Lausanne à travers les âges/Aperçu/16

Collectif
Librairie Rouge (p. 71-75).


XVI

Relations de la ville avec l’État et la Confédération.

Comme capitale du canton de Vaud, Lausanne est le siège du Grand Conseil, du Conseil d’État et du Tribunal cantonal.

Ancienne maison du Bourgmestre A. de Polier sur la place de Saint-François (démolie en 1896).
Ancienne maison du Bourgmestre A. de Polier sur la place de Saint-François (démolie en 1896).
Ancienne maison du Bourgmestre A. de Polier sur la place de Saint-François (démolie en 1896).

Comme chef-lieu de district, elle est la résidence d’un préfet. Un receveur et un conservateur des droits réels, un inspecteur forestier, un voyer, un officier d’état civil, complètent le personnel de l’administration cantonale. Au point de vue judiciaire, Lausanne est le siège du parquet, du tribunal cantonal, du juge d’instruction, d’un tribunal civil de district, d’un tribunal criminel, d’un tribunal de police, d’un tribunal de prud’hommes, d’un juge informateur, d’un juge de paix et d’une justice de paix (Chambre des tutelles), d’un office de faillites et deux offices de poursuites.

Depuis le 1er  janvier 1875, le Tribunal fédéral, instance judiciaire suprême de la Confédération, a son siège à Lausanne. Un Palais de justice a été élevé, à son usage, par la ville[1], sur la place de Montbenon et inauguré en 1886.

La Haute Cour fédérale est composée de 19 membres, répartis en trois sections : la première s’occupe des procès civils ; la seconde, des conflits de droit public ; la troisième, des recours touchant l’application de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite. Ces trois chambres sont permanentes. Dans certaines occasions, pour l’application du code pénal fédéral[2] et des autres lois fédérales, les juges se constituent en chambre d’accusation, en chambre criminelle, en cour pénale et en cour de cassation.

En faisant de Lausanne, en quelque sorte, la capitale judiciaire de la Suisse, nos Confédérés nous ont fait un grand honneur. Leur but a été d’accentuer le principe de la séparation des pouvoirs et de mettre en contact plus intime la Suisse romande et la Suisse allemande

Lausanne est, en outre, le siège du IIe arrondissement des postes fédérales, du Ier arrondissement des télégraphes, du Ve arrondissement des douanes et du Ier arrondissement des chemins de fer fédéraux. La Confédération a créé, en 1897, une Station d’essais et de contrôle des semences agricoles et un Établissement de chimie agricole, pour l’examen des engrais : l’un et l’autre sont installés à Mont-Calme sur Lausanne.

Il exista longtemps un fossé entre Lausanne et le reste du canton. Ce fossé résultait du fait que, jusqu’en 1536, ils vivaient sous deux dominations différentes et de ce que sous le régime bernois, LL. EE., partant du principe « diviser pour régner », s’étaient appliqués à faire le moins possible de Lausanne une capitale. Le pays fut fractionné en circonscriptions ecclésiastiques et militaires dont on ne sortait pas ; c’est ainsi que lorsqu’un jeune pasteur avait commencé sa carrière dans la classe de Vevey, il ne pouvait, dans la suite, se présenter pour un poste de la classe d’Yverdon. La cour d’appel, où se portaient les recours des cours baillivales, était non à Lausanne ou à Moudon, mais à Berne. Les occasions que les Vaudois auraient pu avoir de se rencontrer étaient soigneusement évitées. Or l’absence de relations entre gens que la nature des choses appellerait à se voir, engendre de l’indifférence et des préventions qui dégénèrent souvent en hostilité. Après la chute du gouvernement bernois, une fois Lausanne devenue capitale, les autorités appelées à y résider ne s’y affectionnèrent que très graduellement ; il a fallu près de quatre-vingt-dix ans pour opérer, entre la ville et la campagne, un rapprochement bien nécessaire à leur commune prospérité.

Les évolutions de la politique cantonale n’ont eu que peu d’influence sur les affaires communales. Les changements de régime qui se sont produits en 1830, 1845, 1861 et 1865, n’ont pas eu de contre-coup sur la composition des conseils de la ville de Lausanne. Un événement significatif à cet égard, ce fut la mise sous régie de la commune de Lausanne, en 1856. Cette mesure, d’une rigueur inouïe, était basée sur le fait que le syndic Victor Gaudard et les municipaux Ph. Delisle et F. Gonin, agissant au nom de la Municipalité, avaient passé une convention éventuelle avec Julien Schaller, délégué de l’État de Fribourg, en vue de la construction d’une voie ferrée, reliant Lausanne à la Suisse allemande en passant par Oron, Romont et Fribourg, et promis un subside de 600 000 francs, dont on espérait couvrir une partie par des souscriptions privées.
Forêt de Sauvabelin.
Cette convention, passée en date des 26 et 27 juin 1856, fut ratifiée par le Conseil communal le 30 du même mois, sur le rapport du conseiller Émile de Crousaz. Au mois de septembre, les Chambres fédérales accordèrent définitivement la concession aux promoteurs de la ligne dite d’Oron. Le Conseil d’État, considérant d’une part que les autorités lausannoises étaient sorties de leur compétence, et d’autre part qu’une subvention de 600 000 francs (destinée à mettre Lausanne en rapport avec le centre de la Suisse), était une dépense qui « compromettait gravement les intérêts de Lausanne, » décida que la convention passée entre la Municipalité de Lausanne et l’État de Fribourg, en date des 26 et 27 juin 1856 et ratifiée par le Conseil communal, était annulée et la Municipalité suspendue provisoirement de toutes ses fonctions. Pendant la durée de cette mise sous régie, le Conseil communal continua à siéger ; la Municipalité fut remplacée par une commission nommée par le Conseil d’État et composée de MM. Pidou député, G. Jaccard député, Félix Boucherie boursier, Samson Boiceau, Ferdinand Lecomte, Samuel Eberlé et Mercanton avocat.

MM. Pidou et Boiceau ne voulurent pas se charger de ce mandat.

Cet abus de pouvoir souleva une indignation générale ; il devait contribuer, quelques années plus tard, à la chute du régime de 1845. Le chemin de fer d’Oron-Fribourg ne s’en construisit pas moins ; il fut inauguré par de splendides fêtes, le 4 septembre 1862. Par une délibération du 27 mai 1859, le Conseil communal, sur la proposition de la Municipalité, décida de souscrire 1200 actions de 500 francs du chemin de fer de Lausanne à Fribourg et frontière bernoise : cette fois-ci, le gouvernement n’y fit pas opposition.

Le Conseil d’État lui-même n’avait pas tardé, du reste, à se rendre compte qu’il avait fait fausse route. La mise sous régie, ordonnée par arrêté du 29 octobre 1856, fut rapportée par arrêté du 28 décembre 1856. Les élections de 1857 appelèrent à la présidence de la Municipalité l’ancien syndic Dapples[3] qui était l’un des promoteurs de la construction de la ligne Lausanne-Romont-Fribourg-Berne.

Depuis ce conflit, les rapports entre le gouvernement et la ville de Lausanne ont été en s’améliorant d’année en année. Plusieurs faits témoignent de ce rapprochement : mentionnons les sacrifices auxquels le canton a consenti pour la restauration de la cathédrale ; la création, à Lausanne, en 1874, d’une école cantonale d’agriculture, qui a contribué à faire tomber bien des préventions que les campagnards entretenaient à l’égard des citadins ; le bon vouloir que le Grand Conseil a montré en 1876 en proposant aux autorités fédérales Lausanne comme place d’armes pour les écoles d’infanterie de la première division ; enfin et surtout la transformation de l’Académie en Université. On sait que la ville, ensuite de convention passée avec l’État en date du 3 août 1888, a pris à sa charge la construction d’un bâtiment universitaire. Le coût de ce bel édifice s’est élevé, y compris le prix du terrain, à la somme de 4 460 000 francs dont les ⅘ ont été supportés par la dotation de Rumine[4] et le solde par la Bourse communale.

On peut différer d’opinion sur l’emplacement qui a été choisi pour la construction du Palais de Rumine, mais l’on ne saurait contester que la création de l’Université a donné au développement de la ville de Lausanne un élan merveilleux qui réagit heureusement sur l’ensemble du canton. Le Conseil d’État, et spécialement M. Eugène Ruffy, comme chef du département de l’instruction publique, ont fait preuve, en cette circonstance, d’une remarquable perspicacité. Le Grand Conseil, de son côté, a montré une réelle largeur de vues. Au nom des autorités communales et au nom de la population de Lausanne, nous nous faisons un devoir de leur exprimer ici notre gratitude.

Le rapprochement que nous signalons, entre Lausanne et le canton de Vaud, s’est encore accentué lors des belles fêtes du 24 janvier 1898, du 14 avril et des 4, 5 et 6 juillet 1903, par lesquelles le canton de Vaud, unanime, a célébré le centenaire de son indépendance politique. Les représentations du Peuple vaudois, d’Henri Warnéry, données au théâtre de Lausanne, par des amateurs lausannois, aux mois d’avril et de mai 1903, ont permis d’apprécier comme il le méritait le talent de ce poète fin et délicat, trop tôt enlevé à son pays et à ses amis. Ce spectacle a fait passer sous les yeux d’un nombreux public (14 000 spectateurs en dix-huit représentations) les diverses étapes de la révolution vaudoise. Les inoubliables journées du Festival vaudois ont été l’occasion de commémorer les bienfaits dont notre patrie a été comblée, de constater les progrès accomplis de 1803 à 1903. Des représentations populaires, où plus de 20 000 personnes se pressaient sur la place de Beaulieu, ont mis en valeur les mérites du compositeur vaudois Jaques-Dalcroze. L’ordre, la dignité et la gaîté qui ont régné pendant toute la durée de la fête ont fait honneur aux comités qui l’ont organisée et aux populations accourues pour contempler ce spectacle[5].

  1. Avec un subside cantonal de 200 000 francs ; la construction coûta 1 200 000 francs chiffre rond, non compris l’aménagement des abords et la valeur du terrain.
  2. Ce code, qui ne compte que 78 articles, vise des délits d’un caractère spécial (délits contre la sûreté de l’État), et des délits commis par des employés fédéraux dans l’exercice de leurs fonctions.
  3. Édouard Dapples, démissionnaire en 1848, avait été remplacé par Victor Gaudard ; il succéda à ce dernier le 7 décembre 1857. Il quitta la Municipalité en 1867 et eut pour successeur Louis Joël.
  4. Pour ce qui concerne la dotation de Rumine, voir plus loin la notice intitulée Statistique et services publics.
  5. Le Grand Conseil avait alloué un subside de 50 000 francs et la ville de Lausanne un subside de 20 000 francs pour cette fête ; le comité d’organisation a réussi à limiter les dépenses aux crédits qui lui avaient été accordés.