A. Le Chevalier (p. 47-49).


LE BOHÊME DU MONDE

des lettres et des arts.



L’autre avait nom : Légion ; celui-ci a nom : Multitude. Nous entrons dans l’innombrable.

Il n’est pas rare d’entendre le bourgeois et autres gens sérieux dire : « Ces artistes, ces littérateurs, ces journalistes, tous bohèmes ! » Ces gens sérieux ont tort. Ils renversent les termes de la proposition.

Il n’y a parmi les littérateurs tant de bohêmes, que parce que tout bohême, d’où qu’il sorte, se dit littérateur.

Tous ne peuvent pas se dire charpentier, bottier, forgeron. Il faut savoir ; il faut avoir travaillé chez un patron, montrer un livret… Mais chacun peut écrire homme de lettres sur sa carte de visite.

— Votre installation ?

— Un banc et une table.

— Vos outils ?

— De l’encre, une plume et du papier.

Où commence l’homme de lettres ? Où finit-il ?

Quel moyen de contrôle ?… Où le critérium ?…

Jean Valjean sortant du bagne n’a qu’une ressource : écrire ses mémoires.

Aussi, notre corporation est-elle une sorte de refugium peccatorum, — peccatorum repentants ou non…

Mais je le répète, ne cherchez pas dans ce qui va suivre le bohème de Murger, vous ne le trouveriez pas.

À regarder attentivement à la loupe, cette masse grouillante, d’abord confuse, se décompose en groupes distincts, en types parfaitement définis que, selon notre procédé, nous allons successivement esquisser devant vous.

Le plus curieux de tous, celui que vous serez le plus étonné de rencontrer ici, après les quelques lignes qui précèdent, c’est…