Lazare (Auguste Barbier)/Le Fouet

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Le Fouet

LE FOUET.

Ah ! ne sais-tu donc point qu’aujourd’hui la nature,
Albion ! se révolte au seul mot de torture,
Que la philosophie a noyé sous les eaux
Jusqu’aux derniers charbons des bûchers infernaux,
Que les durs chevalets, les pénibles entraves
Et tous les châtimens réservés aux esclaves,
Aujourd’hui sont en poudre et le jouet du vent ;
Tu ne peux l’ignorer… et pourtant comme avant
Tu retiens près de toi la barbarie antique.
Hélas ! non-seulement par-delà l’Atlantique
Le fouet résonne encore, et ses nœuds destructeurs
Déchirent les reins noirs des pauvres travailleurs.
Mais même dans ton sein, à tes yeux, sous ta face,
De coups abrutissans la loi frappe ta race,
Et pour le moindre tort déshonore le flanc
Des robustes enfans qui te vendent leur sang.

Vieille et triste Albion, ô matrone romaine !
Il est temps d’abroger ta coutume inhumaine,
De remplacer enfin l’ignoble châtiment,
Malgré les lords hautains de ton vieux parlement.
Ah ! fais vite, de peur que le monde en reproche

Ne t’appelle bientôt : « Albion, cœur de roche ! »
Et ne dise partout, à haute et forte voix,
Que les rouges gardiens de tes remparts de bois,
Les boucliers vivans de ton trône immobile,
Les défenseurs sacrés des lois et de la ville,
Tes murailles de chairs, tes soldats valeureux,
Sont traités par tes mains comme on traite des bœufs,
Et tous les blancs troupeaux, honneur de la prairie,
Que sans ménagement l’on mène à la tûrie,
Et qui, le ventre plein de trèfle et de gazon,
Accourent à la mort à grands coups de bâton.