Lazare (Auguste Barbier)/Épilogue
Ô misère, misère,
Toi qui pris sur la terre
Encore toute en feu,
L’homme des mains de Dieu ;
Fantôme maigre et sombre,
Qui du creux du berceau,
Jusqu’au seuil du tombeau,
Comme un chien suis son ombre ;
Ô toi qui bois les pleurs
Écoulés de sa face,
Et que jamais ne lasse
Le cri de ses douleurs ;
Ô mère de tristesse,
Ces chants sont un miroir
Où l’on pourra te voir
Dans toute ta détresse.
J’ai voulu que devant
Ton image terrible
L’homme le moins sensible,
Le plus insouciant,
Pût sentir et comprendre
À quels prix redoutés
La Providence engendre
Les superbes cités ;
J’ai voulu qu’en toute ame,
La pitié descendît,
Et qu’à sa douce flamme
Tout cœur dur s’attendrît,
Et que moins en colère
Et moins de plis au front,
L’homme à juger son frère
Ne fût plus aussi prompt.
Mais ce chant lamentable,
Cet hymne plein d’effroi,
Ô misère implacable,
Ce cri digne de toi,
Est plutôt une dette
Qu’en passant sous les cieux
J’acquitte, humble poète,
Envers les malheureux,
Un cri de conscience
Qui s’échappe soudain,
Plutôt que l’espérance
Et l’augure certain
Que l’on verra la terre
Et son peuple fatal,
Échapper à la serre
Du noir vautour, — le mal.
Ah ! que l’homme travaille
Et s’épuise en effort,
Qu’il creuse, coupe, taille,
Pour alléger son sort !
Il pourra de sa couche
Faire sortir la faim,
Et mettre à toute bouche
Et le vin et le pain ;
Donner la couverture
Aux pauvres gens sans toits,
Et de laine et de bure
Vêtir tous les corps froids ;
Misère ! ô dure femme,
Il pourra t’arracher
Quelque jour notre chair,
Qu’il te restera l’ame.
Oui, notre ame sera
Toujours ta nourriture ;
Nul être n’en pourra
Sevrer ta lèvre impure,
Et de quelque façon
Que ce globe de fange,
Sous la main du maçon,
Se pétrisse et s’arrange ;
De quelque bon côté
Que la terrestre boule
Emporte, emporte et roule
La triste humanité ;
Malgré les vains systèmes
De ses pauvres enfans,
Les politiques blêmes
Et leurs rêves sanglans ;
L’ame est à toi, — Misère,
Et toujours la douleur
Rêvera loin de terre
Quelque monde meilleur.