Laurier et son temps/La guerre du Trasvaal

La Compagnie de Publication de "La Patrie" (p. 97-98).


La guerre du Transvaal


Les situations difficiles ne lui ont pas manqué. Deux ans plus tard, c’était la guerre du Transvaal qui le forçait d’avoir recours à toutes ses ressources diplomatiques et oratoires.

Laurier était à Chicago, lorsque la petite république africaine osa déclarer la guerre à l’Angleterre. Quand, à son retour, il arrêta à Toronto, tous les esprits étaient en feu, la loyauté anglaise se manifestait par des appels aux armes. On proclamait à haute voix que le gouvernement devait envoyer immédiatement des milliers d’hommes au secours de l’Angleterre. Laurier avait, quelques jours auparavant, déclaré que dans le cas où la guerre éclaterait, le gouvernement ne pourrait rien faire sans consulter le Parlement. Il n’y a pas de doute que le principe était juste, constitutionnel, mais la volonté clairement exprimée de la majorité est la loi suprême dans un gouvernement démocratique.

Que serait-il arrivé si Laurier avait refusé d’acquiescer au désir du gouverneur, de ses collègues et de la grande majorité de la population du Canada ?

Il y aurait eu probablement une coalition de toutes les provinces anglaises pour faire triompher les idées de sir Charles Tupper, qui trouvait que le gouvernement n’allait pas assez loin, et que c’était non pas 1,000 hommes mais 5,000 qu’il fallait envoyer en Afrique.

Pour la simple satisfaction d’un sentiment plus ou moins chimérique, nous serions entrés dans une guerre de races où nous aurions perdu tout le terrain gagné.

Laurier comprit la situation, et fit ce que la raison, le devoir et l’intérêt même de ses compatriotes exigeaient. Un détachement de 1,000 hommes fut envoyé en Afrique, et au départ de ces troupes, Laurier fit un discours dans lequel il affirma que ces soldats allaient combattre pour la cause de la justice, de l’humanité, de la liberté religieuse et politique.

Il dit qu’il était heureux de voir les descendants des deux plus fières nations du monde s’unir pour aller porter dans une terre lointaine les bienfaits de leurs institutions politiques.

Les accents de son éloquence et l’énergie avec laquelle il affirma que l’Angleterre voulait justement forcer le gouvernement d’un pays vassal à respecter les droits politiques de sujets anglais, produisirent une profonde impression en Angleterre, et lui donnèrent le droit de parler haut et ferme lorsque les circonstances l’exigeraient, sans qu’on pût mettre en doute sa loyauté et celle de ses compatriotes.

On pouvait différer d’opinion avec Laurier sur la justice de la position prise par l’Angleterre à l’égard des Boers, on pouvait avoir des sympathies pour ce brave petit peuple, mais notre devoir et notre intérêt étaient de faire cause commune avec nos concitoyens anglais dans cette circonstance.

Le caractère chevaleresque des Canadiens-français les porte souvent à se prononcer, au détriment de leurs intérêts, pour les faibles contre les forts, pour les petits contre les grands, à être du côté de ceux qui semblent combattre pour le droit, la justice, la liberté.

C’est un sentiment noble, généreux dont ils doivent pourtant se défier, surtout lorsqu’en l’exprimant, ils se font du mal sans faire de bien à personne.

Personne aujourd’hui ne conteste la sagesse et la clairvoyance dont Laurier a fait preuve dans la crise du Transvaal, et on lui sait gré d’avoir eu le courage et la force d’enrayer un mouvement qui aurait pu être funeste à la paix du pays, fatal aux Canadiens-français.