Leçons sur les hypothèses cosmogoniques (Poincaré, 1911)/Chapitre 10

Libraire scientifique A. Hermann et fils (p. 235-237).

CHAPITRE x.

THÉORIE DE M. SCHUSTER.


175.M. Schuster[1] apporte plusieurs modifications à la théorie de Sir Norman Lockyer sur l’évolution des étoiles. Il se demande pourquoi les étoiles dites gazeuses sont plus chaudes que les autres : ont-elles une atmosphère d’hydrogène parce qu’elles sont plus chaudes ; sont-elles au contraire plus chaudes parce qu’elles ont une atmosphère d’hydrogène ? Il semble qu’on puisse supposer que l’atmosphère d’hydrogène absorbe et arrête les radiations infrarouges, c’est-à-dire les radiations calorifiques. Une étoile à atmosphère d’hydrogène, dans ces conditions, perdrait moins de chaleur et par suite resterait plus chaude. L’atmosphère de l’étoile jouerait ainsi, en quelque sorte, le rôle d’une serre chaude, laissant passer les rayons lumineux, mais arrêtant la chaleur obscure.

Pour M. Schuster, les étoiles gazeuses sont, non seulement plus chaudes, mais aussi plus jeunes que les autres. Or, nous avons vu (Ch. VIII, Section III) que, pour une masse gazeuse en équilibre adiabatique rayonnant de la chaleur, la température doit aller en croissant avec le temps, fait qui tendrait plutôt à prouver que les étoiles chaudes sont les plus anciennes. D’après M. Schuster, ce n’est là qu’une contradiction apparente : la température observée est celle de la photosphère de l’étoile et non celle de son noyau ; les étoiles gazeuses auraient une photosphère plus chaude, mais leurs parties centrales seraient à une température moins élevée.

176.D’où provient maintenant la différence entre les spectres des étoiles gazeuses (étoiles à hydrogène) et les spectres des étoiles moins chaudes (étoiles à raies métalliques). La solution la plus simple est évidemment d’admettre que les premières sont principalement constituées par de l‘hydrogène et les secondes par des vapeurs métalliques. Nous avons vu que tel n’est pas l’avis de Sir N. Lockyer : celui-ci, invoquant sa théorie de la dissociation des éléments, admet qu’il n’y a pas de différence essentielle de composition chimique entre les astres, et que toutes les étoiles, dans leur évolution, sont destinées à parcourir les mêmes stades.

M. Schuster, au contraire, ne pense pas que les éléments chimiques soient dissociés. Il suppose, il est vrai, que les différentes étoiles ont même composition chimique moyenne. S’il n’y a pas de courants de convection, l’hydrogène, plus léger, apparaîtra à la surface (étoiles gazeuses) ; si, au contraire, des courants de convection produisent un brassage continuel, les vapeurs métalliques seront amenées dans les régions superficielles (étoiles métalliques).

177.Voici donc comment M. Schuster se représente l’histoire des grandes étoiles. La matière serait à l’origine répandue dans tout l’espace. Les chocs de ses diverses parties engendreraient de la chaleur en même temps qu’ils donneraient naissance à certains centres de condensation. L’attraction de ces centres serait au début insuffisante pour maintenir les éléments légers tels que l’hydrogène : en effet, dans la théorie cinétique, les molécules gazeuses ont des vitesses moyennes d’autant plus grandes que le gaz est plus léger ; les molécules d’hydrogène et d’hélium s’échappent donc, ou plutôt ne sont pas retenues par les centres d’attraction, tandis que les molécules de vapeurs métalliques, plus lourdes, sont captées : nous avons là l’étoile métallique de la branche ascendante des températures. Le centre d’attraction augmente peu à peu, et l’étoile se nourrit par bombardement ; sa masse devient bientôt assez considérable pour retenir d’abord l’hélium puis l’hydrogène : nous sommes au sommet de la courbe. La condensation augmentant encore, les gaz légers finissent par être absorbés par la masse centrale (comme l’hydrogène est absorbé par une masse de palladium) : nous arrivons à l’étoile métallique de la branche descendante.

Les spectres d’Arcturus et du Soleil (que Sir N. Lockyer plaçait dans le même groupe) diffèrent en ce qu’Arcturus ne présente pas les raies de l’hydrogène. M. Schuster suppose que cette étoile ayant une masse plus considérable que le Soleil, son noyau central aura plus vite absorbé l’hydrogène, qui aura ainsi abandonné son atmosphère.

Dans les étoiles doubles, la composante la plus brillante (qui est sans doute aussi la plus grosse) est souvent du type Soleil, alors que la plus faible est blanche et du type gazeux. La différence d’éclat pourrait, d’après M. Schuster, provenir de ce que la grande composante a absorbé l’hydrogène plus vite que l’autre.


  1. A. Schuster : The Evolution of Solar Stars (Astrophysical Journal, 1903, vol. xvii, p. 165-200).