Bulletin de l'Académie Delphinale
Gabriel Dupont (3e série, tome 16p. 173-177).


Semper honos, nomenque tuum, laudesque manebunt.
I.

 
Poète, qui chanta le lac au frais rivage,
Aux flots berçant Elvire avec des bruits charmants,
Tes vers mélodieux trouveront d’âge en âge
Des échos attendris dans le cœur des amants[1].

Poète dont la voix célébra l’harmonie
Des mondes prosternés aux pieds du Créateur,
Tes vers gardent l’accent de cette symphonie
Que le ciel et la terre offrent à leur auteur[2].

Poète qui chanta l’auguste mort du Sage
Et l’altier désespoir d’Harold le pèlerin,
Tu voilas de splendeurs le funèbre passage[3] ;
Tes vers ont adouci l’orgueil d’un noir chagrin[4]


Poète qui chanta Jocelyn et Laurence[5],
Les longs combats du cœur par la vertu dompté,
La tendresse épurée au feu de la souffrance
Pour se transfigurer dans l’immortalité…

Tout ce que l’âme adore, et tout ce qu’elle rêve
De tendre et de charmant, de sublime et de pur :
L’amour qui l’ennoblit, la foi qui la soulève
Jusqu’aux derniers confins de l’éternel azur…

Ta poésie exprime en entier l’âme humaine,
Car, pareille au concert des champs, des monts, des bois
Et de la haute mer quand le vent la déchaîne,
Ta grande poésie est un orgue aux cent voix…

Merveille harmonieuse au prestige magique,
Éclatante et suave, et prêtant tour à tour
Sa large mélopée à la strophe biblique,
Et sa molle cadence à la chanson d’amour !…


II.

 
Oh ! quand tu révélais ton cœur et son mystère
De tendre rêverie et d’inspiration,
Quels ravissants accords, inconnus à la terre,
S’envolaient en essaims bercés dans un rayon !…


Quels frissons caressants de brise Élyséenne,
Quels doux soupirs éclos d’un souffle printanier,
Quels sons délicieux de harpe Éolienne,
Palpitaient ou pleuraient sur le divin clavier !…

Mais aussi, quels torrents de puissante harmonie
Sortaient du magnifique et sonore instrument,
Quand le souffle d’en haut, cette âme du génie.
Avec l’éclair, sur lui, tombait du firmament !…

Oh ! comme alors les cœurs reconnaissaient la lyre
Digne de prendre place aux célestes concerts,
La lyre aux cordes d’or qui mollement soupire
Ou résonne à l’égal du grand vent des déserts !…

Chantre mélodieux à la voix inspirée,
Comme, — de l’art éteint rallumant le flambeau, —
Tu faisais boire alors à la foule enivrée
Le pur nectar des vers dans la coupe du beau !…


III.

 
Ta poésie est tout : — charme, extase, lumière…
L’éclat vermeil de l’aube et le rayon du soir ;
Sur des lèvres d’enfant, la fleur de la prière,
Le nuage flottant sur l’or de l’encensoir…

C’est le printemps d’amour qui s’éveille dans l’âme
Avec tout son azur, tous ses reflets dorés ;
La douceur des aveux, et la première flamme
Brûlant l’encens du cœur à des pieds adorés


Ce sont les mille accords touchants, mélancoliques,
À toute heure émanés de la création,
Et qui, se transformant en hymnes séraphiques,
Tressaillent sur la lyre en vive effusion !…

C’est le doux rossignol, dans l’ombre solitaire,
Jetant ses longs sanglots au bocage enchanté,
Tandis que, fleur des nuits, lys du divin parterre,
La lune épanouit son calice argenté.

C’est le frêle ruisseau promenant son murmure,
Sa plainte musicale exhalée en passant ;
C’est la brise qui court à travers la ramure
Et chante avec la feuille un duo ravissant…

C’est la secrète voix qui sort des solitudes
Et plaît par son mystère au cœur endolori ;
Douce voix qui fait trêve à ses inquiétudes
En le berçant d’espoir, de songes et d’oubli !…

C’est le cygne planant aux cieux ; c’est la colombe
Volant vers le ramier que l’amour fait gémir ;
C’est la cloche du soir dont la voix monte et tombe,
Et qui semble pleurer le jour qui va mourir…

C’est le sublime essor de l’aigle dans l’espace,
Nageant vers le soleil sur des vagues de feu ;
L’éclat majestueux de la foudre qui passe
Sur l’univers, ainsi que le Verbe de Dieu !…


Poésie admirable, émue, enchanteresse,
Superbe de lyrisme et de charme vainqueur,
Le Maître a fait de toi — la voix de la tendresse,
L’hymne de l’idéal, le cantique du cœur !…


IV.

 
Muse ! au frais laurier vert, aux grâces éternelles,
Tu resteras l’objet d’un culte sans retour,
Car tu n’as abrité sous l’ombre de tes ailes
Que la chaste prière et l’immortel amour…

Au bruit du rythme d’or de la harpe des anges,
Au son du luth d’ivoire, à Pétrarque emprunté,
Tes lèvres n’ont chanté que les saintes louanges,
Ton cœur n’a soupiré que l’hymne à la beauté !…

Ah ! tant que notre langue, exerçant son domaine
Et mêlant, pour charmer, et sa sève et son miel,
S’entendra résonner dans une bouche humaine,
Tes chants seront redits comme un écho du ciel…

Et tes vers, tout brûlants de flammes poétiques,
Sur les autels du beau, seront comme ce feu
Qui touchait autrefois les lèvres prophétiques
Prêtes à prononcer les oracles de Dieu !



  1. Les Méditations.
  2. Les Harmonies.
  3. La Mort de Socrate.
  4. Le Dernier chant du Pèlerinage d’Harold.
  5. Jocelyn. T. XVI.