CHAPITRE XIX

MATIÈRES ORGANIQUES


85. Définition des matières organiques.

On appelle matières organiques des substances extraites des animaux et des végétaux, comme le lait, le suif, le coton, le sucre.

Souvent ces substances sont elles-mêmes formées de plusieurs corps composés, qu’on doit séparer les uns des autres et qui constituent les véritables substances chimiques que l’on étudie :

1° Pétrissons de la farine sous un filet d’eau. L’eau qui a passé sur la farine est blanche ; et il reste dans la main une substance grisâtre élastique, molle, le gluten ; recueillons l’eau, elle laisse déposer, en une poussière blanche très fine, un corps bien connu, l’amidon. Le gluten et l’amidon sont deux corps chimiques dont l’association constitue la farine.

2° Si on place du lait dans un endroit frais, la crème se sépare du reste du liquide et monte à la surface. La crème est une matière grasse. Si on enlève la crème et qu’on ajoute au lait quelques gouttes d’acide, le lait tourne, effet qui se produirait de lui-même au bout d’un certain temps. Le lait tourné est formé d’un liquide clair et d’une matière blanche, floconneuse, qui y était dissoute, la caséine. Le liquide lui-même est de l’eau, dans laquelle on peut retrouver un peu d’albumine ou blanc d’œuf, une matière analogue au sucre ordinaire, la lactose, et des sels, comme le chlorure de sodium et le phosphate de calcium. La crème, la caséine, l’albumine, la lactose sont autant de corps chimiques distincts.

86. Les matières organiques contiennent toutes du carbone.

Les matières organiques sont excessivement nombreuses et variées ; mais elles ont toutes un même caractère : elles contiennent du carbone. Nous avons déjà pu le constater par quelques expériences ; le bois, la chair, sont carbonisés par l’acide sulfurique ; le sucre, les os, chauffés en vase clos, produisent le charbon de sucre et le noir animal.

Le charbon est combiné en général à trois corps simples, l’hydrogène, l’oxygène et l’azote ; tantôt à l’hydrogène seul, exemple : pétrole ; tantôt à l’hydrogène et à l’oxygène, exemple : sucre ; tantôt à l’hydrogène, l’oxygène et l’azote, exemple : albumine.

COMBUSTION

On voit donc que les matières organiques doivent facilement brûler. En effet, quand on les chauffe suffisamment à l’air libre, toutes disparaissent ; elles se transforment en gaz carbonique, vapeur d’eau et azote. Si la quantité d’oxygène est insuffisante pour que la combustion soit complète, l’hydrogène brûle d’abord et le charbon se dépose. C’est ainsi qu’on obtient le charbon de sucre et le noir animal, et qu’on fabrique le noir de fumée en brûlant incomplètement des résines. La combustion des matières organiques fournit beaucoup de chaleur due à la formation du gaz carbonique et de la vapeur d’eau, chaleur que nous utilisons en brûlant le bois et la houille dans nos foyers. Ce dégagement de chaleur explique l’emploi de l’alcool ordinaire ou esprit de vin et d’un corps analogue, l’alcool du bois ou esprit de bois, dans les lampes dites à alcool. On pourra utiliser non seulement comme sources de chaleur, mais aussi comme sources de lumière, des corps tels que les pétroles qui contiennent beaucoup de carbone. Celui-ci ne peut brûler entièrement ; il reste en suspension dans la flamme et lui donne de l’éclat.

87. Principales matières organiques.

Les matières organiques sont très utiles à l’homme ; elles constituent ses aliments, farine, viande, légumes, lait, sucre ; ses vêtements, fibres du lin et du chanvre, coton, laine, soie ; ses ressources d’éclairage et de chauffage, sans parler de produits dont l’industrie tire parti, par exemple, le caoutchouc.

I. MATIÈRES FORMÉES DE CHARBON ET D’HYDROGÈNE OU CARBURES D’HYDROGÈNE

Ce sont les pétroles, la majeure partie des gaz dont le mélange constitue le gaz d’éclairage, le caoutchouc. Citons encore la benzine, employée pour dégraisser ; la naphtaline, qui sert à préserver des mites les fourrures et les étoffes de laine ; la vaseline, employée en médecine ; les essences extraites des végétaux et qui les font rechercher soit comme condiments, essences de girofle, de poivre, de cannelle, d’anis ; soit comme parfums, essences de rose, de lavande ; soit comme remèdes, essences de menthe, de laurier-cerise ; l’essence de térébenthine, qui provient d’une résine ; elle dissout les couleurs, la cire, les corps gras ; aussi l’utilise-t-on pour faire des vernis et pour enlever les taches de peinture.

II. MATIÈRES FORMÉES DE CHARBON, D’HYDROGÈNE ET D’OXYGÈNE

Les principales peuvent être groupées de la manière suivante :

Corps gras. Alcools.
Matière féculente. Acides.
Sucres.

1° Corps gras. — Les corps gras sont les beurres, les graisses, les suifs, les huiles ; ils servent à la fabrication des savons et des bougies et à l’extraction de la glycérine.

2° Matière féculente. — La matière féculente ou amylacée est appelée fécule lorsqu’on la tire de la pomme de terre, et amidon quand elle provient des céréales (blé) et des légumes dits farineux (haricots).

3° Sucres. — On connaît deux types de sucres :

Le sucre de canne ;
Le glucose ou sucre de raisin.

Pendant la digestion, les féculents et le sucre de canne sont transformés en glucose ; au moment de la germination, le même fait a lieu pour les réserves amylacées et sucrées contenues dans les graines.

4° Alcools. — Le type des alcools est l’alcool ordinaire ou alcool du vin. Il s’extrait du vin par distillation. On appelle eau-de-vie l’alcool étendu de beaucoup d’eau esprit-de-vin, l’alcool concentré. Dans la fabrication du vin, le glucose du jus de raisin est transformé en alcool par l’action d’un être microscopique vivant. Cette transformation porte le nom de fermentation et l’être qui la produit est un ferment. En même temps se dégage une grande quantité de gaz carbonique. Avant d’entrer dans les celliers où s’opère la fermentation du jus de raisin on y introduit une torche allumée tenue à distance ; si la torche s’éteint, c’est que l’atmosphère est suffisamment viciée pour qu’on ne puisse y séjourner sans danger. On chasse le gaz carbonique au moyen d’un courant d’air.

Le vin mousseux est du vin mis en bouteilles avant que la fermentation ne soit achevée ; le gaz carbonique qui se produit encore se dissout dans le liquide et s’en dégage quand on débouche les bouteilles.

La fermentation, du jus de pommes développe également de l’alcool (fabrication du cidre).

On pourra obtenir indirectement de l’alcool avec des corps comme l’amidon et le sucre de canne qui fournissent du glucose. Il y a alors deux opérations successives à effectuer :

1° Transformer l’amidon ou le sucre de canne en glucose ;

2° Transformer le glucose en alcool par la fermentation.

La fabrication de la bière est basée sur cette double transformation :

1° On fait germer des grains d’orge et pendant la germination l’amidon devient du glucose. On arrête le développement de la plantule avant qu’elle n’ait consommé le sucre produit. Pour cela, on la tue par la dessiccation.

Fig. 68. — Levure de bière vue au microscope.
Fig. 68. — Levure de bière vue au microscope.

2° Les grains desséchés sont broyés et forment une pulpe à laquelle on ajoute de l’eau chaude. On obtient ainsi une dissolution de glucose qu’on fait fermenter au moyen d’un ferment spécial, la levure de bière (fig. 68).

5° Acides. — Les acides les plus connus sont : l’acide acétique, principe du vinaigre, et les acides des fruits aigres, comme l’acide citrique, du citron.

L’acide acétique provient de l’oxydation incomplète de l’alcool ; le vin, abandonné à l’air, se transforme en vinaigre. Cette oxydation est due à un végétal microscopique qui se développe à la surface du vin, la moisissure acétique (fig. 69).

Fig. — 69. Moisissure acétique vue au microscope.
Fig. — 69. Moisissure acétique vue au microscope.

Les acides dits organiques ont presque tous un aspect différent de celui des acides que nous connaissons déjà : ils sont en général solides et cristallisés ; mais ils ont les mêmes propriétés chimiques fondamentales que les autres acides ; comme eux, ils rougissent la teinture bleue de tournesol ; et ils forment des sels par substitution des métaux à l’hydrogène qu’ils contiennent ; exemples, l’acétate de plomb, le citrate de fer.

III. MATIÈRES FORMÉES DE CHARBON, D’HYDROGÈNE, D’OXYGÈNE ET D’AZOTE

1° Les matières albuminoïdes, telles que : l’albumine ou blanc d’œuf, la caséine du lait, la fibrine du sang, le gluten de la farine, la matière vivante des cellules animales et végétales. Les aliments albuminoïdes sont transformés en peptones assimilables par la pepsine du suc gastrique.

2° L’aniline, qui existe en petite quantité dans les goudrons de houille, et que l’on prépare en grande quantité au moyen de la benzine ; elle est le point de départ de la fabrication de nombreuses couleurs d’une grande beauté, qui remplacent dans l’industrie les couleurs végétales autrefois employées ; par exemple, la garance et l’indigo.

3° Les alcalis végétaux, substances basiques qui, prises à petite dose, sont souvent des remèdes, mais à dose plus forte peuvent être des poisons violents. Les principales sont : les alcalis du quinquina, et en particulier la quinine employée comme fébrifuge ; les alcalis de l’opium, substance extraite des capsules du pavot, et dont le plus important est la morphine.

Remarque. — De ces alcalis, nous rapprocherons la nicotine du tabac qui ne contient pas d’oxygène, mais qui a les mêmes propriétés chimiques que les autres bases organiques. Son action sur le système nerveux est lente, mais redoutable.

88. Synthèse des matières organiques.

On a cru pendant longtemps que les matières organiques étaient différentes des autres substances chimiques. On pensait que l’homme pouvait les analyser, mais jamais les reconstituer par synthèse, que la vie était nécessaire à leur édification. Dans la seconde moitié de ce siècle, on a pu refaire par synthèse une série de composés, tels que des carbures d’hydrogène, des alcools, des sucres, etc., et remonter des plus simples aux plus compliqués. Mais, si on peut obtenir par synthèse certaines matières organiques isolées, on ne sait pas les associer de façon à reconstituer un ensemble vivant.