Lady Fauvette/Lady Fauvette/3

G. Charpentier et Cie, éditeurs (p. 20-26).

III

Le lendemain, le soleil se leva de bonne heure. C’était un pâle soleil d’hiver, tout frileux ; cependant il secoua son manteau de neige et regarda gaiement avec un aimable sourire plein de condescendance cette grande ville en fête qui s’éveillait… Il daigna réchauffer un peu les vieux arbres de Green-Park, qui se dressaient comme autant de squelettes en rang de bataille le long des allées… Il passa dans Honover-Square et jeta un rayon aux primevères à peine fleuries… Il se glissa furtivement, à petits pas, dans le jardin de l’hôtel Beaumont, se promena tout autour des parterres et alla réveiller une petite rose du Bengale oubliée depuis bien longtemps dans la neige.

— 25 décembre, Noël ! lui dit-il tout bas…

Puis il s’enfuit et on ne le vit plus de la journée. Au même moment, le génie de Noël passé céda gracieusement la place au génie de Noël présent. Un petit génie encore tout novice, qui traînait des brassées de houx vert derrière lui et saluait d’un air gauche en criant :

— Noël ! Noël !

Il entra dans la chambre d’Alice, jeta une grosse bûche dans le foyer, qui se mit à flamber d’un air tout à fait réjouissant, et disparut comme une ombre sans qu’on pût savoir s’il était remonté par la cheminée, s’il était parti tout simplement par la porte, ou s’il s’était envolé par la fenêtre…

Noël !

— La bûche de Noël étincelait toute rouge dans le foyer…

— Noël ? Mon Dieu ! oui, c’est Noël, aujourd’hui.

Alice sauta à bas de son lit, ouvrit sa fenêtre qui donnait sur les jardins et s’écria gaiement, en battant des mains :

— Vive Noël ! Quel beau temps, il gèle… hurrah ! je sors en traîneau.

Elle referma la fenêtre, avec un petit frisson qui prouvait que, si le temps était beau, il était froid aussi, et qu’il gelait ferme. Puis elle sonna sa femme de chambre, et aussitôt que celle-ci parut :

— Mary ! qu’on attelle Brillant et Norah au traîneau ; je sors.

— Mademoiselle…, si tôt ! un pareil jour !

— Oui, oui, je sors ! allez.

— Mais ! que dira miss Dosia ?…

Alice eut un mouvement d’indécision ; elle haussa imperceptiblement les épaules de ce petit air mutin et boudeur particulier aux enfants révoltés…

— Bah ! tant pis, murmura-t-elle, où est miss Crach ?

— À l’église.

— Encore !

— C’est aujourd’hui Noël, miss Alice, dit la servante d’un air digne.

— Eh oui, je sais… Enfin, je sors, continua la jeune fille en fronçant ses sourcils bruns ; dites à William qu’il attelle.

— Oui, miss.

La porte se referma sur Mary, tandis qu’Alice murmurait, de son ton bref, absolu :

— Elle dira tout ce qu’elle voudra ; il fait beau, il fait froid, je sors.

Elle s’habilla en hâte et arriva dans la cour au moment où on attachait les derniers grelots des poneys ; puis elle sauta gaiement dans le traîneau, qui partit comme une flèche.

— Hue ! Norah, hop, hop !…

Le fringant attelage glissait dans la neige ; les poneys secouaient leurs grelots et Alice riait follement :

— Comme c’est gai, disait-elle, comme c’est bon ! En avant ! mes chéris…

Et les chevaux s’envolaient, rasant la neige, franchissant les obstacles, la tête haute, humant avec bonheur cet air frais et pur, frappant de leurs sabots les chemins tout brillants de verglas…

— Plus vite ! plus vite ! criait la jeune fille.

Il faisait très froid, un vrai froid de Noël ; un froid sec et gris, avec un petit brouillard insaisissable, glacial, qui enveloppait les objets d’un voile opaque.

Le traîneau courait toujours plus vite, plus vite ; on eût dit une course fantastique, quelque chose d’échevelé et de fou, le char d’une fée qui s’envolait !

Les harnais rouges, les chevaux blancs, les longs cheveux blonds d’Alice formaient un ensemble vague perdu dans le brouillard…

À onze heures, le traîneau traversait Pall-Mall, et les passants s’extasiaient sur la beauté des chevaux.

— C’est charmant comme attelage, disait-on.

— La jeune fille est bien jolie ! Comment sort-elle ainsi toute seule un jour de Noël ?

— Oh ! elle est très excentrique et vise à l’original…

— La connaissez-vous ?

— C’est miss Beaumont, la fille du banquier.

— Cela est très riche ?

— Comme Baring.

— Alors elle a le droit d’être excentrique.

Miss Alice Beaumont rentra chez elle gaie comme un pinson ; elle alla droit au cabinet de son père et s’arrêta sur le seuil…

— Ma chérie, laissez-nous, dit le banquier.

— Hein ! s’écria-t-elle, en ouvrant de grands yeux.

— Ces messieurs sont venus pour affaires, Alice, et, du doigt, Beaumont montrait deux gentlemen à l’air grave assis de chaque côté de la cheminée.

— Encore affaires ! murmura la jeune fille en refermant la porte. Quel air étrange ils avaient, ces deux hommes !…

Et elle remonta lentement à sa chambre.