Michel Lévy frères, libraires éditeurs (p. 217-219).


LIV


Frédéric vient d’arriver, il est dans un état de délire qui fait pitié… il a résolu de donner sa démission, ne voulant plus défendre au péril de sa vie un pays où règne l’injustice… Nous espérons qu’il ne persistera pas dans cette résolution, bien qu’elle soit inspirée par l’exemple le plus décourageant.

Tu sais qu’il avait dessein de dénoncer l’abbé de Cérignan à l’archevêque d’A*** pour en obtenir vengeance. Il s’est en effet présenté chez lui, quand après lui avoir remis la lettre qui accusait l’infâme suborneur, il a entendu sortir ces mots de la bouche du prélat :

« — On vous a trompé, monsieur, cette lettre n’est point signée de mon neveu, et l’on a seulement contrefait son écriture. Les mœurs et la pitié du vertueux abbé de Cérignan ne sauraient être atteints de cette calomnie.

Frédéric indigné d’une telle réponse, se leva aussitôt, et demanda où logeait l’abbé de Cérignan.

— Vous le chercheriez en vain, reprit froidement l’archevêque, il est parti cette nuit pour Rome, je l’ai chargé d’une mission importante près le souverain pontife ; le clergé de France l’a honoré de ses pouvoirs, et le récompense par cette mission du zèle qu’il a toujours porté aux intérêts de l’Église.

Frédéric voulut ajouter quelques nouvelles preuves à celle qu’il lui donnait contre l’abbé, mais il fut interrompu par ces mots :

— Songez, monsieur, que l’abbé de Cérignan est mon parent, mon protégé, et qu’on n’offense pas impunément un homme de mon rang.

Attéré par cet orgueilleux despotisme, mon beau-frère sortit, et alla se plaindre au maréchal de V*** qui lui dit :

— Je suis convaincu, mon ami, que votre cause est bonne, mais fût-elle plaidée par Cicéron lui-même, vous la perdriez ; ainsi renoncez à votre vengeance, allez près de votre famille offrir et chercher des consolations ; moi je m’engage à vous envoyer, sous dix jours, un congé signé du ministre, qui vous permettra de rester quelque temps près des objets qui vous sont chers.

Cette preuve d’affection calma un peu la colère de Frédéric ; mais il lui en reprend parfois des accès effrayants. Il faut toute la sagesse des conseils de James pour le ramener à la raison. Depuis son retour, James semble me fuir, et j’en éprouve une peine accablante ; je n’ose pas t’avouer qu’au milieu des chagrins qui devraient m’affliger uniquement, la crainte de lui déplaire est celui qui m’occupe le plus.