Labyrinthe (Victor de Laprade)

Les Voix du silenceE. Dentu (p. 109-125).


III

Labyrinthe


 
Ici, dans la forêt, se croisent en tous sens,
De longs sentiers tendus comme un piége aux passants.
Nul indice amical du danger ne vous sauve,
Pris entre ces réseaux, comme une bête fauve,
Le triste chevalier s’est signé par trois fois :
Voici quatre chemins qui se coupent en croix.
Lequel aboutira jusqu’à la Tour d’Ivoire
Où dans le Saint-Graal il espérait de boire ?
Nul signe qui l’annonce à l’œil le plus subtil ;

Rien ne diffère entre eux… pas même le péril :
Tous sont également bordés de précipices’,
Peuplés d’illusions et de fleurs tentatrices ;
Partout, de sombres voix, des cris désespérés
Promettent au vaillant les combats désirés ;
Partout l’or des fruits mûrs et le parfum des ruches,
Partout les oasis lui dressent leurs embûches.

Le prudent voyageur, qu’il s’est perdu de fois,
Qu’il a pris et quitté de chemins dans les bois !
Seul, à bout de calculs, errant à l’aventure,
Il n’a plus qu’à lâcher la bride à sa monture ;
Lorsqu’il entend, là-bas, poindre un bruit de chanson.
Une voix s’approchait en longeant le buisson ;
L’accent était si doux qu’il vous saisissait l’âme,
Et le soupçon fuyait la chanteuse… ange ou femme.
« Jamais, se dit le preux, sorcières ni lutins
N’ont eu ce timbre pur et ces sons argentins. »


Il est une source au village,
            Clair miroir,
Où le cœur, comme le visage,
            Peut se voir.

Mais qui veut interroger l’onde,
            Doit, tout bas,
Lui dire un mot que tout le monde
            Ne sait pas.

Moi je le sais ! et quand m’invite
            Un amant,
Le bleu miroir m’apprend, bien vite,
            S’il me ment.

Au premier qui dans la fontaine
            S’est miré,
J’ai pris l’amour pour de la haine,
            J’ai pleuré !


Un autre est venu, l’œil humide,
            Plein d’ennui,
Il semblait si doux, si timide…
            Moi j’ai fui !

Un autre m’aimait à la rage ;
            Front maigri,
C’était un volcan, un orage…
            Moi j’ai ri !


Et Cœlia parut à l’ombre de la haie.

— « C’est vous, la belle enfant, comme vous êtes gaie ! »

— « C’est vous, beau chevalier, comme vous êtes noir !
Si loin de votre but où courez-vous ce soir ! »

— « J’ai perdu mon chemin et presque mon courage.
Mais vous, seule, et si tard, et si loin du village ! »


 — « Moi, je n’ai rien perdu, messire chevalier ;
Je suis dans mon chemin ; ce bois m’est familier ;
J’en appris les secrets de mon parrain l’ermite,
Saint homme à qui tantôt j’allais rendre visite. »

— « Or si l’on rencontrait, seule à courir les bois,
Au lieu de son féal un rôdeur discourtois,
Un nécroman ? »

                           — « Je sais que votre bonne lance
A purgé la forêt de cette mal-engeance.
Or, peut-être la lance a besoin du fuseau
Pour débrouiller ce soir un perfide écheveau ;
Et je puis, vers le but qui fuit à votre approche,
Guider l’homme sans peur, moi fille sans reproche. »

— « Partons, et le sentier fût-il sombre et mauvais,
Si vous me conduisez, c’est au ciel que je vais.

Mais nous serions honnis, moi, Bayard, et ma lame,
Si j’osais chevaucher ainsi près d’une dame,
Quand ses beaux petits pieds à tenir dans la main
Se meurtriraient pour nous aux cailloux du chemin.
Montez, voici mon bras et voici votre place :
Vous serez pour Bayard un fardeau qui délasse. »

Ainsi fut fait ; la belle, alerte et sans effroi,
Saute en croupe et s’assied sur le bon palefroi ;
Et, sous ce poids léger, la bête au cou de cygne
Se cabre allègrement et part au premier signe.

Or, pour se maintenir, l’enfant au cavalier
Comme une vigne à l’orme avait dû se lier,
Et d’un bras arrondi contre la noire armure
L’enlacer fortement d’une étroite ceinture.
C’était, sans la chercher, sur la place du cœur
Qu’elle appuyait ainsi sa douce main de sœur.

Les gantelets pendaient à l’arçon de la selle.
Le preux mit une main sur la main de la belle,
L’osa saisir, enfin la pressa longuement ;
Et la main restait là, comme un consentement.

Tremblants tous deux de faire envoler cette étreinte
Ils se taisaient ; le charme était mêlé de crainte :
Mais le cœur le plus pur ne pouvait s’y tromper,
Au dangereux silence il fallait échapper.

— « Chevalier, dit l’enfant, je crois que je sommeille !
Voici dans l’air un bruit qui passe et qui m’éveille ;
Il se répète encor ; je ne l’ai pas rêvé :
C’est un clocher lointain qui nous sonne l'Ave !
S’il vous plaisait prier avec moi, tout à l’heure ?
Quand elle est faite à deux la prière est meilleure. »

— « J’ai même foi que vous, j’ai même espoir, prions !
Récitez les versets, je dirai les répons. »


Le chemin était long et le bois solitaire :
La dame proposa de doubler le rosaire ;
Et l’Ave Maria recommençait toujours,
Comme pour les sauver des périlleux discours ;
Et, dans la blanche main, qui conservait sa place,
Le chapelet de buis roulait sur la cuirasse.
Émus tous deux, mais fiers, retenant leur aveu,
Ils allaient sans rien dire, ou se parlaient en Dieu.

Ce doux trajet, mêlé d’amour et de prières,
Serpenta longuement des taillis aux clairières,
Puis un chemin s’offrit plus, droit et plus ouvert,
Au bout de ces sentiers perdus dans le désert.

— « Vous pouvez, de ce pas, aller seul et sans crainte,
Chevalier, vous voilà tiré du labyrinthe. »


— « Sitôt ! je l’aurais cru plus long et moins charmant. »

— « Adieu ! la nuit menace, et, sans perdre un moment,
Vers ce rocher, là-haut où la neige miroite,
Dirigez-vous, suivant toujours la ligne droite.
Adieu ! »

                     La voix tremblante et le cœur tout en feu,
Sans trouver d’autre mot, il répétait : « Adieu ! »
Gardant sa main. L’enfant d’un saut, preste et légère,
S’arrache et disparaît dans la haute fougère.

Il partit, absorbé, sans penser et sans voir.
La nuit n’effaçait point l’éclair de ce beau soir ;
D’une ardente lumière il avait l’âme pleine
Et, toujours, de ce bras sentait la douce chaîne.
Qu’il regretta longtemps ces sentiers hasardeux
Qu’on fait d’un pas si sûr quand on y marche à deux !

Et, pour ce cœur jadis épris de solitude,
Dans ce vide éternel que le voyage est rude !

Tout à son cher ennui, des vallons aux sommets
Il marchait sans compter, ni s’arrêter jamais ;
Et la lune, déjà, s’éteignait dans l’aurore
Qu’il rêvait de sa dame et cheminait encore.
Mais de son bon cheval il eut enfin pitié.
Son palefroi, c’était sa plus vieille amitié !
Il saute, et, le flattant, du harnais le dégage.
Un ruisseau leur offrait la verdure et l’ombrage ;
Et, tandis que Bayard tondait l’épais gazon,
Assis, les yeux perdus dans le vague horizon,
Sans quitter le haubert, la cuirasse et l’écharpe,
Le chevalier chanteur se souvint de sa harpe.
Toutes les fleurs s’ouvraient dans les prés d’alentour ;
Tous les nids s’éveillaient et saluaient le jour.



CHANSON DU CHEVALIER.


J’ai tenu sa main dans la mienne,
J’ai tenu sa main sur mon cœur ;
Croyez-vous qu’elle s’en souvienne ?
Était-ce hasard ou faveur ?
Je ne sais ! Mais j’ai la folie
De m’en faire un gage d’espoir…
Qu’elle m’aime ou qu’elle m’oublie,
J’ai tenu sa main tout un soir.

Quand je l’ai doucement pressée,
La blanche main n’a pas frémi ;
Pourtant elle me l’a laissée…
Faut-il croire qu’elle a dormi ?

Si ce fut malice ou mensonge,
L’avenir me le fera voir.
Mais non, ce n’était point un songe…
J’ai tenu sa main tout un soir.

J’ai senti sur cette main fraîche
S’étendre une molle tiédeur ;
Du velours ambré de la pêche
Ma main garde la fine odeur.
Quelle ironie, ou quelle ivresse,
Perçait dans ce doux nonchaloir ?
Je l’ai pris pour une caresse…
J’ai tenu sa main tout un soir.

Voudra-t-elle, un jour, me la rendre,
En me disant : C’est pour jamais !
Est-ce humeur légère, ou cœur tendre ?
A-t-elle vu que je l’aimais ?

Son front est pur, son âme est belle :
Non, je n’ai pu me décevoir !
Mais, dusse-je en mourir loin d’elle,
J’ai tenu sa main tout un soir.


CHANSON DES LUTINS.


Faveur rare et qui t’émerveille !
Toucher sa main du bout des doigts,
En se disant qu’elle sommeille.
Un mendiant au coin du bois
Obtient félicité pareille :
Toucher sa main du bout des doigts !

Heureux amant trop téméraire !
Du merle entends-tu le sifflet ?

Sous l’ombrage, oh ! que viens-tu faire ?
C’est pour y dire un chapelet
Que la pelouse est solitaire…
Du merle entends-tu le sifflet ?

La douce brise est éveillée :
C’est pour répondre à l’oraison.
La rose est de neuf habillée ;
Le cerf brame sur le gazon ;
L’oiseau chante sous la feuillée :
C’est pour répondre à l’oraison.

Oh ! perle de galanterie !
Chevalier, tu sais ton devoir :
Quand l’occasion est fleurie,
La mousse épaisse et le bois noir,
Attends que la dame t’en prie…
Chevalier, tu sais ton, devoir.


Elle en rit ; peut-être elle en pleure…
Mais le démon n’y perdra rien.
La belle aura chance meilleure,
Un ami moins aérien.
Tu n’as pas profité de l’heure ;
Mais le démon n’y perdra rien.


CHANSON DES SYLPHES.


Un sourire, un doux geste, ô faveurs printanières,
            Un regard !
Rien n’efface du cœur ces extases premières,
            Rien, plus tard.

L’été donne, à foison, rose et fraise vermeille,
            Lis divins ;

L’automne a répandu son urne et sa corbeille ;
            Fruits et vins ;

On remplit chaque jour les celliers et les verres,
            Sans péril ;
On vous regrette encor, craintives primevères,
            Fleurs d’avril !

Puis, quand la coupe est vide et la rose pâlie,
            Le ciel noir,
On se rappelle encor, si le reste s’oublie,
            Ce beau soir

Où l’on tenait sa main, où l’on voyait sourire
            Ses yeux bleus,
Où la timide enfant vous livra, sans rien dire,
            Ses aveux.


Fais de ces bonheurs, purs de remords et d’alarmes,
            Ton trésor :
C’est le joyau sacré qui, dans le temps des larmes,
            Brille encor.