Laquelle vaut le mieux, d’une catholique ou d’une protestante, pour le mariage


Laquelle vaut le mieux, d’une catholique ou d’une protestante, pour le mariage


LAQUELLE VAUT LE MIEUX, D’UNE CATHOLIQUE OU D’UNE
PROTESTANTE, POUR LE MARIAGE.
Lettre à Monsieur ***.
(16561.)

Vous m’écrivez que vous êtes amoureux d’une demoiselle protestante, et que, sans la différence de religion, vous pourriez vous résoudre à l’épouser. Si vous êtes d’humeur à ne pouvoir souffrir l’imagination d’être séparés en l’autre monde, votre femme et vous, je vous conseille d’épouser une catholique : mais, si j’avois à me marier, j’épouserois volontiers une personne d’une autre religion que la mienne. Je craindrois qu’une catholique, se croyant sûre de posséder son mari en l’autre vie, ne s’avisât de vouloir jouir d’un galant en celle-ci.

D’ailleurs, j’ai une opinion qui n’est pas commune, et que je crois pourtant véritable : c’est que la religion réformée est aussi avantageuse aux maris, que la catholique est favorable aux amants.

Cette liberté chrétienne, dont on voit la protestante se vanter, forme un certain esprit de résistance qui défend mieux les femmes des insinuations de ceux qui les aiment. La soumission qu’exige la catholicité les dispose en quelque façon à se laisser vaincre ; et, en effet, une âme qui peut se soumettre à ce qu’on lui ordonne de fâcheux, ne doit pas être fort difficile à se laisser persuader ce qui lui plaît.

La religion réformée ne cherche qu’à établir de la régularité dans la vie ; et de la régularité, il se fait sans peine de la vertu. La religion catholique rend les femmes beaucoup plus dévotes ; et la dévotion se convertit facilement en amour.

L’une va seulement à s’abstenir de ce qui est défendu ; l’autre, qui admet le mérite des bonnes œuvres, se permet de faire un peu de mal qu’on lui défend, sur ce qu’elle fait beaucoup de bien qu’on ne lui commande pas.

Dans celle-là, les temples sont la sûreté des maris. Dans celle-ci, leur plus grand danger est aux églises. En effet, les objets de mortification, en nos églises, inspirent assez souvent de l’amour. Dans un tableau de la Madeleine, l’expression de sa pénitence sera pour les vieilles une image de l’austérité de sa vie. Les jeunes la prendront pour une langueur de sa passion ; et tandis qu’une bonne mère veut imiter la sainte dans ses souffrances, la jeune fille songe à la pécheresse, et médite amoureusement sur le sujet de son repentir.

Ces pénitentes, qui pleurent dans le couvent les péchés qu’elles ont fait dans le monde, servent d’exemple pour la joie, aussi bien que pour les larmes ; peut-être même qu’elles donnent la confiance de pécher, pour laisser en vue la ressource de la pénitence. Une femme ne regarde point séparément quelque partie de leurs jours ; elle s’attache à l’imitation de la vie entière ; et, se donnant à l’amour quand elle est jeune, elle se réserve à pleurer, pour la consolation de sa vieillesse. Dans cet âge triste et si sujet aux douleurs, c’est un plaisir de pleurer ses péchés, ou pour le moins une diversion des larmes que l’on donneroit à ses maux.

Je suis donc à couvert de tout, me direz-vous, avec une protestante. Je vous répondrai ce que dit le bon P. Hippothadée à Panurge : Oui, si à Dieu plaît2. Le plus sage s’en remet à la Providence : il attend d’elle sa sûreté, et de lui-même le repos de son esprit.


NOTES DE L’ÉDITEUR

1. Personne ne s’avisera de prendre au sérieux ce badinage voltairien, qu’on est étonné de rencontrer, au dix-septième siècle, en l’année même où couroient les petites Lettres de Pascal.

2. Voy. Rabelais, Pantagruel, liv. III, chap. xxx.