La sainte Bible selon la Vulgate (J.-B. Glaire)/Avertissement de la première édition

(introductions, notes complémentaires et appendices)
La sainte Bible selon la Vulgate
Traduction par Jean-Baptiste Glaire.
Texte établi par Roger et Chernoviz, Roger et Chernoviz (p. 2305-2308).

AVERTISSEMENT

DE LA PREMIÈRE ÉDITION


Bien que préparé à cette traduction par une étude des langues et de la science bibliques, continuée pendant plus de quarante années, nous n’aurions osé entreprendre une tâche aussi difficile, si nous n’y avions été fortement engagé, et en France et en plusieurs pays étrangers, par des hommes dont l’autorité doit être du plus grand poids pour nous. Si donc il y a eu témérité de notre part, nous espérons trouver dans ces encouragements une excuse légitime.

Nous avions d’abord pensé à reproduire la version de Sacy, avec de nombreux changements ; mais, après un examen plus approfondi et une confrontation plus rigoureuse de cette version avec la Vulgate, nous avons dû renoncer à cette idée. Sacy, en effet, est moins traducteur que paraphraste ; il semble même, dans une multitude de passages, affecter de s’écarter de la lettre, sans qu’il y ait le plus léger motif qui puisse l’y obliger. Aussi, il faut bien le reconnaître, si sa traduction se recommande par une grande pureté et une certaine élégance de style, elle ne laisse pas même entrevoir qu’elle soit la représentation d’un texte qui a conservé dans tout leur naturel les couleurs si vives et si tranchées de la composition orientale dont il émane. Ajoutons que ce mode de traduction libre, tout en mettant fort à l’aise le traducteur lui-même, laisse souvent la pensée de l’écrivain sacré dans un vague et une obscurité qui ne permettent pas au lecteur de la saisir d’une manière claire et précise. De là vient que quand on compare Sacy avec saint Jérôme, on ne comprend pas toujours quel rapport il peut y avoir entre l’un et l’autre.

Quant à la traduction de M. Genoude, elle est trop défectueuse pour que nous ayons songé un seul instant à la prendre pour base de notre travail. L’auteur, profondément ignorant de tout ce qui touche à nos divines Écritures, a accumulé contre-sens sur contre-sens, omis une foule de mots importants ; et, quoiqu’il semble avoir voulu se conformer à la Vulgate et la reproduire aussi littéralement qu’il est possible, il lui arrive constamment de l’abandonner pour suivre l’hébreu ou le grec, sans les traduire exactement, et de copier, avec une fidélité scrupuleuse, la paraphrase de Sacy.

On comprend aisément que nous ayons cherché à mettre à profit les traductions bibliques de Bossuet. Il y a vingt-cinq ans que, sur les instances d’un vénérable sulpicien, M. Mollevaut, nous entreprîmes de recueillir de ses divers ouvrages tout ce qu’il a traduit de nos saintes Écritures. Ainsi nous devons beaucoup au grand évoque de Meaux ; cependant il nous est arrivé fort souvent de donner des interprétations autres que les siennes. On ne saurait s’en étonner, puisque, malgré son érudition d’ailleurs prodigieuse, Bossuet manquait d’une connaissance indispensable à tout exégète de la Bible, de la connaissance de l’hébreu.

Mais nous devons au lecteur quelques explications sur la nature de notre propre travail. Le premier devoir d’un traducteur étant de choisir un texte qui puisse donner toutes les garanties désirables, nous nous sommes entièrement conformé à l’édition de la Vulgate donnée à Turin par Hyacinthe Marietti, et approuvée par un décret de la Congrégation de l’Index, en date du 26 juin 1856. Quant à notre traduction elle-même, ce qui la caractérise surtout, c’est une rigoureuse littéralité. Ainsi, toutes les fois que les exigences de notre langue ne s’y sont pas opposées, nous avons rendu la Vulgate mot pour mot. Or, voici les avantages que nous avons cru trouver dans ce genre d’interprétation. D’abord la Bible conserve mieux son admirable simplicité, sa noble concision, la richesse et la vivacité de ses images, la hardiesse de ses tropes ; en un mot, tout le charme d’un style pittoresque, qui attache le lecteur sans le fatiguer jamais. En second lieu, toutes les traductions autorisées ont suivi le système de la littéralité, et la Vulgate elle-même s’y est généralement conformée ; car le manque de clarté qu’on lui reproche dans un grand nombre de passages vient précisément de ce que son auteur a cru devoir expliquer les textes originaux au pied de la lettre (1). Troisièmement enfin, le respect même dû à la parole de Dieu nous a empêche d’adopter le mode d’une traduction libre, comme exposant continuellement le traducteur à faire prendre le change sur le vrai sens des écrivains sacrés, en leur prêtant des idées qui ne sont pas les leurs. Cependant, hâtons-nous de le dire, partout où une trop grande littéralité ne rendait pas assez fidèlement ou assez clairement la pensée de ces écrivains, nous l’avons abandonnée ; mais, dans ce cas même, nous ne nous en sommes éloigné que le moins possible, et en reproduisant dans les notes les termes et les constructions que notre langue ne permettait pas d’introduire dans le corps du texte. D’un autre côté, nous n’avons pas cru nous en écarter, en traduisant certains mots de plusieurs manières, parce que dans les textes primitifs ils offrent réellement une variété de sens. Tel est, par exemple, le verbe dire (en latin dico) qui, en hébreu aussi bien qu’en chaldéen, en syriaque et en arabe, signifie souvent répondre, répliquer, repartir, etc., et auquel saint Jérôme lui-même a substitué tantôt inquio, tantôt aio. Tel est encore répondre (respondeo), mot représentant l’hébreu hana, primitivement élever la voix, crier ; combien de fois n’échange-t-il point sa signification première contre celle de prendre la parole, ou parler avant tout autre ? Et, pour ne plus citer qu’un exemple en ce genre, la même particule et ne réunit-elle pas, dans les quatre langues orientales que nous venons de nommer, les nuances diverses de mais, cependant, en outre, ensuite, etc., tandis qu’en mille endroits elle devient purement pléonastique pour un traducteur français, surtout quand elle marque simplement l’apodose ? Enfin, on ne viole certainement pas les lois de la littéralité, ni en négligeant dans une traduction française les particules quia, quoniam, quand elles ne sont qu’explicatives, ou en les rendant par disant, en disant, lorsque, représentant le ei hébreu, le an arabe, le kih persan, elles ne servent qu’à introduire dans le récit un discours direct ; ni en substituant un nom au pronom qui le représente, afin d’éviter la confusion, l’amphibologie, et, en un mot, tout ce qui pourrait blesser la susceptibilité de notre langue.

Nous croyons avoir rendu plus fidèlement que la plupart des traducteurs en langues vulgaires un certain nombre de passages tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, non seulement en tenant compte de l’emploi ou de l’omission de l’article déterminatif, qui existe dans l’hébreu et dans le grec, et que l’auteur de la Vulgate n’a pu reproduire dans le latin ; mais en conservant, autant qu’il a été possible, l’ordre même des mots, attendu que cet ordre influe toujours plus ou moins sur le sens du texte ; car il est incontestable que certaines inversions, contraires à la marche naturelle et ordinaire de la phrase, ne sont nullement arbitraires et un pur effet d’euphonie, mais que le mot qui occupe la première place dans une proposition est généralement celui auquel l’écrivain sacré attache le plus d’importance, et par conséquent sur lequel il veut arrêter plus particulièrement l’esprit du lecteur (1).

Comme un certain nombre de passages de l’Écriture se trouvent diversement rendus dans les versions autorisées des catholiques anglais, espagnols, italiens et allemands, nous avons emprunté de ces versions les sens qui nous ont paru les mieux fondés, mais nous avons mentionné les autres en note (2).

L’Église s’opposant avec la plus grande sagesse à la publication de versions en langues vulgaires, quand elles ne sont pas accompagnées de notes tirées des saints Pères ou de savants écrivains catholiques, nous en avons ajouté à notre traduction ; elles ont pour objet, tantôt d’éclaircir les passages obscurs, tantôt de justifier la Vulgate contre l’accusation de barbarie, en montrant que les irrégularités si étranges qu’on lui reproche ne sont que de purs hébraïsmes, qu’elle a voulu conserver par respect pour le texte sacré, tantôt de réfuter les objections faites dans le monde par des chrétiens qui ne sont pas suffisamment instruits de ce qui touche à la religion, tantôt enfin de concilier les contradictions apparentes de la Bible : toutes choses que nous nous proposons de faire avec beaucoup d’étendue dans l’édition destinée plus particulièrement aux ecclésiastiques, et que nous espérons publier immédiatement après celle-ci.

L’Abrégé d’introduction aux livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, auquel nous avons souvent renvoyé le lecteur, est un complément de notre traduction. Craignant de rendre moins facile l’acquisition de notre livre en le grossissant par un trop grand nombre de notes, nous avons pensé que ces deux ouvrages pourraient être très utilement consultés par toutes les personnes du monde désireuses de connaître les vrais principes sur lesquels repose l’autorité de nos Livres saints, et la solution des difficultés soulevées par les incrédules modernes, et surtout par les mythologues et les critiques rationalistes, contre la vérité historique et divine des principaux récits qui y sont contenus.

Nous venons de dire en quoi nous avons tâché de mieux faire que nos devanciers, et par quelle voie nous avons cherché à y parvenir. Avons-nous atteint ce but ? on en jugera. Évidemment, quant à nous, si nous ne pensions pas que notre travail, envisagé sous les nombreux et divers points de vue qu’il embrasse, réunit au moins quelques avantages de plus que les autres travaux de même genre, nous n’aurions jamais eu l’idée de le publier, ou plutôt nous l’aurions abandonné, dès que nous aurions reconnu l’inanité de nos efforts. Mais avons-nous réussi de manière à être satisfait de notre œuvre, à la juger, non plus par comparaison avec les autres traductions françaises, mais avec le modèle dont nous avons entrepris la copie, c’est-à-dire la Vulgate, le livre que tout homme versé dans les matières bibliques considère comme le plus difficile à faire passer dans noire langue? Sous ce rapport, personne assurément ne jugera notre traduction plus sévèrement que nous ne l’avons fait nous-même, parce que personne n’a mieux compris toute l’étendue des difficultés que présente un pareil travail, non seulement pour le langage et pour le style, mais pour le sens exégétique et théologique. Aussi n’est-ce pas sans dessein que, dès le premiers mots de cette préface, nous avons déclaré que, malgré nos quarante années consacrées à l’étude des diverses branches de la science biblique, nous n’aurions pas osé entreprendre une tâche aussi difficile, si nous n’y avions été fortement engagé par des hommes dont l’autorité doit être du plus grand poids pour nous. Nous sommes donc pleinement convaincu que dans quelques passages sur le sens desquels diffèrent entre eux, et les théologiens, et les commentateurs, et les Pères eux-mêmes, nous avons pu ne pas choisir le sentiment le mieux fondé, malgré la comparaison la plus minutieuse des divers moyens qu’offre à un traducteur la critique sacrée, aussi bien que l’herméneutique et l’exégèse. Nous ne sommes pas moins convaincu qu’en ce qui touche au langage et au style, plusieurs imperfections ont pu nous échapper, les unes par inadvertance, les autres par suite du système de littéralité, que nous avons adopté. Disons cependant que sur ce dernier point nous ne pensons pas avoir dépassé les limites que nous ont tracées des écrivains qui jouissent d’une grande autorité dans le monde littéraire.

Quant aux notes qui accompagnent notre traduction, il en est quelques-unes qui, au premier abord, paraîtront peut-être trop scientifiques; mais, comme cette traduction est destinée à tous les catholiques indistinctement, et par conséquent aux hommes instruits et même aux savants, aussi bien qu’à ceux dont l’esprit est moins cultivé, nous avons cru qu’elles ne seraient pas sans quelque utilité. Encore ici, nous n’hésitons pas à le dire, il est très possible que nous ne soyons pas toujours resté dans une juste mesure.

Il nous reste une dernière remarque à faire : c’est que les diverses fautes que l’on pourra relever dans notre traduction ne sauraient être d’une grande importance, puisque le Saint-Siège, auquel nous avons cru devoir la soumettre, n’en a permis la publication qu’après un long examen fait par la S. Congrégation de l’Index.

J.-B. GLAIRE.
  1. (1) Plusieurs critiques ont objecté que saint Jérôme s’est souvent éloigné du texte hébreu ; nous avons répondu ailleurs â cette objection ; nous nous bornerons à dire ici que le texte hébreu que lisait le saint docteur était évidemment différent du nôtre dans plusieurs endroits
  2. (1) Ce n’est pas seulement dans les langues bibliques que l’on trouve ces sortes de constructions grammaticales, c’est encore dans beaucoup d’autres idiomes, tant de l’Orient que de l’Occident ; et le français, en particulier, en fournit de nombreux
  3. (2) Ces versions, que nous avons souvent confrontées en composant la nôtre, sont la Bible anglaise, dont l’Ancien Testament a été publié pour la première fois à Douai par le Collège anglais, et le Nouveau à Reims, également par le Collège anglais ; la Bible espagnole de Philippe Scio ; la Bible italienne d’Antoine Martini et la Bible allemande de Joseph-François Allioli.