I
Je suis, je suis la folle brise,
Le soupir de l’aube ou du soir ;
Frôle éther que chaque herbe brise,
Vapeur du divin encensoir…
Je suis, je suis la brise errante,
Souffle formé d’ambre et de miel,
Et qui prend son âme odorante
Aux roses des jardins du ciel !…
Vent d’azur à l’aile irisée,
Haleine du printemps en fleurs,
Je me baigne dans la rosée,
De l’aurore je bois les pleurs…
Je suis le suave murmure
De toute la création,
Lorsqu’à l’horizon qui s’épure,
Sourit un matinal rayon.
Je suis la rumeur faible et vague
Qui s’exhale du flot vermeil
À l’heure où le sein de la vague
Palpite aux baisers du soleil.
Je courtise la fraîche Ondine
Dans son alcôve de roseaux,
Et je mêle ma voix badine
Aux molles chansons des ruisseaux.
II
Je suis l’amante des pelouses
Que mai sème de pourpre et d’or ;
Je fais, sous mes lèvres jalouses,
Éclore leur riant trésor…
Les lys d’argent, les violettes,
Se pâment à mon pur baiser,
Et laissent, de leurs cassolettes,
Les parfums, pour moi, s’épuiser.
Je m’insinue au cœur des roses,
Je vais caresser leurs atours,
Et, dans leurs corolles mi-closes,
Des sylphes bercer les amours…
Les papillons, les demoiselles,
Fleurs des airs, dorment sur mon sein ;
Le fluide azur de mes ailes
Leur forme un vaporeux coussin.
III
Je suis la fraîcheur et la grâce
Des bois au feuillage onduleux ;
Un frisson de volupté passe
Avec mon vol sur les flots bleus….
L’essaim des molles rêveries
Et des beaux songes printaniers
S’attache à mes traces fleuries
Sous l’aubépine des sentiers.
Le soir, quand revient, pâle et douce,
L’heure des larcins amoureux,
J’effleure et parfume la mousse
Que foulent les couples heureux…
Je me glisse sous les charmilles,
Attentive aux aveux charmants
Qui, des lèvres des jeunes filles,
Tombent dans le cœur des amants…
Lasse du jour, la moissonneuse
Me cherche et sous l’ombre me suit,
Tandis que la jeune baigneuse
S’effarouche à mon léger bruit.
J’endors la blanche tourterelle
Sur l’ormeau que berce mon vol,
Et je porte à l’écho fidèle
Les doux sanglots du rossignol.
IV
J’enchante la mélancolie
Par mes accents mystérieux,
Quand, sur les harpes d’Éolie,
Erre mon souffle harmonieux…
Délices du cœur qui soupire,
Je sais, pour charmer la douleur,
Faire vibrer comme une lyre
Les rameaux du saule pleureur,
Au feuillage du térébinthe
Je prête de touchants accords ;
J’inspire une éternelle plainte
Au cyprès penché sur les morts….
Dans ses noirs barreaux quand je passe,
Le prisonnier est consolé,
Et je vole, à travers l’espace,
Sécher les pleurs de l’exilé.
Errante parmi les ruines,
Au sein des vieux cloîtres déserts,
Je trouve des notes divines,
Écho de leurs sacrés concerts.
J’emporte, agile messagère,
Dans mon essor capricieux,
Fanfares de chasse ou de guerre,
Tendres appels, refrains joyeux…
V
Chère aux fleurs et chère aux poètes,
Chère aux plaisirs, chère aux amours,
Je fais, à la nature en fêtes
Respirer l’âme des beaux jours.
Je suis l’enivrement, la joie,
Le trésor ailé du printemps,
L’océan d’arome où se noie
Le sylphe aux longs cheveux flottants…
Je suis, je suis la folle brise,
Le soupir de l’aube ou du soir,
Frêle éther que chaque herbe brise,
Parfum du céleste encensoir !
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