Laurier et son temps/Laurier intime

La Compagnie de Publication de "La Patrie" (p. 145-147).


Laurier intime


Généralement, les hommes perdent à être vus de trop près. Il n’y a pas de grand homme pour son valet de chambre, dit-on. L’intimité est souvent dangereuse, compromettante, elle trahit des secrets et révèle des défauts et des faiblesses qu’un homme habile sait dissimuler aux yeux du public. Pour Laurier, c’est différent, il gagne à être vu de près, à être connu intimement ; plus on connaît le fond de sa nature, plus on peut en admirer la richesse.

Il est grand dans la vie privée comme dans la vie publique.

À le voir chez lui, si doux, si modeste, si aimable pour tout le monde, si patient, si facile à approcher, on a de la peine à se croire en face de l’homme le plus puissant du pays. Il est bon, charitable, bienveillant, sans ostentation, sans démonstrations exagérées, avec réserve, mesure, délicatesse et dignité. Il est plein de charité pour les fautes et les défauts des autres, toujours prêt à pardonner, même à des gens qui ne le méritent pas. On se demande si, dans la vie publique, cette condescendance, doublée d’opportunisme, n’est pas quelquefois exagérée. Il n’y a pas de doute que, grâce à cette condescendance, il se laisse circonvenir assez facilement par ceux qui savent l’entourer et lui inspirer confiance, jusqu’au jour où le sentiment du devoir et l’intérêt public lui ouvrent les yeux et lui commandent de se ressaisir. Il déploie alors une énergie dont on ne le croyait pas capable.

Il aime à rendre hommage au talent, à la vertu, à la sobriété, au travail, à reconnaître le mérite de ses adversaires, de ses ennemis même. Il fuit la calomnie, la médisance, il a horreur de tout ce qui est vil, grossier, de tout ce qui offense la raison et amoindrit l’homme.

Il aime la vie, il l’aimait surtout avant qu’il devînt malade, il la voudrait bonne, heureuse pour ses parents, ses amis, pour ses semblables.

Il y a chez lui de l’artiste, du poète, du philosophe et du philanthrope, du grand seigneur et du bon bourgeois, tous les raffinements de l’esprit le plus cultivé et la bonhomie du caractère le plus aimable, les dehors de dignité du premier ministre et l’affabilité de l’homme le plus modeste.

Son esprit souple descend facilement de la discussion des problèmes les plus élevés de la philosophie à la conversation la plus enjouée.

L’entendre rire et parler fait du bien, sa voix est douce comme sa nature, sa parole gracieuse comme son caractère.

La compagnie des femmes d’esprit lui plaît, et il est avec elles d’une délicatesse, d’une politesse exquises. Il aime les enfants et n’en ayant pas à lui, il veut avoir ceux de ses frères et de ses amis autour de lui, à sa table ; leur babil et leur naïveté l’enchantent ; il s’intéresse à eux, les amuse, les gâte même. Malheur à ceux qui leur font de la peine en sa présence ! il a une manière de dire : « Pauvre petit » qui désarme les cœurs les plus endurcis.

Il s’intéresse à la jeunesse, aux jeunes gens de talent, à ceux qui travaillent et dont la conduite est bonne, honorable. Il s’informe de ceux qui vont s’établir dans les centres anglais, et il est heureux lorsqu’il apprend qu’ils se font estimer ; il dit que c’est le meilleur moyen de faire respecter notre nationalité.

« Je voudrais, dit-il souvent, voir un bon nombre de nos jeunes gens de talents, avocats ou médecins, aller planter leur tente dans les provinces anglaises, et s’y faire, par le travail et la vertu, une belle position ; rien ne contribuerait plus efficacement à détruire les préventions et les préjugés nationaux, à nous créer dans toutes les parties du Canada, des sympathies précieuses. »

C’est dans des questions de cette nature qu’il ne craint pas d’affirmer son patriotisme et de manifester l’intérêt qu’il porte à l’avenir des nôtres.