Le Bouddhisme au Tibet/Préface

Traduction par Léon de Milloué.
Texte établi par Musée Guimet, Impr. Pitrat Ainé (p. 1-3).

PRÉFACE

Les systèmes religieux de tous les âges, à l’exception peut-être du paganisme dans sa forme la plus grossière, ont subi des changements et des modifications qui, s’ils n’ont pas matériellement altéré leurs principes, ont du moins exercé une certaine influence sur leur développement. Le bouddhisme peut être considéré comme une démonstration remarquable de ce fait ; car non seulement les rites ont subi de notables changements mais encore les dogmes mêmes ont, dans le cours des temps, reçu mainte altération. Bien que clair et simple dans les premières époques de son existence, il fut considérablement modifié plus tard par l’introduction successive de nouvelles doctrines, lois et rites ; de soi-disant réformateurs se levèrent et s’entourèrent de partisans plus ou moins nombreux ; ceux-ci par degrés formèrent des écoles, qui peu à peu devinrent des sectes. Le déplacement de son berceau primitif exerça aussi une influence considérable ; la différence qui existe entre une région tropicale et une contrée froide et déserte, entre le tempérament physique des races aryennes et touraniennes devait être adoucie, et, en partie du moins, effacée par l’influence du temps.

L’objet de cet ouvrage est la description du bouddhisme tel que nous le trouvons maintenant au Tibet, après plus de douze siècles d’existence dans cette contrée.

Les renseignements obtenus par mes frères Hermann, Adolphe et Robert de Schlagintweit pendant la mission scientifique entreprise de 1854 à 58, qui leur donna l’occasion de visiter diverses parties du Tibet et des contrées bouddhistes de l’Himalaya, ont été les principales sources où j’ai puisé mes remarques et mes descriptions. Les récits des précédents voyageurs ont aussi été consultés et comparés avec les matériaux que j’ai reçus de mes frères. Les recherches des philologues orientaux et des éminents écrivains qui se sont livrés à l’étude des doctrines bouddhiques, parmi lesquels Hodgson et Burnouf ont avec tant de succès ouvert les voies à l’analyse des œuvres originales, n’ont pas été moins importantes pour mon sujet en nous mettant à même de juger des lois fondamentales du bouddhisme et de leurs modifications subséquentes.

Je dois à mon frère Hermann la plus grande partie des sujets traités dans cet ouvrage et la plupart des remarques explicatives recueillies sur les lieux. Il s’était acquis à Sikkim les services de Ghibou Lama, Lepcha très intelligent, alors agent politique du Raja de Sikkim à Darjiling. Grâce à ce personnage, il put obtenir nombre d’objets venant de Lhassa, centre de la foi bouddhique au Tibet. M. Hodgson et le docteur Campbell, en outre de beaucoup de renseignements de haute valeur, eurent la bonté de lui donner divers objets intéressants pour son sujet. Dans le Tibet occidental, ce fut surtout au monastère de Himis et à Loh, capitale de Ladak, que les désirs d’Hermann furent le plus promptement accomplis. À Gnary Khorsoum, Adolphe, qui était alors accompagné de Robert, réussit même à persuader au Lama de Gyoungoul et de Mangnang de lui vendre des objets qu’il avait vus traiter avec le plus grand respect et la plus grande vénération.

Quant aux illustrations qui accompagnent le texte, j’ai choisi celles qui présentent le caractère le plus scientifique de préférence à celles qui ne sont que descriptives. Elles consistent en copies prises d’après des gravures sur bois originales et d’impressions en caractères tibétains des textes traduits.

J’ai été grandement aidé dans mes études de tibétain par M.  A. Schiefner, de Saint-Pétersbourg, aux ouvrages duquel je ferai de nombreux emprunts. Cet aimable savant m’a aussi procuré la précieuse occasion de recevoir verbalement des détails explicatifs sur les prêtres in loco d’un lama, le Bouriat Galsang Gombojew engagé à Saint-Pétersbourg comme professeur de langue mongole ; en outre, il fit pour moi divers extraits des livres de la Bibliothèque Orientale de l’empereur ayant trait à ces objets.

Je me permettrai de rappeler que j’eus l’honneur de présenter à l’académie royale de Munich l’adresse aux Bouddhas de Confession (contenue dans le chapitre XI), prière sacrée, dont la traduction allemande fut insérée dans les procès-verbaux de cette institution (février 1863.)