Le Baron de Saint-Castin, chef abénaquis/10

Éditions de l'Action canadienne-française (p. 187-192).


APPENDICE


— I —


Mémoire des services rendus par les sieurs de St-Castin, père et fils, dans le pays de Canada en la Nouvelle-France.


Ledit sieur de St-Castin quitta sa patrie dans son bas âge s’en feut à l’Accadie et de là au port de Pentagoet avec le commandant nommé Monsieur Grandfontaine en qualité d’enseigne d’une compagnie, où ensuitte il eut soin de la garnison pendant deux années. Au bout de ce temps, Monsieur Chambly feut nommé commandant dudit lieu de Pentagouet. Ils furent attaqués par les Holandois et le fort feut pris. Ledit sieur de St-Castin feut sy persécuté qu’on luy mit la mèche entre les doits pour l’attirer de leur party, mais il eut le bonheur de se sauver et se rendre à Québecq pour y prendre les ordres du Gouverneur afin d’engager les Abnequis et autres nations qui sont dans tout le pays de l’Accadie de se mettre aux intérêts du Roy de France. Il feut ensuite adopté pour leur chef, où il a exercé la confiance que ces gens là avoient pour luy au service du Roy l’espace de trente-six ans par des fréquants partis qu’il a faits contre les ennemis, ce qui parait par les certificats des Gouverneurs et Intendants de Canada, ayant exposé sa vie et son bien de delà qu’il a malheureusement perdeu et celuy de dessa ayant esté dissipé en son absence, le deffunt Rov, d’heureuse mémoire, l’honora du commandement de Pentagouet, apert du brevet datté à Versailles le quinzième Juin 1703 avec paye de cinquante livres par mois.

Ledit sieur de St-Castin ayant passé en France, son fils continua de maintenir les sauvages au service de Sa Majesté s’étant mis à leur tête en plusieurs partis contre les ennemis sous les ordres de Monsieur de Brouillan, gouverneur.

En l’année 1707 et vers la fin d’Avril ledit sieur de St-Castin ayant eu avis que l’armée angloise s’en alloit au Port Royal pour l’attaquer, il ne manqua pas de s’y transporter avec son monde. Il trouva l’armée en chemin et observa leur marche jusques au port et ayant fait une fausse route pour s’y rendre plustot pour prendre les ordres de Monsieur de Subercase, gouverneur, il ne peut pas y parvenir, les ayant desjà trouvé campés ce qui l’obligea de prendre les habitans et sauvages et se mettre à la tête pour inquiéter les ennemis et s’opposer à la communication qu’ils avoient à leurs vaisseaux pour empêcher d’avoir leurs provisions ; à quoy il réussit, ayant mis en desroute divers détachemens, de sorte que les ennemis feurent obligés de lever le camp.

Le 21e d’Aout, de la même année 1707, les ennemis revinrent à la charge et ledit sieur de Subercaze donna ordre audit sieur de Saint-Castin de se rendre à la tête des habitans, flibustiers et sauvages pour s’opposer à la descente des ennemis. Il les obligea d’aller camper à l’autre côté de la Rivière où ils establirent leur batterie.

Quelques jours après, ils feurent obligés d’abandonner leur camp à cause des bombes et canons qu’on tiroit sur eux du fort. Ils revinrent après où estoit le détachement dudit sieur de St-Castin. Il y eut une grande bataille le matin, mais estant d’une force mineure, il feut obligé de se battre en retraite suivant ses ordres et ledit sieur Subercaze ayant envoyé après midy trois cens hommes de secours, ledit sieur de St-Castin ne manqua pas d’attaquer à leur camp les ennemis et après les avoir mis en desroute sur la fin de la bataille, les ayant repoussés jusques dans la rivière, ils furent secoureus des gens de leurs vaisseaux et dans ce nouveau combat ledit sieur de St-Castin feut blessé d’un coup de mousquet, de coups de bayonnette et de hache et les ennemis se retirèrent.

L’année ensuitte, sur les ans qu’on avoit que les Anglois devoient revenir, le sieur de St-Castin passa tout l’été en course dans son bastiment entretenu à ses dépans. Il eut l’honneur de recevoir une lettre et commission y attachée pour commandant de Pentagouet vacquante par le décès de son père dattée du 3e Juin 1708.

En 1710, il feut au Port Royal chercher le présent des sauvages que le deffunt Roy avoit accoutumé de leur donner et chargea son bâtiment de ses propres effects pour entretenir les sauvages et étant arrivé à l’entrée du port, il fit rencontre d’un batiment anglois, détaché pour la découverte, qui malheureusement prit le sien. Tout ce qu’il peut faire fut de se sauver à terre et, s’en allant pour recevoir les ordres dudit sieur de Subercase, il trouva que les ennemis avoient pris le fort, il y avoit huit jours.

Il escrivit à ce dernier, qui l’obligea de se rendre auprès de luy, où estant arrivé, les ennemis en eurent avis et prièrent ledit sieur de Subercase de l’envoyer au fort où s’étant rendu les généraux luy firent des propositions fort avantageuses, luy offrant beaucoup d’argent et de beaux emplois, ce qu’il refusa avec beaucoup de mépris, estant entièrement attaché au service de son Prince.

Ensuite, il feut en Canada pour prendre les ordres de M. de Vaudreuil Gouverneur Général. Celuy-cy vovant ledit sieur de St-Castin hors d’état de subsister, luy donna la commission de Lieutenant et luy donna des ordres pour exercer le commandement de l’Accadie et de Pentagouet pour y maintenir une partie des habitans et tous les sauvages aux intérêts du Roy et il n’a rien obmis pour inquiéter les Anglois, tant du gouvernement de Baston que celui du Port Royal, en datte ladite commission du premier Janvier 1711.

Sa Majesté l’honnora du brevet de Lieutenant en pied surnuméraire le 12e Janvier 1712 où il a continué ses services et la mesme année, il eut le malheur qu’un détachement des ennemis estant veneu chez luy brûlèrent ses maisons, pillèrent tous ses effects, brulèrent encore deux batimens qu’il avoit, et tout ce qu’il peut faire feut de se sauver avec sa famille, dans un estat pitoyable, ce qui l’obligea de s’en aller en Canada où il receut un paquet de Monseigneur de Pontchartrain, ministre, avec un congé cy-joint pour passer en France reigler ses affaires datté du 8e Avril 1713, et, luy ayant témoigné qu’il désiroit auparavant d’aller passer l’hiver auprès des Abnequis et d’autres nations suivantes pour les obliger de se retirer au Cap Breton où Sa Majesté avoit résoleu de faire un nouveau établissement ce qu’il n’a pas manqué d’exécuter, et d’y publier le traité de paix. Mais n’ayant pas réussy, comme il auroit désiré, lesdits sauvages se trouvant consternés de la cession de l’Accadie aux Anglois par le préliminaire de la paix dernière, ledit sieur de St-Castin, estant de retour en Canada trouva le vaisseau pret à partir et ne feut pas à son pouvoir d’avoir de l’argent monoyé en eschange des cartes. Il feut obligé de laisser ses appointements de lieutenant en main du trésorier comme il apert du certificat qu’il en donna le 9e septembre 1714, signé Petit.

A l’esgard des apointements de commandant, l’Accadie estant privée pendant plusieurs années des fonds que Sa Majesté avoit estably pour ce pays-là, par le manquement des vaisseaux et ayant esté du depuis prise par les Anglois où ledit sieur de St-Castin a perdu des biens considérables qu’il avoit dans ce pays, concistant en maisons, moulins, bien fonds outre ceux de Pentagouet, lesdits apointements luy sont encore deubs, du temps de son employ de Commandant.

Le même sieur de St-Castin, étant arrivé en Béarn, a trouvé tous ses biens dissipés, ce qui l’a engagé de faire des procès pour la poursuite desquels il a été obligé d’emprunter de l’argent et se trouvant présentement dépourveu de tout secours, il est dans la nécessité de représenter tout ce dessus, espérant que Sa Majesté aura la bonté d’y faire attention et qu’elle aura la charité de luy faire la grâce de le pourvoir de quelque charge vacquante, s’il y en a au dessus de celle qu’il occupe et de donner ses ordres affin qu’il soit payé de ses appointements, protestant toujours de son fidelle service et de sacrifier sa vie pour le service de Sa Majesté.

Le Baron de St-Castin.
Du 23e avril 1720.
(Bibliothèque Nationale, Clairambault 874, fo 383.)


APPENDICE


— II —


A narrative of the Baron and Baroness de Saint Castine, By Gasper St. Pierre LeBlanc At the age of ninety years, To his granddaughter, Pauline, at their home near Minas Basin, Acadia (N.S.), on the evening of September 1765.


The residence of the Baron Castine was a long low, irregular building, partly of wood and partly of stone, of rather grotesque appearance. The Windows, which were small and high, admitted not a view of those within ; but the rays of the light were (as it was now evening) streaming from them in several directions.

The appearance of our able conductor, and our speech, secured us an easy entrance from the old French soldier who officiated as porter, and we were at once admitted, and so noiseless was our approach, that the party within did not at first perceive our vicinity.

I must here confess that, notwithstanding all the esteem that I had conceived for the Baron, for his great regard uniformly manifested towards the Acadians, and his great exertions to humanize the savages, yet I could not think of his Indian wife without disgust. I had never seen, in all our tradings with the Indians, who, you know, come from all parts to trade their furs, any of their squaws but what were rendered homely by negligence, untidiness, and most barbarous style of dress, if half garments they wore could be called such ; and it cannot be supposed I was prepared to behold the lady of the mansion with any sentiment of regard, to say nothing of admiration. You may imagine, then, my feelings, when starting from the floor where she was playing with the children, and turning hastily around, the chieftan’s wife, I discovered to my astonished gaze, the most beautiful female, by far, I had ever seen. The form, which is grace and symmetry itself, was the first, probably, that would strike the beholder. Her features were exquisite, as well as the form, and her skin no darker than a great part of our own nation. Health, and perhaps a little excitement, had given a heightened glow to her complexion, and her eye sparkled like gems. There was nothing terrific in their glances, nothing startling, unless it was that expression which seemed to read the soul at once. Her dress was a singular mixture of Indian and European fashion. No stocking covered the well-turned ankles, and the little foot was only partly hid by sandals, laced with blue ribbons. A close dress of blue satin fitted admirably to her shape, and was laced over her bosom until gold cord and eighly ornamented borders of the same, until a mantle of silk, of the color of the peach blossom, thrown over her shoulders, fell in graceful folds to the floor. Her coal-black tresses were braided until strings of pearl and fine gold beads, and twisted around her head, being confined until a brooch of pearl and gold. She had earrings of the same, and bracelets adorned her arms, which as revealed by the folds of the mantle were bare nearly to the shoulders. Two children, lovely as cherubs, were sporting in her arms and twining around her neck as we entered ; but, putting them aside, and gracefully motioning them to silence, she arose and advanced to meet us, and in a voice, whose melodious sweetness I can compare to none I have ever heard, unless it is yours, my Pauline, she said in good French :

« Welcome. brothers, be seated. »

If we had been charmed by her beauty. we were doubly so by her speech, which, independent of the beautiful mouth and teeth it discovered, was so warm, cordial and welcome.

I was only a lad, and a green one, and you know the taciturnity of Indians. Our guide stood stone still, and the others of our party were positively overawed by the beauty and majesty of the lovely vision before us. I made out to stammer the Baron’s name. She readily comprehended, and saying, « You would have speech of the Baron, » glided into the next room. In a moment a servant came to say, « The Baron would see us in his study ; » and we were ushered into a small paneled room, where, seated at a round pine stable in the centre, sat the object of our journey, with a Latin and Greek lexicon before him, from which, it appeared, he was instructing his son, a youth who sat beside him. Heaps of papers, parchments, and books were arranged on shelves around him. There was a sad, careworn look about the majestic personage who now arose to welcome us, and with frank politeness offered a hand to each. I never had the pleasure to meet a King or Emperor, but I should say he must have looked like one. I never saw him only on that occasion, but took good observation of him then, and should give it as my opinion, that no disappointment or disgust of the world occasioned his retreat, but simply of the holy desire to do good to the benighted race among whom, by providence of God, he had been placed.

He had an altar in his house, and a missionary priest. It was on the occasion of the evening service that we again saw, and for the last time, the lovely Theresa, for by that name she had been baptised previous to her marnage.

I regret to say that this beautiful and intelligent creature was destined to pass only a few short years on earth after I saw her. Her looks will never be forgotten by me, nor the dovelike expression of those lustrous eyes, when bent on her lord or her children.
Mrs  Williams,
The French neutrals.

(Ce récit s’inspire de traditions ou de légendes. Il n’est cité ici qu’à titre de curiosité.)