Le Cadran de la volupté ou les Aventures de Chérubin/15

La Catastrophe



LA CATASTROPHE.


Ami, dit-il, recueille ton courage, tu en as besoin pour m’entendre.

Le jour de demain signalera la honte ou la gloire des Parisiens. Une horde de brigands salariés, enhardis par l’assurance de l’impunité, doit se porter aux Tuileries ; massacrer la famille R… et ses amis. Je me confie en tes principes, je t’ai inscrit au nombre de ses ardens défenseurs.

Je répondis à cette courte harangue, en portant la main à mon épée : Les ennemis de mon R… sont les miens, je le jure par l’honneur que je n’ai jamais violé, et par l’amour qui m’ordonne de sauver tout ce qui m’est cher, ou de périr.

Je me rendis le lendemain au poste que le chevalier m’avait assigné. Mais à quoi servit notre défense héroïque ? Le nombre nous accabla, ou plutôt le R… hâta sa ruine et la notre, en se livrant avec sa famille entre les mains de ses plus mortels ennemis. J’aurais succombé à la rage des assassins, si je ne m’y fusse soustrait par un escalier dérobé.

Je tire le rideau sur les événemens atroces et sans exemple de cette journée. Ne pouvant supporter la pensée de vivre dans un pays si barbare, je me retirai en Suisse. Il était tems. J’avais été signalé ; mes ennemis étaient à ma poursuite. J’eus lieu de m’applaudir de ma prudence, puisque j’appris ensuite que la famille R… avait été sacrifiée, que mes meilleurs amis avaient subi le même sort ; que la France était couverte d’échaffauds sur lesquels tout ce qui avait un nom et des vertus était menacé de porter sa tête. Malgré mon amour pour la patrie, j’ai préféré le séjour tranquille de ce pays aux plaisirs bruyans de Paris.

Je n’ai pu rencontrer ma chère J… P… Il n’en est pas de même de Lysette ; je l’ai retrouvée à Basle, elle est devenue ma ménagère et la consolation de mon exil. Tout en parlant du bon tems et des amis absens, souvent il arrive que notre imagination s’enflamme, et nous cherchons à noyer des souvenirs importuns dans les plaisirs de Bacchus et de l’amour,

Peut-être viendra-t-il un tems où le malheureux Chérubin, pourra retourner dans sa patrie, et y figurer de nouveau, sur le théâtre du grand monde ; c’est là le plus ardent de ses vœux.


Fin de la seconde et dernière partie.