Le Cadran de la volupté ou les Aventures de Chérubin/07
LE CADRAN DE GNIDE.
Toutes les phases de la volupté
étaient tracées sur un cadran dont le
dieu des jardins dirigeait l’aiguille.
Ce cadran était divisé en vingt-quatre
points, qui marquaient vingt-quatre
manière de jouir, et que chacun parcourait
successivement. Ce mystérieux
et bienfaisant cadran est figuré au frontispice
de ce livre. Divine et moi
nous passâmes sur les premiers degrés ;
mais bientôt le dieu vint nous remettre
sur la voie, en nous montrant le cadran.
Quel rafinement de volupté !
Arrivés au vingt-quatrième point, je
continuai mes joyeux ébats au grand
étonnement de toute la troupe, qui se
mit à former autour de nous des chœurs
de danses tels que ceux que l’on formait à
Paphos et à Amathonte. Bientôt
le flambeau de l’amour, dont j’avais
épuisé tous les feux, ne jeta plus
qu’une flamme vacillante : on m’invita
à prendre du repos, quatre nymphes
toutes nues apportèrent les fruits les
plus rares et les plus délicieux, toutes
les régions de la terre avaient été mises
à contribution pour ce repas, on y sabla
les vins les plus rares et les plus
exquis. Nouveau Ganimède, (et j’en
devais bientôt jouer entièrement le rôle),
je fus chargé de verser le nectar
au dieu de ce temple, une autre Hébé
lui présentait l’ambroisie.
Après avoir par cette collation recherchée, ranimé nos forces épuisées, on se prépara à de nouvelles joutes ; j’étais déjà sur le sein de Divine, lorsque le dieu, m’appliquant de sa bouche un baiser plein de feu, m’introduisit dans le charmant séjour que Divine m’avait consacré, et m’insinua à moi-même un rayon de sa divinité : il s’y prit avec tant d’art et tant d’adresse, qu’au lieu de la douleur que je m’attendais à éprouver, je sentis doubler ma jouissance, il me pénétrait de tous les feux de sa divinité, qui, par contrecoup, embrâsaient le sein de Divine.
Il fallut mettre fin à tant de délices ; les plus tendres baisers, les soupirs brûlans précédèrent et accompagnèrent nos adieux. Chacun se retira dans un ordre admirable. Nous reprîmes la route de Versailles, et nous la parcourûmes avec la même rapidité qu’auparavant. Je descendis à l’entrée de la ville, pour rejoindre mon hôtel à pied, le char partit comme un trait. Arrivé chez moi, je me mis au lit : dieux de quels rêves enchanteurs ne fus-je point bercé pendant mon sommeil ! je ne m’éveillai que fort tard. A mon réveil, je me fis apporter un déjeuné restaurant, qui, bientôt m’eût rendu toute ma vigueur… Un quart d’heure après, on m’annonça une dame ; c’était la belle joueuse de guittare ; c’était mon guide. — Encore au lit ! où avez vous passé votre nuit, me dit-elle, en souriant ? — Dans les cieux, parmi les déesses et les immortels. — Ah ! j’entends ; vous avez été au temple de Vénus Gnidienne, et sûrement le dieu Cagliostro vous a fait participer à sa divinité ! — Quoi celui qui sait jouir, et faire jouir les autres avec tant d’art, est le comte de Cagliostro ? — Lui même, et votre Divine… Je soupçonne… Je puis vous instruire sur son compte, à présent qu’elle a épuisé toute espèce de jouissance avec vous ; elle ne tardera pas à vous donner un successeur. Tel est son caractère ; aimant jusqu’à la fureur, tant qu’on répond à l’impétuosité de son tempérament ; sa passion finit avec ce qui lui servait d’aliment. Quel dommage, qu’un si beau jeune homme soit bientôt sans maîtresse ! — Ah ! il ne tiendra qu’à vous, que je n’éprouve pas ce vuide affreux ; je puis encore offrir quelques couronnes de myrthe au dieu Priape, et pour vous le prouver… voyez… A ces mots je saisis la belle, et la portant d’un bras nerveux sur mon lit, je fis de suite deux infidélités à Divine. Dieux ! cher Page, s’écria-t-elle, tu es un trésor, la R… ne te possédera pas seule, dès que je te vois, je deviens sa rivale. Ah ! si tu préfères celle qui t’aimera le mieux, je suis sûre de la victoire. Qu’entends-je, la R… ! quoi j’aurais… — Oui, cher amour, je te révèle le secret ; mais prends garde ! une indiscrétion te perdrait à jamais ! tu la verras ce soir, agis avec elle, comme auparavant, sans paraître te douter de rien. Poursuis ta noble carrière, sans trop te reposer sur ton bonheur, car bientôt tu éprouveras les effets de son inconstance. Tout en me parlant, le mercure femelle agitait dans sa main le javelot destiné à percer ma royale conquête ; dès qu’elle le vit dans son éclat, elle le dirigea vers l’antre de Vénus. Je voulus l’examiner à mon aise, le comparer avec celui de Divine ; la différence était sensible : celui-ci ombragé d’une épaisse forêt, dont le noir tranchait admirablement avec sa peau de satin blanc, offrait un contraste frappant. Le vase de Divine entouré d’une mousse blonde, et douce comme la soie, ne contrastait avec son corps d’albâtre, que par des bords de corail ; l’une était une blonde, qui avait toute la vivacité d’une brune, l’autre, une brune qui avait toute la mollesse d’une blonde.
Dieux ! quels plaisirs je goûtai sur le sein de ma vive et sémillante conductrice, comme elle possédait l’art des combats amoureux ! que ses attitudes, ses mouvemens étaient rapides, voluptueux et variés ! Oui, je le confesse, elle me fit presqu’oublier Divine : il fallut pourtant se quitter, l’heure à laquelle je devais revoir cette dernière approchait. Je ne sais quels pressentimens m’agitèrent, j’étais dans un état difficile à définir ; je désirais et craignais mon retour auprès d’elle ; soit que la connaissance que j’avais de son rang, me contraignit, soit que sa belle émissaire eût épuisé les feux qui me brûlaient pour elle ; je me trouvai gêné, craintif, et ce fut plutôt l’obéissance que l’amour qui me conduisit au rendez-vous.