Lamiel (ed. Martineau)/Chapitre 5

Texte établi par Henri MartineauLe Divan (p. 74-104).

CHAPITRE 5


La prétendue faiblesse des yeux de la duchesse servait de prétexte à cette femme aimable pour ne jamais se séparer de Lamiel, qui avait pleinement succédé au crédit du chien Dash, mort peu auparavant.

Ce genre de vie eût été délicieux pour une petite paysanne vulgaire, mais il y avait à peine un an qu’il durait, et toute la gaieté de la jeunesse avait disparu chez la jeune paysanne.

Plusieurs mois se passèrent ainsi, enfin Lamiel tomba sérieusement malade. Le danger fut si grand, dès le début de la maladie, que la duchesse se résigna à faire appeler le docteur Sansfin qui, depuis plusieurs années, ne venait plus au château que le premier janvier. Du Saillard lui avait fait préférer le docteur Buirette de Mortain, petite ville à quelques lieues du château. Du Saillard avait peur qu’il ne s’emparât de l’esprit de la duchesse et même qu’il ne guérît la prétendue maladie de ses yeux. La vanité sans bornes du médecin bossu jouit délicieusement de cet appel au château, cela seul manquait à sa gloire dans le pays. Il résolut de produire une impression profonde. Selon lui, la duchesse devait mourir d’ennui, en conséquence, pendant la première moitié de la visite, il fut d’une grossièreté parfaite ; il adressait les mots les plus étranges à cette grande dame, dont il savait si bien que le langage était si mesuré et si élégant.

Puis il fut émerveillé de la maladie de la jeune fille : « Voici un cas bien rare en Normandie, se dit-il. C’est l’ennui, et l’ennui malgré le commerce de la duchesse, l’excellent cuisinier, les primeurs, les beaux meubles du château, etc., etc. Ceci devient curieux, donc ne pas me faire chasser, j’ai appliqué le caustique grossier avec assez de force. D’ailleurs cette femme peut se trouver mal, et elle évanouie, je m’ennuierai ici. Plus de mesure, monsieur le Docteur ! La chose la plus cruelle que je puisse inventer pour le service de cette grande dame qui me déteste en ce moment, c’est de renvoyer la petite chez ses parents. »

Sansfin revint tout à coup à ses façons ordinaires, si elles n’étaient pas fort distinguées, elles annonçaient du moins un homme réfléchi, accablé de travail et n’ayant le temps ni d’adoucir le feu de ses pensées, ni de polir ses expressions.

Il prit l’air le plus lugubre :

— Madame la duchesse, j’ai la douleur de devoir préparer votre esprit à tout ce qu’il y a de plus triste ; tout est fini pour cette aimable enfant. Je ne vois qu’un moyen de retarder peut-être les progrès de l’effroyable maladie de poitrine ; il faut, ajouta-t-il en reprenant l’air dur, qu’elle aille occuper dans la chaumière des Hautemare la petite chambre où elle a vécu si longtemps.

— L’on ne vous a pas appelé, monsieur, s’écria la duchesse avec colère, pour changer l’ordre de ma maison, mais pour tâcher si vous le pouvez, de guérir l’indisposition de cette enfant.

— Agréez l’hommage de mon profond respect, s’écria le docteur d’un air sardonique, et faites appeler M. le curé. Mon temps est réclamé par d’autres malades que leurs entours me permettront de guérir.

Le docteur sortit sans vouloir écouter Mme Anselme, que la duchesse envoya sur ses pas. Il ne se sentait pas d’aise d’infliger des malheurs à une si grande dame et qui avait une taille si belle !

— Quelle grossièreté ! quel oubli de toutes les convenances ! s’écria la duchesse outrée de colère ; comme si l’on ne payait pas à ce grossier personnage la seconde demi-heure qu’il eût pu consacrer à la petite. Qu’on aille chercher Du Saillard.

Ce curé parut à l’instant. Ses discours ne pouvaient avoir la netteté de ceux de Sansfin. Suivant l’usage de sa profession, accoutumé à parler à des sots et qui doit garder toutes les avenues contre la critique, la première réponse du curé Du Saillard dura bien cinq minutes ; cette pensée si verbeuse effrayerait le lecteur, mais elle plut à la duchesse qui retrouvait le ton auquel elle était accoutumée. Le curé entra pleinement dans sa colère contre l’indigne procédé de cet homme que partout ailleurs il appelait son respectable ami ; et, à la suite d’une visite de consolation qui ne dura pas moins de sept quarts d’heure, la duchesse fut décidée à envoyer un courrier chercher un médecin à Paris.

La grande objection contre cette mesure, c’est que jamais, dans la maison de Miossens, l’on n’avait appelé un médecin de Paris pour les gens.

— Je pourrais suggérer à Madame la duchesse l’idée bien simple de faire appeler ce médecin pour sa propre santé que, dans le fait, tous ces tracas nous donnent la douleur de voir fort altérée.

— Mes femmes verront bien, répondit la duchesse d’un ton romain, que ce médecin de Paris est appelé pour Lamiel et non pour moi.

Ce médecin, appelé par un courrier, après s’être fait attendre quarante-huit heures, daigna enfin paraître. Ce M. Duchâteau était une sorte de Lovelace de faubourg, encore jeune et fort élégant ; il parlait beaucoup et avec esprit, mais avait quelque chose de si horriblement commun dans ses façons d’agir et dans le langage qu’il scandalisa même les femmes de chambre de la duchesse. Du reste, au milieu de ses bavardages sans limites, les femmes de chambre elles-mêmes remarquèrent qu’il daigna consacrer à peine six minutes à examiner la maladie de Lamiel. Comme on voulait lui raconter les symptômes, il déclara n’avoir nul besoin d’un tel récit et prescrivit un traitement absolument insignifiant. Quand, au bout de trois jours, il repartit pour Paris, l’absence de cet homme fut un soulagement pour Mme de Miossens. On appela le médecin de Mortain, qui était en correspondance avec une femme de chambre, et se prétendit malade pour ne pas jouer le rôle d’un pis aller. On fit venir ensuite un médecin de Rouen, M. Derville qui, bien différent de son collègue de Paris, avait un aspect lugubre et ne disait mot. Il ne voulut pas s’expliquer avec la duchesse, mais dit au curé que la petite n’avait pas six mois à vivre. Ce mot était cruel pour la duchesse, il la privait de la seule distraction qu’elle eût au monde ; sa fantaisie pour Lamiel était dans toute sa force ; elle fut au désespoir et répétait souvent qu’elle donnerait cent mille francs pour sauver Lamiel. Son cocher qui l’entendit lui dit avec la grosse franchise d’un Alsacien :

— Eh bien ! que madame rappelle Sansfin.

Ce mot rompit la glace. Deux jours après, revenant tristement de la messe dans son carrosse par la grand’rue de Carville, elle vit de loin le médecin bossu et, d’instinct, elle l’appela. Il avait inventé une méchanceté à faire, ce qui le fit accourir au carrosse, de l’air le plus ouvert. Il y monta, et, en arrivant auprès de la malade, il déclara qu’elle était horriblement changée et lui donna des remèdes qui devaient redoubler tous les accidents de la maladie. Cette ruse du coquin eut un succès qui le ravit. La duchesse elle-même devint malade et comme, malgré une apparence d’égoïsme épouvantable, mais qui ne tenait qu’à la hauteur, elle avait l’âme bonne au fond, elle se reprocha amèrement de n’avoir pas voulu permettre qu’on transportât Lamiel chez ses parents. Ce transport eut lieu et le médecin bossu se dit « Je serai le remède. » Il entreprit d’amuser la jeune malade et de lui peindre la vie en beau ; il employa vingt moyens ; par exemple, il prit un abonnement à la Gazette des Tribunaux, et on la lisait à Lamiel tous les matins. Les crimes l’intéressaient, elle était sensible à la fermeté d’âme déployée par certains scélérats. En moins de quinze jours l’extrême pâleur de Lamiel sembla diminuer. La duchesse le remarquait un jour.

— Eh bien ! madame, s’écria Sansfin avec hauteur, est-ce qu’il convient d’appeler des médecins de Paris quand on a un docteur Sansfin dans le voisinage ? Un curé peut avoir de l’esprit, mais quand cet esprit est troublé par l’envie, convenez qu’il ressemble comme deux gouttes d’eau à de la sottise. Sansfin voit ce qui est vrai partout, mais je dois avouer que les sciences que j’étudie pour essayer de me perfectionner dans mon art me laissent si peu de temps à perdre, que je dis quelquefois la vérité en termes trop clairs et trop précis, et, je le sais, les salons dorés frémissent d’entendre ce langage simple d’un homme vertueux qui n’a besoin de faire la cour à personne. Par égoïsme, pour ne pas vous séparer d’une femme de chambre qui vous amuse, vous n’avez pas voulu d’abord que l’on transportât Lamiel chez ses parents, et vous avez exposé sa vie. Ce n’est pas à moi à vous dire le jugement que la religion porte d’une telle action ; si M. le curé Du Saillard osait remplir ses devoirs auprès d’une femme de votre rang, sa sévérité serait peut-être encore plus offensante que la mienne. Mais lui se moque de la perte de l’âme de ses malades. La mort de l’âme ne se voit pas comme celle du corps. Son métier est plus commode que le mien. Quant aux remèdes de votre sot de Paris et à ceux du docteur de Rouen, ils ont mis la petite aux portes du tombeau. Démentez-moi si j’ai tort, et, moi, j’ai tant d’humanité et tant d’amour pour mon état que si une de ces vieilles femmes imbéciles dont vous avez rempli votre château eût voulu le permettre, j’aurais pénétré en secret auprès de l’intéressante malade et j’aurais substitué aux poisons que lui administrait ce charlatan de Paris les remèdes véritables ; mais je n’ai pas pu. Remarquez, madame, que je courais les risques d’un procès criminel pour sauver une petite fille qui vous amuse. C’est ainsi, madame la duchesse, que la sottise, même dans le cas le plus indifférent en apparence, peut amener la mort. Pendant huit jours je me suis arrangé pour avoir matin et soir des nouvelles de la petite ; elle était mourante et pouvait à chaque instant être saisie d’un vomissement de sang pendant lequel elle serait morte dans vos bras. S’il lui eût été donné au moment suprême de connaître la vérité, elle eût pu dire : « Madame la duchesse, vous me tuez ; vous avez sacrifié ma vie à votre répugnance pour le langage ferme et noble de la vérité. La vérité vous a choquée parce qu’elle se trouvait dans la bouche d’un pauvre médecin de campagne. »

La duchesse fut atterrée des paroles du docteur ; elle crut entendre un prophète ; elle avait si gauchement arrangé sa vie, que depuis longtemps, personne ne se donnait la peine d’être éloquent pour la désennuyer. Elle laissait aller sa vie comme du temps où sa beauté et des mots charmants peuplaient son salon.

Le docteur augmenta à plaisir l’indisposition de la grande dame, il la rendit folle de douleur, il est vrai que tous les jours, pendant une heure, il la soumettait à l’horrible magnétisme de son éloquence infernale. La duchesse fut si indisposée qu’elle n’eut plus la force de venir voir deux fois par jour Lamiel chez ses parents. Alors, par les soins du docteur qui voulait la guérir de sa langueur, elle en vint à un tel point de folie qu’elle quitta le château pour venir passer publiquement plusieurs jours dans la chaumière voisine de celle des Hautemare, que le docteur fit évacuer et meubler en quelques heures. Ce qui augmentait le zèle de Sansfin, c’est que le Du Saillard était furieux et employait tout son génie à chercher un moyen quelconque d’éloigner le médecin bossu. Le moyen de défense de celui-ci fut bien simple. Tout le monde à Carville avait peur du curé. Le docteur, après l’avoir répété sur tous les tons deux ou trois cents fois, fit comprendre à la duchesse et au village que le curé était jaloux de lui parce qu’il avait sauvé la vie à la petite Lamiel, pour laquelle il avait voulu faire appeler un médecin de Paris. La chose, une fois bien expliquée, était si claire que tout le village saisit l’anecdote (langage de commis marchand), et la grande agitation du curé Du Saillard ne fut plus une énigme. Le docteur ne négligea rien pour faire comprendre la vérité aux curés du voisinage, lesquels furent charmés de pouvoir reprocher une faiblesse à ce terrible curé de Carville, chargé de les surveiller.

Le grand intérêt qu’il mettait à réussir avait produit un grand effet sur le docteur. Il s’était désennuyé lui-même. Il vivait fort bien, il avait six mille livres de rente et triplait ce revenu par son état. Sa meute était nombreuse, ses fusils anglais excellents, mais sans le savoir il s’ennuyait.

Les discours de la duchesse parlant souvent de gens de connaissance qui faisaient une grande fortune en exploitant le règne de Charles X donnèrent des idées au docteur et le troublèrent. Il se fit cette question : Que ferai-je dans vingt ans ?

Un homme de cinquante-huit ans avec quinze ou vingt mille livres de rente, et la gloire d’avoir eu vingt ou trente demi-paysannes, c’est-à-dire ce que je suis aujourd’hui avec les infirmités de la vieillesse et quelques billets de mille francs de plus.

Le succès qu’il eut contre Du Saillard, — d’où la fureur de celui-ci, — exigea un mois de soins, mais il fut complet. Il s’estima beaucoup lui-même, et du milieu de ses soins une idée folle lui vint à la tête.

« Il faut que j’entreprenne deux choses :

Me faire aimer de Lamiel, qui a dix-sept ans bientôt et sera charmante quand je l’aurai déniaisée.

Me rendre si nécessaire à cette grande dame qui a de beaux traits et est encore fort bien, malgré ses cinquante-deux ans, qu’elle se résolve, après un combat de quelques mois ou d’un an à épouser de la main gauche le médecin de campagne disgracié par la nature. »

Avec ces deux idées, se dit Sansfin, il vaut la peine d’aller tous les jours au château.

La duchesse le consultait sur tout, et, dans le fait, depuis qu’elle voyait Sansfin tous les jours, et plusieurs fois dans la journée, elle ne connaissait presque plus l’ennui.

Au milieu de l’agitation dans laquelle le docteur maintenait son esprit, elle disait hautement à tout le monde que, depuis qu’elle habitait une chaumière, elle avait connu le bonheur. « Je serais parfaitement heureuse, ajoutait-elle, si j’étais rassurée sur la santé de Lamiel. » Dans ces circonstances, Sansfin prétendit que l’apothicaire d’Avranches ne saurait jamais préparer certaines pilules héroïques nécessaires pour rendre quelques forces à la jeune malade : il alla passer plusieurs jours à Rouen ; depuis quelques mois, il entretenait une correspondance assez suivie avec M. Gigard, grand vicaire de confiance de M. le cardinal archevêque. Arrivé à Rouen, il jugea nécessaire de faire la conquête complète du grand vicaire de l’archevêque, et se fit proposer par lui de faire entre ses mains une confession générale, enfin il arriva à ce qui était l’objet réel de son voyage : il fut présenté à M. le cardinal et se conduisit avec tant d’adresse, montra tant d’esprit et de modération, donna des éloges si perfides à M. le curé Du Saillard, qui n’avait pas été à Rouen depuis dix-huit mois, que, lorsqu’il quitta cette capitale, le cardinal eût plutôt écouté une dénonciation de lui contre Du Saillard, qu’une dénonciation du curé contre lui. Arrivé à ce point, ce médecin de campagne vit arriver à lui la possibilité d’épouser une veuve de la première noblesse qui, légalement, avait plus de quatre-vingt mille livres de rente et qui, dans le fait, ayant un seul fils, âgé de dix-sept ans, élève à l’École polytechnique, pouvait dépenser près de deux cent mille francs par an.

« J’empoignerais l’esprit de ce fils, je m’en ferais adorer, se disait Sansfin, en se promenant solitairement sur la colline de Sainte-Catherine, qui domine Rouen. Et, dans tous les cas, en mettant tout au pis, qui m’empêcherait de m’enfuir en Amérique avec une bourse de cent mille francs ? Là, sous un nom supposé, M. Petit ou M. Pierre Durand, je recommencerais la carrière médicale, et, d’ailleurs, j’aurais si bien arrangé les affaires, en emportant mes cent ou deux cent mille francs, que la duchesse et son fils se couvriraient de ridicule s’ils s’avisaient de me poursuivre. »

Sansfin revint à Carville ; la guérison de Lamiel allant très vite, et pouvant donner à Mme de Miossens l’idée de retourner au château, Sansfin eut recours à des drogues qui augmentèrent les apparences de l’indisposition de Lamiel.

Dans cet état de choses, Sansfin allait à la chasse, dans la forêt d’Imberville ; là, un jour, au lieu de chasser, il rêva profondément.

« Eh bien ! soit, se dit-il, en s’asseyant sur les racines d’un hêtre qui sortaient de terre, me voilà l’époux de cette duchesse, je manipule à plaisir une fortune de plus de deux cent mille livres de rente ; eh bien ? je n’ai pas changé ma position, je n’ai fait que la dorer, je suis toujours un être subalterne, faisant la cour à des gens plus puissants que moi, et ayant toujours à combattre le mépris, et qui plus est, un mépris que je sens mérité par moi. Suivons le second projet : transplanté en Amérique, je m’appelle, si je veux, M. de Surgeaire, j’ai deux cent mille francs dans mon portefeuille, qu’est-ce que tout ça ? C’est un embellissement de ma position ; j’ai le fardeau de ma friponnerie à ajouter au fardeau de ma bosse. Cette bosse me rend reconnaissable partout, et, vu l’infâme liberté de la presse qui règne en Amérique, qu’aurais-je à faire si, un beau matin, je lis toute mon histoire dans les journaux ? Non, je suis las des impostures, il me faut à moi du légitime et du réel ; l’argent ne m’est bon que comme luxe ; certainement, un beau carrosse empêcherait qu’on vît mon défaut naturel, mais quant à moi, pour vivre, je n’ai besoin que de dix mille francs. »

Après quatre heures d’une agitation fébrile, le docteur sortit de la forêt d’Imberville, et rentra dans Carville, bien décidé à ne faire de la duchesse qu’une amie intime, et point du tout une femme. Cette friponnerie de moins à faire le rendit tout heureux. Huit jours après il se disait :

« Grand Dieu, combien je me trompais en me donnant une nouvelle imposture à soutenir. Je serais bien plus heureux en développant mes qualités naturelles. Si la nature m’a donné une triste enveloppe, je sais manier la parole et me rendre maître de l’opinion de sots, et même, ajouta-t-il avec un sourire de satisfaction, de l’opinion de gens d’esprit, car enfin cette duchesse n’est point mal sous ce rapport, elle a un tact admirable pour le ridicule et les affectations, seulement elle ne raisonne pas, ainsi que tous les gens de sa classe. Le raisonnement, n’admettant pas de plaisanterie, lui semble d’une tristesse horrible, et quand par hasard elle veut raisonner et arriver à une conclusion qui me déplaît, je puis toujours détruire tout raisonnement par un mot d’esprit piquant. Quant à moi, je sais travailler pour devenir député, j’aurais à étudier quelque peu d’économie politique et à lire les titres de quelques centaines d’ordonnances administratives ; eh bien ! qu’est-ce que cela au prix de l’étude de trois ou quatre maladies ? Lors de mes premiers essais à la tribune, ma bosse m’empêchera d’être envié. À quoi bon courir en Amérique ? Mon pays m’offre la situation qui me convient, il faut que Mme de Miossens ait un salon considéré à Paris, et que ce salon réponde de moi à la bonne compagnie. Par monsieur le cardinal archevêque je puis me faire agréer de la congrégation. Ces deux belles préparations achevées, la porte m’est ouverte, c’est à moi d’entrer, si j’ai assez de vigueur dans les jambes. En attendant, il faut m’amuser ; pendant que je vais suivre ce grand dessein, il faut me donner les prémices du cœur de cette jeune fille. »

Pour parvenir à toutes ces belles choses, Sansfin fit durer pendant plusieurs mois la prétendue maladie de Lamiel, comme l’origine du peu de réel qu’il y avait dans cette indisposition fort simple était l’ennui, Sansfin sacrifia toute chose au désir d’amuser la malade ; mais il fut étonné de la clarté et de la vigueur de cet esprit si jeune : la tromper était fort difficile. Bientôt Lamiel fut convaincue que ce pauvre médecin d’une figure aussi burlesque était le seul ami qu’elle eût au monde. En peu de temps, par des plaisanteries bien calculées, Sansfin réussit à détruire toute l’affection que le bon cœur de Lamiel avait pour sa tante et son oncle Hautemare.

— Tout ce que vous croyez, tout ce qu’ils vous disent aujourd’hui et qui vous rend si charmante, est gâté par un reflet de toutes les pauvretés que le bon Hautemare et sa femme vous ont données pour des vérités respectables. Ce que la nature vous a donné, c’est une grâce charmante et une sorte de gaieté qui se communique, à votre insu, aux personnes qui ont le bonheur de vous entendre. Voyez la duchesse, elle n’a pas le sens commun, et pourtant, si elle était encore jolie, elle passerait pour une femme fort aimable ; eh bien ! vous avez fait sa conquête au point qu’il n’est aucun sacrifice qu’elle n’acceptât avec joie pour se conserver le bonheur de passer ses soirées avec vous. Mais votre position est dangereuse, vous devez vous attendre au complot le plus noir de la part des femmes de chambre ; Madame Anselme, surtout, change de physionomie seulement à entendre un seul petit mot de louange pour vous. M. l’abbé Du Saillard a l’habitude de réussir dans tout ce qu’il entreprend ; s’il se joint aux femmes de chambre, vous êtes perdue, car vous avez toutes les grâces possibles, mais le bon sens manque encore à votre jeunesse, vous ne savez pas raisonner. De ce côté-là, je pourrais bien vous être de quelque utilité ; mais votre maladie va cesser au premier jour, alors je n’aurais plus de prétexte pour vous voir et vous pouvez tomber dans les plus grandes fautes. Si j’étais à votre place, j’aimerais bien faire l’acquisition du bon sens ; c’est un travail d’un mois ou deux.

— Pourquoi ne me dire pas cela en deux mots, pourquoi cette préface d’un quart d’heure ? Je suis inquiète depuis que vous parlez pour deviner à quoi vous voulez en venir.

— Je veux, répondit Sansfin en riant, que vous consentiez à un meurtre horrible : tous les huit jours, je vous apporterais dans la poche de ma veste de chasse de Staub (le tailleur à la mode) un oiseau vivant, je lui couperai la tête, vous verserez le sang sur une petite éponge que vous placerez dans votre bouche. Aurez-vous ce courage ? pour moi, j’en doute.

— Après ? dit Lamiel.

— Après, reprit le docteur, dans les moments que vous passez auprès de la duchesse, de temps à autre vous cracherez le sang. Votre poitrine étant attaquée à ce point, on n’aura plus d’objection à tout ce que je voudrais faire faire pour vous amuser. Je vous l’ai déjà dit : votre maladie conduit au marasme, rien n’est plus dangereux chez les filles de votre âge : mais au fond votre maladie n’était que de l’ennui.

— Et vous-même, docteur, ne craignez-vous pas de m’ennuyer en m’enseignant ce que vous appelez le bon sens ?

— Non, car ce que je vous demande c’est du travail, et, dès qu’on y réussit, le travail donne du plaisir et chasse l’ennui. Figurez-vous que de toutes les choses que croit une jolie fille de basse Normandie, il n’en est pas une qui, plus ou moins, ne soit une sottise ou une fausseté. Qu’est-ce que fait le lierre que vous voyez là-bas dans l’avenue sur les plus beaux chênes ?

— Le lierre embrasse étroitement un côté du tronc et ensuite suit leurs principales branches.

— Eh bien ! reprit le docteur, l’esprit naturel que le hasard vous a donné, c’est le beau chêne ; mais, tandis que vous croissiez les Hautemare vous disaient chaque jour douze ou quinze sottises qu’ils croyaient eux-mêmes, et ces sottises s’attachaient à vos plus belles pensées comme le lierre s’attache aux chênes de l’avenue. Je viens, moi, couper le lierre et nettoyer l’arbre. En vous quittant, vous allez me voir de votre fenêtre, descendre de cheval, et couper le lierre des vingt arbres à gauche. Voilà ma première leçon donnée, cela s’appellera la règle du lierre. Écrivez ce mot sur la première page de vos heures, et toutes les fois que vous vous surprenez à croire quelque chose de ce qui est écrit sur ce livre-là, dites-vous le mot lierre. Vous parviendrez à connaître qu’il n’y a pas une des idées que vous avez actuellement qui ne contienne un mensonge.

— Ainsi, s’écria Lamiel en riant, quand je dis qu’il y a trois lieues et demie d’ici à Avranches, je dis un mensonge ! Ah ! mon pauvre docteur, quelles sornettes vous me débitez ! Par bonheur, vous êtes amusant.

Le chef-d’œuvre du docteur avait été de donner ce ton aux conversations qu’il avait avec sa jolie malade ; il avait pensé que le ton sérieux qu’elle devait conserver avec la duchesse lui rendrait toujours infiniment plus agréables les moments qu’elle passait avec lui.

« Et, se disait-il, si même quelque jour, quelqu’un de ces infâmes jeunes gens que j’exècre, et auxquels la nature a donné un corps sans défaut, vient à parler d’amour à mon petit bijou, ce ton effrayera l’amant nigaud et j’aurai toujours toute facilité pour lui donner des ridicules. »

Quoique le sang du pauvre petit oiseau que le docteur apporta à sa malade lui inspirât d’abord beaucoup de répugnance, cependant il parvint à lui faire placer dans la bouche la petite éponge imprégnée de sang, et de plus, ce qui valait bien mieux, par le ton de voix qu’il affecta, le docteur donna à Lamiel non pas la conviction, mais bien mieux la sensation qu’elle commettait un grand crime ; il lui fit répéter après lui des serments horribles par lesquels elle s’engageait à ne jamais révéler le conseil qu’il lui avait donné de prendre le sang d’un oiseau. La vue de la mort donnée à ce petit être fort gentil avait bouleversé profondément l’âme de la jeune fille, elle se cacha les yeux avec son mouchoir pour ne pas voir exécuter le crime ; le docteur jouissait profondément en voyant les émotions si vives qu’il donnait à cet être si joli.

« Elle sera à moi », se disait-il.

Toute son âme était remplie du bonheur d’avoir réduit la jeune fille à l’état de complice. Il l’eût engagée aux plus grands crimes qu’elle n’eût pas été davantage sa complice. Le chemin était tracé dans cette âme si jeune, c’était là le point essentiel. Un second avantage, non moins important, qu’il avait obtenu en appliquant la terreur, c’est que la jeune fille allait acquérir l’habitude de la discrétion.

Cette habitude fut facilitée par le succès étonnant qu’eut la mort de l’oiseau. Dès que la duchesse fut convaincue que sa jeune favorite crachait quelquefois le sang, les fantaisies les plus folles de Lamiel devinrent des lois sacrées pour elle ; il n’était pas permis de toucher aux fantaisies de Lamiel. Pour compléter son empire, le docteur, qui avait une peur extrême du génie de Du Saillard, ne manqua pas d’être cruel envers la duchesse.

— Cette jeune poitrine, lui répétait-il souvent, a été enflammée pour longtemps et, peut-être, complètement perdue par les excès de lecture auxquels l’obligeait l’emploi que Lamiel avait l’honneur de remplir auprès de vous.

Il ne négligea rien pour donner de vifs remords à sa nouvelle amie. Ces remords auxquels tous les jours la duchesse trouvait quelque objection, furent une nouvelle cause d’intimité entre le médecin de campagne et la grande dame. Cette intimité arriva à ce point que le docteur se dit :

« Puisque je veux ne pas en faire ma femme, je puis lui parler d’amour. »

Bien entendu d’abord il ne fut question que d’amour platonique, c’était une ruse que Sansfin employait toujours, afin de détourner l’attention de la femme à séduire et de lui faire oublier l’affreux défaut de sa taille.

C’était ce malheur, qui, dès la première enfance, avait accoutumé le docteur à donner une extrême attention aux moindres détails. Dès l’âge de huit ans, sa vanité incroyable était offensée d’un demi-sourire qu’il voyait éclater de l’autre côté de la rue, comme il passait.

Sous prétexte d’être très frileux, le docteur avait adopté l’usage de porter des manteaux magnifiques et des fourrures de toute espèce, il se figurait que le défaut de sa taille en était dissimulé, tandis que cette quantité d’étoffes, placées sur ses épaules déjà trop proéminentes, ne faisait que rendre ses défauts plus sensibles ; eh bien ! dès les premières fraîcheurs de soirée, au mois de septembre, il apercevait avec reconnaissance, au bout de la place, le premier homme de la bonne société de Carville qui s’avisait d’arborer un manteau. À l’instant, il courait chez lui et disait à toutes ses visites du soir :

— J’ai pris un manteau, c’est M. un tel qui m’en a donné l’exemple ; rien n’est dangereux comme les premiers froids, ils peuvent répercuter sur la poitrine les humeurs que la transpiration insensible faisait disparaître et beaucoup de phtisies n’ont pas eu d’autre cause.

Cette habitude du docteur le servait parfaitement auprès des femmes.

Son premier pas, c’était de les isoler sous prétexte de maladie ; par ce moyen simple, il les jetait dans l’ennui ; puis il les amusait par ses mille attentions, et quelquefois parvenait à faire oublier son étrange difformité. Pour mettre sa vanité à l’aise, il avait pris l’habitude salutaire de ne pas compter ses défaites, mais seulement ses succès. « Fait comme je suis, s’était-il dit de bonne heure, sur cent femmes que j’attaquerai, je ne puis guère compter que sur deux succès. » Et il ne s’affligeait que lorsqu’il se trouvait au-dessous de ce taux.

Il était parvenu à faire faire du mouvement à la duchesse, en engageant Lamiel, ce qui, du reste, n’avait pas été difficile, à ne pas vouloir retourner au château. La duchesse avait acheté un jardin qui touchait à la chaumière d’Hautemare, et sur l’emplacement de ce jardin, elle avait fait bâtir une tour carrée qui, à chaque étage, se composait d’une chambre magnifique et d’un cabinet. Ce qui avait décidé la duchesse à se passer ces fantaisies coûteuses, c’était le désir de montrer aux habitants de Carville, trop infectés de jacobinisme, une véritable tour du moyen âge, ce qui ne manquerait pas de leur rappeler ce que les seigneurs de Miossens étaient à leur égard autrefois. La tour, élevée sur l’emplacement du jardin, était une copie exacte d’une tour à demi ruinée qui se trouvait dans le parc du château. Le docteur parvint à vaincre certaines objections que ne manquait pas d’élever l’avarice de la duchesse, en lui représentant que l’on pouvait se servir, pour la nouvelle tour, de pierres de taille carrées qui formaient l’ancienne. Puis, la tour élevée, il remarqua que les maçons de campagne n’avaient pas aligné parfaitement les pierres de taille ; alors on fit venir de Paris des ouvriers ciseleurs qui, en entaillant ces pierres à une profondeur de six pouces à quelques endroits, entourèrent la tour d’ornements en ogives empruntés à l’architecture sarrasine dont l’on voit de si beaux restes en Espagne. À cette époque de la vie de la nouvelle tour, elle produisit un effet immense sur tous les châteaux du voisinage.

— Cela est à la fois utile et agréable, s’écria le marquis de Ternozière ; en cas de révolte des jacobins, on peut se réfugier dans une tour de ce genre et y tenir fort bien huit ou dix jours, jusqu’à ce qu’on ait pu rassembler la gendarmerie des environs. Dans les temps plus tranquilles, la vue d’un si beau monument donne à penser aux manoirs du voisinage.

Le docteur s’arrangea de façon que, en moins de quinze jours, cette idée fût répétée vingt fois devant la duchesse. Elle fut au comble du bonheur. Le manque de succès auprès des châteaux du voisinage était un des malheurs de sa vie, et l’ennui où elle languissait avant la maladie de Lamiel ajoutant une nouvelle pointe au chagrin plus ou moins réel dont elle croyait que sa vie était environnée, à chaque fois, quand, en se promenant, un de ces châteaux du voisinage venait à frapper sa vue, elle jetait un petit cri de profonde douleur. Le docteur n’avait pas manqué à se faire avouer la cause de ce petit cri, il avait prétendu que ce cri pouvait annoncer une horrible maladie de poitrine. Il se figura plus d’un mois l’état de ravissement où le succès de la tour avait jeté Mme de Miossens. La passion qui, dans le fait, lui donnait plus de peine à combattre chez elle, était l’avarice. Il voulut lui porter un grand coup et, tout bien préparé, il s’écria un jour de l’air de la plus profonde conviction :

— Convenez, madame, d’une chose bien heureuse, cette tour vous coûte cinquante ou cinquante-cinq mille francs tout au plus, eh bien ! elle vous donne pour plus de cent mille francs de bonheur. La vanité des petits hobereaux qui vous entourent a enfin plié bagage ; ils rendent hommage au rang élevé où la providence vous a appelée. Daignez les inviter à un grand repas que vous leur donnerez pour inaugurer la tour d’Albret. (On avait donné ce nom à la tour en l’honneur du maréchal.)

Depuis plusieurs mois, le docteur travaillait à réconcilier la noblesse des environs avec l’humeur un peu singulière de la duchesse ; il fit pénétrer cette idée dans tous les châteaux que cette prétendue hauteur, qui les avait choqués, n’était point de la hauteur véritable, mais simplement une mauvaise habitude de l’esprit contractée à Paris et dont, d’ailleurs, la duchesse commençait à sentir le ridicule.

La duchesse donna un repas splendide pour inaugurer la tour d’Albret. Il y avait cinq étages, et le docteur voulut qu’il y eût cinq tables, une à chaque étage. On éleva une baraque en planches à dix pas de la tour pour servir de cuisine ; on plaça des tables dans une prairie voisine où furent invités les parents des élèves de Hautemare. Là division singulière de la bonne compagnie en cinq tables produisit naturellement une extrême gaieté qui fut redoublée par le ton vraiment aimable avec lequel pour la première fois de sa vie la duchesse répondit aux compliments qu’on lui adressa. Ce changement fut le chef-d’œuvre de Sansfin.

Il avait fait venir des musiciens qui se présentèrent par hasard à la nuit tombante, lorsque toutes les jeunes femmes des cinq tables commençaient à regretter qu’on n’eût pas eu l’idée de faire finir par un bal une journée aussi aimable. Sansfin remonta en courant et annonça que Mme la duchesse avait eu l’idée de faire arrêter une troupe de musiciens qui se rendaient à Bayeux.

Les arbres de la prairie se trouvèrent illuminés comme par hasard, et le bal commença pour les paysannes. Le salon le plus élevé de la tour, celui du cinquième étage, fut réservé aux dames pour les changements de toilette que rendait nécessaire ce bal improvisé. Pendant la demi-heure qu’elles consacrèrent à ce soin, le docteur Sansfin expliquait aux gentilshommes du voisinage comment, sans qu’on eût songé à rien, la tour d’Albret se trouvait une forteresse fort difficile à prendre.

— Vos ancêtres, messieurs, se connaissaient en choses de guerre, et, comme les maçons ont suivi exactement le plan de la vieille tour, sans songer qu’ils préparaient des chaînes pour les gens de basse classe, ils ont fait une forteresse qui pourra servir de refuge à tous les honnêtes gens, si jamais les jacobins se remettent à brûler les châteaux.

Cette idée consolante compléta le charme de cette journée. Les dames dansèrent de huit heures à minuit, et leurs maris, tout occupés de la tour, ne songèrent que fort tard à faire replacer les chevaux à leurs voitures. Les paysans dansèrent jusqu’au jour. Le docteur était monté à cheval et avait fait arriver dans la prairie des barriques de bière, et même de vin.

Cette journée changea du tout au tout la manière d’être de la duchesse avec ses voisins, et ce fut aussi l’époque où elle oublia entièrement la manière barbare dont la nature avait traité cet homme si aimable, le docteur Sansfin.

Lamiel vit toute la fête, enfermée dans la voiture de la duchesse que l’on avait fait avancer au milieu de la prairie et dont on avait levé les glaces. La duchesse vint voir plus de vingt fois si sa favorite n’était pas incommodée par l’humidité. Son avarice, passion dominante jusque-là, était tout à fait subjuguée.

Huit jours après cette fameuse fête à la tour d’Albret qui restera longtemps célèbre dans l’arrondissement de Bayeux, l’on vit arriver à Carville une grande voiture de déménagement arrivant de Paris. Elle était remplie de manouvriers, de tapissiers et d’étoffes de toute espèce, propres à meubler un château. Ils meublèrent à ravir les cinq chambres superposées l’une sur l’autre et qui formaient la tour gothique. La duchesse, ayant chassé l’avarice, se trouvait le cœur vide et tombait dans l’amour des excès, et projetait déjà un second dîner.

La chambre du second étage, destinée à Lamiel, fut arrangée d’une façon ravissante et Lamiel déclara au docteur qu’elle voulait l’habiter. En vain le docteur lui demanda à genoux de considérer que cette chambre, fort humide, rendrait malade une personne forte comme une paysanne, tandis qu’elle avait déjà la petite santé d’une femme du grand monde, Lamiel fut inflexible. Le docteur s’avisa qu’il y avait déjà cinq mois que la vanité naissante de la jolie Normande apprenait toujours quelque chose du docteur ; toujours le docteur avait raison, toujours l’esprit de Lamiel était dans une position inférieure à l’égard de celui du docteur. L’esprit prudent de celui-ci se livra à plusieurs expériences, mais enfin il s’assurait du vrai principe du caprice de cette enfant. « Déjà la vanité, déjà l’orgueil de son sexe ! s’écria-t-il. Il faut que je me hâte de céder, ou je place ici le germe d’une aversion qui peut s’étendre sur les belles années de cette charmante fille, quand arrivera l’époque où sa conquête sera vraiment une chose agréable pour un pauvre homme disgracié tel que moi. »