La renaissance septentrionale et les premiers maîtres des Flandres/03

CHAPITRE III


Le rôle des Flamands dans la première Renaissance des Valois


Jean de Huy, Jean de Liège, Jean de Bruges, André Beauneveu



Melchior Broederlam
La Fuite en Égypte
Retable de la Chartreuse de Champmol (détail)
(Musée de Dijon)

« Il y a une vérité qui doit ressortir de nos études et de nos examens, » écrit Courajod dans ses Origines de la Renaissance, « c’est que l’art du xive siècle dans le Nord de la France a été essentiellement flamand ».[1] L’illustre professeur soutint cette vérité de toutes ses forces, et pendant trois ans la promena comme un clair flambeau sur le xive siècle qu’il tenait pour le siècle précurseur. Cette grande époque s’en trouva inondée de lumière. On est bien aise aujourd’hui de la connaître ; toutefois on oublie d’où vient sa clarté. Certes on rend hommage à Courajod, mais on conteste l’exactitude de sa découverte. Pour ses plus brillants élèves, le xive siècle perd sa couleur flamande. Les faits cependant n’ont point cessé de parler éloquemment pour le maître, et nous allons voir avec quel éclat les artistes flamands — ou mieux les Belges — s’imposaient dans les milieux artistiques et princiers de France.

Les études de Courajod ont eu particulièrement pour objet la sculpture. Il reconnut les premiers symptômes du Renouveau dans les monuments funéraires. La figure jusque là impersonnelle du gisant devint un portrait. Pour perpétuer le mort on fit appel à la vie. Rien n’était changé aux traditions ; seule la face empruntait une beauté plus réelle à la créature vivante. Le premier portrait apparaît avec la statue de Philippe III exécutée par les imagiers Pierre de Chelles et Jean d’Arras. S’ils ne sont point belges, ils sont gens du Nord. Tout de suite d’ailleurs, à leurs côtés, nous trouvons, à Paris même, un sculpteur autrement puissant et qui est bien des nôtres : c’est Jean-Pépin de Huy — parfois appelé Pépin de Huy, Jean de Huy ou de Wit.[2] Il s’intitulait tombier et bourgeois de Paris. Ses clients étaient de choix. Il exécuta un grand nombre d’ouvrages en albâtre que polychromaient les peintres en vogue. Ses principales œuvres funéraires lui furent commandées par la comtesse Mahaut d’Artois. En 1311 il sculpta le tombeau d’Othon comte de Bourgogne, mari défunt de la comtesse. Le monument était en albâtre et le socle s’animait de pleureurs, comme on en verra plus tard autour des célèbres tombeaux de Dijon. En 1315 maître Jean de Huy exécuta la tombe de Jean d’Artois et en 1317 celle de Robert d’Artois, tous deux fils de la comtesse Mahaut. Le mausolée de Robert placé autrefois dans l’église des Cordeliers de Paris, est aujourd’hui conservé dans l’église de Saint-Denis. Jean de Huy y travailla avec d'autres sculpteurs de 1328 à 1330. On ne sait ce qu’est devenue une armature de fer surmontée d'un dais qui protégeait autrefois le tombeau. Celui-ci se compose actuellement d’une simple dalle et de l’effigie du mort. Robert d’Artois respire une exquise pureté de fleur chevaleresque exhalant un parfum suprême avant de mourir. L’art gothique se serait reconnu dans l’idéalité pieuse du gisant, dans la large simplification des mains jointes, dans le bouclier fleuri de lis royaux, dans la cotte d’armes engainant de plis rigides une longue chemise de mailles. Mais les traits juvéniles de la face correspondent à l’âge du défunt ; des boucles fines, réelles, encadrent la tête d’une coupe à la mode. C’est un timide essai ; la francisation du maître est trop puissante ; son émotion ne peut que balbutier les mots nouveaux. L’œuvre néanmoins est la plus belle que montre le premier tiers du siècle précurseur. Et comme pour souligner ce que ce premier courant doit aux provinces septentrionales, il se trouve que l’étoffage polychrome d’un grand nombre d’œuvres de Jean de Huy fut exécuté par un peintre enlumineur que nous retrouverons et qui s’appelait Pierre de Bruxelles.

Vers le milieu du XIVe siècle la sculpture traverse en France une seconde phase.




Henric van Lattem, Meyere, Nicolas de Clerc.
Le Lavement des Pieds
Fragment du tabernacle de Hal. Groupe en pierre (1409).

Les têtes s’individualisent de plus en plus et peu à peu tout le corps, sans perdre absolument ses rythmes gothiques, voit s’évanouir la noblesse idéale de ses draperies dans une recherche de lignes moins conventionnelles. Telle est l’opinion de Courajod.[3] Il y a sans doute lieu de remarquer ici que l’idéalité des draperies gothiques est plutôt remplacée par des combinaisons de plis, tout aussi conventionnelles, imaginées par les maniéristes parisiens : volutes sous le bras, contrastes entre les petits plis collés sur le buste et les larges sillons creusés sur les jambes etc. Quant aux portraits, ils se multiplient avec un sentiment de plus en plus vif de la ressemblance.

Annoncé par la statue de Philippe, comte d’Evreux et roi de Navarre († 1343) par les divers monuments de Jeanne de France, reine de Navarre († 1349) par l’effigie de Guillaume de Chanac, évêque de Paris († 1348), ce second courant nouveau s’exprime dans les chefs d’œuvre sous le règne de Charles V et successivement s’incarne en deux maîtres wallons : Jean de Liège et André Beauneveu.

Jean, Jehan ou Hennequin de Liège,[4] que les documents appellent parfois Hennequin de la Croix, était employé à Paris par les comtes de Flandre et jouissait d’un grand crédit à la cour de France. Les textes anciens qui le concernent parlent surtout des travaux qu’il exécuta pour Charles V. Le roi le préférait semble-t-il à tous les imagiers et « faiseurs de tumbes » contemporains et lui confia la part d’honneur dans la décoration sculpturale de la célèbre Vis du Louvre. Cet escalier monumental que Viollet-le-Duc essaya de recréer dans un dessin hypothétique, s’ornait de diverses effigies princières et royales placées dans des niches que gardaient des statues de gens d’armes. Une pléiade de maîtres fut requise pour la « taille » de ces effigies : Jean de Saint-Romain, particulièrement fameux, Jacques de Chartier, Guy de Dampmartin, Jean de Launay, tous français. On y joignit un belge : Jean de Liège. Quelles statues pensez-vous que l’on réservât à cet étranger ? Celle des gens d’armes ? Non point. Celles du roi lui-même, de Charles V et de son épouse Jeanne de Bourbon. Cette commande n’épuisa point la faveur royale. Charles V qui avait été duc de Normandie, souhaita que son cœur fut déposé dans la cathédrale de Rouen et à cette intention fit exécuter de son vivant un tombeau d’albâtre et de marbre par Jean de Liège. Le mausolée montrait la figure étendue du souverain, grandeur naturelle, recouverte de vêtements royaux, tenant d’une main le sceptre fleurdelisé, de l’autre un cœur.

Le tombeau du fou de la cour Thévenin de Saint-Léger († 1340), fut également commandé à l’artiste liégeois et payé largement.

La cour de Flandre, d’autre part, employa le maître au tombeau de Jeanne de Bretagne, et cette œuvre, ornée de cuivre, entourée de ferrures et de treillis, fut placée dans l’église des Dominicains d’Orléans. Il ne reste hélas ! aucun vestige de tous ces importants travaux et les créations du sculpteur ornemaniste Jean de Liège employé plus tard à la Chartreuse de Dijon, ne doivent pas être confondues comme l’a fait le chanoine Dehaisnes avec la sculpture iconique du maître tombier des cours de France et de Flandre. Courajod n’était pas éloigné d’attribuer au portraitiste de Charles V le célèbre Couronnement de la Vierge de la Ferté-Milon. Il se demandait en outre si le grand imagier wallon n’était pas l’auteur des statues de Charles V et de Jeanne de Bourbon, dites des Célestins, qui furent si vivement admirées à l’exposition des Primitifs français. L’hypothèse n’est point gratuite en ce qui concerne ces deux derniers chefs d’œuvre, maître Jean ayant sculpté les figures du roi et de la reine pour la Vis du Louvre et étant en outre signalé pour des travaux à l’église des Célestins.[5]

Une jolie page de Christine de Pisan parle de ces deux statues sans en révéler malheureusement l’auteur mais en louant fort le roi, bâtisseur et Mécène de haut vol : « En effect que notre roy Charles fut sage artiste, se démontra vray architecteur, deviseur certain et prudent ordeneur, lorsque les belles fondations fist faire en maintes places, notables édifices beaulx et nobles, tant d’églises comme de chasteauls et autres bastiments, à Paris et ailleurs ; si comme assez près de son hostel de Saint-Paul, l’église tant belle et notable des Célestins, si comme on la peut véoir, couverte d’ardoises, et si belle, et la porte de celle église a la sculpture de son ymage et de la royne s’espouse, moult proprement faite. » En citant cet hommage au protecteur de la première Renaissance française, Courajod constate que pour être d’un auteur inconnu, les deux statues n’en sont pas moins célèbres depuis longtemps. La critique conteste unanimement aujourd’hui que Jean de Liège soit cet anonyme ; l’auteur de ces chefs d’œuvre ne saurait être qu’un français et l’on avance un nom, celui de Jean de Saint-Romain, imagier de la Vis du Louvre. Mais si Courajod basait son hypothèse sur des arguments raisonnables, on plaide sans preuve aucune pour Jean de Saint-Romain.[6]

Il est incontestable que l’auteur des deux statues est pénétré de l'esprit français. Mais n’avons-nous pas vu avec quelle remarquable aisance nos maîtres s’assimilaient les méthodes parisiennes et au surplus n’est-ce point ici l’occasion de rappeler aux érudits de France que Liège n’est point une ville flamande, qu’on est assez mal venu de parler à son propos de la lourdeur et de la force vulgaires des Flandres, et que parmi les artistes liégeois qui firent carrière à Paris a brillé l’un des génies les plus spirituels et les plus essentiellement français du XVIIIe siècle : Grétry ? Au surplus entre Jean de Liège et Jean de Saint-Romain nous ne trancherons pas. Avouons de bonne grâce que le fait décisif nous manque. Admirons plutôt les statues.





Henric van Lattem, Meyere et Nicolas de Clerc.
La Cène. Fragment du Tabernacle de Hal. Groupe en pierre (1409).

Pour le portrait de Jeanne de Bourbon, rappelons ce que dit Courajod : « La reine est morte à quarante ans, en 1377. C’était une femme intelligente, adorée du roi Charles V, d’une bonté proverbiale. Elle n’est pas embellie, au contraire, elle est vieillie en quelque sorte. Ce sont les côtés de bonhomie et de vulgarité que le sculpteur a mis en avant. Quelle opposition avec l’art du XIIIe siècle ! Mais quelle préface à l’art du XVe siècle ! »[7]


Jean de Bruges
Figure tirée de l’Apocalypse de la Cathédrale d’Angers
Tapisserie du XIVe siècle

On a fort bien remarqué, pour la statue du roi, ce que la draperie logique et simple devait à la tradition française ; il est bien vrai aussi que certains rois de Reims ont prêté leur noble port de tête à Charles le Sage. Mais les plis du manteau sont ramenés sous le bras droit avec une légèreté nouvelle, et surtout l’expression bienveillante de la face où sourit une bouche paternelle et fine, atteste d’admirables découvertes pour la vérité intime du portrait.





Jacques de Baerze
Retable de la Vie du Christ, 1391, fragment, (musée de Dijon).

Quel que soit l’auteur de ces deux images, celui-là est un maître et parmi les plus puissants prophètes de la beauté moderne.

André Beauneveu,[8] « maistre ouvrier de thombes », imagier, peintre, miniaturiste et enlumineur de statues, appelé tantôt Bieauneveu, tantôt Beaunepveu, est né dans le Hainaut suivant un célèbre témoignage de Froissart. Parlant d’un séjour que le frère de Charles V, Monseigneur Jehan, duc de Berry, fit au château de Mehun-sur-Yèvre près de Bourges, le grand chroniqueur nous apprend qu’il y « devisoit au maistre de ses ouvriers de taille et de peinture, maistre Andrieu Beaunepveu à faire de nouvelles images et peintures ; car en telles choses avoit-il grandement sa fantaisie de toujours ouvrer de taille et de peinture ; et il était bien adressé, car dessus ce maistre Andrieu n’avoit pour lors meilleur ni le pareil en nulles terres, ni de qui tant de bons ouvrages fussent demeurés en France ou en Hainaut, dont il était de nation et au royaume d’Engleterre. » Donc au dire de Froissart, Jean de Berry s’entretenait à Mehun-sur-Yèvre avec le directeur de ses travaux de peinture et de sculpture, maître André Beauneveu ; Monseigneur songeait à de nouveaux travaux et ne pouvait mieux s’adresser qu’à maître André ; aucun artiste n’était supérieur ni égal à Beauneveu et ses œuvres abondaient en Angleterre et dans le Hainaut dont il était originaire. Telle est la précieuse information artistique que nous transmet le grand chroniqueur.

Froissart devenant critique d’art pour tailler en passant à son compatriote une chaude réclame — comment dire autrement ? — a-t-il un peu grossi la vérité ? Il ne semble pas. Le témoignage d’autres documents anciens nous montre maître André très occupé et admiré. C’est dans les comptes de Valenciennes que son nom paraît pour la première fois en 1361. Nous le trouvons ensuite au service de Charles V et un mandement royal de 1364 nous fixe sur l’importance de l’artiste. « Nostre aimé André Beauneveu notre ymager », dit le mandement, est chargé de tailler les tombes de Philippe VI, de Jeanne de Bourgogne, de Jean II, de Jeanne de Bourbon et celle du roy Charles V lui-même, — œuvres pour lesquelles « nostre aimé » reçut des sommes très élevées. Après quoi le maître s’en retourna probablement dans son pays natal. En 1374 il est à Valenciennes, et il y exécute en 1374 des peintures pour la halle des jurés. La même année, Louis de Mâle ayant décidé de se faire ériger un mausolée dans la chapelle de Sainte-Catherine à l’église de Notre-Dame de Courtrai, manda Beauneveu à Gand, en même temps que Jean de Hasselt, peintre. Ce dernier couvrit de portraits les parois de la chapelle et dessina le tombeau que devait tailler maître André. En 1377 Beauneveu est à Ypres où il sculpte une Vierge pour le côté sud du Beffroi. En 1390 il est au service de Jean, duc de Berry et dirige au château de Mehun-sur-Yèvre les ouvriers de taille, peinture et enluminure de Monseigneur. C’est là qu’il produisit les images et peintures que les hyperboles légitimes de Jean Froissart signalent à la postérité. Les merveilles de Mehun furent d’ailleurs immédiatement célèbres puisque dès l’année 1393, le duc de Bourgogne Philippe le Hardi envoya pour les admirer une mission spéciale composée de son peintre Jean de Beaumetz et de son imagier, un artiste qui promettait : Claes Sluter. Au dire de Froissart, Beauneveu aurait travaillé également pour l’Angleterre ; on le rencontre aussi à Cambrai donnant son avis sur la construction du dôme et il n’est pas impossible qu’il ait travaillé à Malines. Il vivait encore en 1402 ; il était mort en 1413.

Des sculptures de Beauneveu il reste les statues de Philippe VI, Jean II et Charles V, placées à Saint-Denis sur de nouveaux sarcophages. Voici comment à leur propos M. Gonse apprécie l’art du grand imagier : « Les statues de Saint-Denis caractérisent nettement le vigoureux individualisme de sa manière et son magistral sentiment de nature. Beauneveu était un artiste personnel entre tous, il mettait dans l’accent des têtes une conviction qui ne va pas sans une certaine lourdeur, qui touche parfois à la trivialité, mais qui, lorsqu’on l’analyse vous donne cette sensation de force, de grandeur et de vérité que seules possèdent les productions des grands anatomistes de la physionomie humaine. Les œuvres de Beauneveu semblent déborder de réalisme, d’une sorte de réalisme épais, violent, impitoyable, à la flamande. La statue de Charles V est particulièrement significative ; la tête ne manque pas de noblesse et elle a dans tous les détails, un caractère de sincérité tout à fait curieux. Les cheveux qui portent encore des traces de colorations, tombent droit et encadrent vigoureusement le visage ; les mains chargées de veines, sont étudiées avec un soin presque puéril ; le mouvement en est fort beau, ainsi que celui du bras qui relève le manteau. »[9] L’impitoyable préconception du naturalisme flamand n’est point sans laisser de traces dans ce jugement. Beauneveu était wallon, hennuyer, et on nous parle de son réalisme épais, à la flamande ! D’autre part ces excès réalistes n’empêchent point le critique d’accorder au sculpteur le sentiment du geste et de l’expression nobles. D’ailleurs dans le masque de Charles V, le modelé est ample, extraordinairement large. Nous sommes en présence d’un portrait, mais où la reproduction fidèle des moindres accidents de la physionomie préoccupe beaucoup moins le sculpteur que l’interprétation des caractères généraux. Ce réalisme ne va pas sans un certain choix ; il est classique.

Aussi je reviens très volontiers, pour ma part à l’hypothèse de Mgr Dehaisnes, qui voyait en maître André l’auteur d’un puissant et élégant chef d’œuvre : la sainte Catherine de marbre de la chapelle des Comtes de Notre-Dame de Courtrai.[10]





Melchior Broederlam
La Présentation au Temple et la Fuite en Égypte.
Retable de la Chartreuse de Champmol. (Musée de Dijon).


Nous avons vu que dans cet oratoire comtal devait s’élever le tombeau de Louis de Mâle commandé par le comte de Flandre à Beauneveu ; on ne sait ce qu’est devenu le mausolée, ni même si Beauneveu l’acheva jamais, Louis de Mâle ayant été finalement enseveli à l’église Saint-Pierre de Lille. Mais la chapelle des Comtes à Notre-Dame de Courtrai étant dédicacée à sainte Catherine, la statue de la sainte n’est-elle point un souvenir du passage de Beauneveu à Courtrai ? Courajod hésite à l’attribuer à l’artiste wallon parce que la tête est trop idéale. Et certes, voici bien avouons-le, de quoi déconcerter les historiens de l’art.





Melchior Broederlam
L'Annonciation et la Visitation.
Retable de la Chartreuse de Champmol. (Musée de Dijon).


Ne dirait-on pas que ce visage matronal, souriant et grave, au galbe régulier et plein, dont le tragique apaisé s’encadre si noblement de boucles et d’étoffes légères, appartient à quelque patricienne de Rome ? Et la disposition antique de la draperie sur le bras gauche n’est-elle point pour accentuer cette impression ? Les vêtements moelleux où le ciseau laisse comme la trace d’une caresse, ce léger et souple déhanchement, ces mains fines et longues dont l’une s’appuie sur la poignée d’un glaive sans lame, les larges coulées verticales, enfin cette accumulation artificielle de plis fluides multipliant à gauche leurs ondes serpentines, tous ces éléments trahissent un artiste nourri de la tradition française.

Il en fut de Beauneveu comme de Jean-Pépin de Huy, de Jean de Liège ; ils se francisèrent dans une large mesure. Ces enroulements mièvres et charmants de l’étoffe sont une création des imagiers parisiens remplaçant la convention gothique par une autre. On retrouve ces mêmes volutes dans les miniatures de Beauneveu. On les constate même dans la statue de Charles V. Comment le maître de Valenciennes manifestait-il son individualité parmi ces traditions ? En créant des portraits quand il s’agissait de représenter des contemporains, et des figures idéales quand il sculptait des Vierges et des Saintes, — lesquelles gardaient tout de même une robustesse, une réalité tout à fait remarquables dans la structure générale, si nous pouvons choisir pour type la sainte Catherine. Ce marbre, je ne saurais assez y insister, est un exceptionnel chef-d’œuvre. Aucun critique ne le conteste, ni Courajod, ni M. Gonse qui le trouve supérieur aux autres créations du maître, ni M. Kœchlin qui voit en lui « le chef-d’œuvre incontestable de la statuaire belge au XIVe siècle. »[11] Nous ne lui connaissons à cette époque aucun morceau rival sur notre sol. Il est d’un maître au dessus duquel sûrement « n’avait pour lors meilleur ni le pareil en nulles terres ». S’il n’est de Beauneveu, quel est donc le mystérieux génie qui « œuvra » pour la chapelle des Comtes en même temps que maître André ? Qu’on le découvre. Nous nous en réjouirons tous. Notre opinion ne changera point sur la merveilleuse statue et nous constaterons que le bon Froissart gasconnait un peu en faisant du sculpteur de Jean de Berry le plus grand tailleur d’images de son temps.

Il ne reste rien des sculptures exécutées par Beauneveu à Mehun-sur-Yèvre, rien de ses peintures monumentales, mais nous avons de lui des miniatures authentiques dont je reparlerai.

Passons à la peinture et remontons au commencement du XIVe siècle. À ce moment l’italianisme, où s’épanouissaient les fleurs suprêmes de l’idéal gothique, menace une première fois la France. Une seule influence dans le domaine de la peinture combat l’esthétique méridionale et ce courant contradictoire vient du pays flamand. Parmi les rares documents d’archives concernant la peinture de ce temps les plus importants nous parlent d’un brabançon, Pierre de Bruxelles, qui habita Paris sous Philippe le Long. Il passa en 1320 avec le garde de la prévôté de Paris un marché par lequel il s’engageait à décorer une galerie du château d’Artois à Conflans.[12] Et ce contrat renferme deux causes remarquables : 1° la peinture devait être à l’huile ; 2° elle comprenait des portraits de chevaliers recouverts d’armures et toute une flotte évoquant le souvenir d’une expédition du comte d’Artois en Sicile. Des portraits ! Une marine ! Voilà bien le signalement d’une œuvre moderne. Qu’importe dès lors l’inauthenticité des fresques de la Leugemeete, puisque Pierre de Bruxelles s’offre à nous en France comme le premier champion de l’idéal nouveau. Longtemps après, entre 1356 et 1360, un peintre français exécutera ce fameux portrait de Jean le Bon, exposé récemment au Pavillon de Marsan, œuvre intéressante sans nulle doute, mais que je crois fortement retouchée (la draperie fut sûrement repeinte), œuvre sommaire et dans laquelle on a voulu admirer à tout prix les miracles d’un pinceau « libre, hardi, viril », d’un art impitoyablement sincère !

Nous allons en effet trouver quelques uns de ces mérites chez un maître de notre race, Bandol ou Baudol, qui signe Johannes de Brugis, Jehan ou Hennequin de Bruges et qui fut « peintre et varlet de chambre de Monseigneur le roy Charles V. »[13] Jean de Bruges aurait pris le titre de pictor regis en 1373. On suit les traces de son activité jusqu’en 1378. Cité une vingtaine de fois dans les comptes de Charles V et dans ceux des frères du roi, les ducs d’Anjou et de Berry, on ne sait rien des travaux qu’il aurait pu exécuter en Belgique. Aucun de ses tableaux ne nous est parvenu. Toutefois il nous reste deux œuvres capitales pour le juger. En 1373 il peignit sur le premier feuillet d’une Bible historiée conservée aujourd’hui au musée Westreenen à La Haye, le portrait de Charles V recevant la Bible de son valet de chambre Jean de Vaudetar. Pour plaider les mérites de cette peinture flamande exécutée en France, je puis me contenter de citer l’excellente description de M. Paul Mantz : « Charles V… est coiffé d’une sorte de bonnet du matin et son humble robe est celle qu’il devait porter dans sa librairie du Louvre. Une tenture semée de fleur de lis sert de revêtement à la muraille. Le roi est de la laideur la plus ressemblante. Cette miniature est comme un petit tableau de genre, plein d’intimité et de douceur familière. »[14]

Jean de Bruges renouvelle l’art des miniaturistes parisiens à qui — reconnaissons-le — son génie devait beaucoup.





La Fuite en Égypte
Volet d’un tabernacle.
Ecole de Broederlam, vers 1380. Collection Cardon. Bruxelles.


Le maître brugeois dessina en outre les premiers cartons des célèbres tapisseries de l’Apocalypse, conservées dans la cathédrale d’Angers, en s’inspirant précisément des enlumineurs français. Ces tapisseries furent exécutées pour Louis d’Anjou, frère du roi Charles V. Jean de Bruges en conçut l’ordonnance d’après les images d’un manuscrit du XIIIe siècle, prêté par le souverain de France à son frère Louis.[15] Commencée en 1376,


Jean de Bruges
Scènes tirées de l’Apocalypse de la Cathédrale d’Angers
Tapisserie du XIVe siècle

l’œuvre fut continuée et achevée plus tard dans un autre style ce qui en rend l’étude difficile. L’ensemble se composait de sept pièces formant quatre-vingt-dix tableaux dont soixante-neuf subsistent. Chaque pièce montre sous une sorte de loggia gothique hérissée de gables et de pyramidions, un personnage assis, feuilletant l’Apocalypse, et enveloppé de draperies d’une flaccidité très caractéristique. Autour de chacune de ses grandes figures largement conçues, se développent quatorze tableaux illustrant les visions du solitaire de Pathmos. Dans le haut se groupent des anges chanteurs, musiciens ou porte-écussons.

On a voulu voir dans ces tapisseries, une ébauche du Retable de l’Agneau. L’éloge est excessif.





Jean-Pépin de Huy
Tombeau de Robert d’Artois
1317, Eglise Saint-Denis, Seine.


Ces tapisseries, pour ne pas être à la hauteur des miniatures de Jean de Bruges ou des sculptures d’un Jean de Liège, confirment néanmoins nos remarques sur les liens étroits de l’art français et de l’art flamand au XIVe siècle et sur l’intervention significative de nos maîtres dans la première Renaissance des Valois.

Toutefois dans le dernier quart du XIVe siècle l’esthétique picturale s’achemine en France vers une formule éclectique. L’élégance et la mièvrerie françaises, la recherche plus septentrionale de l’expression individuelle parfois poussée jusqu’à la grimace, se combinent avec des tendances voisines de l’art colonais — ou de la beauté siennoise telle que la faisaient connaître non seulement les fresques avignonnaises de Simone di Martino mais encore les travaux des Italiens travaillant chez le roi et le duc de Berry. Nous avons vu cette formule apparaître dans le Calvaire de Saint-Sauveur à Bruges. Elle se manifestait aussi dans une série d’œuvres exposées aux Primitifs français notamment : la Mitre en soie blanche du musée de Cluny, l’Adoration des Mages et la Crucifixion du musée national de Florence, et surtout le fameux Parement de Narbonne que l’on attribua jadis sans raison à Jean de Bruges, puis à André Beauneveu et que, sans plus de preuves, on met à présent au compte de Jean d’Orléans, autre peintre de Charles V.

Ce Parement est un rectangle de soie blanchâtre divisé en compartiments, de telle sorte que la composition apparaît disposée en polyptyque. À gauche on voit le Baiser de Judas, la Flagellation, le Portement de Croix, à droite la Mise au tombeau, la Descente aux Limbes et Jésus jardinier. Le compartiment central représente le Christ en Croix ; des deux côtés sont des arcatures étroites montrant les portraits de Charles V et de Jeanne de Bourbon. Les souverains sont agenouillés, couronnés et surmontés des représentations de la Vraie Foi et de la Synagogue.

Au pied de la croix, les figures des saintes Femmes, d’un charme alangui, vêtues de draperies gracieusement rythmiques et fluides, sont dignes d’un maître siennois ou colonais. Des intentions profondes, marquées par exemple dans le désespoir de la Vierge étreignant le corps de son fils, n’empêchent point la mimique des personnages de tomber dans les violences d’un maniérisme grimaçant. On pressent l’art de Wolgemut. Remarquons aussi le visage douloureux du Christ. Quant aux effigies du roi et de la reine ce sont des portraits pris sur le vif, d’une sincérité simple et forte et tels qu’en pouvaient concevoir les Jean de Bruges, les Jean de Liège, les André Beauneveu. Et même plus tard les sculpteurs de la Chartreuse de Dijon donneront une attitude identique, une même ampleur de draperie, une même exactitude de ressemblance aux statues agenouillées de Philippe le Hardi et de Marguerite de Mâle. Ce Parement est un type de style composite et nous ne pensons pas que Paul Mantz écrirait encore que cette œuvre où il distingue un vieil accent de barbarie savoureuse « ne doit rien ni à l’Italie, ni à la Flandre. »[16]

Admettons que ce Parement soit de Jean d’Orléans ; l’œuvre montre à quel point l’art français était pénétré de sève étrangère. Il en est de même à ce moment de l’art belge qui, tout en représentant plus particulièrement en France l’art de l’avenir, ne laisse point de transiger avec certains archaïsmes et quelques heureuses formules méridionales. Les miniatures de Beauneveu[17] en sont également la preuve tout comme le retable de Broederlam. Maître André est l’auteur d’un Psautier conservé à la Bibliothèque nationale de Paris et que mentionna en 1401 l’inventaire de la librairie de Jean de Berry : « Un psautier escrist en latin et en françois, très richement enluminé, où il y a plusieurs ystoires au commencement de la main de maistre André Beaunepveu. » Les histoires traitées en grisailles se composent de vingt-quatre figures disposées deux par deux, à droite un apôtre, à gauche un prophète de l’Ancien Testament. Les têtes, avec des carnations discrètes, respirent une grande réalité ; de fluides draperies montrent (mais pas avec une persistance absolue) les spirales chères aux maniéristes français. Tous les personnages sont assis sur de « larges stalles à décorations architectoniques,… les unes roses comme dans les tableaux italiens ; les autres vertes, violettes. »[18] On peut reconnaître ces caractères dans les deux personnages que nous reproduisons : un apôtre et le prophète David, et l’on constatera que le style de maître Beauneveu — pour le système des draperies et l’invention décorative — se rapproche fort de celui qu’adopte Jean de Bruges pour les grandes figures de l’Apocalypse d’Angers. Mais Beauneveu ajoute aux physionomies un sentiment de vie plus individuelle. Son David respire une sérénité suave et l’on pourrait presque dire musicale. Dans le même Psautier, un admirable saint Philippe tient « un livre ouvert sur l’une des pages duquel sa main met une croix, avec les mots : Inde venturus est judicare vivos et mortuos ».[19] Le siège est italien ; la draperie garde des enroulements conventionnels dans le bas, sans tomber cette fois dans le système des volutes multiplées. La tête surtout est remarquable, d’un pathétique tout moderne dans sa souffrance résignée. Le Christ du Parement de Narbonne offre le prototype de cette physionomie que nous avons signalée aussi dans le Calvaire de Bruges ; et nous verrons reparaître ce même visage plein d’angoisses réelles, mais que la douleur même idéalise, chez les maîtres de la peinture bourguignonne : Jean Malouel et Henri Bellechose.

André Beauneveu passe pour être l’auteur de deux admirables grisailles qui ouvrent un Livre d’heures conservé à la Bibliothèque royale de


Jehan de Liège ou Jean de Saint-Romain
Charles V des Célestins
Statue en pierre, 2ème moitié du XIVe siècle. (Musée du Louvre)

Bruxelles : « les Très belles heures très richement enluminées du duc de Berry. »[20] L’une d’elles représente la Vierge avec l’enfant Jésus ; la Madone, assise sur un siège compliqué, d’aspect méridional, montre une tête petite, individuelle, encadrée d’une auréole d’or ; la volute chère aux maniéristes se multiplie au-delà de toute mesure dans cette composition. Le manteau de Jésus, la robe et la banderolle de la Vierge, ses cheveux même tout ondule, serpente, se recourbe.



Jean de Liège ou Jean de Saint-Romain
Jeanne de Bourbon des Célestins. 2e moitié du XIVe siècle, (Musée du Louvre).
Dans l’autre grisaille on voit le duc en prière, vêtu d’un manteau à camail et accompagné de saint Jean-Baptiste et saint André. Le système de plis est ici plus calme ; les ondulations n’apparaissent que dans un coin du manteau de saint Jean-Baptiste qui relève le bras gauche pour soutenir l’Agneau mystique. Le fond de ces deux enluminures, pour être conventionnel, n’en est pas moins remarquable. Certains l’appellent évangélique. Pour la Vierge c’est une tenture rouge amaranthe où se pressent dans un ciel invisible des anges chanteurs et musiciens, portant violes, flûtes, orgues et monocordes, déployant des philactères où se lisent les paroles des Cantiques. Les figures du duc et de ses patrons s’enlèvent sur un tapis d’azur semé des fleurs. La couleur de ces deux fonds, malgré sa douceur, tranche vivement avec la transparence ivoirine des visages rehaussés de rose dans les carnations.

La gloire acquise par maître André à la Cour de Berry montre que Paris ne jouissait plus alors d’un prestige exclusif et tyrannique. Mais jusqu’aux environs de l’année 1400, la capitale du royaume resta le point sonore du monde artistique septentrional. Sur un fond français sillonné d’afflux italiens et germaniques se développait un art un peu hybride, mais pratiqué par des maîtres sincères, chercheurs, impatients de découvrir leurs propres voies, et parmi lesquels les maîtres des Flandres plus particulièrement peintres, et les maîtres wallons presque toujours sculpteurs, se tiennent sans conteste au premier rang. Et leur supériorité tend plutôt à s’accentuer lorsque, après la mort de Charles V, les résidences des régents deviennent des foyers rivaux de Paris. Nous avons rencontré André Beauneveu à Mehun-sur-Yèvre. Nous verrons briller Jacquemart de Hesdin et les frères Limbourg à Bourges ; à Dijon s’assemblera une pléiade incomparable avec les Jean de Beaumetz, les Jean de Mareville, les Jean Malouel, les Bellechose, le génial Claes Sluter et son neveu Claes Van de Werve comme têtes de groupe. Ils sont flamands, wallons, hollandais ; la tradition voit en eux une des générations les plus riches de la grande famille flamande. La plupart nous font pénétrer dans le XVe siècle ; mais leurs origines appartiennent au siècle précédent et leur art au moment où le siècle du Renouveau expire vient mettre sur cette ère glorieuse une impérissable couronne flamande.



  1. Leçons. T. II, p. 134.
  2. Cf. J.-M. Richard. Mahaut comtesse d'Artois etc. Paris, 1887, 8°, p. 312 et suiv. ; et Courajod. Leçons, T. II, p. 36 et suiv.
  3. Leçons, v. II, p. 82.
  4. Cf. Dehaisnes, nombreuses mentions ; Courajod, T. II, p. 117 et suiv., et Sauval, Recherches sur les Antiquités de la ville de Paris. T. I.
  5. Courajod. Leçons, p. 103.
  6. Cf. Catalogue des Primitifs français, p. 118.
  7. Leçons. T. II, p. 102.
  8. Cf. Dehaisnes : Nombreuses mentions. Pinchart : Archives des Arts. 1860 et 1863. Courajod : Leçons. T. II, p. 120 et suiv. Edm. de Busscher : Biographie nationale, art. Beauneveu. T.II, p.62 et 63.
  9. L. Gonse : L’Art Gothique. H May. p. 435.
  10. Cf. Dehaisnes : Histoire de l’Art pp. 249 et 250. Jean Rousseau : La sculpture flamande et wallonne du XIe au XIXe siècle (Bull. des commis. roy. d’Art et d’Arch. 1877) et H. Rousseau : La Vierge de Hal et la sainte Catherine de Courtrai. (Bull. des Musées royaux, décembre 1904).
  11. Op. cit. p.19.
  12. Dehaisnes : Op. cit. 415.
  13. Cf. Dehaisnes : Op. cit. ; Paul Mantz, La Peinture française ; A. J. Wauters, La Peinture flamande, p. 26.
  14. P. Mantz : La Peinture franç. p. 156.
  15. Pour Mr L. Delisle les tapisseries d’Angers rappellent plus vivement deux manuscrits conservés à Cambrai et à Metz, que le manuscrit de Charles V portant aujourd’hui le n° 403 du fonds français de la Bibliothèque nationale de Paris. Le grand séminaire de Namur possède de son côté un manuscrit daté de 1360, renfermant 86 miniatures, dont un certain nombre sont très semblables de composition aux tableaux de la tapisserie d’Angers. Cf. Guiffrey. Mémoires de la société de l’histoire de Paris. T. X ; Giry, l’Art, décembre 1876 ; de Farcy, Histoire et description des tapisseries de la cath. d’Angers, Desclée et Brouwer ; L. Delisle et Meyer, l’Apocalypse en français au XIIIe siècle (Soc. des anciens textes. Firmin-Didot, 1901) et G. Migeon, À propos de la tenture de l’Apocalypse, Chronique des Arts, 7 mai 1904.
  16. La Peinture Française, p. 164.
  17. Cf. sur les miniatures de Beauneveau : Dehaisnes op. cit.; Courajod, Leçons. T. II. p. 121 et 152; Catalogue des Primitifs Français ; de Lasteyrie, Les miniatures d’André Beauneveu et de Jacquemart de Hesdin (Mon. Piot, t. III, p. 71).
  18. Courajod : Leçons. T. II, p. 152.
  19. Dehaisnes : Op. cit., p. 255.
  20. J. van den Gheyn: Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque royale de Belgique. T.I, n° 719, p. 445 et 446. Ce Livre d’heures contient en outre vingt grandes miniatures paginales attribuées à Jacquemart de Hesdin et dont nous reparlerons plus loin.