La vie inconsciente et les mouvements/Chapitre III


CHAPITRE III


LE PROBLÈME DE LA PENSÉE SANS IMAGES
ET SANS MOTS

Si l’on écarte les spéculations intéressées de quelques métaphysiciens, le problème de la pensée sans images du point de vue strictement psychologique est très récent et a été traité par très peu d’auteurs entre lesquels le regretté Alfred Binet[1] est au premier rang.

Comme il est loin d’être bien éclairci, il nous a semblé utile de le reprendre, à notre tour, pour essayer d’en déterminer la valeur et les limites.

I

Quelques remarques préliminaires me paraissent indispensables.

Le terme pensée est de la langue courante et comme tel, vague. On ne l’a guère déterminé que d’une manière négative en disant qu’elle est la forme supérieure de la connaissance, de la vie intellectuelle ; celle qui apparaît la dernière au cours de l’évolution de l’individu et des espèces.

Le terme idéation n’est en usage que dans la langue scientifique de quelques psychologues. Moins vague, il a pourtant le défaut de ne paraître désigner que la formation des concepts, des notions générales et abstraites.

La pensée est la forme supérieure de la connaissance superposée aux perceptions sensorielles et à l’association spontanée des images ; mais, marquer sa place dans l’activité intellectuelle totale, n’est pas déterminer sa nature.

Pour éviter toute équivoque, il faut d’abord fixer le sens du mot pensée. C’est un terme général qui peut se résoudre en des termes plus concrets tels que juger, raisonner, combiner, calculer, etc.

Toutefois, cela ne nous instruit guère. Un procédé plus rigoureux, plus scientifique, c’est de la caractériser d’après son mécanisme propre et d’après ses résultats.

L’activité de la pensée, de la connaissance, me paraît réductible à deux opérations fondamentales : l’analyse, la synthèse. Elle dissocie, sépare ou elle associe, réunit.

1o La dissociation est provoquée par la nature même des choses et des événements. Dans notre expérience de tous les moments, une qualité quelconque (par exemple la blancheur) nous est donnée comme coexistante avec d’autres qualités très différentes et très variables. Par suite, il s’établit une disjonction, une séparation dont l’effet est de lui conférer une sorte d’existence quasi indépendante. C’est le début de l’abstraction. Nous n’avons point à retracer le développement ascendant de la faculté d’abstraire, allant des images génériques aux formes inférieures, puis moyennes, puis supérieures où il n’y a plus dans la conscience qu’un signe qui recouvre un savoir potentiel qui peut être ramené dans la conscience et dont il tire toute sa valeur. À chaque stade de cette évolution, la faculté d’abstraire affirme de plus en plus sa nature essentielle qui est d’être un instrument de simplification impossible sans elle[2].

2o L’activité synthétique consiste dans la perception ou la découverte des rapports : c’est là son œuvre principale. Cette notion, étudiée pendant longtemps par les logiciens seuls, n’a été traitée qu’assez récemment comme fait psychologique. James a grandement contribué à la mettre en relief. Le rapport est un état de conscience secondaire qui dépend entièrement de la coexistence de deux ou plusieurs états de conscience primaire. Il n’existe que par eux et disparaît sans eux. Il est surajouté par un acte de la pensée[3].

Dans cette forme de la connaissance, il n’y a pas seulement des données sensorielles ou leurs représentations, mais aussi quelque chose qui n’est qu’un aspect très fractionnaire, un abstrait qui sert à comparer ; il y a un tertium quid qui est la conscience d’un rapport. Objectivement, si l’on peut appliquer ce terme à un état de conscience de cette espèce, vide de tout contenu propre, le rapport semble avoir pour substratum des mouvements ou des représentations motrices.

J’ai soutenu ailleurs (ouvrage cité, chap. iv) cette opinion en m’appuyant surtout sur les données du langage. Plus récemment, Washburn a émis une opinion analogue ; il attribue au rapport une nature kinesthétique « qui le rend indécomposable et inanalysable ».

Quoi qu’il en soit, cette forme de l’activité intellectuelle est la seule qui synthétise et unifie dès qu’on s’élève au-dessus de l’association pure et simple.

La conscience ou appréhension des rapports a aussi ses degrés. L’enfant qui en regardant deux maisons découvre en sus qu’elles sont contiguës ou séparées dans l’espace, que l’une est plus grande et l’autre plus petite, pense des rapports. Dans les espèces animales, il y en a qui semblent capables de telles découvertes à en juger par leurs actes.

En suite de son développement intellectuel, l’homme s’élève par une marche ascendante à constater des rapports[4] qui s’éloignent de plus en plus des formes élémentaires de la connaissance, jusqu’à des hauteurs inaccessibles au plus grand nombre.

Ainsi apparaissent les rapports contingents (moraux, sociaux, esthétiques, etc.), les rapports fixes (logiques, mathématiques et autres propres aux sciences exactes). En résumé, les deux fonctions fondamentales, qui, selon nous, caractérisent la pensée en opposition aux autres formes de la connaissance sont : l’une préparatoire, l’abstraction ; l’autre, constructive, la synthèse par rapports : contraires l’une de l’autre, elles sont interdépendantes l’une de l’autre.

Cette activité analytique ou synthétique aboutit à un jugement. C’est l’expression naturelle et directe de toutes les formes de la pensée des simples aux plus complexes et aux mieux ordonnées. La théorie du jugement a été depuis quelque temps l’objet de publications importantes qui l’ont renouvelée. Rompant avec le formalisme de la logique traditionnelle quelques auteurs (Marbe, Höffding, Baldwin, Titchener, l’École de Wurzburg, etc.) ont étudié le jugement en psychologues, comme manifestation vivante, concrète, se préoccupant assez peu de ses modalités et catégories (affirmatifs, négatifs, analytiques, synthétiques, hypothétiques, disjonctifs, etc.).

Cette position nouvelle a désorienté les logiciens purs qui l’ont appelée le psychologisme et l’ont vivement critiquée. Ce débat n’importe pas ici. Marbe, dans son livre Experimentelle Untersuchungen über das Urteil (1901), est, à mon avis, l’auteur qui a déterminé de la façon la plus claire et la plus satisfaisante ce qu’est l’acte de juger dans sa nature essentielle, et je me rallie pour ma part à son explication : j’en présente le résumé.

« Ce qui fait le jugement, c’est le rapport de l’état mental avec son objet. Ce rapport doit être tel que l’état mental concorde complètement avec cet objet, et l’homme qui juge émet intentionnellement cette concordance. L’état, qui est un jugement, diffère de l’état qui ne l’est pas en ce que le premier est orienté vers une fin qui est la concordance avec l’objet auquel il se rapporte. Cette finalité est l’essentiel du jugement et elle n’a pas besoin d’être constatée pour exister : ce qui explique pourquoi l’observation subjective ne révèle pas ce qui transforme l’état de conscience simple en jugement : c’est que le jugement énonce un rapport entre l’état de conscience et son objet et, par suite, ce rapport ne peut être trouvé dans l’analyse psychologique de l’état de conscience[5].

Par suite de son développement naturel, l’activité pensante, le jugement, se différencie, se dégage peu à peu des présentations et des représentations qui l’enveloppaient comme dans une gangue pour devenir la forme supérieure de la connaissance.

En résumé, le jugement est une représentation modifiée par l’intervention d’un facteur personnel. Hormis les jugements fixés par l’habitude, stéréotypés, il exprime l’attitude actuelle de l’individu en face des objets et des événements. »

Quelques auteurs (Titchener, Kostyleff) ont reproché à ceux qui ont étudié la pensée, d’avoir omis, négligé ou à peu près, toute recherche sur ses bases physiologiques.

La tâche serait difficile et on peut se demander si l’anatomie et la physiologie, dans leur état actuel, pourraient fournir des indications de quelque valeur.

Arrêtons-nous quelques instants sur ce problème ; en ce qui concerne les sensations, la conservation et la reproduction des images, le progrès qui s’accentue à mesure qu’on s’élève des animaux simples jusqu’à l’homme adulte, dépend de conditions physiques déterminables.

On l’attribue généralement au développement du cerveau, non seulement comme masse, mais dans la variété et la richesse de ses agencements. On insiste sur la possibilité d’associations multiples, irradiant en tous sens, qui mettent en relation des régions du cerveau fort différentes les unes des autres dans leur nature et leurs fonctions, étrangères les unes aux autres. Conformément à cette doctrine, on doit être disposé à admettre que l’activité supérieure de l’intelligence suppose aussi des conditions supérieures : une coordination supplémentaire qui vient s’ajouter au cours de l’évolution. Car il convient de remarquer que les interprétations anatomiques et physiologiques sont le plus souvent guidées d’après un schéma psychologique et calquées sur lui bien plus que sur l’observation directe, immédiate, de la substance cérébrale qui, par la complexité de son organisation, reste parfois très embarrassante et très obscure.

Mais, cette explication même serait incomplète si on la limitait à une fonction d’unification supérieure, d’adaptations de plus en plus nombreuses, car la pensée n’a pas seulement une mission d’ordre, elle transforme, elle crée, elle élabore, et son activité dissocie autant qu’elle associe. Une de ses opérations essentielles est l’abstraction, et abstraire est séparer, diviser.

Sur les conditions physiologiques d’existence de la pensée, on pourrait aussi interroger la pathologie. Il ne manque pas de cas où le déficit partiel à divers degrés des formes supérieures de l’intelligence est manifeste : les idiots, les imbéciles, la démence sénile, la confusion mentale, les psychasthénies, etc., en sont des exemples très connus. Certes, les indications anatomiques ne manquent pas sur ce point, mais la détermination fonctionnelle est beaucoup plus vague et c’est elle qui importe pour la psychologie. Selon l’opinion de Ferrier, adoptée par beaucoup d’auteurs, la région frontale serait intellectuelle ; elle serait surtout sous forme d’inhibition la régulatrice de l’attention. Mais cette hypothèse, fut-elle établie solidement, serait encore une explication trop générale : car l’attention est une disposition, une attitude qui s’applique à toutes les formes de l’activité mentale.

La loi de dissolution, qui régit la biologie tout entière, fournirait — s’il en était besoin, — une nouvelle preuve de la position privilégiée de l’activité pensante, en dehors et au-dessus des autres formes de la connaissance. Comme elle apparaît la dernière dans l’évolution ascendante de l’individu, elle disparaît la première : c’est elle qui, tout d’abord, subit l’assaut destructeur de la décadence.

II

Après ce préambule un peu long, mais qui m’a paru nécessaire, nous abordons l’examen critique des faits présentés comme preuves de la pensée sans images.

Celui qui a soutenu le plus hardiment, et sans aucune restriction la thèse de la pensée pure, est Stout dans son Analytic Psychology. « Ce n’est pas une absurdité, dit-il, de supposer un mode de conscience représentative (presentational) qui n’est pas composé d’expériences visuelles, auditives, tactiles et autres, dérivées des sens spéciaux et leur ressemblant comme qualité à quelque degré ; et il n’est pas absurde de supposer que de tels modes de conscience possèdent une valeur représentative et une signification pour la pensée. » Cette affirmation purement théorique n’est pas appuyée par des faits d’observation psychologique.

Binet a traité notre sujet dans un chapitre de son livre Étude expérimentale de l’intelligence, et dans un article spécial (Revue Philosophique, 1903, I, p. 138.). Il appuie ses conclusions sur des observations faites par lui sur ses deux filles : elles consistent en ceci.

Il choisit un mot, le sujet doit dire ce que ce mot inducteur, entendu ou lu, évoque dans sa conscience : image, association ou idée.

Éliminant les réponses qui n’ont pas de rapport direct avec notre question, Binet distingue deux cas.

1o Ceux où il n’y a que des débris vagues d’images.

2o Ceux où il n’y a rien.

Remarquons d’abord que ces deux cas sont totalement différents. Dans l’un, l’imagerie est pauvre, mais elle existe ; dans l’autre, elle n’existe pas, elle est néant. Les deux cas diffèrent donc non en degré, mais en nature.

Les expériences de Binet relatives à notre sujet sont peu nombreuses et nullement concluantes.

Je prends comme exemple la plus claire.

Binet prononce le nom du voiturier de sa campagne, sa fille déclare n’avoir eu dans l’esprit rien que le mot. Notre auteur y voit un cas de pensée sans image ; moi, j’y vois simplement une absence de pensée.

Éclaircissons par une analyse : il n’y a que trois évocations possibles.

1o Représentation visuelle du voiturier et rien de plus.

2o Avec cette représentation ou sans elle, la vision d’une voiture, d’une route, d’un paysage, etc., c’est-à-dire, l’effet du mécanisme de l’association qui est un acheminement vers la pensée.

3o La représentation d’une excursion en voiture dans un lieu agréable ou quelque chose d’analogue. Ceci est la pensée, puisque le sujet dispose ses états de conscience suivant des rapports de causalité et de finalité : il y a un enchaînement de représentations modifiées par l’activité de l’individu, portant la marque de son adaptation actuelle et de son attitude momentanée.

Dans le cas de Binet, je ne découvre qu’une perception auditive, une absence de pensée, ce qui est très différent d’une pensée sans images.

On a cité les « attitudes » comme des cas de pensée sans images. Ach, dans son livre sur La Volition et la Pensée (1905), a compris sous ce titre un état général qu’il nomme la mise en garde : la surprise, l’hésitation, le doute, etc. Cette opinion ne me paraît guère acceptable.

Dans un travail antérieur, j’ai étudié assez longuement la nature des attitudes en vue d’établir qu’elles sont des manifestations non de la vie intellectuelle, non de la vie affective, mais de l’activité motrice. La mise en garde est une attention, une attente dirigée vers des événements ; l’hésitation est une fluctuation de mouvements, le doute une inhibition, la surprise une sorte de paralysie. Des éléments moteurs sont l’armature de ces états et de leurs analogues. Sans insister, il convient d’observer que chaque attitude a sa marque spécifique comme le prouvent les exemples ci-dessus. Mais prise en elle-même, elle n’est qu’une forme, une adaptation, non une pensée, un acte cognitif. Pour être autre chose qu’une pure abstraction, pour être douée d’une existence réelle, concrète, il faut qu’elle s’applique à des images claires ou à des représentations obscures, subconscientes, qui sont sa matière et dont elle est inséparable. Elle ne peut opérer à vide[6].

Ces états sont, non de la pensée pure, mais des modes de l’activité motrice.

Nous arrivons à des faits qui me paraissent d’une telle importance pour l’hypothèse de la pensée sans images que je m’étonne qu’aucun des psychologues qui la soutiennent ne s’en soit occupé. En effet, nul de ceux qui spécialement ou d’une façon épisodique ont étudié ce sujet ne mentionne — du moins à ma connaissance — un fait qui semble favorable à leur théorie : c’est la vision intellectuelle des mystiques. Elle mérite d’être examinée avec quelque soin.

On objectera peut-être que nous ne pouvons produire que des observations et non des expériences ; l’objection serait assez faible ; les expériences, surtout en une matière aussi délicate, ont le désavantage d’être un peu artificielles et souvent sans détermination précise des circonstances concomitantes.

Les observations, au contraire des expériences, sont dues à des auteurs très subtils et très habiles dans l’analyse psychologique. De plus, la concordance entre la grande majorité des descriptions mystiques, quant au fond, en dehors de quelques variantes, est un argument en faveur de leur exactitude.

Il importe tout d’abord de circonscrire notre sujet : les mystiques de toutes catégories ne doivent pas être interrogés, il faut choisir, car les mystiques diffèrent beaucoup entre eux comme puissance intellectuelle.

Au plus bas degré, il y a les esprits peu cultivés dont la conscience ne contient que des représentations concrètes (visuelles, auditives, tactiles, motrices, organiques) ; ils sont étrangers et impropres à l’abstraction, ils n’ont rien à nous apprendre. Mais à mesure qu’on s’élève, on se rapproche des mystiques d’une forme supérieure, ceux qui ont laissé des noms dans l’histoire religieuse. Ce sont eux qu’il nous faut interroger. Je présente aux lecteurs quelques observations empruntées à des mystiques célèbres : on remarquera les expressions « pensée sans images », « pensée sans mots » et autres analogues qu’ils emploient et qui prouvent qu’en les suivant nous sommes dans la bonne voie[7]. Sainte Thérèse avait constaté la succession de deux espèces de visions : « À la vision imaginaire, dit-elle, succède ordinairement la vision intellectuelle. Quand il plaît à Dieu de donner l’intelligence de l’apparition sensible, l’âme devient bientôt plus captivée que par l’apparition elle-même et elle passe ainsi à la contemplation purement intellectuelle. » « Les objets supra-sensibles de leur nature, tels que Dieu, l’ange et l’âme, et ceux-là aussi qui sont étendus et frappent nos sens, quand on ne considère en eux que la vérité, l’esprit les contemple indépendamment de toute représentation sensible soit extérieure, soit intérieure : et cette opération est dite intellectuelle parce qu’elle est due tout entière à la facilité d’appréhender les êtres par leur côté purement intelligible. » Ailleurs, cette même sainte assimile la vision de Dieu à celle d’un diamant d’une pureté inouïe [remarquez cette forme de représentation presque vide]. Elle raconte également dans sa vie, qu’elle fut impuissante à décrire à son confesseur sa première vision intellectuelle. « J’usai de diverses comparaisons, dit-elle, pour tâcher de me faire entendre : mais il me semble qu’il y en a peu qui aient du rapport avec cette sorte de vision. »

« Un jour que j’étais en vision, dit sainte Angèle de Foligno, je vis Dieu qui me parlait, mais si vous me demandez ce que je vis, je réponds que je vis Dieu, et je ne peux dire autre chose sinon que je vis une plénitude, une clarté de laquelle je sentais en moi une si vive effusion, que je ne la saurais expliquer ; c’est en vain que je chercherais une comparaison pour la représenter… » Et plus loin : « Je voyais une chose stable et permanente qui m’est tellement inexplicable que je n’en puis rien dire, sinon que mon âme était dans une joie inénarrable sans que je sache si elle était dans le corps ou hors du corps. » Il serait facile d’emprunter à d’autres mystiques des déclarations pareilles : ceci suffit, d’autant plus que nous aurons encore à les interroger sur la question de la pensée sans mots.

Nous n’avons rien à dire de la valeur du but que les mystiques poursuivent ni des tendances affectives qui les entraînent vers ce but et les soutiennent. Seul leur état intellectuel nous concerne. Or, il est évident qu’ils s’efforcent de vider leur conscience de toute représentation, de la libérer des formes de l’espace et du temps, de s’identifier avec l’Absolu et de se penser « sub specie æternitatis ». Mais ce but qui serait l’idéal de la pensée sans image sous sa forme la plus complète, peuvent-ils l’atteindre ? Ils tendent vers une limite qui se dérobe, inaccessible à leur emprise. Dans son effort pour saisir l’insaisissable et atteindre l’inattingible, la pensée raréfiée, volatilisée, dénuée de ses conditions d’existence, n’est plus qu’un rêve qui peu à peu se rapproche d’un anéantissement total. Il y a plus : on peut se demander si cette connaissance intellectuelle, vide de toute représentation consciente, est en fait vide de tout contenu ayant une valeur psychique. N’est-il pas possible, qu’elle ait pour soutien un travail inconscient intense et d’une haute portée ? mais c’est une hypothèse qu’on ne peut étayer d’aucune preuve, aussi je n’insiste pas.

Je ne veux pas sortir de la psychologie, mais qu’on me permette en passant une remarque. Historiquement, l’affirmation de la pensée pure est due aux métaphysiciens idéalistes qui y ont été conduits par leur tournure d’esprit et la nature de leur doctrine. Elle est pour eux la forme suprême de la connaissance et même, pour quelques-uns, elle est supérieure à la connaissance qui, rivée aux images et aux mots, reste de ce fait imparfaite. Seule, la pensée pure révèle l’Être. Sans parler de la νοησις νοήσεως aristotélicienne, les mystiques de l’École alexandrine professent cette opinion, notamment Plotin, quoiqu’il n’ait joui que trois fois de la contemplation extatique. En termes très nets et plus modernes Spinosa dit : « comprendre une chose c’est la concevoir par la seule force de l’esprit pur, sans paroles et sans images ». [Traduction Saisset, 81[8].]

D’ailleurs, leur thèse est une simple affirmation ou une déduction de leur doctrine sans observations ni faits probants. Sans multiplier ces citations, on voit que le sujet qui nous occupe est une importation de la métaphysique dans la psychologie. Malgré son origine, elle mérite un examen, ne fût-ce que comme curiosité psychologique ou comme cas rare, inaccessible à l’immense majorité des hommes[9].

III

La formule courante « pensée sans image » indique-t-elle l’absence des représentations sensorielles seules ? Est-elle simplement abréviative ? Car quelques auteurs disent « pensée sans images et sans mots ». Cette position est plus radicale et elle nous oblige à examiner notre problème sous un autre aspect. Il est universellement admis que notre activité logique supérieure, — ne peut se développer sans un langage quelconque, extérieur ou intérieur, parlé ou écrit, ou sous d’autres formes encore, car la facultas signatrix est féconde en ressources. Ainsi, un architecte peut imaginer et dessiner le plan d’un édifice sans aucune parole intérieure ou extérieure. En dehors de ce cas particulier et de ses analogues, la pensée a toujours besoin d’un langage quelconque qui n’est pas seulement un véhicule, mais une condition nécessaire, sans quoi elle reste confuse et schématique. Tout ceci est admis comme étant la règle générale, mais nous avons dit que Stout et d’autres supposent des exceptions ; tel est le point litigieux.

Pour étayer la possibilité de la pensée sans mots, le principal argument qu’on a fait valoir est l’antériorité de la pensée par rapport au langage intérieur et extérieur. Cette raison se rencontre dans la formule souvent citée de Bonald : avant de parler sa pensée, l’homme doit penser sa parole.

La question est fort embrouillée.

En général, chez l’homme adulte, l’idée et le mot forment un tout ; ils se présentent simultanément dans la conscience. Pour ceux qui sont doués d’une élocution facile, il y a un développement sans arrêt où chaque mot correspond à des idées ou à leurs rapports entre elles. Cela résulte d’une disposition naturelle et aussi, « surtout chez les verbomanes », d’une activité automatique, d’un mécanisme verbal ; les associations souvent répétées s’éveillent rapidement et surgissent au moment opportun.

Mais il y a des gens riches d’idées qui parlent lentement, hésitent, cherchent leurs mots, soit parce qu’ils ont le goût de la concision, de l’imperatoria brevitas, soit parce qu’ils poursuivent une adéquation complète entre leurs idées et les mots qui les expriment. Très communément on cherche sans le trouver un mot (substantif, verbe, adjectif), qui traduise rigoureusement la pensée.

Ces faits ont encouragé à admettre une pensée pure, dénuée non seulement de tout élément sensoriel, présenté ou représenté, mais même de toute parole intérieure. Cette affirmation absolue n’est pas à l’abri de la critique. Est-il certain que ces moments d’hésitation et d’arrêt, vides de tout élément sensoriel et verbal conscients, soient de ce fait totalement vides ?

On oublie l’activité subconsciente et inconsciente. Sans doute elle reste cérébrale par suite de conditions inconnues qui l’empêchent de s’élever jusqu’à la conscience, mais elle n’en a pas moins son influence sur la pensée.

Remarquons que durant ces moments d’arrêts nous éprouvons un sentiment d’attente, de tension, d’effort. Cet état de la conscience se réduit à un ensemble de tendances motrices qui sont les substituts insuffisants et éphémères de ce qu’on cherche, mais on ne cherche que ce qu’on est sur le point de trouver[10].

Les partisans de la pensée pure ont le tort de s’enfermer exclusivement dans la conscience.

Après ces remarques générales, passons aux faits. Les partisans de la pensée sans mots ne produisent guère d’observations probantes. Je n’en trouve qu’une qui, en raison de sa fréquence, mérite d’être examinée.

C’est le cas banal et simple de la lecture à haute voix ou à voix basse : on peut y ajouter l’audition attentive d’un discours ou d’une conversation. Ces faits sont assez complexes et doivent être analysés.

Il y a d’abord des sensations visuelles, auditives, motrices (le langage intérieur, faible chez les uns, nettement senti chez d’autres).

C’est un défilé d’éléments qui, en raison de sa rapidité, ne paraît laisser aucune trace de son passage dans la conscience.

Ensuite, il y a la pensée proprement dite, la compréhension, l’intelligence de ce qui est lu ou entendu : en raison de sa valeur, elle prédomine dans la conscience qui consiste en synthèses mentales successives, reliées entre elles par des rapports.

La série des mots ou signes quelconques qui est à la fois la matière et le soutien de l’activité de la pensée, se compose d’éléments (perceptions, représentations, rapports) dont la conscience est éphémère, fugitive, mais n’est pas nulle. Ils ne sont que des moyens dont la comphéhension intellectuelle est le résultat, le but, la fin. Cette série d’états transitoires est, comme tout langage, un mécanisme acquis, une habitude ; par contre, le déchiffrement d’un manuscrit illisible, la lecture ou l’audition d’une langue peu familière, nécessitent des arrêts à chaque pas ; chaque mot exige un quantum de temps pour être compris et, par suite, il dure dans la conscience. Dans les cas ordinaires, cette conscience tombe au minimum, mais ne disparaît pas tout entière.

Prenons comme exemple le mot « cloche » lu ou entendu en courant ; il n’évoque dans la conscience qu’une très faible partie des éléments qui constituent la notion complète d’une cloche, laquelle est un complexus de sensations sonores, visuelles, tactiles, etc., et des états physiologiques qui leur servent de base. Tout cela est néant pour le travail actuel de la pensée et l’abrège : le signe en tient lieu. Il en est de même de tous les mots dans une lecture ou une audition rapide. Mais, en sus du mot qui seul est conscient, il ne faut pas oublier les autres éléments constituant la notion de l’objet à l’état de tendances subconscientes ainsi que les excitations physiologiques qui leur servent de base. Tout cela, est-ce le vide ?

Revenons aux mystiques. Leurs confessions sont plus instructives et beaucoup plus riches en documents que les écrits des psychologues professionnels : on en jugera par les extraits qui suivent. Notons d’abord que la plupart établissent une distinction bien nette et bien tranchée entre les voix imaginaires et la voix intellectuelle qui est l’équivalent de la vision intellectuelle dont nous avons parlé. Ces voix intellectuelles, qu’ils tiennent pour surnaturelles, on les a expliquées par des images motrices, verbales, devenant hallucinatoires ; mais les expliquer n’est pas notre but ; nous ne visons qu’à constater ce qui a rapport au problème de la pensée pure, comme faits. « Le caractère de ces paroles intellectuelles est de se faire entendre à l’âme sans l’intermédiaire des sens extérieurs ou intérieurs, par la pénétration directe de l’entendement. » Mme Guyon était convaincue de jouir de la présence continuelle de Dieu. « Le cœur de Dieu me parlait et n’avait pas besoin de paroles. »

« La voix de Dieu, dit le cardinal Bona, retentit dans le silence de l’âme, non à travers les oreilles du corps, ni par l’imagination, mais par la vertu toute spirituelle de l’entendement. » Sainte Thérèse dit : « C’est un langage tellement du Ciel que nul effort humain ne peut le faire comprendre si le Seigneur ne l’enseigne par expérience. Il met bien avant dans l’intime de l’âme ce qu’il veut lui faire entendre, et là, il le représente sans image ni forme de paroles, mais par le même mode que la vision (intellectuelle) : par ce genre de langage, le Seigneur veut, je crois, donner à l’âme une certaine connaissance de ce qui se passe au Ciel où l’on parle sans paroles. » Tous les mystiques considèrent que ces paroles intellectuelles, sans mots, ne peuvent être comprises que par des humains spécialement doués. Et non seulement ces paroles intellectuelles sont pour eux des pensées sans mots, mais souvent d’ailleurs ce sont des pensées exprimées dans des langues inconnues à tous les hommes. Sainte Thérèse qui, elle aussi, fait une différence entre la parole imaginaire et la parole purement intellectuelle, nous dit « que c’est une manière de parler intérieure et subtile et qui n’est marquée par aucun son. »

Swedenborg raconte « que les esprits de Mercure ont en aversion le langage des mots parce qu’il est matériel et qu’il n’a pu parler avec eux que par une espèce de pensée active… Leur langage était formé, non de mots, mais d’idées qui se répandaient de tous côtés par mes intérieurs… Les idées qui tenaient lieu de mots étaient séparées les unes des autres, tellement qu’on percevait à peine quelque intervalle : c’était dans une perception comme le sens des mots chez ceux qui ne font attention qu’au sens, abstraction faite des mots. Ce langage était pour moi plus intelligible que le précédent, et il était aussi plus plein… Ensuite ils parlèrent avec encore plus de continuité et de plénitude… Enfin, ils parlèrent de manière que le langage tombait seulement dans l’entendement intérieur. » Swedenborg appelle ce langage : langage cogitatif.

En somme, l’existence d’une pensée sans mots est encore plus difficile à établir que celle d’une pensée sans images sensorielles. Si l’on examine avec quelque attention les déclarations des mystiques, quoiqu’elles varient un peu dans la forme de l’un à l’autre, elles ont un fond commun. Ils décrivent, comme ils peuvent, en termes bizarres, métaphoriques et forcément vagues, des moyens qui leur paraissent surnaturels. Et cela n’est pas une preuve en faveur de l’absence de tout langage. (J’emploie ce mot au lieu du terme parole, parce qu’il est plus étendu.) Bien au contraire. À la vérité, il y a des cas comme celui de sainte Thérèse où toute forme de langage semble disparaître.

Nous touchons ici à l’idéal de la pensée pure, à ce que j’appelle la limite de l’anéantissement intellectuel ; à ce degré de ténuité intellectuelle où voir et entendre se confondent.

Finalement, la différence entre les deux cas — pensée sans images, pensée sans mots — s’explique sans difficulté. Par une simple vue de l’esprit, prenons la pensée en elle-même, in abstracto, supposée pure, vide : par rapport à elle, les images sensorielles sont un contenu ; mais les mots ou signes quelconques sont davantage ; ils sont inhérents à son mécanisme. Elles sont l’ossature qui lui permet de se fixer et de se développer.

IV

De ses recherches expérimentales sur l’intelligence, Binet a tiré la conclusion « qu’il y a antagonisme entre la pensée et l’imagerie ».

Cette opinion me paraît reposer sur un préjugé commun. Ces deux facteurs sont connexes, mais indépendants l’un de l’autre dans leur activité originelle. Tout dépend de la constitution mentale de l’individu.

Si l’activité pensante est pauvre, sans vigueur, peu capable d’effort, et si l’affluence des images est grande, elles sont une cause d’obstruction et de confusion.

Si, au contraire, l’activité pensante est vigoureuse, un puissant afflux d’images est un bienfait. C’est le cas des grands inventeurs, des grands imaginatifs de toutes sortes : dans la littérature, dans les sciences, dans les arts, dans la mécanique, dans la vie pratique et dans tout.

Entre ces deux facteurs, il y a non un antagonisme, mais une association dont les résultats sont en fonction de la prépondérance de l’un ou de l’autre.

Sans s’arrêter plus longtemps sur ce paradoxe, essayons maintenant de classer les faits et observations donnés comme preuves de la pensée pure. Je les réduis à trois types suivant l’ordre d’affaiblissement progressif de « l’imagerie ».

1o La pensée liée à un automatisme, c’est-à-dire à un minimum de conscience, est fréquente. Nous avons donné comme exemple le plus fréquent et le plus commun la lecture et l’audition rapides. Il y a une succession d’états visuels ou auditifs qui, en raison de leur vitesse, laissent à peine une trace dans la conscience, mais qui sont les conditions de l’activité de la pensée, de la compréhension. Il n’y a pas absence de représentation, quoiqu’elle soit fugace et éphémère.

2o La pensée scientifique dont les mathématiques et la métaphysique sont le type, opère avec des signes vus ou entendus par la parole intérieure ; l’imagerie mentale cesse d’être concrète pour devenir schématique. Le travail de la pensée n’est donc pas vide de tout état primaire ou secondaire. Il y a plus : on ne doit pas oublier les facteurs inconscients ; les signes n’ont de valeur que par le savoir potentiel qu’ils représentent sans lui, ils ne sont plus des signes, mais des flatus vocis aussi dénués de toute portée intellectuelle que le sont pour nous les mots d’une langue inconnue.

3o Les grands mystiques ont tenté, comme nous l’avons dit, un effort suprême pour entrer dans la pensée pure, en se libérant des éléments sensibles qui pourraient l’adultérer. Mais leur contemplation peut être à peine admise comme une connaissance, puisqu’ils la déclarent insaisissable, ineffable, indescriptible. Par suite, elle paraît un état spécial où la vie intellectuelle et la vie affective coexistent.

La tendance de l’extase vers l’unité est une condition défavorable pour la pensée qui ne vit que par le changement et s’éteint dans la stabilité. D’ailleurs, n’est-ce pas un abus de langage que d’appeler pensée un état sans objet ? Pensée, sans connaissance, est un état innommable.

Je n’ai pas à m’excuser de m’être appuyé sur les mystiques en leur empruntant des faits morbides ou anormaux[11]. Quelle que soit leur nature, il reste des faits ayant une valeur psychologique. La seule question qui nous occupe est de savoir si la contemplation suppose ou non des images sensorielles ou verbales.

La pensée est une fonction qui, au cours de l’évolution, s’est ajoutée aux formes primaires et secondaires de la connaissance : sensations, mémoire et association. Par suite de quelle condition a-t-elle pu naître ? On ne peut, sur ce point, hasarder des hypothèses. Quoi qu’il en soit, elle a fait son apparition, s’est fixée, s’est développée. Mais comme une fonction ne peut entrer en activité que sous l’influence d’excitations qui lui sont appropriées, l’existence d’une pensée pure travaillant sans rien qui la provoque est a priori invraisemblable. Réduite à elle-même c’est une activité qui dissocie, associe, perçoit des rapports, coordonne. On peut même croire que cette activité est, de sa nature, inconsciente, et qu’elle ne revêt la forme consciente que par les données expérimentales qu’elle élabore. Nous avons vu plus haut la remarque de Marbe sur l’acte inconscient qui est le fond du jugement et qui transforme les représentations.

Une remarque importante est celle-ci. Tous les partisans de la pensée sans images ont pris une position beaucoup trop simple ; ils se renferment exclusivement dans la conscience : ils n’en sortent pas. Ils oublient l’activité inconsciente dont la valeur psychique est très grande et qui peut provoquer le travail de la pensée en l’absence de toute représentation consciente.

Dans les chapitres précédents, nous avons longuement exposé cette hypothèse que la trame de la vie inconsciente est dans les éléments moteurs qui entrent dans la composition des représentations quelles qu’elles soient ; que ces mouvements sont la portion stable, permanente des états de conscience antérieurement ressentis, le squelette qui assure leur reviviscence. Qu’on la rejette ou qu’on l’admette, nous devons faire observer qu’une pensée vide de toute image consciente, n’est peut-être pas vide totalement, et que l’inconscient travaille à sa manière : résoudre des problèmes ou tout simplement jaillir en reparties brusques, mais bien adaptées : tout cela n’est pas un pur jeu d’images, un simple mécanisme d’association. Il y a là les marques d’une activité supérieure analytique et synthétique qui sont celles de la pensée proprement dite. Il n’est donc pas certain que l’absence de toute représentation consciente tranche nettement la question. Elles peuvent avoir des équivalents comme travail efficace ; la conscience constate le travail, mais ne le constitue pas.

Finalement, l’hypothèse est-elle complètement inacceptable ? Non, si on la considère comme posant une limite idéale dont la pensée peut se rapprocher par des raréfactions successives ; mais à la limite, l’idéal disparaît et la pensée cesse d’être possible.

Pour conclure, l’hypothèse d’une pensée pure, sans images et sans mots, est très peu probable et en tout cas, n’est pas prouvée.


  1. Bourdon, dans le très bon exposé critique qu’il a fait des Recherches expérimentales sur l’intelligence, de Binet, dans la Revue Philosophique, 1904, t. I, p. 113, reproche à cet auteur l’emploi du mot pensée dans un sens imprécis, sans détermination. D’ailleurs, il rejette la supposition d’une pensée sans images qui ne serait qu’une « connaissance confuse comme nous en avons de beaucoup de choses ».
  2. Nous avons essayé dans notre livre L’Évolution des idées générales, de déterminer avec précision et par des faits les principales étapes de cette marche ascendante et de leur assigner des marques objectives : chap. ii, iii et iv.
  3. Baldwin, Dictionary s. v. Relation. « Lorsqu’un attribut d’un objet A par sa nature intrinsèque qualifie aussi un autre objet B, de telle façon qu’il ne peut être conçu comme existant indépendamment de B, cet attribut est dit être un rapport entre A et B. »
  4. Pour la conscience d’un rapport, il est nécessaire non seulement que le contenu présenté soit en rapport avec quelque chose, mais aussi que cette relation soit elle-même un objet de conscience.
  5. Toutefois, nous ferons remarquer qu’il ne faudrait pas oublier qu’à l’origine, le jugement (les enfants, les primitifs) est un acte affirmatif ou négatif, c’est-à-dire, un état moteur, plutôt qu’une connaissance.
  6. Les psychologues de l’École de Wurzburg dans leurs recherches sur l’idéation, appuyées à la fois sur l’observation intérieure et sur l’expérimentation ont noté souvent un sentiment d’hésitation, de changement de direction qui précède la formation du jugement contenant la réponse.
  7. Sur un essai de classification des mystiques, voir Picavet, Revue Philosophique, juillet 1912.
  8. Tum enim res intelligitur, cum ipsa pura mente extra verba et imagines percipitur. Van Vloten et Land, II, 7. (F. Alcan.)
  9. Je n’insiste pas sur le mysticisme philosophique parce qu’il me paraît avoir moins de valeur pour la psychologie que le mysticisme religieux qui ne dépend d’aucun système : à la vérité, il se rattache toujours à une religion positive (christianisme, islamisme, etc.), mais on sait qu’il a souvent inquiété l’orthodoxie par sa liberté.
  10. Le Dr  Saint-Paul, dans son livre Le Langage intérieur et les paraphasies (F. Alcan), très instructif, malgré l’excès des néologismes, a fait la même remarque : « Les images et les mots sont suscités à l’appel de la pensée, et c’est grâce à l’image ou au mot que l’acte psychique prend une connaissance précise de soi-même. Les centres du langage qui sont aptes à donner au maximum cette connaissance précise, sont donc des centres connexes, des centres miroirs [où se produit la conscience], grâce auxquels l’autoconscience de la pensée devient possible. Mon opinion est que tout acte — y compris celui de penser — est en soi, inconscient et qu’il ne devient conscient que lorsqu’il reçoit, grâce à un centre intermédiaire (réflecteur, miroir) le contre-coup de sa propre activité. »
  11. Swedenborg nous dit que lorsqu’il entendait les esprits supérieurs, « il sentait de petits mouvements dans la langue et les lèvres », c’est-à-dire des hallucinations motrices, verbales.