LE MOUVEMENT CATHOLIQUE DANS LES
LETTRES BELGES
D’EXPRESSION FRANÇAISE


« Vous avez raison, — m’écrivait le 28 mai 1918[1] le distingué critique des « Essais de Littérature catholique », M. Firmin Van den Bosch, — de porter à l’ordre du jour les grands écrivains de France qui restituèrent à la Foi sa place dans la vie de l’Art ; — merveilleuse pléiade qui assure à la Beauté chrétienne le règne de l’avenir.

« Sans rien enlever au mérite et à la gloire de ces grands et bons ouvriers de notre Cause, il doit être permis de constater que cette revanche de l’Idéal catholique dans les lettres eut son point de départ en Belgique et fut l’œuvre d’adolescents de chez nous. C’est au Congrès de Malines de 1891 qu’une élite de jeunes gens — groupés peu après sous les plis du « Drapeau » — lança pour la première fois ces idées d’un revival catholique et moderne et revendiqua comme parrains de son initiative Verlaine, Villiers de l’Isle-Adam, Barbey d’Aurevilly, Ernest Hello. Et ce mouvement correspondait si bien aux nécessités intellectuelles de l’heure, qu’il ne tarda pas à conquérir une place prédominante dans la vie spirituelle de la Belgique. Il y a plus de vingt-cinq ans que les revues jeunes catholiques, en notre pays, mènent le combat pour les idées défendues par Agathon, par Robert Vallery-Radot, par Jammes et par Claudel ; et, dès le début, notre littérature catholique fut riche en œuvres où l’Art apparaît comme le visage de notre Foi.

« Il importe peu à ces initiateurs que leur nom soit aujourd’hui oublié ; leur jeunesse cultiva, pour sa beauté propre, un rêve si indifférent aux contingences ! mais ils revendiquent hautement, pour leur patrie et pour les catholiques Belges, l’honneur d’avoir ouvert la voie où l’Art devait rejoindre la Foi ! »

Il serait injuste, assurément, de passer sous silence, dans un aperçu sur les progrès de la pensée catholique dans les lettres modernes, les magnifiques combats qui se livrèrent pour elle en Belgique à une époque où la France en était encore à s’enivrer des élixirs raffinés de Renan ou de l’absinthe vulgaire de Zola. Les grandes voix isolées de Hello, de Bloy, de Barbey d’Aurevilly, de Verlaine, furent d’abord écoutées par une poignée d’artistes croyants qui, dans la « Jeune Belgique », travaillaient, aux côtés de confrères indifférents ou incrédules, à doter leur patrie d’une littérature forte et originale. Ils osèrent revendiquer pour l’écrivain catholique le droit de ne point séparer sa vie d’avec son art, ce qui amena d’ailleurs une bonne bataille dont ils sortirent vainqueurs. Ils eurent bientôt leurs revues : à côté du « Magasin littéraire » ils créèrent le « Drapeau », « Durendal », la « Lutte », le « Spectateur catholique ». Ils avaient le talent, la vaillance et l’espérance nécessaires à leur triomphe. Deux critiques de tout premier ordre, Eugène Gilbert, délicat et précis, et Firmin Van den Bosch, brillant et batailleur, tout en reconnaissant, avec une belle impartialité, le talent où qu’ils le rencontrassent, surent exiger pour les belles œuvres catholiques l’honneur qui leur revenait. C’est ainsi que d’illustres convertis, dont on suspectait ailleurs la sincérité, reçurent en Belgique meilleur accueil qu’en leur patrie.

Menée par ces deux chefs, toute une armée marchait à la conquête, et son mot d’ordre était : Ne crains — fors Dieu ! À côté de l’illustre historien Godefroid Kurth, du vaillant polémiste Guillaume Verspeyen, des romanciers et des essayistes s’affirmaient écrivains de race et chrétiens sans peur ni reproche : Henry Carton de Wiart, Georges Virrès, Fierens-Gevaert, Prosper de Haulleville, Edmond de Bruyn, Arnold Goffîn ; — et des poètes entonnaient un chant où se retrouvaient la foi profonde de leur peuple et son amour de la couleur : Dom Bruno Destrée, l’esthète venu à Dieu par le chemin fleuri de l’Art et qui enferma son rêve pur en de petits poèmes en prose ciselés comme des ciboires précieux ; Georges Ramaeckers, le fougueux défenseur de « l’Art pour Dieu », qui voit écrite au firmament et sur la terre la parole divine ; l’abbé Hector Hoornaert, le somptueux sonnettiste, devenu le poète mystique de l’ « Heure de l’Âme » ; Victor Kinon, qui rima les jolies chansons pieuses du Petit Pèlerin de Notre-Dame de Montaigu et communia avec tant de tendresse à l’Âme des Saisons ; Thomas Braun, le poète simple qui dit le charme de ses Ardennes natales. Des jeunes apportent à cette littérature déjà forte de très belles promesses : Pierre Nothomb salue avec amour Notre-Dame du Matin ; Noël Dubois chante l’Âme en état de grâce et, devenu soldat, confie ses craintes et ses espoirs à Notre Dame de la Tranchée ; le Frère Hugues Lecocq évoque les XV dévots Mystères du Rosaire dans les décors familiers de sa Wallonie…

Aujourd’hui l’action des écrivains catholiques belges manque un peu de cohésion. N’étant pas groupés pour la lutte, ils tracent leur sillon isolé, paisiblement. Pourquoi ne se rappellent-ils pas la devise de leur pays : l’union fait la force ? Heureusement, il se fonde des revues, il se forme des groupements qui veulent réunir en faisceau ces belles forces éparses.

Puisse cette petite armée, tout en gardant son autonomie et son caractère national, se joindre à la grande armée catholique de France pour combattre l’ennemi commun, comme au temps glorieux des Croisades ! Car c’est bien une croisade nouvelle qui s’organise ; et les Belges, vous le verrez, n’ont rien perdu de leur chevaleresque bravoure. Un appel de l’Archange a-t-il jamais retenti auquel ils n’aient point répondu ?



  1. À la suite d’un article sur « le renouveau catholique dans les lettres françaises ».