Lao-tseu traduit par Jules Besse/Notice

Traduction par Stanislas Julien.
Ernest Leroux (p. 1-5).


NOTICE HISTORIQUE SUR LAO-TSEU

(Tirée des Mémoires historiques de Sse-ma-tsien)



Lao-tseu naquit la troisième année de l’empereur Ting-wang[1], de la dynastie des Tcheou. Il était originaire du hameau de Khio-jin, qui faisait partie du bourg de Laï, dépendant du district de Khou[2], dans le royaume de Thsou. Son nom de famille était Li, son petit nom Eul, son titre honorifique Pe-yang, et son nom posthume Tan. Il occupa la charge de gardien des archives à la cour des Tcheou.

Confucius se rendit dans le pays de Tcheou pour interroger Lao-tseu sur les rites.

Lao-tseu lui dit : « Les hommes dont vous parlez ne sont plus ; leurs corps et leurs os sont consumés depuis bien longtemps. Il ne reste d’eux que leurs maximes.

Lorsque le sage se trouve dans des circonstances favorables, il monte sur un char ; quand les temps lui sont contraires, il erre à l’aventure. J’ai entendu dire qu’un habile marchand cache avec soin ses richesses, et semble vide de tout bien ; le sage dont la vertu est accomplie aime à porter sur son visage et dans son extérieur l’apparence de la stupidité.

Renoncez à l’orgueil et à la multitude de vos désirs ; dépouillez-vous de ces dehors brillants et des vues ambitieuses qui vous occupent. Cela ne vous servirait de rien. Voilà tout ce que je puis vous dire. »

Lorsque Confucius eut quitté Lao-tseu, il dit à ses disciples : « Je sais que les oiseaux volent dans l’air, que les poissons nagent, que les quadrupèdes courent. Ceux qui courent peuvent être pris avec des filets ; ceux qui nagent avec une ligne ; ceux qui volent avec une flèche. Quant au dragon qui s’élève au ciel, porté par les vents et les nuages, je ne sais comment on peut le saisir. J’ai vu aujourd’hui Lao-tseu : il est comme le dragon ! »[3]

Lao-tseu se livra à l’étude de la Voie et de la Vertu ; il s’efforça de vivre dans la retraite et de rester inconnu. Il vécut longtemps sous la dynastie des Tcheou, et, la voyant tomber en décadence, il se hâta de quitter sa charge et alla jusqu’au passage de Han-kou. In-hi, gardien de ce passage, lui dit : « Puisque vous voulez vous ensevelir dans la retraite, je vous prie de composer un livre pour mon instruction. » Alors Lao-tseu écrivit un ouvrage en deux parties qui renferment un peu plus de cinq mille mots, et dont le sujet est la Voie et la Vertu. Après quoi il s’éloigna ; l’on ne sait où il finit ses jours. Lao-tseu était un sage qui aimait l’obscurité.

Lao-tseu eut un fils nommé Tsong ; Tsong fut général dans le royaume de Weï, et obtint un fief à Touan-kan. Le fils de Tsong s’appelait Tchou ; le fils de Tchou se nommait Kong ; le petit-fils de Kong s’appelait Hia. Hia remplit une charge sous l’empereur Hiao-wen-ti des Han. Kiaï, fils de Hia, devint ministre de Khiang, roi de Kiao-si, et, à cause de cette circonstance, il s’établit avec sa famille dans le royaume de Thsi.

Ceux qui étudient la doctrine de Lao-tseu la mettent au-dessus de celle des lettrés ; de leur côté, les lettrés préfèrent Confucius à Lao-tseu. Les principes des deux écoles étant différents, il est impossible qu’elles puissent s’accorder entre elles. Suivant Lao-tseu, si le roi pratique le non-agir, le peuple se convertit ; s’il reste dans une quiétude absolue, le peuple se rectifie de lui-même.



(Mémoires historiques de Sse-ma-tsien ; livre LXIII).
  1. C’est-à-dire l’an 604 avant notre ère. Stan. Julien, à qui j’emprunte la traduction de ce morceau, prévient que cette date, conforme à la tradition historique la mieux établie, ne se trouve point dans la notice de Sse-ma-tsien et qu’il l’y ajoute.
  2. Dans la province actuelle du Ho-nan.
  3. C’est poli. Mais il n’y a pas à s’y tromper, Lao-tseu avait laissé à Confucius l’impression d’un homme parfaitement chimérique.