fille n’est pas en jeu, je ne risque rien ; et je me moque pas mal après tout si… Il faut que j’en parle à ma femme. Elle doit être là, précisément.

Murel.

Moi, pendant ce temps-là, je vais essayer de ramener ceux que votre tiédeur philosophique a un peu refroidis.

Rousselin.

N’allez pas trop loin, cependant, de peur que Bouvigny, de son côté…

Murel.

Ah ! il faut bien que je rebadigeonne votre patriotisme !

Il sort.
Rousselin, seul.

Tâchons d’être fin, habile, profond !



Scène XII.

ROUSSELIN, Mme ROUSSELIN, Miss ARABELLE.
Rousselin, à Arabelle.

Ma chère enfant, — car mon affection toute paternelle me permet de vous appeler ainsi, — j’attends de vous un grand service ; il s’agirait d’une démarche près de M. Julien !

Arabelle, vivement.

Je peux la faire !

Madame Rousselin, avec hauteur.

Ah ! comment cela ?

Arabelle.

Il fume son cigare tous les soirs sur cette promenade. Rien de plus facile que de l’aborder.

Madame Rousselin.

Vu les convenances, ce serait plutôt à moi.

Rousselin.

En effet ; c’est plutôt à une femme mariée.

Arabelle.

Mais je veux bien !

Madame Rousselin.

Je vous le défends, Mademoiselle !

Arabelle.

J’obéis, Madame ! (À part, en remontant.) Qu’a-t-elle donc à vouloir m’empêcher ?… Attendons !

Elle disparaît.
Madame Rousselin.

Tu as parfois, mon ami, des idées singulières ; charger l’institutrice d’une chose pareille ! car c’est pour ta candidature, j’imagine ?

Rousselin.

Sans doute ! Et moi, je trouvais que miss Arabelle, précisément à cause de son petit amour, dont je ne doute plus, pouvait fort bien…

Madame Rousselin.

Ah ! tu ne la connais pas. C’est une personne à la fois violente et dissimulée, cachant sous des airs romanesques une âme qui l’est fort peu ; et je sens qu’il faut se méfier d’elle…

Rousselin.

Tu as peut-être raison ? Voici Julien ! Tu comprends, n’est-ce pas, tout ce qu’il faut lui dire ?

Madame Rousselin.

Oh ! je saurai m’y prendre !

Rousselin.

Je me fie à toi !

Rousselin s’éloigne, après avoir salué Julien.
La nuit est venue.



Scène XIII.

Mme ROUSSELIN, JULIEN.
Julien, apercevant Mme Rousselin.

Elle ! (Il jette son cigare.) Seule ! Comment faire ? (Saluant.) Madame !

Madame Rousselin.

M. Duprat, je crois ?

Julien.

Hélas ! oui, Madame.

Madame Rousselin.

Pourquoi, hélas ?

Julien.

J’ai le malheur d’écrire dans un journal qui doit vous déplaire.

Madame Rousselin.

Par sa couleur politique, seulement !

Julien.

Si vous saviez combien je méprise les intérêts qui m’occupent !

Madame Rousselin.

Mais les intelligences d’élite peuvent s’appliquer à tout sans déchoir. Votre dédain, il est vrai, n’a rien de surprenant. Quand on écrit des vers aussi… remarquables…

Julien.

Ce n’est pas bien ce que vous faites là, Madame ! Pourquoi railler ?

Madame Rousselin.

Nullement ! Malgré mon insuffisance, peut-être, je vous crois un avenir…

Julien.

Il est fermé par le milieu où je me débats. L’art pousse mal sur le terroir de la province. Le poète qui s’y trouve et que la misère oblige à certains travaux est comme un homme qui voudrait courir dans un bourbier. Un ignoble poids toujours collé à ses talons, le retient ; plus il s’agite, plus il enfonce. Et cependant, quelque chose d’indomptable proteste et rugit au dedans de vous ! Pour se consoler de ce que l’on fait, on rêve orgueilleusement à ce que l’on fera ; puis les mois s’écoulent, la médiocrité ambiante vous pénètre, et on arrive doucement à la résignation, cette forme tranquille du désespoir.

Madame Rousselin.

Je comprends ; et je vous plains !

Julien.

Ah ! Madame, que votre pitié est douce ! bien qu’elle augmente ma tristesse !

Madame Rousselin.

Courage ! le succès, plus tard, viendra.

Julien.

Dans mon isolement, est-ce possible ?

Madame Rousselin.

Au lieu de fuir le monde, allez vers lui ! Son langage n’est pas le vôtre, apprenez-le ! Soumettez-vous à ses exigences. La réputation et le pouvoir se gagnent par le contact ; et, puisque la société est naturellement à l’état de guerre, rangez-vous dans le bataillon des forts, du côté des riches, des heureux ! Quant à vos pensées intimes, n’en dites jamais rien, par dignité et par prudence. Dans quelque temps, lorsque vous habiterez Paris, comme nous…

Julien.

Mais je n’ai pas le moyen d’y vivre, Madame !

Madame Rousselin.

Qui sait ? avec la souplesse de votre talent, rien n’est difficile ; et vous l’utiliserez pour des personnes qui en marqueront leur gratitude ! Mais il est tard ; au plaisir de vous revoir, monsieur !

Elle remonte.
Julien.

Oh ! restez ! au nom du ciel, je vous en conjure ! Voilà si longtemps que je l’espère cette occasion. Je cherchais des ruses, inutilement, pour arriver jusqu’à vous ! D’ailleurs, je n’ai pas bien compris vos dernières paroles. Vous attendez quelque chose de moi, il me semble ? Est-ce un ordre ? Dites-le ! j’obéirai.

Madame Rousselin.

Quel dévouement !

Julien.

Mais vous occupez ma vie ! Quand, pour respirer plus à l’aise, je monte sur la colline, malgré moi, tout de suite, mes yeux découvrent parmi les autres votre chère maison, blanche dans la verdure de son jardin ; et le spectacle d’un palais ne me donnerait pas autant de convoitise ! Quelquefois vous apparaissez dans la rue, c’est un éblouissement, je m’arrête ; et puis je cours après votre voile, qui flotte derrière vous comme un petit nuage bleu ! Bien souvent je suis venu devant cette grille, pour vous apercevoir et entendre passer au bord des violettes le murmure de votre robe. Si votre voix s’élevait, le moindre mot, la phrase la plus ordinaire, me semblait d’une valeur inintelligible pour les autres ; et j’emportais cela, joyeusement, comme une acquisition ! — Ne me chassez pas ! Pardonnez-moi ! J’ai eu l’audace de vous envoyer des vers. Ils sont perdus, comme les fleurs que je cueille dans la campagne, sans pouvoir vous les offrir, comme les paroles que je vous adresse la nuit et que vous n’entendez pas, car vous êtes mon inspiration, ma muse, le portrait de mon idéal, mes délices, mon tourment !

Madame Rousselin.

Calmez-vous, Monsieur ! Cette exagération…

Julien.

Ah ! c’est que je suis de 1830, moi ! J’ai appris à lire dans Hernani, et j’aurais voulu être Lara ! J’exècre toutes les lâchetés contemporaines, l’ordinaire de l’existence, et l’ignominie des bonheurs faciles ! L’amour qui a fait vibrer la grande lyre des maîtres gonfle mon cœur. Je ne vous sépare pas, dans ma pensée, de tout ce qu’il y a de plus beau ; et le reste du monde, au loin, me paraît une dépendance de votre personne. Ces arbres sont faits pour se balancer sur votre tête, la nuit pour vous recouvrir, les étoiles qui rayonnent doucement comme vos yeux, pour vous regarder !

Madame Rousselin.

La littérature vous emporte, Monsieur ! Quelle confiance une femme peut-elle accorder à un homme qui ne sait pas retenir ses métaphores, ou sa passion ? Je crois la vôtre sincère, pourtant. Mais vous êtes jeune, et vous ignorez trop ce qui est l’indispensable. D’autres, à ma place, auraient pris pour une injure la vivacité de vos sentiments. Il faudrait au moins promettre…

Julien.

Voilà que vous tremblez aussi. Je le savais bien ! On ne repousse pas un tel amour !

Madame Rousselin.

Ma hardiesse à vous écouter m’étonne moi-même. Les gens d’ici sont méchants, Monsieur. La moindre étourderie peut nous perdre !… Le scandale…

Julien.

Ne craignez rien ! Ma bouche se taira, mes yeux se détourneront, j’aurai l’air indifférent ; et si je me présente chez vous…

Madame Rousselin.

Mais, mon mari… Monsieur.

Julien.

Ne me parlez pas de cet homme !

Madame Rousselin.

Je dois le défendre.

Julien.

C’est ce que j’ai fait, — par amour pour vous !

Madame Rousselin.

Il l’apprendra ; et vous n’aurez pas à vous repentir de votre générosité.

Julien.

Laissez-moi me mettre à vos genoux, afin que je vous contemple de plus près. J’exécuterai, Madame, tout ce qu’il vous plaira ! et valeureusement, n’en doutez pas ; me voilà devenu fort ! Je voudrais épandre sur vos jours, avec les ivresses de la terre, tous les enchantements de l’Art, toutes les bénédictions du Ciel…

Miss Arabelle, cachée derrière un arbre.

J’en étais sûre !

Madame Rousselin.

J’attends de vous une preuve immédiate de complaisance, d’affection…

Julien.

Oui, oui !



Scène XIV.

Les Mêmes, Miss ARABELLE, puis MUREL
et GRUCHET, à la fin ROUSSELIN.
Madame Rousselin, remontant.

On vient ! il faut que je rentre.

Julien.

Pas encore !

Gruchet, au fond, poursuivant Murel.

Alors, rendez-moi mon argent !

Murel, continuant à marcher.

Vous m’ennuyez !

Gruchet.

Polisson !

Murel, lui donnant un soufflet.

Voleur !

Rousselin, en entrant, qui a entendu le bruit du soufflet.

Qu’est-ce donc ?

Julien, à Mme Rousselin.

Oh ! cela seulement !

Il lui applique, sur la main, un baiser sonore.
Miss Arabelle, reconnaît Julien.

Ah !

Rousselin.

Que Se passe-t-il ? (Apercevant miss Arabelle qui s’enfuit.) Arabelle ! Demain je la flanque à la porte !