Lady Fauvette/Histoire d’un ménage/5

G. Charpentier et Cie, éditeurs (p. 258-261).

V

LE PETIT BONNET ROSE DU PROFESSEUR

Cher petit professeur, comme on allait l’aimer !

Et Monsieur sentait de grosses larmes lui rouler le long des joues, tandis qu’il tenait gauchement entre ses bras, cet espoir de grand homme.

Alors, ce serait un savant, cela ?

— Oui, Madame l’avait dit : il serait professeur, un docte et grave professeur… Professeur, comme Fénelon, comme Leibniz, comme Condorcet ! Il aurait toutes les vertus requises, Madame l’avait dit bien longtemps avant qu’il fût là. Il serait sérieux, réfléchi et savant !

Elle avait des idées très démocratiques.

Au reste, les professeurs arrivaient à tout ; la science était appréciée enfin ! — Avocat comme son père ? Jamais !… Un métier tuant, abominable, qui ne vous laisse pas un instant de repos, qui ne vous donne sûrement que des ennemis. Il fallait qu’un homme, quelque fortune qu’il eût, se créât une occupation… Eh bien ! professeur. C’était là un état d’importance, une sorte de sacerdoce, quelque chose de respectable et de saint comme la prêtrise ou le doctorat, avec moins d’abnégation, moins de danger cependant, et plus de gloire.

Oh ! se dire que c’est à soi cette ébauche d’être, ce petit rien du tout vagissant et rougeaud qui se trémousse, qui donne des bras et des jambes pour bien prouver qu’il est viable… Penser que c’est votre enfant à vous, votre fils !

Il semblait à Monsieur qu’une folie douce lui envahît le cerveau, il sentait tout son corps s’affaisser, toute son énergie qui s’abandonnait dans un délire attendri, une émotion exquise et troublante.

Alors, il pensa au petit bonnet rose auquel Madame travaillait depuis des mois… Le moment était venu, tout de même !

Si souvent, ils l’avaient essayé sur le poing, ce bonnet, simulant de leurs doigts serrés, les mouvements engourdis de la toute petite enfance ! Si souvent, ils s’étaient écriés :

— Hein, si on l’avait là pour un instant, cette tête, qu’on puisse prendre la mesure bien exactement !

Elle était là. On allait mesurer… et son premier bonnet devait être ce bonnet-là. Monsieur attachait à cela je ne sais quel naïf prestige.

Il rendit le professeur à la tante Berthe, très affairée et pleine de sollicitude, qui craignait beaucoup qu’on ne lui cassât son neveu et ne le lui avait accordé, d’ailleurs, que pour un moment.

Il entra dans le salon de Madame et il se mit à chercher le petit bonnet rose. Il ouvrit les chiffonnières, les boîtes à ouvrage, plongea tout au fond des grandes corbeilles… vainement.

Enfin, dans le demi-jour, sous la clarté blanche de ce matin de mars neigeux et triste, il découvrit quelque chose de rose, de bizarre et d’inachevé coiffant un grotesque magot japonais qui grimaçait sur une étagère, entre un fouillis d’objets exotiques horribles.

Pauvre petit bonnet rose, étais-tu bien fait pour cela ?

Il sembla à Monsieur que toute cette neige qui tourbillonnait au dehors, légère, floconnante et glacée lui tombait sur le cœur.

« Oh ! son premier bonnet ! »

Et lorsque la tante Berthe, à qui il présentait ce travail informe — d’où pendait encore une aiguille d’ivoire et qui, pour tout dire, ne ressemblait à rien, pas plus à un bonnet qu’à autre chose — lorsque la tante Berthe assura qu’on ne peut pas couvrir de laine la tête des nouveau-nés, debout devant la layette luxueuse, couverte de dentelles, avec des faveurs tendres, des flots de rubans partout, devant cet étalage de joli linge ouvragé et coquet, venu de chez la faiseuse à la mode, il eut un regret véritable de ce que Madame eût ainsi profané le premier bonnet du professeur.