Albin Michel (p. 159-171).

CHAPITRE VII

Pour et contre la Justice


La scène se passait dans les bureaux de l’Aurore, rédacteur en chef Clemenceau, directeur administrateur Vaughan, transfuge de l’Intransigeant, à la veille de la formidable bombe que devait être un article de Zola consacré à l’affaire Dreyfus.

Dans trois articles consécutifs du Figaro, Zola avait déjà proclamé, à l’automne de 1897, l’innocence du capitaine, condamné à la déportation pour trahison, dégradé et transféré à l’île du Diable. Mais la clientèle, conservatrice et timorée, du Figaro ne convenait point pour une campagne d’une actualité si brûlante et comportant de pareils risques. Clemenceau ne disposait pas d’un assez vaste public, c’est pourquoi il avait passé la plume à Zola, en ce mois de janvier 1898, où régnait au dehors un froid de canard. Se trouvaient réunis autour de Zola, pour écouter son papier, outre Georges Clemenceau et l’auteur de l’assommoir, Scheurer-Kestner, Arthur Ranc, Bernard Lazare, Octave Mirbeau, Gustave Geffroy, et Albert Clemenceau. Il régnait, dans la pièce, une atmosphère de bataille et de cordialité. Chacun avait la sensation d’un événement d’importance et qui aurait des suites. Le monde juif, assurait Bernard Lazare, expert en la question, était en pleine effervescence, résolu à mettre toutes ses forces sociales, économiques et financières, à la disposition d’une cause sacrée.

C’était lui-même, ce Lazare, un robuste garçon, à la tête ronde, au visage barbu, aux yeux vifs et que le sort de sa race, dont il reconnaissait les défauts, passionnait. Il avait chapitré le rédacteur en chef de l’Aurore, qui avait pris connaissance de ses premières brochures sur l’affaire. Scheurer-Kestner et Ranc avaient joint leurs instances aux siennes et Clemenceau, qui avait d’abord admis la culpabilité de Dreyfus et demandé, pour lui, la peine de mort, était maintenant convaincu qu’il avait été condamné sur des pièces ultra-secrètes, qui avaient fait « huis clos dans le huis clos ». Or, cela était illégal. C’était le premier pas vers la thèse de l’innocence, où Zola s’était engagé de confiance, affirmant l’infamie des officiers d’État-Major mêlés au drame, notamment du lieutenant-colonel du Paty de Clam, le prétendu tortionnaire du condamné.

L’article véhément de Zola, ni trop court, ni trop long, éloquent, pas trop surchargé de noms propres et adressé à Félix Faure, président de la République, fut unanimement approuvé. Ranc le déclara parfait et Scheurer-Kestner, très ému, « admirable ». Le procès en Cour d’Assises, vu qu’il s’agissait d’officiers en fonctions, semblait inévitable, ainsi que la condamnation consécutive. Mais grâce à ce procès, dont le retentissement serait considérable, des faits inconnus sortiraient, des témoignages d’importance seraient produits et le véritable traître, Esterhazy, que Scheurer-Kestner affirmait être l’auteur du bordereau, serait démasqué. Zola, sachant ce qu’il faisait, dominait ses nerfs et faisait preuve d’un grand calme. Il ne lui déplaisait pas de prendre, devant le grand public, la suite du Voltaire de l’affaire Calas. Il se tournait vers l’un, vers l’autre, répétant : « C’est une queftion de Vustice, hein, mon ami ? hein ? » Car il zézayait, et d’autant plus qu’il était ému. Il brûlait ses vaisseaux et, peu doué d’esprit critique, affirmait une chose dont il n’avait personnellement aucune autre preuve que les affirmations de Scheurer-Kestner, la certitude de Ranc, esprit judicieux mais sujet à erreur, et de Bernard Lazare, champion ethnique. il précédait hardiment Clemenceau, disant « injustice » où celui-ci se bornait, pour l’instant, à dire illégalité[1].

Eugène Carrière, qui avait fait l’affiche de l’Aurore — une femme, la tête levée, regardant le jour qui se lève — arriva en retard « spa essepa », mais on lui remit pour lecture l’article, qui reçut sa pleine approbation.

— À combien tirerez-vous, mon bon ami ? demanda Zola à Vaughan qui réfléchissait, le doigt sur son menton en casse-noix.

— Ma foi, à trois cent mille, sans hésiter.

— Bigre, pensez-vous les écouler ?

— J’en suis certain. Avec Rochefort, je ne me suis jamais trompé de plus de dix mille.

— Vous ferez distribuer par camelots ?

— Bien sûr.

Cette question de chiffre préoccupait toujours l’auteur des Rougon-Macquart.

Victime récente d’une calomnie atroce, Clemenceau voyait dans l’attaque de Zola une certaine revanche de son cas à lui et cela faisait passer au second plan la question de la Revanche tout court, pour laquelle on ne pourrait se passer des services de l’État-Major vilipendé par l’auteur de la Débâcle.

Son point d’appui moral était Scheurer-Kestner, dont il connaissait l’ardent patriotisme : « Il ne se jetterait pas dans une pareille histoire, si sa conviction de l’innocence n’était pas absolue. » N’importait-il pas, avant tout, de signaler les brebis galeuses d’un haut commandement sur qui pèserait, en cas de guerre, la plus lourde responsabilité.

— Qui est ce général Mercier ? demanda Rance… un réactionnaire sans doute.

— Hanotaux, qui l’a vu de près lors de l’arrestation, le dit froid et énigmatique, mais ayant le don d’exposer son sujet et convaincu de la culpabilité.

Ainsi parlait Bernard Lazare en se frottant les mains, car l’affaire, cette fois, était dans le sac et il n’avait mis que quelques mois pour arriver à ce résultat. Mais quelle ténacité il lui avait fallu ! Quant à Mirbeau, qui s’était contenu jusque-là, il explosa :

« Ce Mercier est sûrement un nationaliste, donc un assassin. Tous les nationalistes sont des assassins. C’est bien connu. »

Clemenceau sourit avec indulgence. La nature de Mirbeau, son goût de la bataille lui plaisaient. Il venait quotidiennement à l’Aurore et remplissait les bureaux de ses imprécations. Il se tourna brusquement vers Zola avec un besoin de franchise extraordinaire : « Mon cher Zola, je dois vous avouer que je n’avais pas jusqu’ici une grande admiration pour votre œuvre. Mais, après ce que vous venez de faire, à vos risques et périls, je suis votre homme ; vous m’entendez, et, quoi qu’il arrive, Je vous suivrai jusqu’au bout, » Et il l’embrassa avec fougue, cependant que le père des Rougon écartait modestement les bras :

— C’est une force extérieure à moi qui m’a mis en mouvement, mon bon ami.

— Excusez-moi, dit Vaughan, si je vous demande le titre de votre papier.

Chacun se creusa la tête et proposa une formule, car l’auteur n’avait pas d’avis. Clemenceau, qui réfléchissait, proposa brusquement « J’accuse », qui était dans le contexte de l’article en question. Cet avis emporta tous les suffrages. Le mot serait historique, et il le fut en effet. Les camelots le criant à tue-tête, il emplit Paris de sa rumeur. Les gens s’arrêtaient dans la rue glacée pour lire ce cri en plusieurs paragraphes, dont le destinataire, Félix Faure, fut paraît-il très mécontent : « Cela me compromet… » Fort amoureux de la jolie Mme S…, qu’il faisait venir à l’Élysée, le grand dadais se fichait du reste.

Grâce à ses relations politiques, le rédacteur en chef de l’Aurore sut bientôt qu’après deux longues délibérations le Conseil des ministres avait décidé de poursuivre : L’effervescence des Parisiens, le tumulte de presse, les reproductions à l’étranger ne permettaient pas de garder le silence. Zola était le héros du jour. On voyait partout sa photographie. « Hein, mon ami, hein, est-ce croyable ? » Les gens se retournaient quand ils le croisaient dans la rue, reconnaissable sous son chapeau haut de forme, dans son paletot de montagnac. Beaucoup l’accusaient d’être vendu aux Juifs, ce qui était aussi ridicule que de prétendre que Clemenceau était vendu aux Anglais. Mais, depuis l’Assommoir et Nana, il avait l’habitude d’être engueulé et ces inventions ne le troublaient guère. Toutefois, n’étant pas éloquent, il redoutait l’épreuve des audiences de la Cour d’Assises et fut heureux d’avoir près de lui le tonitruant et sympathique Labori, secondé par le froid et précis Albert Clemenceau, « le gosse », comme l’appelait son frère.

Les conseils, comme les faux tuyaux, en vue de ce procès à tout casser, ne manquèrent ni à Zola, ni à Clemenceau. C’était à qui chapitrerait le premier, alors que le second, ayant l’habitude, envoyait alertement coucher tout le monde.

— Le président est mal disposé. Il a un frère jésuite.

— Le jury sera truqué. Méfiez-vous.

— Esterhazy est violent et exaspéré. Il serait très capable de vous tirer dessus.

Clemenceau n’était que témoin. Mais son témoignage était attendu avec curiosité. Comme le président lui parlait de la chose jugée, il montra le Crucifié pendu dans le prétoire : « La voilà bien la chose jugée ! » Le mot fit passer un frisson.

La sortie de Zola après l’audience donnait chaque jour lieu à des scènes tumultueuses, à des cris de « à bas, à mort », poussés par des patriotes exaspérés, à des bousculades dangereuses, que la police avait de la peine à refouler. Clemenceau, qui avait l’habitude des foules hostiles, ouvrait la marche ; puis venait Zola entouré de Mirbeau, de Fasquelle, du graveur Desmoulin et de quelques autres. L’auteur de J’accuse affrontait, avec un haussement d’épaules, cette colère populaire dont il ne comprenait pas la raison, n’ayant pour l’armée et ses chefs qu’une considération à peu près nulle et n’attachant aucune importance au mot de Patrie. Il avait été fort étonné de l’accueil hostile fait à la Débâcle. Mais le cas curieux était celui de Clemenceau, revanchard à tous crins, obsédé par les questions de Défense nationale et qui se trouvait, en raison de cette histoire, rejeté dans le clan des hommes indifférents ou hostiles aux idées qui lui étaient les plus chères, Cette contradiction était si bien dans sa nature qu’elle l’amena à traiter les généraux de « céphalopodes à plumets », à insulter grossièrement quelques-uns d’entre eux, à renier ainsi, en faveur d’un juif que la suite montra sans intérêt, la partie la plus solide de ses convictions. La collection de ses articles de l’Aurore, qu’il écrivait avec emportement, forma un ensemble de sept volumes dont les titres mêmes sont oubliés depuis longtemps.

L’audience la plus émouvante fut celle où l’avocat de l’Aurore, Albert Clemenceau, harcela de questions l’incontestable crapule qu’était Esterhazy. Celui-ci, pareil à un oiseau charognard, gardait le silence et cette attitude, à elle seule, eût dû ouvrir les yeux de ceux qui voulaient voir en lui un martyr des juifs. Chose remarquable et qu’a notée Bainville, il ne parut pas au procès de Rennes et ne fut pas confronté avec Dreyfus, alors que toutes les circonstances de la cause imposaient cette confrontation ; et Me Demange, avocat de Dreyfus, ne la réclama pas. Des deux côtés de la barre, on semblait la redouter.

Il paraît bien que la conviction de Clemenceau ait été affermie, pour ne pas dire consolidée, par celle du lieutenant-colonel Picquart, dont il devait faire, par la suite, un ministre de la Guerre, et auquel il portait une réelle affection. Picquart avait pour conseil un homme d’affaires assez obscur et tortueux, du nom de Leblois, lequel devait, par la suite, diriger contre Clemenceau une accusation infamante… « une de plus ». Cependant que l’épisode dit du « petit bleu » créait autour de Picquart lui-même une atmosphère de suspicion ténébreuse. Mais le rédacteur en chef de l’Aurore, son parti une fois pris, ne devait se laisser arrêter par aucune considération et il était dans son tempérament, s’il avait fait fausse route, de ne pas revenir en arrière. Il n’avait de goût, comme il l’a dit lui-même, que pour « les résolutions sans retour ».

C’est ainsi qu’il ne paraît pas que l’hypothèse de l’agent double qu’était vraisemblablement Dreyfus ait traversé son esprit. De toutes façons il ne s’y arrêta pas. Mais quand celui pour lequel il avait combattu fut, une fois gracié, en sa présence, il lui trouva « une sale gueule ».

Dreyfus étant venu lui rendre visite à l’Aurore, il lui fit dire qu’il n’y était pas. Picquart se comporta de la même façon. Avaient-ils l’un et l’autre appris quelque chose ?

L’Affaire rapprocha des hommes qui jusqu’à elle étaient séparés par leurs opinions, leurs convictions, leur passé, leur race. Elles en divisa d’autres qui jusqu’à elle étaient étroitement unis. Elle creusa entre les Français des villes un gouffre que seule la guerre devait combler. Par contre nos paysans ne s’en soucièrent pas et c’est sans doute la raison pour laquelle l’étrange querelle ne dégénéra pas en guerre civile, comme au temps des guerres de religion.

À la faveur de l’Affaire, Clemenceau et Jaurès, que tout opposait, firent la paix, une paix boiteuse. En effet, on lit dans les Œuvres complètes de Jean Jaurès (tome VII, page 64) :

Le 11 février 1909, alors que Clemenceau était président du Conseil, Jaurès disait à la Chambre :

« Il y a une revue anglaise, The Forinighily Review, que M. le président du Conseil connaît bien, où il a beaucoup d’amis ou en tout cas beaucoup d’admirateurs. Cette revue, l’autre jour, dans un article important, examinait les chances respectives de la France et de l’Allemagne dans un conflit éventuel, et disait : « l’Allemagne a 60 millions d’habitants, la France n’en a que 40… mais elle a M. Clemenceau ! »

« Et elle ajoutait : « Il sera dans un conflit possible un des plus grands ministres de la Guerre qu’ait vus l’Histoire. » ( Rires.)

« Je signale à son voisin de droite, M. le ministre de la Guerre, cette redoutable concurrence. » (Nouveaux rires.)

Ce jour-là les députés riaient. Aujourd’hui c’est l’Histoire qui rit…., après avoir pleuré perdant quatre ans.

À la sortie d’une des audiences du procès Zola, quelqu’un dit à Clemenceau, attaqué le matin dans La Libre Parole :

— Et alors, monsieur Clemenceau, on ne se bat plus ?

— Monsieur, repartit le rédacteur en chef de. l’Aurore, aujourd’hui on discute. Demain on se battra.

Ce duel avec Drumont, aux conditions sévères, fut, comme celui avec Déroulède, sans résultat. De tout temps Drumont avait détesté Clemenceau, en raison de son anticléricalisme, et la réciproque était vraie, Après l’apparition de la Fin d’un Monde de Drumont, où Clemenceau écopait d’une page d’invectives, Gustave Geffroy se trouvait, à Champrosay, chez Alphonse Daudet, assis à table, en face de l’auteur de la France juive.

— Bonjour, Geffroy, dit Drumont.

Puis, son vis-à-vis se taisant, il reprit :

— Geffroy, je vous dis bonjour.

— Et moi, repartit Geffroy, je ne vous dis pas bonjour, Drumont, après ce que vous avez écrit sur Clemenceau.

En sortant de table Drumont dit à quelqu’un, l’œil étincelant sous ses lunettes : « C’est très chic ce qu’il a fait là, Geffroy. » Car il aimait le courage, même chez ses adversaires.

Après Scheurer-Kestner, Ranc et Picquart, Mathieu Dreyfus, frère du condamné, avait fait une forte impression sur Clemenceau. Ayant au plus haut point l’esprit de famille, fidèle sans fêlure aux idées que lui avait inculquées son père, le polémiste de l’Aurore fut ému de voir un frère se jeter ainsi à l’eau — une eau saumâtre — pour sauver l’honneur de la tribu. On accusait les Juifs de ne voir avant tout que l’argent, de mettre la question pécuniaire avant tout, Il n’en était pas ainsi pour Mathieu Dreyfus qui, le plus simplement du monde, sacrifiait sa tranquillité, son commerce, sa fortune, pour arracher son cadet à l’île du Diable. Voilà ce qui touchait Clemenceau, ce qui mettait en mouvement son étonnante émotivité. Pendant trois ans cette émotivité fut, tout entière et à toute heure du jour, au service de cette idée : « Une injustice a été commise, il faut la réparer. Ceux qui s’y emploient sont de braves gens, Ceux qui s’y opposent sont des imbéciles ou des aveugles volontaires, c’est-à-dire des salauds, » Raisonnement sommaire et boiteux — car l’innocence de Dreyfus n’était nullement évidente, ni démontrée — mais dont il ne voulait pas sortir. Avant le tour d’esprit et le tour sensible synthétiques, il voyait, dans la condamnation de Dreyfus, un coup des Jésuites, et notamment du Père Dulac, l’ami de Drumont, une offense aux Droits de l’Homme et aux principes de la Grande Révolution. Ce thème rejoignait ainsi celui de Gambetta, qu’il avait tant attaqué et « le cléricalisme, voilà l’ennemi », du discours de Romans.

Quand il avait dit à son père, poursuivi par la réaction : « Je te vengerai », son père lui avait répondu : « Si tu veux me venger, travaille. » La campagne acharnée pour Dreyfus et contre « les jésuitières d’État-Major » faisait partie de ce travail. Il y pensait en se réveillant, vers les quatre heures du matin, en se mettant au labeur, en prenant à la hâte ses repas, en discutant le coup avec ses conjurés. Car il s’agissait bien là d’une véritable conjuration et c’était ce qui, dès le début, avait séduit Ranc, spécialiste en la matière. C’est un grand plaisir que l’union, à quelques-uns, d’efforts désintéressés pour une cause idéale à laquelle on peut faire d’importants sacrifices. Les premiers républicains sous l’Empire avaient connu ces joies secrètes et les avaient inculquées à leurs descendants. De ceux-ci Georges Clemenceau était le plus authentique représentant et qui avait conservé, aux battements de son « palpitant » le rythme jacobin.

La découverte du « faux » Henry au mois d’août 1898, découverte due au commandant Cuignet, l’adversaire de Picquart, plongea le clan de Dreyfus et Clemenceau dans une joie profonde, aussi profonde, quant à celui-ci, que l’étalage à la tribune par Millevoye des papiers Norton. Pendant quelques heures il exulta ; mais la défense bousculante et victorieuse que fit Maurras du malheureux colonel, dans la Gazette de France, le mit en colère admirative. Il déclara : « Le mieux est de ne pas engager de discussion avec M. Maurras », ce qui, pour une fois, était contraire à ses principes. Lors de la grâce de Dreyfus, après la seconde condamnation à Rennes, son irritation fut à son comble. Il eût voulu l’épreuve d’un troisième conseil de guerre, jugée dangereuse par Waldeck-Rousseau. La grâce en effet laissait le problème ouvert et béant devant l’opinion publique, et, par la suite, l’arrêt faussé et truqué de la Cour de Cassation aggrava encore cette impression.

En décembre 1899, Clemenceau quitta l’Aurore dans un accès de mauvaise humeur et, quelques mois après, fonda un hebdomadaire, le Bloc (souvenir de Thermidor) où il traita, avec une verve un peu lourde, des problèmes de grande actualité politique et littéraire. L’article polémique lui était devenu un besoin. Il y examina la question du Maroc, qui commençait à pointer. Néanmoins le Bloc ne prit pas dans le public, et, en mars 1902, cessa de paraître.

Une candidature sénatoriale lui ayant été offerte dans le Var, Clemenceau accepta et fut élu le 6 avril 1902. Après neuf ans d’interruption il rentrait dans la politique parlementaire, avec un discours à la tribune, le 30 octobre 1902 — c’était sous le ministère Combes — sur la fermeture des Écoles. Il y défendit la thèse de la liberté de l’enseignement. En 1903 il revenait à l’Aurore où il reprenait son article journalier.

Enfin, le 13 mars 1906, il arrivait pour la première fois au pouvoir, à l’âge de 66 ans, avec le portefeulle de l’intérieur, dans un cabinet Sarrien, où il avait comme collègues Bourgeois, Poincaré, Briand, Etienne, Thomson, Barthou et Doumergue.

  1. De même, par la suite, Clemenceau reprochait à Malvy d’avoir trahi les intérêts de la Pairie, alors que je lui reprochais carrément d’avoir trahi la Patrie, de connivence avec Almereyda.