Le Beau Voyage (1916)/Le Cri du Coq

Bibliothèque-Charpentier (p. 29-30).

LE CRI DU COQ

Le cri du coq est plein de gouttes de rosée.
Il est le même depuis vingt ans que je vis,
Le même sur les champs, les routes et les villes…
Quand je suis triste il est derrière ma croisée,
I Et je voudrais parfois l’entendre sur la mer.
Il n’y a qu’un seul cri du coq ; il est là-bas,
Près des lauriers, sous les haies mouillées, les lilas…
Avec bien d’autres bruits qui m’étaient aussi chers,
Le bruit des écluses au fond frais des allées ;
Et le vent, qui n’est plus le même qu’autrefois.
Dans les chemins et près des bien-aimées ramées…
Restez, restez là-bas, ô défaillantes voix,
Dans l’enclos des jardins et la paix des fumées,

Et que le vent qui passe ait la douce bonté
De ne point vous porter ailleurs… Attendez-moi.
Et quand tout serait mort où vous avez été,
Ne vous en allez pas de ces choses éteintes,
Car vous m’appartenez ainsi que la prairie,
Cri du coq, cri du soir, bruit des écluses peintes,
Voix captives au seuil des tièdes métairies.
Regardez l’horizon que vous n’atteindrez pas,
Nichée heureuse et vieille des voix qu’on écoute…
Regardez par-dessus la haie, ailleurs, là-bas,
Regardez la route, et laissez passer la route.