Police Journal Enr (Inspecteur Durand No 4p. 17-24).

IV

LE DOCTEUR PALMER


À huit heures Peggy Minto et Émile Tremblay se présentaient chez Julien Durand.

— Que je suis content de vous voir, mademoiselle ! s’exclama l’Inspecteur en les apercevant.

— Mais pourquoi, Inspecteur ? Vous n’aviez d’ailleurs pas besoin d’envoyer monsieur Tremblay au devant de moi, reprit la jeune fille.

— J’ai tellement regretté de vous avoir envoyé à la clinique, que je ne vivais plus. J’ai tenté de vous atteindre sur la fin de l’après-midi, mais sans succès.

— Pourquoi, je vous en prie ?

— Pour vous dire de ne pas aller là.

— Je ne vois pas qu’il y ait sujet de craintes…

Naturellement elle n’était pas au courant de la scène de l’après-midi où le jeune Omer Frigon était le principal acteur.

— Vous y êtes donc allée ?

— Je n’ai pas eu le temps avant le souper, car mon patron m’a retenu au bureau pour un travail pressant.

— C’est donc pour cela que je ne vous ai pas rejoint chez vous, ainsi qu’à la clinique où j’ai téléphoné.

— Je suis sorti de l’usine vers sept heures et me suis dirigée immédiatement vers la clinique.

— Ne me dites pas que vous n’avez pas soupé ?

— J’ai même très bien soupé en compagnie de monsieur Tremblay. Vous l’aviez donc chargé de veiller sur moi ?

— Cela ne vous a pas fâchée ?

— Pas du tout.

— Voulez-vous m’excuser, mademoiselle, j’ai un message à confier à mon ami Tremblay.

La jeune fille se retira dans la pièce voisine et l’Inspecteur dit à Émile Tremblay :

— Tu vas te rendre à la Clinique immédiatement et faire l’impossible pour me ramener ici le docteur en chef.

— Le docteur Palmer, tu veux dire ?

— S’il est le premier.

— Penses-tu qu’il est là actuellement ?

— S’il n’y est pas. Trouve-le. Je veux le voir dès ce soir.

— As-tu des soupçons sur lui ?

— Je ne sais pas encore : nous verrons.

Émile Tremblay comprit que son ami ne voulait pas parler tout de suite et il sortit pour accomplir sa mission.

Peggy Minto revint alors trouver l’Inspecteur.

— Comme ça vous êtes allée à la Clinique ?

— Comme vous me l’aviez demandé.

— Quel docteur avez-vous vu ?

— Le docteur Palmer lui-même. Je crois que les autres étaient tous occupés ou partis.

— Racontez moi l’entrevue du commencement à la fin.

— J’ai déclaré que j’avais une mauvaise digestion. Le docteur m’a posé plusieurs questions se rattachant à mon malaise. Heureusement que je m’étais bien préparée.

— Il vous a fait une injection, je suppose ?

— Non. Il m’a simplement remis une poudre blanche avec instructions d’en mêler une cuillerée à café dans la moitié d’un verre d’eau et de boire cela après chaque repas, aussi longtemps que je ressentirai mes malaises.

— Avez-vous cette poudre avec vous ?

— La voici. Gardez la bouteille si vous voulez, car, ajouta-t-elle avec un sourire, ma digestion est excellente.

L’Inspecteur prit la petite bouteille.

Il n’y avait pas le nom du médicament. Tout juste une étiquette comme en utilisent les médecins sur les remèdes qu’ils donnent eux-mêmes à leurs patients.

Il versa un peu de poudre dans sa main et la goûta.

— Ça m’a bien l’air d’une poudre digestive quelconque, dit-il.

— Je n’en serais pas surprise, ajouta-t-elle, car j’étais supposée souffrir de mauvaise digestion.

Pour plus de certitude l’Inspecteur demanda à la jeune fille de passer dans la cuisine chercher un verre et de l’eau.

Il mesura la dose prescrite, mêla la poudre avec l’eau et l’ingurgita.

Au moment où il buvait, il avait été pris d’une espèce de peur et était resté sérieux pendant quelques minutes après.

C’est la jeune fille qui brisa la tension qui semblait régner dans la pièce.

— Votre digestion est-elle meilleure, maintenant Inspecteur ?

Il sourit alors et convint :

— Cela va beaucoup m’aider. J’ai en effet une bonne digestion, mais je suppose que le médicament va prévenir des troubles futurs.

En lui-même il pensait qu’il était maintenant sur une fausse piste.

Pourtant les hallucinations d’Omer Frigon avaient dû être partagées par certains autres clients de la clinique.

***

La clinique Palmer était installée dans une construction en forme de T, à deux étages.

On entrait par le milieu de la barre qui couronne le T.

Là c’étaient les salles d’attente et les bureaux de l’administration. Après, de chaque côté, les salles de consultations. Enfin l’autre partie abritait les salles de pansements et d’opérations.

Le deuxième étage était divisé en chambres pour les patients sous observation et les opérés.

Rompu au métier, le détective Tremblay avait téléphoné au préalable pour savoir si le Docteur Palmer était là.

Il avait donné le nom d’un employé d’usine qu’il savait se faire traiter là.

Il arrivait donc à coup sûr.

Le personnel était en partie absent quand il se présenta.

Il n’y avait qu’une garde-malade au bureau de réception.

— Vous désirez, monsieur ?

— Je veux voir le Docteur Palmer.

— Un moment, je vais m’informer s’il est ici.

Elle téléphona à deux ou trois endroits et demanda au visiteur d’attendre.

Un personnage se présenta bientôt, tout vêtu de blanc.

Il se dirigea vers le détective et demanda :

— Vous êtes monsieur Tremblay et désirez voir le Dr Palmer, si je ne me trompe ?

— C’est bien ça Dr Palmer. Excusez-moi si je viens vous déranger à cette heure-ci. Je désirerais avoir un entretien privé avec vous.

— Je ne suis pas le Dr Palmer. Il n’est malheureusement pas ici ce soir. Je suis le Docteur Chantre. Si je puis vous être utile, veuillez passer à mon bureau.

Sans dire un mot, Émile Tremblay suivit le Dr Chantre.

Lorsque l’autre lui eut indiqué un fauteuil et se fut assis derrière un pupitre, il dit :

— C’est le docteur Palmer que je veux voir.

— Puisque je vous ai dit qu’il n’est pas à la clinique, ce soir.

— C’est faux. Je sais qu’il était ici il y a à peine 15 minutes. Je suis le détective Émile Tremblay de la Sûreté Municipale ; voyez mes créances.

Et ce disant, il lui exhiba son porte-feuille où se trouvaient ses cartes d’identification.

Le Dr Chantre regarda les cartes, puis le détective.

Il réfléchit quelques instants avant de répondre et on aurait dit que son sourire mielleux n’indiquait rien de bon, quand il reprit :

— Si réellement vous avez à voir le Dr Palmer, je puis vous annoncer. Il est en train de pratiquer une opération très délicate et il ne voulait pas qu’on le dérangeât. Dans votre cas cependant, je crois bien que je puis me permettre…

— Arrangez-vous pour le faire prévenir aussitôt qu’il aura fini. J’attendrai si vous me le permettez.

— Alors vous allez m’excuser. J’ai plusieurs patients qui m’attendent. Il y a des journaux. Distrayez-vous en attendant. Je vous promets de voir le Dr Palmer pour vous dès qu’il sera libre.

— Merci, Docteur.

Le détective Tremblay trouvait bien étrange la conduite du Dr Chantre. Il était bien possible que le Docteur Palmer fut à opérer, mais il aurait bien pu le dire tout de suite.

Pourquoi ces tergiversations ?

Il attendit donc patiemment.

C’était le grand calme dans le bureau. On aurait dit qu’il n’y avait plus personne dans l’immeuble.

Mais il se dit aussitôt que les murs devaient être à l’épreuve du bruit. Ce n’était que naturel dans un hôpital.

Soudain la lumière du bureau s’éteignit.

Il se leva d’un bond pour se diriger vers la porte de sortie.

Mais une voix se fit entendre, dans cette direction, qui disait :

— Veuillez m’excuser, monsieur. Je pensais qu’il n’y avait personne dans le bureau du Dr Chantre et j’ai fermé.

Les pas s’approchaient.

Le nouveau venu voulait probablement faire la lumière du dedans et il devait chercher le commutateur.

Le détective perçut plutôt qu’il n’entendit un souffle court, comme celui d’une personne qui fait un effort…

L’explication ne se fit pas attendre.

Ce fut comme une locomotive qui lui tombait sur la tête.

Il n’eut même pas la force de lever le bras. Il sentit le plancher monter, puis il se mit à tourner, se confondant avec le plafond.

Puis ce fut le vide absolu.

Quand il s’éveilla, il fut tout surpris de se trouver seul, dans une pièce qui paraissait être toute en ciment.

Il se frotta le mieux qu’il put et alors les idées commencèrent à lui revenir.

Il se rappela d’avoir attendu dans le bureau du Dr Chantre, de l’obscurité subite, des pas et l’attaque.

Mais où était-il maintenant ?

Probablement dans la cave de la clinique.

Heureusement qu’il avait une petite lumière de poche. Elle était juste la grosseur d’une plume fontaine, mais c’était toujours bien mieux que rien.

Il fit donc le tour de sa prison, car c’en était réellement une.

Il avait été descendu par une trappe percée dans le plafond.

Comme fenêtre un seul soupirail, trop haut pour être atteint. Et en plus il y avait des barreaux qui paraissaient très solides.

Cherchant à ne pas s’énerver, il entreprit de faire le tour de la pièce une autre fois.

C’est alors qu’il découvrit un petit tuyau qui longeait le mur de haut en bas, non loin du soupirail.

C’était sa seule chance de salut.

Quoique passablement pesant, il était cependant bien entraîné aux exercices physiques.

À la troisième reprise, il réussit à monter jusqu’à la hauteur du soupirail.

Restait à savoir si les barreaux étaient bien solides.

Pour s’en assurer il se tint solidement à son tuyau avec une main et ses pieds et de l’autre, bras étendu, il s’agrippa au barreau du milieu. Puis il se laissa pendre de toute sa pesanteur.

Mais le barreau céda aussitôt et le détective se retrouva encore une fois sur le plancher.

Sa lumière cependant lui révéla que l’ouverture dans le soupirail était maintenant assez grande pour lui permettre de passer.

Après de grands efforts il réussit encore à atteindre le soupirail en se hissant après le tuyau.

Mais là il s’agissait de passer dans l’ouverture. Il ne pouvait se fier aux autres barreaux pour se soutenir : Ils ne valaient probablement pas mieux que les autres.

Enfin il fut dehors. Comme c’était bon de pouvoir reposer sur le sol en toute sécurité !

Il faisait maintenant nuit complète et sa mission n’était pas encore accomplie.

Ne voulant pas admettre une défaite auprès de son ami Durand, il ne téléphona pas immédiatement, mais entreprit de faire le tour de la bâtisse.

Actuellement il se trouvait à l’extrémité de l’aile principale.

Il y avait plusieurs lumières au deuxième, mais aucune en bas.

Après avoir essayé plusieurs fenêtres, il en trouva enfin une qui n’était pas barrée de l’intérieur.

Sa lumière électrique dans les dents, il se hissa jusque là et sauta à l’intérieur.

Quelques noms de médecins sur les portes qui donnaient dans ce couloir lui démontrèrent qu’il se trouvait dans l’aile réservée aux bureaux de consultations.

Il trouva vite la porte du Dr Palmer.

Elle n’était pas barrée et il put entrer facilement.

Personne. Aucun bruit.

Soudain le rayon lumineux découvrit une forme affaissée sur un pupitre. On aurait dit que l’homme dormait. Assis dans une chaise à pivot, ses bras étaient croisés sur le dessus du pupitre et sa tête était appuyée dessus.

Il alluma la lumière de table après avoir refermé la porte.

C’est alors qu’il vit le filet de sang qui coulait de la tempe du Docteur.

Il devait être mort depuis quelques heures, car il était déjà froid.

Ainsi la raison pour laquelle le Dr Palmer ne pouvait le recevoir, la raison pour laquelle on l’avait assommé et jeté dans un caveau où on était certain qu’il ne sortirait pas, c’était le meurtre du même docteur.

Émile Tremblay examina soigneusement toute la pièce.

À première vue il réalisait qu’il n’y avait pas eu lutte, car rien n’était dérangé.

Le révolver n’y était pas. Alors aucune apparence de suicide.

Après une bonne demi-heure de recherches minutieuses, le détective trouva sur le tapis, auprès de la porte un petit amas de poudre jaune.

Il ne l’avait pas vue au premier abord, car elle était pratiquement de la même couleur que le tapis.

D’un autre côté ce n’est pas tous les jours qu’on voit une poudre de cette couleur.

Après avoir déchiré une feuille de papier sur un bloc-note, il recueillit autant qu’il put de la poudre étrange.

Ne voyant plus rien à faire là et surtout désireux de quitter la place avant que son agresseur ne découvrit son évasion de la cave, il sortit par le même chemin qui lui avait permis d’entrer.