Marcel Cattier (p. 191-193).

ÉLOGE DES POÈTES


Quelqu’un a dit qu’au xxe siècle les vers ne se liraient plus, et qu’en l’an 2000 il ne se trouverait plus personne pour en faire.

Quand on regarde fleurir le printemps de ce siècle, vraiment on est peu disposé à croire à la réalisation de cette lugubre prophétie.

Il y a aujourd’hui beaucoup de poètes, et plusieurs très grands. Et demain aussi en aura. Les jeunes se lèvent. La guerre finie, ils ont saisi — ou repris — la lyre. Et certains apportent de splendides promesses.

J’aime beaucoup les poètes, pourvu qu’ils se respectent et qu’ils respectent leurs lecteurs. Je les trouve aussi peu nuisibles que les roses, le clair de lune et les rossignols, — et presque aussi agréables. Je les crois même nécessaires ; — plus que jamais en ce siècle bourgeois, qui méprise l’idéal comme des sornettes. Si la poésie n’existait pas, il faudrait l’inventer.

Je bénis les poètes parce qu’ils sont heureux, — et parce qu’ils distribuent leur bonheur avec prodigalité, comme le tilleul son ombre.

Les poètes sont heureux. Vous vous récriez ? C’est pourtant vrai. Ils ont le bonheur des enfants, et ils le goûtent comme des hommes. L’enfant approche de ses lèvres un bâtonnet, et dit : c’est une trompette. Et pour lui, c’est une trompette. Le poète agit comme l’enfant… Il fait des châteaux en Espagne, — comme tout le monde, du reste ; seulement il les habite, et en cela il diffère de tout le monde. Il possède le gros diamant que la fée Bérylune donna à Tyltyl et à Mytyl, et qui fait voir la beauté des choses. Tout a gardé pour lui le visage primitif : la fleur, le rayon, l’astre, l’insecte, ont un sens et un langage qu’il comprend. Il voit les choses autrement que nous, c’est-à-dire qu’il les voit mieux ; c’est nous les myopes ou les presbytes. Il a les sens plus aigus : son âme y est, pour comprendre et spiritualiser : Ernest Hello raconte qu’un jour le bon saint Goar, absorbé dans ses pensées pieuses, accrocha son manteau à… un rayon de soleil. Eh bien, les poètes en font autant : ils y accrochent leur manteau, leur âme, leur vie. Et leur âme et leur vie s’imprègnent de soleil.

— Je sais : il y a des poèmes fort tristes, et Musset en connaît « d’immortels qui sont de purs sanglots ». Le poète, doué d’une sensibilité plus délicate, souffre plus intensément, comme il peut jouir davantage aussi. Mais ce lui est une indicible ivresse de pouvoir chanter sa souffrance, de la pouvoir convertir en divine harmonie. Parfois il s’en libère en la chantant. Le chant berce sa douleur et l’endort. Le vers en dessine, en lignes parfaites, l’attendrissante image qu’il gardera dans son souvenir apaisé. La composition du poème ne va pas, elle non plus, sans labeur. C’est un rude métier, quoi qu’on dise. Demandez cela aux plus grands, aux plus habiles même. Mais qui dira la joie profonde qu’on goûte à achever une belle œuvre, à la voir agir fût-ce sur une seule âme ?

Et puis, après tout, s’il leur plaisait, aux poètes, d’être malheureux, quel mal y aurait-il pour nous ? Car ils sèment le bonheur, ou tout au moins des bonheurs, de petits bonheurs. « A thing of beauty, disait Keats, is a joy for ever ! »

Leur chant dans notre âme, c’est la goutte de rosée sur l’églantine, la goutte de lumière sur le fruit qui mûrit, ou la goutte de pluie tiède sur la terre desséchée d’août. N’est-ce donc rien, que de faire sourire les rides d’un vieillard, de rendre songeuse, un instant, la jeunesse étourdie, — de faire chanter dans une âme de bonnes et calmes pensées comme la brise fait chanter les blés mûrs ?

Et n’est-ce donc rien surtout, que de rapprocher les hommes des sources pures où se mire le Visage de Dieu ?