La province de Québec/Chapitre IV

Département de l’Agriculture de la province de Québec (p. 77-135).

CHAPITRE IV




LA COLONISATION




I



L A colonisation pratiquée comme nous l’entendons de nos jours, avec un objectif défini, des méthodes régulières et efficaces, et un ensemble de moyens reconnus comme étant les plus propres à conduire à la fin désirée, ne date guère que d’un quart de siècle. C’est le curé Labelle, l’apôtre du Nord, qui, par ses travaux herculéens et sa lutte homérique contre la nature, contre les préventions, contre les résistances politiques, contre la coalition des intérêts hostiles, a d’abord dégagé la colonisation des entraves les plus grossières, puis lui a imprimé son caractère véritable et l’a fait entrer dans la voie où elle s’avance aujourd’hui largement, en écartant de jour en jour les obstacles qui restent, et en faisant les conditions de la vie de plus en plus faciles, de plus en plus acceptables par le défricheur.

* * *

Le défrichement d’un lot dans la forêt était naguère une entreprise tellement pénible, entourée de tant de difficultés et accompagnée de tant de privations, que les fils des anciens habitants, jeunes gens robustes néanmoins et possédant une étonnante endurance, aimaient mieux aller s’enfouir dans les manufactures américaines, loin de leurs foyers, de leurs parents, de leurs amis, de tout ce qui leur tenait au cœur, que d’ouvrir des terres nouvelles, en acceptant comme conséquence tout ce que cette opération exigeait de sacrifices, et souvent de misère sans compensation, sans remède, et sans espoir.




Le pays manquait presque entièrement de communications et l’on n’avait pas les notions premières de ce qu’il faut faire pour aider la colonisation à ses débuts. On croyait avoir tout fait lorsque la Législature avait voté un subside insuffisant à rencontrer les dépenses même essentielles, un subside qui, dans bien des cas même, était détourné de son objet et allait grossir les magots que les candidats à la députation consacraient à « obliger » leurs électeurs. On croyait encore avoir fait beaucoup lorsqu’on avait pratiqué, à travers les rochers et les souches informes laissées debout, de misérables sentiers faits de trous et de bosses, qui contribuaient davantage encore à rebuter le colon, à lui faire voir combien peu l’on s’occupait de son sort, et combien il était abandonné, avec ses seules forces, avec ses moyens précaires, souvent même son manque absolu de moyens, contre tant de souffrances réunies, contre les regrets qu’amenait l’isolement, contre le découragement qu’amenait l’impuissance apparente de la résignation, de la lutte soutenue tous les jours, sans qu’il se montrât une lueur à l’horizon, une légère étincelle d’espoir en des temps meilleurs.


II


Cette œuvre semblait devoir être condamnée et mourir dans son embryon. À peine naissante, incapable de se soutenir, sans appui, sans protection et sans secours, non seulement elle manquait d’appui, de secours et de protection, mais tous se déclaraient contre elle, la nature qui ne donne rien sans qu’on lui fasse violence, les gouvernements qui avaient bien d’autres soucis et qui ne croyaient pas à la colonisation, les compagnies puissantes qui faisaient le commerce des fourrures, les exploiteurs des forêts qui voyaient dans les colons autant d’ennemis, tandis que ceux-ci étaient précisément leurs alliés les plus précieux, et enfin les députations, qui se faisaient les instruments dociles des marchands de bois, afin de s’assurer leurs bonnes grâces et leur appui dans les luttes électorales.




La colonisation semblait donc vouée à mort et aurait été en effet étouffée dès ses premiers vagissements, étouffée par ceux-là même qui devaient entourer son berceau de toutes les sollicitudes. À peine naissante, cette œuvre, qui est une condition indispensable de vie et de croissance pour le peuple canadien, allait périr misérablement. Le défricheur, le colon, celui-là précisément qui agrandissait la patrie, qui créait des foyers nouveaux, qui se sacrifiait obscurément, sans connaître même la vertu de son sacrifice, à l’affermissement et à l’expansion de la nationalité canadienne, allait être forcé par ses compatriotes eux-mêmes à déserter cette œuvre généreuse et à prendre, aussi lui, le chemin de cet exil déguisé qui conduisait aux manufactures américaines, c’est-à-dire à l’effacement de la personne, à l’oubli de la famille, à l’abandon de toute idée de retour, effectuant ainsi et consommant une perte irréparable pour la province française de l’Amérique britannique, une diminution de force que rien n’aurait pu compenser.




Cependant, et malgré tout, la colonisation avançait. Péniblement, à pas comptés, elle remontait le cours des rivières, pénétrait dans les vallées et les gorges d’un accès relativement facile et d’une fertilité reconnue. À travers forêts et montagnes, la colonisation avançait, boiteuse et souffreteuse, mais elle avançait. Déjà l’on avait laissé loin derrière soi les campagnes riveraines du fleuve et les derniers rangs des paroisses les plus profondes ; déjà l’on avait entamé le nord, le nord lointain, bien au delà des dernières concessions, et l’on avait escaladé les premiers contreforts des Laurentides, en semant au hasard, en maint endroit, le grain qui allait remplacer les bataillons touffus des merisiers, des bouleaux et des conifères. Déjà, en maint endroit, se dessinaient de larges éclaircies où, d’un sol formé et nourri de ses propres débris depuis l’origine des mondes, surgissaient et montaient de plus en plus vers le ciel les graminées portant l’espoir et l’aliment du colon : déjà apparaissait, dans sa virginité farouche, le Nord, ce Nord immense et redoutable encore, que nulle frontière ne limite et qui n’est borné que par l’impossibilité d’habiter des régions où la terre se refuse à produire, et où le climat rend inutiles le travail et l’énergie de l’homme. Devant soi, à perte de vue, s’étendait donc maintenant ce Nord profond, regardé jusque-là comme impénétrable, ce Nord protecteur, redoutable désormais pour tout autre seulement que les Canadiens-Français, et qui allait devenir le boulevard inviolable et sùr de leur nationalité.


II


C’est qu’il faut que les destinées s’accomplissent, il faut que les évolutions aient leur cours et que les peuples entrent dans leur voie, indépendamment des actions humaines, indépendamment de leur concours, tout aussi bien que de leur négligence ou de leur hostilité.

La race canadienne-française est aujourd’hui maitresse presque absolue du vaste versant septentrional du Saint-Laurent. Seule elle y a fondé des établissements durables, des colonies de plus en plus imposantes par le nombre, la vigueur et l’étendue. C’est sur ce versant que sont la plupart des grands fleuves, des grands pouvoirs hydrauliques. Le fleuve Saint-Laurent semble la barrière qui protège la nationalité franco-canadienne, lui assure un déploiement libre, la garantit contre l’invasion étrangère et lui donne la certitude de sa conservation, pourvu qu’elle sache comprendre et seconder les desseins providentiels.

* * *

Rien ne peut plus désormais arrêter l’expansion naturelle de cette race, appuyée sur la possession du sol, sur la force des traditions, l’empire des mœurs établies, celui des faits acquis et la conscience d’une mission à accomplir, plus ou moins bien entrevue, plus ou moins définie, mais qui n’abandonne jamais les Canadiens-Français et dont ils portent en eux comme une image qui guide et éclaire leur marche.

Or, la mission des Canadiens-Français est de cultiver la terre, de devenir les premiers agriculteurs du continent américain. Aussi, poussés par un instinct irrésistible, cherchent-ils à s’emparer du sol, surtout du sol de leur vaste province, dont eux seuls peuvent devenir les maîtres, car ils sont les seuls défricheurs du nouveau-monde. Ils ont l’espace devant eux, l’espace qui s’ouvre de tous les côtés à la fois. Il leur faudrait s’emparer, en dehors de leur province, des territoires où ils retrouveraient la patrie laurentienne, et qui ne seraient pour eux qu’un déplacement, loin d’être un exil.

* * *

Voici que s’ouvre la région de l’Algoma ou du Nouvel Ontario, qui est grande comme la Nouvelle-Angleterre et l’État de New-York réunis. La superficie de la Grande-Bretagne n’est que de 120,850 milles carrés, tandis que le district d’Algoma, à lui seul, en renferme 143,517. Depuis 1886, il y a 50,000 de nos nationaux espacés entre la vallée de l’Outaouais supérieur et le territoire du Nipissing ; même un courant sérieux de colonisation se dirige vers ce dernier district, dont plusieurs cantons ont été fondés exclusivement par des Canadiens-Français. Ils se sont implantés également, et avec des racines profondes, sur les rives de la Saskatchewan, dans la région d’Edmonton, où ils font un commencement d’équilibre aux flots de races des variétés les plus étranges qui envahissent le prodigieux Nord-Ouest. Il faut qu’ils établissent cet équilibre, afin de faire face, sur tous les points, afin de contribuer pour leur part à maintenir le débordement de la gigantesque Colombie anglaise, avec les centaines de millions de ses mines. Avant quinze ans cette province aura pesé d’un poids énorme dans la Confédération. À ce poids il faut un contrepoids. Aux millions enfouis sous terre de la Colombie répondons par les millions qui bondissent dans nos cascades, qui courent dans le sein du grand fleuve et de ses affluents, ou qui couvrent la terre comme un manteau périodiquement renouvelé, et dont il suffit de régler la consommation pour s’assurer une richesse inépuisable.




L’avenir agricole et industriel n’est pas seulement dans le Nord-Ouest et l’Ouest Pacifique ; il est aussi bien dans nos vastes et fertiles campagnes, dans nos chutes d’eau qui contiennent le grand distributeur de la force, le pouvoir illimité désormais nécessaire à des industries dont la production est, aussi elle, en quelque sorte illimitée.

L’absence des écoles professionnelles ou d’application scientifique a longtemps empêché les Canadiens-Français de connaître ou d’apprécier à leur valeur véritable les ressources étonnantes de leur pays ; qu’ils réussissent enfin à avoir des écoles de cette nature, qu’ils puissent enfin ouvrir le grand livre des sciences appliquées, eux qui sont si singulièrement bien doués et si ingénieux en ce qui concerne l’intelligence et l’emploi des forces et des inventions mécaniques, et l’on peut assurer qu’ils se feront et garderont une large place dans les conditions futures des populations nord-américaines.


III


Une des grandes causes qui avaient le plus longtemps fait obstacle à la colonisation bas-canadienne, c’était la légende du climat, obstinément présentée comme étant trop rigoureux pour les habitants de l’Europe. Grâce à cette légende, on se donnait beau jeu contre la province de Québec, tandis que celle d’Ontario, qui comptait à peine quelques milliers d’habitants au commencement de notre siècle, se peuplait à vue d’œil ; il lui avait suffi d’une cinquantaine d’années pour dépasser numériquement la province voisine, qui portait alors le nom de Bas-Canada et qui lui était politiquement unie, avant que fût fondée la Confédération canadienne. Celle-ci devait plus tard embrasser toute l’Amérique britannique du nord, à l’exception de la grande et brumeuse île de Terre-Neuve.


* * *

Aussi la province ne croissait et n’augmentait-elle qu’avec le secours de ses seules forces, sans recevoir aucun appoint du dehors. Et peut-être valait-il mieux qu’il en fût ainsi, comme il en avait été du reste, la plupart du temps, en plein régime français, comme si le cours réglé des événements avait voulu imprimer un caractère particulier au peuple canadien et le préserver pur de tout alliage, afin qu’il fût plus en état de remplir les conditions de son existence. C’est de la sorte que le Canadien-Français a conservé une nationalité distincte par son génie propre, par ses goûts, par sa conception de l’avenir et de l’idéal humain, et enfin par la direction imprimée à l’esprit. Le Canadien se distingue en ce sens qu’il conserve un attachement inaliénable à son ancienne mère patrie, qu’il en est ici comme le prolongement et la continuation, et qu’il l’est jusqu’au cœur même des États-Unis où, tout en se faisant naturaliser citoyen américain, il conserve sa nationalité. Il y opère un déplacement de la France, voilà tout : il reste attaché à ce flambeau qui a éclairé la civilisation et il veut continuer d’en être un des rayons, d’autant plus vivace, d’autant plus puissant qu’il éclaire un plus vaste espace.

Il ne veut renoncer à aucun prix à ce patrimoine de lumière qui lui est commun avec tant de générations antérieures et qui, s’il cessait d’être indivisible, n’aurait plus ni sa valeur ni son importance sociale. Il ne veut pas en un mot se déshériter lui-même, parce qu’aucun des avantages qu’il trouverait dans ce sacrifice ne pourrait compenser pour lui la perte du précieux privilège d’être l’héritier intellectuel de la grande nation qui a maintenu dans le monde le culte de l’art, du beau idéal, de la noblesse de l’esprit, des sentiments les plus généreux et les plus élevés de la nature humaine.




Les ancêtres des Canadiens n’étaient pas des hordes de miséreux poussés par le désespoir, et cherchant, par delà les mers, un asile quelconque où fuir une ingrate et souvent cruelle patrie, avec l’idée de ne jamais la revoir ; ils ne sont pas venus, par centaines de mille, déverser, sur des rivages hospitaliers, le contingent monstrueux de toutes les misères sociales, mais ils sont venus un à un, petit à petit, par faibles groupes, comme choisis par une main avare et difficile, continuer dans une seconde patrie, les foyers de la première. Lentement, péniblement, ils ont passé par tous les degrés de la formation, subi les longues et patientes épreuves d’une éducation mâle et semée de périls ; ils se sont formés avec le temps, cet auxiliaire indispensable de toute constitution virile ; ils ont grandi par leur seule force native et par une sélection, en quelque sorte contrôlée de haut, qu’aucun obstacle, aucune entrave n’a détournée de son action persistante, et aujourd’hui, ils sont un peuple, ils forment une nationalité organique, ayant des traditions déjà séculaires et un passé commun ; seul groupe de population qui, on peut le dire, a reçu en Amérique le multiple baptême des nationalités distinctes et durables, qui a été façonné par les lois et les principes qui les constituent, et qui seul se présente aujourd’hui comme un tout homogène, en présence des éléments indéfiniment variés qui composent, sans la former, l’énorme population des États-Unis.


V


Dans le Dominion du Canada, composé de sept provinces dont une, le Manitoba, n’existait même pas en 1867, lors de l’établissement de la Confédération canadienne, dont une autre, la Colombie britannique, n’existait que de nom, dont trois autres, l’Ontario, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick étaient presque exclusivement anglaises, à part quelques groupes acadiens, cantonnés à l’écart, sans importance numérique ni politique, on remarque aujourd’hui le mouvement persistant, ininterrompu de l’élément français qui, lentement avance, grossit, pénètre de jour en jour les comtés anglais les plus près de la province de Québec, et s’impose au point que les partis politiques sont obligés de compter avec lui et de se le disputer. Ce fait eût paru tout simplement monstrueux, il y a quarante ans ; on l’aurait inscrit parmi les hérésies qu’il faut détruire par le fer et le feu, mais aujourd’hui cette hérésie compte près de trois cent mille fidèles dans les différentes provinces de la Confédération, en dehors de celle qui est presque exclusivement française, qui est la vieille province historique de Québec. Celle-ci contient, à l’heure actuelle, une population que l’on peut estimer à environ dix-sept cent mille âmes, en se basant sur le recensement de 1891, et d’après les calculs faits en 1897, lesquels portaient la population de la province à 1,627,000 âmes, le taux de la natalité à 36 par mille personnes et celui de la mortalité à 20,43 seulement. On signalait même trente-cinq comtés presque exclusivement français, où le taux des naissances dépassait des deux tiers celui des mortalités, et huit comtés où les naissances l’emportaient du double sur celles-ci.


Ajoutez au chiffre de 1,700,000 âmes près d’un million de Canadiens-Français habitant par colonies considérables les États de l’Ouest, du Nord et de l’Est, et surtout ceux de la Nouvelle-Angleterre où ils exercent une influence de jour en jour grandissante, et vous aurez un dénombrement à peu près exact des forces que la race française peut mettre en ligne, sur le continent nord-américain, pour combattre l’action prépondérante des autres races et pour maintenir une position, une influence, une indépendance qui la fassent respecter et redouter au besoin.

* * *

Les calculs faits relativement au nombre des Canadiens-Français qui habitent les États-Unis présentent entre eux des écarts considérables, mais il n’en faut pas moins tenir pour certain que ce nombre atteint peut-être plus d’un million, en y comprenant tous les Canadiens émigrés et descendants d’émigrés depuis 1840, époque vers laquelle l’émigration, qui avait été jusque-là individuelle et limitée, prit le caractère d’un véritable exode et s’est maintenue comme telle jusqu’à ces années dernières.

VI


Quoiqu’ils aient à leur usage et pour leur développement libre un pays qui ne contient pas moins de 220 millions d’acres, dont 22 millions à peine sont en culture, les Canadiens sentent le besoin irrésistible de se répandre au dehors, d’essaimer au loin, comme tous les peuples aventureux et colonisateurs, obéissant en cela à l’impulsion qui poussait les aïeux de leurs aïeux, les Gaulois, et plus tard les Français des 17e et 18e siècles, qui avaient fondé des établissements considérables dans l’Hindoustan, en Océanie, en Afrique, et tout un monde dans le nord de l’Amérique.

Les Canadiens ne sont pas tous nés pour le défrichement ; il y en a beaucoup à qui répugne ce travail pénible et ingrat, dont la rémunération se fait si longtemps attendre ; d’autres, en très grand nombre, ne peuvent résister à l’esprit d’aventure ; d’autres enfin, nombreux aussi, veulent acquérir au plus tôt et jouir de leurs années de jeunesse, dans le sein des grandes villes ; mais tous apparaissent comme possédés du désir instinctif, inconscient pour eux, mais désormais manifeste pour l’observateur, désir de reconquérir pied à pied, et par la voie de l’expansion naturelle, tout le terrain qui leur a été enlevé par la conquête, de l’Atlantique aux Montagnes Rocheuses.

C’est pourquoi vous les voyez partout : ils essaiment et prennent racine sur les points les plus éloignés, sur les sols les plus différents. Ne cherchez pas les causes de l’émigration des Canadiens ; elles sont fatales, elles tiennent au tempérament même de notre peuple. Les Canadiens vont au loin, quand ils ont tant à accomplir dans leur propre pays, parce que cela est dans le programme de leur destinée, parce qu’ils sont appelés à faire échec au débordement des populations étrangères, sur tous les points qu’ils peuvent utilement occuper, avec perspective de succès et d’avenir.

C’est ainsi qu’ils ont pénétré déjà, et assez avant, en vérité, la province du Manitoba et les territoires du Nord-Ouest, qui semblaient leur être irrévocablement fermés, sans compter la province d’Ontario dont ils ont francisé les comtés limitrophes et où ils dépassent le chiffre de cent vingt-cinq mille âmes.


VII


Le Manitoba, qui comprend une superficie de 48,000 000 d’acres, ne compte encore guère plus de 200,000 habitants. En faisant tous les efforts possibles pour y diriger la plupart de ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas, pour une raison ou pour une autre, rester dans la province de Québec, on y établirait sans peine et, en peu de temps, un élément qui ferait sentir son poids dans les affaires publiques. Les Canadiens-Français ne seraient pas là en pays étranger, mais y continueraient d’être chez eux. Ils retrouveraient le milieu social et politique auquel ils sont habitués ; ils y trouveraient des mœurs, une manière de sentir et de faire qui sont les leurs, et des habitudes semblables, modifiées seulement dans les détails par les différences qu’apporte nécessairement la différence des lieux et de la culture ; ils y trouveraient des paroisses déjà importantes, celles de Saint-Jean-Baptiste, de Saint-Pierre, de Sainte-Agathe, de Sainte-Rose, de Lorette, du Lac-Dauphin, de Saint-Léon, de Letellier, etc., où les populations d’origine franco-canadienne sont implantées de telle sorte qu’il ne serait pas possible de les déraciner. Et si l’on veut envisager les conditions de ces populations au point de vue religieux, on verra que le Manitoba renferme 25,000 catholiques, 46 églises ou chapelles desservies régulièrement. 50 postes visités par des missionnaires, six communautés d’hommes et sept communautés de femmes, dont six vouées à renseignement.

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Ces conditions sont bien supérieures à celles où se sont trouvés nos aïeux, lors de la conquête. Eux étaient vraiment abandonnés. Sacrifiés par la mère-patrie et entourés par un cercle infrangible de populations hostiles, ils ont cependant réussi à se maintenir, et non seulement à se maintenir, mais encore, grâce à une force d’expansion et à une vitalité incomparables, ils ont réussi à se développer au point qu’aujourd’hui ils débordent de tous les côtés à la fois et se dirigent, comme obéissant à une consigne secrète, mais impérieuse, sur tous les points de l’Amérique britannique où ils pourront fonder de nouveaux centres inexpugnables.


De même qu’au Manitoba, les Canadiens-Français se sont établis à Saint-Louis, à Langevin et au Lac-aux-Canards, dans la Saskatchewan, à Morinville et à Saint-Albert, dans le territoire de l’Alberta. Le premier de ces deux endroits, fondé dans le district d’Edmonton (territoire d’Alberta), depuis quelques années seulement, est entré dans une voie de développement magnifique. En 1896 on ne comptait encore, dans le district d’Edmonton, que 406 familles françaises ; on en compte aujourd’hui près de sept cents, représentant une population d’environ 3,000 âmes, qui a mis en culture au delà de douze mille acres de terre.

Sur 620 familles franco-canadiennes qu’accusait le recensement de 1898, dans le district d’Edmonton, 120 venaient de la province de Québec et plus de trois cents des États-Unis ; un petit contingent était fourni par la France et la Belgique, qui donnaient, chacune également, vingt familles ; Ontario en donnait 55 et la Colombie Anglaise 17. Les cent vingt familles de la province de Québec, qui sont allées fonder des demeures nouvelles dans le district d’Edmonton, auraient été perdues pour nous, s’il n’y avait pas eu déjà des établissements franco-canadiens dans ce district. Elles auraient immanquablement émigré aux États-Unis, oubliant qu’il y a dans le Dominion de nombreuses régions où l’on peut cultiver la terre sans peine, avec un profit assuré et la certitude d’acquérir en fort peu d’années une honorable aisance. C’est là ce que ne peuvent offrir les filatures américaines où, au contraire, l’âme et le corps ont également dépéri, au bout de quelques années, outre que la main d’œuvre y a perdu beaucoup de son emploi et de sa valeur, et que les prix ont été singulièrement avilis, par suite des progrès de la machinerie et de la concurrence effrénée que se font entre eux les fabricants de tous les produits manufacturés, quels qu’ils soient.


VIII


La colonisation du Canada français est une épopée illustrée par les plus vaillants, quoique les plus obscurs courages, où un héroïsme de tous les instants n’a eu d’autre témoin que le Dieu qui veille aux destinées des nations et, pour les rendre plus fécondes, multiplie, dès l’origine, les sacrifices et les épreuves.

* * *

Pendant près d’un siècle, on a laissé le champ libre à tous les abus, et les plus criantes injustices ont été commises envers les colons, sans que ceux-ci pussent avoir aucun recours contre leurs ennemis, ni même faire reconnaître leurs droits les plus indiscutables. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple entre vingt, les exploiteurs des forêts se prétendaient les propriétaires absolus de tout le bois existant sur les lots acquis par les colons, sous prétexte que ces lots étaient compris dans l’étendue de leurs concessions. Leurs efforts redoublés pour repousser les colons et pour accaparer le domaine public étaient une des formes de l’hostilité à peine déguisée à la race franco-canadienne. Les marchands de bois feignaient de considérer le colon comme un accapareur inopportun du patrimoine national. Ils le représentaient comme tel et même comme un destructeur aveugle du bois, n’ayant d’autre but que de réaliser quelques dollars avec ce bois abattu sur un lot qu’il n’avait aucune intention de défricher. Ils avaient entassé contre lui calomnies sur calomnies, et avaient réussi de la sorte, en généralisant quelques méfaits isolés, en représentant la masse entière des colons comme autant de parasites dangereux du sol, à créer les plus fausses et les plus funestes impressions au ministère des Terres Publiques.

* * *

Depuis longtemps les colons se plaignaient de la sévérité des lois qui prenaient leur origine dans ce ministère. Les hommes de dévouement qui avaient embrassé la cause de la colonisation avec ardeur, pour l’amour de la patrie, ne savaient à qui ni à quoi attribuer les « ukases » que l’on promulguait de temps à autre, comme pour arrêter l’expansion naturelle de notre peuple par les défrichements nouveaux.

Un spectacle qui n’était pas rare, c’était celui d’agents des terres publiques, en présence du mouvement colonisateur qui se faisait jour partout, cherchant à l’enrayer en prétendant que le bois de commerce l’emportait sur les intérêts de la colonisation. Aussi, grand était le nombre des Canadiens qui prenaient la route des États-Unis. Ils éprouvaient trop de difficultés, de la part des agents de certaines circonscriptions territoriales, à se faire donner le lot sur lequel ils avaient jeté leur dévolu.


Croirait-on que nos forêts étaient menacées d’une destruction complète par le feu que des colons au désespoir se disposaient à y mettre dans les temps de sécheresse, afin de trancher, par ce terrible moyen, une question qui faisait leur désolation et leur malheur ? On leur disait : « Vous n’avez pas le droit de vendre le bois qui est sur vos lots, vous n’avez que le droit de le brûler pour faire des défrichements. » Alors ces malheureux qui, souvent sans aucun moyen d’existence, se voyaient frustrés, au profit d’un riche concessionnaire, de la seule ressource qui leur eût permis d’attendre un an ou deux le produit de leur défrichement, accablés de découragement et poussés aux dernières extrémités de la fureur et du désespoir, étaient prêts à commettre des actes d’un vandalisme épouvantable qui eussent coûté des millions à la province et consommé la ruine de nos forêts.

* * *

Mais les conditions de l’établissement du pays sont bien changées depuis l’adoption, en 1888, de la loi Duhamel qui a mis fin à de nombreux abus, en a corrigé d’autres et a introduit dans la législation un esprit nouveau, bien autrement large et bienfaisant.


IX


Depuis 1888, tout ce qu’il est humainement possible de faire a été fait pour améliorer le sort du colon. On a multiplié pour lui les encouragements et facilité sa tâche par tous les moyens à la disposition du gouvernement. On a fait en sa faveur une législation en quelque sorte privilégiée ; on l’a mis à l’abri des vexations, des évictions, des exécutions judiciaires qui auraient eu pour effet de le réduire à l’impuissance et au dénûment : enfin, on a agrandi considérablement le champ de ses ressources en le rendant propriétaire de tout le bois qu’il abat sur le lot qu’il a acquis, au fur et à mesure qu’il le défriche, pourvu qu’il paie au gouvernement le même droit de coupe que le marchand de bois est tenu de payer sur la concession forestière qu’il exploite. Mais cette dernière condition est souvent illusoire, attendu que le paiement du droit de coupe est compté au colon en déduction du prix de son lot, et que, dans une infinité de cas, pour aider aux colons nécessiteux, le gouvernement fait l’abandon volontaire de ses droits.


Aller plus loin dans la voie des faveurs équivaudrait à faire l’abandon du domaine public, à le livrer aux appétits cupides de ces pillards, assez nombreux, qui, sous le nom trompeur de colons, font métier d’acquérir des lots, y remplissent les plus indispensables conditions d’établissement, les dépouillent de leur bois qu’ils vendent dans les chantiers ou dans les villages voisins, et s’en vont ensuite plus loin, sur d’autres lots encore intacts, commettre d’autres déprédations.

Pour prévenir ces abus et les diminuer le plus possible, le gouvernement a imposé de sages restrictions qui deviennent de plus en plus efficaces au fur et à mesure que la province se peuple et que les communications deviennent de plus en plus nombreuses.


X



Sous l’ancien régime, la partie de la Nouvelle-France qui porte aujourd’hui le nom de « Province de Québec » avait été divisée en fiefs et seigneuries que le roi de France donnait gratuitement, dans la plupart des cas, à des officiers de la milice canadienne ou à d’autres personnes dont il voulait honorer le mérite, la valeur et les actions. Ces seigneurs, à leur tour, concédaient à des censitaires, appelés « habitants », des terres de leur domaine dont la contenance n’était jamais au-dessous de trente arpents, et assez généralement de 90, soit trois arpents de front sur trente de profondeur, en tout environ trente hectares.


On conçoit que ces seigneuries ne s’éloignaient guère de la rive des fleuves ou du voisinage des cours d’eau navigables, qui leur servaient de voies de communication pour les réunir entre elles. Afin de pouvoir se défendre contre les incursions des Indiens et contre les expéditions armées des habitants des colonies anglaises voisines, les colons de la Nouvelle-France, si peu nombreux, si faibles, si abandonnés à leurs propres forces, s’étaient massés naturellement dans l’espace compris entre le fleuve et les montagnes riveraines.

* * *

Le mot de « colonisation » n’avait pas alors le sens ample et développé qu’il a de nos jours. Il avait un sens restreint et ne s’appliquait qu’à l’établissement des habitants les uns à côté des autres, et successivement, dans l’espace que nous avons indiqué ci-dessus. Au premier « rang » des terres ainsi juxtaposées et confinant à la rivière étaient venus s’ajouter d’autres rangs dans l’intérieur, parallèlement au premier, au fur et à mesure que la population s’était accrue.


XI


La cession du Canada à l’Angleterre, en 1763, ayant amené une longue série d’années de paix, les générations s’étaient succédé dans ce cadre étroit et avaient fini par en occuper jusqu’à la dernière parcelle.

« Les habitants, trop pressés sur un domaine insuffisant, durent chercher de nouveaux héritages. Mais où les trouver ? Les rives du fleuve et de ses affluents navigables étaient occupées ; comment, sans chemins, sans voies de communication, s’établir dans l’intérieur ? L’agriculteur ne peut, comme le forestier, pénétrer seul dans le désert ; il doit rester en communication directe avec le consommateur de ses produits, et la population croissante demeurait ainsi enfermée dans cet embarrassant dilemme ; la nécessité d’élargir un domaine trop étroit, et l’impossibilité d’en sortir… » (Gailly de Taurines, La Nation Canadienne, page 119).

Pendant ce temps, les États-Unis, où les terres se donnaient pour rien, attiraient la légion des travailleurs fuyant les centres trop peuplés du vieux continent. Le Nord-Ouest, qui devient rapidement le grenier du monde, était encore inconnu, ou, du moins, regardé comme inaccessible et inculte, à cause de son éloignement et de son climat. Du reste, il était sous la domination d’une puissante compagnie, qui se le réservait pour le commerce des fourrures et en faisait son domaine exclusif, en cherchant à perpétuer les préventions dont il était l’objet. D’autre part, la nécessité de conquérir le sol arable sur la forêt rebutait la plupart des colons canadiens. Il ne leur restait donc d’autre perspective que d’émigrer aux États-Unis, à moins que les gouvernements ne prissent la chose en main et facilitassent la colonisation de l’intérieur du pays par tous les moyens possibles, surtout par l’ouverture de communications et par des octrois d’argent fournis aux colons pour subvenir à leurs premiers besoins.


Mais cette question, en apparence très simple, était très compliquée. Elle était en outre nouvelle, et les gouvernements n’en savaient pas assez long à cette époque pour la régler. Elle devait l’être par les sociétés de colonisation et par le clergé, qui se mit à la tète d’un mouvement patriotique embrassant toute la province, et proposa aux fidèles la conquête de la terre comme le plus sûr moyen de gagner le ciel. Ce mouvement fut le point de départ de la colonisation effective des « Cantons de l’Est » et du territoire du « Lac-Saint-Jean », deux admirables régions agricoles qui n’en sont encore cependant qu’aux rudiments de leur prospérité.


XII


Après la conquête de la Nouvelle-France, les Anglais avaient respecté le régime de la tenure seigneuriale pour les terres déjà concédées, mais ils ne l’étendirent pas au delà, et lorsqu’à la suite de la guerre de l’indépendance, le gouvernement anglais voulut récompenser les loyalistes américains qui lui étaient restés fidèles, il leur donna des terres en « propriété libre » (free and common soccage) dans la province du Haut-Canada (Ontario) et dans les « Cantons de l’Est » de la province du Bas-Canada ( aujourd’hui appelée celle de Québec.)


Mais déjà, bien avant la distribution faite aux loyalistes, l’Exécutif colonial avait commencé à livrer de grandes étendues du domaine public encore inculte à des accapareurs de terres, sans les forcer à les établir sous peine de confiscation. Ainsi, la « Compagnie des Terres de l’Amérique Britannique » en avait reçu pour sa part 600,000 acres.[1] De 1793 à 1811, plus de trois millions d’acres de terres publiques avaient été distribués à deux cents favoris, dont quelques-uns eurent jusqu’à 60,000 ou 80,000 acres chacun ; le gouverneur lui-même, sir Robert Shore Milnes, en prenait, pour sa part seulement, 70,000 acres. Dès lors les accapareurs n’eurent plus qu’un objet : attendre du temps une augmentation dans la valeur des terres, tout en guettant l’occasion d’une bonne spéculation. De la sorte, ces domaines, dérobés à la colonisation et conservés à leur état sauvage, servaient de barrière pour empêcher les colons de pénétrer plus avant dans l’intérieur du pays.

* * *

Pendant près d’un demi-siècle les plus révoltants abus de la part des détenteurs du domaine public ont été perpétrés dans les « Cantons de l’Est », la région la plus voisine des États-Unis, et cela malgré la marche inéluctable du progrès, malgré l’ouverture des routes, la construction des voies ferrées et l’extension de l’agriculture, qui en était la conséquence. Tous les mémoires du temps, tous les rapports des comités spéciaux nommés par la Chambre pour s’enquérir des faits et de la situation sont remplis de constatations d’un état de choses parfaitement reconnu, mais inutilement combattu, à cause de l’apathie des hommes au pouvoir, et, dans plusieurs cas, de leur connivence.


Enfin, le clergé s’émut, prit en main la cause des colons, et une véritable croisade s’organisa pour empêcher les forces vitales du peuple canadien de s’écouler chez une nation étrangère. Dans une brochure publiée en 1851 et signée par douze missionnaires des Cantons de l’Est, on demandait énergiquement la suppression du monopole des terres, que l’on considérait comme la principale cause de l’émigration des Canadiens aux États-Unis, et l’on indiquait des solutions faciles, définitives de la question ; mais ce fut encore peine perdue, et tout l’effort des amis de la colonisation dut se porter vers d’autres parties de la province encore à peu près inconnues, regardées comme impénétrables, ou, du moins, comme n’offrant aucune espèce d’avenir ni d’équivalent pour les durs labeurs auxquels les premiers occupants seraient condamnés, pendant un bon nombre d’années.

* * *

Ce fut alors que prit naissance le mouvement de colonisation vers le bassin du lac Saint-Jean, mouvement qui en amena d’autres à sa suite vers des régions également inconnues et également fertiles, telles que les vallées de l’Outaouais supérieur et de la Métapédia, et qui inaugura toute une ère nouvelle dans l’établissement, dans le peuplement, dans l’agriculture et les conditions économiques et industrielles de la province.




Région du Lac-St-Jean




I


La région qui porte le nom ci-dessus en est une célèbre entre toutes celles dont l’ensemble constitue la province de Québec. Elle est célèbre par la tradition, par la légende, par sa formation géologique restée un problème, par sa fertilité incomparable, et enfin par le pittoresque et la grandeur de sa nature.


Cette région embrasse une superficie de 31,000 milles carrés ou environ 19,840,000 acres, entre le 48e et le 50e degré de latitude nord, et entre le 71e et le 73e de longitude ouest ; mais la partie actuellement habitée est toute comprise, du sud au nord, entre les 48e et 49e degrés.

C’est déjà dire quel vaste champ reste ouvert au travail et à l’activité du colon, puisque la population actuelle disséminée dans cette région n’atteint encore que cinquante mille âmes, malgré les grands progrès accomplis durant la dernière décade.

* * *

La colonisation du bassin du lac Saint-Jean n’a commencé que vers les années 1851-52. À cette époque, Chicoutimi et la Grande-Baie, qui forment aujourd’hui des centres si importants du « pays de Saguenay », étaient encore eux-mêmes dans l’enfance ; et, dans l’intérieur, au delà de ces deux embryons de paroisses, en remontant le cours du Saguenay jusqu’au lac Saint-Jean, il n’y avait absolument que la forêt vierge, et pas même l’ébauche d’un canton.


À l’heure actuelle, le nombre des cantons délimités et plus ou moins ouverts à la colonisation, dans le bassin du « Lac » proprement dit, s’élève à plus de trente, dont les plus fertiles, à l’est et à l’ouest du lac, peuvent à bon droit être appelés le « grenier de la province ».


Le lac Saint-Jean égoutte l’immense bassin qui porte son nom et est le réservoir de plusieurs grandes rivières.

La plus grande longueur du lac atteint 28 milles (44 kilomètres), et sa plus grande largeur a été calculée à 25 milles. Un mesurage exact lui donne 365 milles en superficie et une circonférence de 85 milles.

Il y a tout autour du lac un vaste système de communications par eau, formé par les nombreuses rivières qui s’y jettent.

Les principales de ces rivières sont, au sud du lac, la Métabetchouane et la Ouiatchouane ; à l’est, la Belle-Rivière ; à l’ouest, la Chamouchouane ; au nord-ouest, la Ticouapee et la Mistassini ; au nord et au nord-est, la grande et la petite Péribonca.

Ces rivières, en même temps que quelques chemins indispensables, ont offert, jusqu’à il y a quelques années, les seules voies de communication pour les colons, d’un endroit à un autre de la contrée. Mais, depuis lors, des ponts ont été construits sur plusieurs d’entre elles et des chemins ont été ouverts en bon nombre dans l’intérieur.

* * *

Ces rivières, dont la plupart sont navigables jusqu’à vingt et vingt-cinq milles de leur embouchure, par des bateaux d’un faible tirant d’eau, arrosent des terrains d’une si grande étendue et d’une fertilité telle qu’on a pu dire, avec raison, que le bassin du lac St-Jean deviendrait un jour le grenier de la province de Québec. Le fait est qu’il peut former à lui seul une province entière, et qu’il est devenu déjà un vaste champ d’approvisionnement pour la capitale, en même temps que celui vers lequel se tournent les plus actives, les plus sérieuses tentatives de colonisation et d’exploitation industrielle.


II


La région du Lac-Saint-Jean comprend tout le comté de ce nom, plus une partie du comté de Chicoutimi. Le comté proprement dit du Lac-Saint-Jean se compose, à l’heure actuelle, des cantons dont les noms suivent :

À l’Ouest :

Chamouchouane,
Demeules,
Parent,
Dufferin,
Normandin,
Girard,
Albanel ;

Au Nord :

Racine,
Dolbeau,
Pelletier,
Dalmas,
Taillon,
Honfleur ;

À l’Est :

Delisle,
Garnier,
Jogues,
Signaï,
Labarre ;

Au Sud :

Caron,
Mésy,
Saint-Hilaire,
Dequen,
Dablon,
Crépeuil,
Malherbe,
Charlevoix,
Métabetchouane,
Roberval,
Ross,
Déchêne.


III


Les colons qui peuvent disposer d’un capital plus ou moins considérable, trouveront à acheter des terres déjà en culture et plus ou moins avancées, soit dans les vieilles paroisses, soit dans les cantons nouveaux. Au dire des cultivateurs de la région, la plupart de ceux qui sont venus y prendre des terres à l’origine, n’avaient pas le sou ; maintenant, bon nombre d’entre eux valent de mille à dix mille dollars, quelques-uns jusqu’à dix mille : tout leur avoir a été acquis par la culture, bien qu’ils eussent à lutter contre une foule de désavantages et d’obstacles qui n’existent plus aujourd’hui. Quand les fils de cultivateurs étaient nombreux, il en partait un ou deux pour les États-Unis ; les autres demeuraient avec leurs parents et prenaient charge de la terre. Dans presque tous les cas, ceux qui étaient allés aux États-Unis sont encore des ouvriers, tandis que ceux qui avaient pris charge de la terre de leurs parents sont maintenant sur de bonnes fermes bien pourvues de bestiaux.

D’où la leçon est facile à tirer.

* * *

La colonisation se développant sans cesse fait maintenant le tour du lac tout entier. Depuis quelques années déjà elle s’est avancée rapidement vers l’ouest, par les cantons Normandin et Albanel ; la voilà aujourd’hui qui s’étend vers le nord, et les vallées de la Mistassini et de la Péribonca vont bientôt déployer pour l’homme toute leur fécondité.




Les cantons Normandin, Albanel et Parent, à l’ouest du lac




I


En 1879, on fondait le canton Normandin, entre les rivières Chamouchouane et Ticouabée, en arrière du canton Parent, à douze milles dans l’intérieur. Pendant des années les colons n’eurent même pas de chemins pour communiquer entre eux. Les premiers temps furent extrêmement pénibles ; mais, depuis une dizaine d’années, la colonie a pris un remarquable essor. On y compte actuellement plus de trois cent cinquante familles.




Le canton a dix milles de largeur et dix rangs de hauteur. Les colons ont en général de bonnes habitations et des bâtiments proprement tenus, ce qui indique que leurs propriétaires jouissent d’une réelle aisance. Les défrichements sont faits à fond ; quant au bois de construction, les rives des cours d’eau en sont garnies ; n’oublions pas que ce bois fait partie de la grande forêt qui, partant de la rivière Chamouchouane, s’étend jusqu’à la baie de James, prolongement de la mer Hudson.

La population de Normandin dépasse seize cents âmes ; elle s’est doublée dans l’espace des deux dernières années. On ne saurait prévoir ce que l’avenir réserve à cette contrée quand des communications régulières, quotidiennes, y seront établies.



En haut de Normandin, entre la Ticouabée et la Mistassini, s’étend le canton Albanel où les premiers colons arrivèrent, il y a huit ans seulement. On y compte cent soixante-huit familles, dont plusieurs sont dans une véritable aisance. Le sol de ce canton est le même que celui de Normandin. On peut dire que ce dernier canton, celui d’Albanel et celui de Parent qui l’avoisinent, sont les types de ce que sera un jour cette admirable portion de la vallée du lac Saint-Jean, qui forme l’ouest du lac et qui ne tardera pas à renfermer bon nombre de paroisses florissantes.

II


À partir de Roberval, point d’aboutissement actuel du chemin de fer qui traverse toute la région de Québec au Lac, un excellent chemin de voiture conduit jusqu’aux cantons Normandin et Albanel, et de là jusqu’au confluent de la rivière Mistassibi avec la Mistassini, où les Révérends Pères Trappistes ont fondé un monastère et un établissement agricole.

* * *

Il y a six ans à peine que les Pères Trappistes ont obtenu leur concession du gouvernement, et déjà, autour du monastère et dans le pays environnant, deux cent trente familles ont fixé leur foyer dans les cantons nouveaux de Dolbeau et de Pelletier, et plus de deux cents lots ont été retenus. L’espace abonde encore pour des centaines d’autres familles qui voudront aller s’y établir sur des terres d’excellente qualité. On a déjà défriché trois mille arpents sur les bords des nombreuses rivières qui arrosent la contrée. La Mistassibi ou rivière Au-Foin, qui se jette dans la Mistassini, non loin du lac Saint-Jean, reçoit les eaux de la rivière Aux-Rats, laquelle a elle-même pour affluent la rivière À-la-Carpe. Tout cela forme, dans un rayon de quelques milles, un réseau d’irrigation précieux pour la colonisation. On compte déjà, disséminés sur les bords de ces cours d’eau, cent cinquante toits de colons, parmi lesquels un certain nombre de Français.


Les Pères Trappistes ont pour leur part défriché un millier d’arpents sur la vaste concession que leur a faite le gouvernement. Ils y habitent au nombre de vingt-deux religieux, un monastère de construction très simple ; ils y ont en outre aménagé une beurrerie et un moulin à farine ; ils y ont fondé une école et construit une scierie qui fournit le bois nécessaire aux colons de la contrée pour édifier leurs maisons


L’hiver on se rend à la Mistassini en voiture ; l’été, les colons s’y rendent gratuitement en bateau, deux fois par semaine. Il y a donc dès maintenant toutes les facilités désirables ; aussi, une impulsion inouïe a-t-elle été donnée à cette partie du pays depuis qu’elle a été pourvue de communications régulières.

En outre, le gouvernement vient de faire construire un immense pont pour relier l’établissement de Mistassini aux colonies naissantes du nord du lac. Ces colonies sont : 1° celle de Péribonka, établie depuis le mois de juin 1897, à l’embouchure de la rivière de ce nom. Bien que de date récente, elle compte déjà une trentaines de familles, venues principalement des Éats-Unis ; 2° celle de Honfleur-sur-Péribonka.

Ce dernier établissement n’existe que depuis le mois d’août 1898. Il embrasse le territoire fertile qui environne les chutes de la rivière Péribonka, à huit ou dix milles plus haut que son embouchure.

La colonie a été baptisée du nom de Honfleur, en mémoire de la présence de l’honorable M. Turgeon, commissaire de la Colonisation et des Mines, à la fête commémorative de Honfleur. France, dans le cours de l’été de 1898.

III


La situation de Honfleur est une des plus belles de toute notre province.

Les cantons Dolbeau, Dalinas et Taillon, qui bordent la rivière Péribonka, contiennent des terres d’une fertilité qui ne le cède en rien aux plus beaux champs du Nord-Ouest canadien.

Plus loin, en gagnant vers l’est, toujours sur les bords du lac, on trouve l’établissement florissant de la rivière « À-la-Pipe », dans le canton Taillon. Aussitôt que le besoin s’en fera sentir, il n’est pas douteux qu’un nouveau chemin reliera cet établissement à celui de Péribonka, et, alors, le réseau des chemins autour du lac sera complété.

* * *

Ces divers établissements étant passablement éloignés les uns des autres, le gouvernement utilise les différentes rivières comme voies de communication entre eux. Il a fait construire, dans ce but, spécialement pour le transport des colons et de leurs effets, un bateau pouvant naviguer sur les rivières, grâce à son faible tirant d’eau, même lorsque l’eau est très basse. Ce bateau, appelé le « Colon », fait le service du lac depuis cinq ans et visite, chaque semaine, les différentes colonies de la région, en remontant les rivières navigables ; les services qu’il rend, en mettant en rapport entre eux tous les établissements du Lac Saint-Jean, sont inappréciables.

* * *

Les trente premières années de l’établissement du Lac-Saint-Jean ont été extrêmement pénibles. Il n’y avait d’autres communications par terre qu’un chemin rudimentaire entre Roberval, sur le lac, et les ports de Chicoutimi et de la Grande-Baie, sur la rivière Saguenay, qui servaient de débouchés, pendant l’été, à tout ce vaste territoire. Encore, les bateaux à vapeur desservant cette ligne ne se rendaient-ils à ces deux ports que deux fois par semaine. Mais aujourd’hui, la Compagnie du Richelieu, la plus importante des compagnies de navigation intérieure de la province de Québec, a établi un service quotidien de magnifiques paquebots, entre Québec et les deux ports cités ci-dessus, qui fonctionne pendant près de sept mois de l’année.


D’un autre côté, depuis 1888, une compagnie extrêmement entreprenante, qui a su passer à travers des obstacles insurmontables, a réussi à construire une ligne de chemin de fer qui s’étend de Québec à Roberval, du côté ouest, et jusqu’à Chicoutimi, du côté est.

Le point de bifurcation des deux bras de la ligne est un endroit appelé Chambord, à 180 milles de la capitale. Avant longtemps, la ligne sera prolongée jusqu’à la Grande-Baie, c’est-à-dire jusqu’à la tête de la navigation océanique de la rivière Saguenay. La Grande-Baie possède un vaste havre que les plus gros transatlantiques peuvent atteindre en toute sûreté. Il est question d’y raccorder à la voie ferrée une ligne de vapeurs rapides, ce qui augmentera du double les communications existantes.

* * *

La compagnie du chemin de fer du Lac-Saint-Jean, qui a à cœur le défrichement rapide et la mise en exploitation de cette région éminemment productive, offre aux cultivateurs qui veulent s’établir au Lac-Saint-Jean des privilèges exceptionnels. Elle transporte gratuitement, de Québec au Lac, tous les colons de bonne foi avec leur famille, ainsi que les effets de ménage d’un poids n’excédant pas 300 livres pour chaque personne adulte, et 150 livres pour chaque enfant.

Les colons de bonne foi qui désirent simplement d’abord examiner les terres, obtiennent des passages à moitié prix.

Ces privilèges sont accordés à tout aspirant colon, sur présentation d’un certificat du département de la Colonisation et des Mines.

Les trains circulent régulièrement, tous les jours et pendant toute l’année, entre Québec, Roberval et Chicoutimi.

III

La partie de la contrée qui s’étend de Chambord à Chicoutimi est la plus anciennement peuplée ; elle contient d’importantes et florissantes paroisses, telles entre autres Saint-Jérôme, qui renferme la plus belle fromagerie peut-être de toute la province, Saint-Gédéon, Saint-Bruno, Hébertville, Jonquière, etc., etc.

Trois bateaux à vapeur font le service entre les différents ports du lac Saint-Jean. Ce sont le « Colon », le « Mistassini » et le « Péribonka ». Ce service n’existe que depuis cinq ans. Le « Colon » est spécialement affecté au transport des colons et de leurs effets, le tout gratuitement.

* * *

Depuis que les chemins de fer y circulent, la région du Lac Saint-Jean a changé complètement de physionomie. L’agriculture, l’industrie et le commerce se sont développés comme subitement. L’industrie du bois et l’industrie laitière, notamment, ont pris des proportions étonnantes. De tous côtés, il s’est établi des scieries, des fromageries et des beurreries. On compte vingt-deux fromageries dans le comté du Lac-Saint-Jean, et cinq beurreries et fromageries combinées.

En 1871. la population de ce territoire n’était que de 17,493 habitants ; en 1891, elle s’élevait à 38,281, et, en 1899, elle dépassait le chiffre de 50,000 âmes.

Dans l’espace de vingt ans, la production du blé a été portée de 10,912 à 154,590 minots. Tous les produits de la ferme ont augmenté dans la même proportion.

* * *

En 1888, première année d’exploitation, on avait coupé sur les terrains bordant la ligne du chemin de fer 210,000 billots de bois. C’étaient là les débuts de l’industrie forestière dans cette partie du pays. Aujourd’hui, le ministère des Terres Publiques en tire déjà un revenu suffisant à payer l’intérêt d’une grande partie des subsides votés en faveur de la compagnie du chemin de fer.

Les diverses industries qui alimentent le trafic de la région et le commerce du bois et de la pulpe donnent de l’emploi à près de 6,000 hommes.


En 1898, 1,100,000 billots de bois ont été coupés sur le parcours de la ligne. Bon nombre de scieries nouvelles ont été établies, dont la plus considérable est à Roberval. Celle-ci, propriété de M. B. A. Scott, peut scier tous les jours environ 100,000 pieds de bois. De cinq à six cents hommes sont employés dans les « chantiers ». Ces hommes sont en général des colons qui n’ont pas d’autres moyens de subsistance, l’hiver. L’été, il faut environ deux cent cinquante hommes pour faire le flottage du bois, le sciage au moulin et l’expédition. L’emploi d’un aussi grand nombre d’hommes, avec celui des chevaux qui sont nécessaires pour charroyer le bois et apporter les provisions aux chantiers, crée un marché local pour tous les produits de la ferme.

Le bois coupé et façonné par les scieries établies le long du chemin de fer du Lac Saint-Jean a suffi pour alimenter de cet article le port de Québec, depuis plusieurs années. En 1898, le chemin de fer a transporté 250,000 tonnes de bois de toute catégorie, y compris la pulpe, et près de 200,000 passagers.



La quantité de fromage transportée dans le cours de la même année a été de 2,179,986 livres, représentant une valeur d’environ 220,000 dollars ou 1,100,000 francs ; on ne compte pas dans ce chiffre la quantité considérable de fromage qui a été expédiée sur les bateaux à vapeur. La nouvelle pulperie de Chicoutimi, dont on augmente actuellement le pouvoir de production de cinquante pour cent, a donné elle aussi une grande quantité de fret.

Le mouvement de la colonisation vers le district du Lac-Saint-Jean ne s’est pas ralenti dans le cours de l’année 1899. De nouveaux colons, au nombre de 1,022 y ont été transportés avec leurs effets de ménage. Environ la moitié de ces colons viennent des États-Unis, les autres en partie de la Nouvelle-Écosse, en partie des vieilles paroisses de la province de Québec. Bon nombre d’entre eux se sont établis dans la vallée de la Péribonka, ou près de l’établissement des Trappistes.


La compagnie du chemin de fer fait particulièrement des efforts pour rendre efficace le mouvement qui a été inauguré en vue de rapatrier les Canadiens émigrés dans les États de la Nouvelle-Angleterre ; on peut dire que jusqu’à présent elle y a réussi de façon suffisante à l’encourager dans sa louable entreprise.

On évalue à 2,300 le nombre de colons nouveaux qui, pendant les années 1897, 1898 et 1899, ont pris des terres dans la région du Lac.

Les produits laitiers transportés par le chemin de fer donnent les chiffres suivants :


En 1895 
  
1,318,865 livres
En 1899 
  
2,149,996 livres


Nombre d’hommes employés dans les chantiers de bois :


1897 
  
2,000
1898 
  
4,000
1899 
  
5,000


IV


Il s’est formé récemment à Québec un syndicat pour établir une ligne régulière de bateaux à vapeur entre Roberval, Péribonka et la nouvelle paroisse de Honfleur ; le syndicat se propose même de fonder une ferme expérimentale à ce dernier endroit.

On annonce en outre la formation d’une compagnie ayant pour objet d’établir des fabriques de pulpe et de papier, principalement aux chutes des rivières Péribonka, Mistassini et Chamouchouane, de construire des lignes de chemin de fer pour rattacher le lac Saint-Jean à la Grande-Baie, et enfin des lignes de télégraphe et de téléphone pour relier tous les endroits de la région.


V


La contrée du Lac-Saint-Jean est surtout propre à l’élevage des bestiaux. Le fourrage est tellement riche que le mouton qu’on y élève est déjà renommé pour l’excellente qualité de sa chair. Bon nombre de wagons chargés de ces animaux ainsi que de bêtes à cornes sont expédiés chaque année sur les marchés des villes. On peut donc prévoir qu’à l’avenir l’industrie laitière, déjà solidement établie dans le pays du Lac, y jouira pendant de longues années encore d’une prospérité toujours grandissante.


Les connaissances agricoles ont fait des progrès considérables dans la région du Lac Saint-Jean, grâce à la propagande du « Journal d’Agriculture Illustré », aux efforts persistants et méthodiques du ministère de l’Agriculture et de celui de la Colonisation, grâce aussi aux notions nombreuses répandues par les conférenciers agricoles et, enfin, à la détermination arrêtée des colons d’en finir avec les vieilles routines et de marcher hardiment dans les voies nouvelles.


Tant d’excellents résultats consolent de longues années d’inertie et font naître les plus fermes espérances pour l’avenir. Il existe maintenant un esprit et une méthode de colonisation ; c’est cet esprit qui a inspiré la création spéciale d’un ministère de la Colonisation et des Mines. L’œuvre va être dorénavant poursuivie régulièrement et systématiquement, et elle réussira comme ont réussi toutes celles qui ont appliqué la méthode et l’esprit de suite au choix des moyens et à la mise à profit des ressources disponibles. La colonisation est enfin organisée et l’on sait aujourd’hui de quelle manière procéder pour arriver à des résultats certains. Il ne reste plus qu’à marcher résolument et intelligemment dans les voies tracées, à savoir les agrandir encore et à en ouvrir de nouvelles, en conservant toujours le même esprit initiateur et dirigeant. C’est là ce que tout le monde attend avec confiance d’un personnel comme celui qui a été appelé à la conduite du nouveau ministère de la Colonisation et des Mines, personnel d’élite et formé à l’école maîtresse de l’expérience.




Les « Cantons du Nord » ou la « Région Labelle »




L’immense étendue de pays qui forme le bassin inférieur de l’Outaouais et qu’arrosent plusieurs des affluents principaux de cette grande rivière, pays communément appelé le « Nord de Montréal », a pris durant la dernière décade un développement tellement rapide, tellement inattendu que l’observateur, habitué à l’antique allure de la colonisation, se sent tout dépaysé et dérouté au milieu des colonies nouvelles qui ont surgi et des noms inconnus qui remplissent son oreille. Il lui semble déjà loin le temps où le colon était obligé de porter sur son dos, à travers des sentiers à peine pratiqués, le sac de farine dont il allait tirer le pain de sa famille. Cela ne se voit plus aujourd’hui, et cependant c’est de l’histoire récente. Tel colon qui, à l’heure actuelle, vit dans l’aisance sur une terre en plein rapport, a mangé de la galette de sarrasin pendant plusieurs années, et peiné comme une bête de somme dans des sillons ingrats, sur des lots de terre inaccessibles à tout secours humain.


Il n’y a pas plus de vingt ans, tout le pays compris entre Sainte-Agathe, à vingt lieues au nord de Montréal, et la « Chute-aux-Iroquois », que l’on appelle aujourd’hui « village Labelle », n’était qu’une forêt épaisse ; même avant la construction du chemin de fer et la création des paroisses de Saint-Faustin et de Saint-Jovite, qui relient actuellement Sainte-Agathe à Labelle, on ne pouvait se rendre à ce dernier endroit, petit groupe d’habitations chétives élevé sur la rivière Rouge, que par un chemin horrible, praticable seulement dans les plus beaux jours, dérobé, la plupart du temps, sous les souches d’arbres laissées sur place, les rochers à fleur de terre et les ornières profondes d’où l’on n’arrivait pas toujours à tirer les grossiers véhicules qui s’y aventuraient. C’était la seule route offerte aux colons ; elle n’était pas même ouverte, elle avait été simplement tracée, avec quelques abattis d’arbres pour en indiquer le passage. Parfois la voiture qui portait la malle à la Chute-aux-Iroquois, une fois par semaine, y restait engloutie ; alors, il fallait aller la chercher à cheval, et si le cheval lui-même ne passait pas, on restait privé de la malle. Cela durait jusqu’à dix à douze jours de suite, suivant les temps et les saisons.

* * *

Où il n’y avait que des sentiers il y a aujourd’hui des routes ; ce qui n’était que des postes de chantiers, appelés « Fermes », est converti en groupes coloniaux plus ou moins considérables, en petits villages, quelquefois en paroisses. Rien ne faisait soupçonner à cette époque qu’on osât jamais, en moins de dix ans, pratiquer un chemin de la rivière Rouge à la Lièvre, en pleine forêt, quand, sur les bords de la Rouge même, tout le sol était encore à l’état sauvage. Seul le génie divinatoire du curé Labelle avait devancé les temps et tracé un chemin de fer jusqu’à Maniwaki, c’est-à-dire jusqu’au cœur même de la vaste région septentrionale de la province.

Aujourd’hui, tous les cantons du nord communiquent entre eux par des chemins améliorés, en outre de l’ancienne communication par les lacs et les cours d’eau, qui est encore très commode, très agréable, et qui a conservé son caractère primitif, le charme et le pittoresque du paysage laurentien, si goûté des voyageurs. Les trois vallées de la rivière Rouge, de la Lièvre et de la Gatineau sont reliées entre elles par un excellent chemin carrossable, en attendant qu’elles soient rattachées à la vallée du Saint-Maurice et à celle du Saguenay, et par suite au bassin du lac Saint-Jean, par la ligne du « Grand-Nord », dont la construction sera complétée en juillet 1900, et par celle de l’« Occidental », sous le contrôle du « Pacifique Canadien », qui, actuellement, fonctionne de Montréal à Labelle et qui, dans deux ou trois ans d’ici, aura atteint Maniwaki, sur la Gatineau. De ce dernier endroit, elle ne tardera pas à se prolonger, toujours en se tenant dans l’intérieur, à travers les immenses comtés d’Ottawa et de Pontiac, jusqu’à la colonie florissante du lac Témiscamingue, où elle sera parvenue enfin à l’extrémité occidentale de la province, après avoir parcouru, à partir de Montréal, un trajet d’environ quatre cents milles, ou 667 kilomètres.




La Gaspésie




La vaste presqu’île de la Gaspésie, qui n’est devenue en partie pays agricole que depuis un petit nombre d’années, comprend la fertile et florissante vallée de la Matapédia.

Jusque vers l’année 1870, les essais de culture dans la Gaspésie avaient été très précaires et très subordonnés à des circonstances purement locales. Depuis les premiers établissements, la population avait été formée et comme assujétie à l’exercice d’une industrie unique, celle de la pêche. C’était dans la Gaspésie une tradition dominante que ses habitants ne pouvaient être autre chose que des pêcheurs, et cependant elle renferme de larges étendues d’un sol égal à celui des meilleures parties de la province. L’impossibilité de réagir contre cette tradition funeste et l’absence lamentable de communications avaient empêché les Gaspésiens de faire le moindre effort pour sortir de l’état de vasselage où les tenait une occupation unique, tout entière du reste exercée au profit des grandes maisons qui faisaient le commerce des poissons du golfe Saint-Laurent et de la baie des Chaleurs avec les pays étrangers, principalement avec l’Italie, le Brésil et la République Argentine.

Mais, aujourd’hui, la tradition a été démolie de tous les côtés à la fois ; l’agriculture est victorieuse, et la Gaspésie apparaît, dans certaines de ses parties en particulier, et notamment sur toute la côte qui borde la baie des Chaleurs, jusqu’à une distance prolongée dans l’intérieur, comme une région ayant enfin mérité d’être comptée parmi celles de la province où la culture est la plus productive.

* * *

Il y a quelques années, une colonie belge s’était établie sur un des points de la côte, à huit milles du rivage, auquel elle avait donné le nom de Musselyville, et qui est devenu rapidement un canton très prospère. C’est maintenant au tour d’une colonie française qui vient de choisir des lots entre Paspébiac et Port-Daniel, c’est-à-dire précisément au cœur des plus fertiles cantons de la Gaspésie.

Le gouvernement provincial s’est engagé à donner à tous ceux qui veulent s’établir en Gaspésie des lots de 40 et de 80 hectares de terre. De plus, pour aider et encourager les colons sérieux, sur chaque lot de cent acres (40 hectares), le gouvernement fait défricher dix acres de terre, y construit une maisonnette de seize pieds sur vingt, avec quatre fenêtres et une étable. Chaque ferme ainsi formée est offerte à loyer, moyennant la somme de trente dollars, ou 150 francs par année ; le colon peut, s’il le préfère, devenir propriétaire du lot en payant au gouvernement une somme de trois cents dollars (1500 francs), en plusieurs versements successifs.

* * *

À Port-Daniel, endroit où Jacques-Cartier, le découvreur malouin, a mis le pied pour la première fois sur le sol canadien, le 20 juillet 1534, les familles qui voudront s’établir et prendre un lot, pourront défricher pour d’autres personnes à raison de huit dollars (40 francs) de l’acre, pendant tout l’hiver ; on leur abandonnera en outre la récolte de la première année sur tout le terrain défriché par elles.

On logera gratuitement les familles à leur arrivée, pendant un mois ou deux.

Les colons qui auront abattu une dizaine d’acres de forêt, soit sur leurs lots, soit sur des lots d’autres personnes, recevront, comme prime d’encouragement, deux barils de farine, trois quarts de patates (pommes de terre) et un quart de morue salée.

On annonce d’autre part, comme très probable, l’établissement d’une ligne de paquebots entre Bruges (Belgique) et Gaspé, un des plus beaux ports de mer, non seulement de la Gaspésie, mais encore de toute l’Amérique.




Les Cantons de l’Est




La région qui porte le nom ci-dessus est la région agricole par excellence de la province de Québec, à cause de sa situation géographique remarquablement favorable et de la douceur relative de son climat. On y trouve des fermes admirablement cultivées, parfaitement outillées, des fermes-modèles véritables où la culture se fait suivant des règles et des méthodes sûres, auxquelles viennent s’ajouter tous les perfectionnements modernes.




L’ensemble de ce territoire, qu’on avait appelé jadis avec assez de raison « les Cantons de l’Est », par rapport aux deux provinces réunies du Haut et du Bas-Canada, a gardé improprement ce nom qui devrait être converti aujourd’hui en celui de « Cantons du Sud », par rapport à la seule province qui fait l’objet du présent ouvrage.

En effet, les « Cantons de l’Est » sont limitrophes des États du Vermont et du New-Hampshire, au 45e degré de latitude ; ils ne dépassent pas le 46e 20’ dans la direction du nord, et sont compris à peu près entre le 71e 15’ et le 73e degré de longitude ouest.

Ils contiennent bon nombre de centres populeux, très actifs, très industrieux, et, à la tête de tous, la ville de Sherbrooke, qui compte au delà de dix mille âmes et qui est un des chefs-lieux les plus importants de la province.

* * *

Plusieurs lignes de chemins de fer traversent les « Cantons de l’Est » dans des directions différentes, et les communications y sont nombreuses.

Dans le principe, les « Cantons de l’Est » avaient été destinés à être peuplés par des colons de langue anglaise, afin de faire contre-poids au développement toujours croissant de la population franco-canadienne. On y avait établi en « propriété libre » les loyalistes américains, pour les récompenser de leur fidélité à l’Angleterre lors de la guerre de l’Indépendance. En outre, de larges apanages avaient été taillés au bénéfice de particuliers puissants et de la « Compagnie des Terres de l’Amérique Britannique », qui les gardaient rigoureusement et apportaient toutes les entraves possibles à la colonisation. Mais ces entraves durent céder un jour devant la poussée et la persistance de la colonisation franco-canadienne.

De nos jours, les « Cantons de l’Est » sont habités en majorité par des colons de race française. On pourra juger des progrès successifs que ces derniers ont accomplis si l’on applique à l’ensemble de ce territoire les statistiques de population comparée fournies par la ville de Sherbrooke, et que l’on trouvera dans le tableau suivant :
Recensement officiel de 1851-52 :

Émigrants venant d’Angleterre 
  
226
Émigants venan d’Écosse 
  
155
Émigants venan des États-Unis 
  
189
Émigants venan d’Irlande 
  
857
Canadiens-Français 
  
487
Nés en Canada et non Français 
  
1,084

Nés Population totale 
  
2,998


Recensement officiel de 1870-71 :

Anglais, Écossais, etc. 
  
1,739
Irlandais 
  
438
Canadiens-Français 
  
2,255

Cana Population totale 
  
4,432


Recensement officiel de 1880-81 :

Anglais, Écossais, etc. 
  
2,399
Irlandais 
  
554
Canadiens-Français 
  
3,957

Cana Population totale 
  
4,432


Recensement local de 1898 :

Anglais, Écossais, etc. 
  
3,312
Irlandais 
  
800
Canadiens-Français 
  
5,948

Cana Population totale 
  
10,060


Les sociétés de colonisation

I


Dans la province de Québec l’œuvre colonisatrice se fait en grande partie par les sociétés de colonisation, qui ont des agences établies dans différents centres, et jusque dans les États-Unis où des agents spéciaux travaillent en faveur du rapatriement.

La Société de Colonisation de Montréal et celle de Québec sont à la tête du mouvement. L’action de la société de Montréal est plus étendue, s’exerce de la façon la plus louable et la plus fructueuse. Elle a convoqué en 1898 un grand congrès de colonisation qui a été tout un événement dans la grande métropole de la province. On y a traité toutes les questions et discuté toutes les matières relatives à la colonisation, et tous les moyens les plus pratiques pour en activer le développement. Le fait que la colonisation devient rapidement un des objets qui préocupent le plus l’attention publique a été rendu manifeste à tous les yeux. On a pu constater que son caractère officiel s’élargissait et s’ouvrait à l’intervention de tous les citoyens qui veulent apporter leur concours, quel qu’il soit, à l’œuvre patriotique par excellence. Aussi en est-il résulté une activité nouvelle dans les opérations de la société et la conscience désormais acquise pour tous que les efforts faits dans les directions indiquées, loin d’être perdus dans l’indifférence publique, éveillent au contraire la plus vive sollicitude.


* * *

La Société de Colonisation de Québec accomplit une œuvre très active, poursuivie avec un entrain, une persistance et une vigueur qui portent d’excellents et nombreux fruits. Cette société s’occupe tout particulièrement du rapatriement des Canadiens émigrés et de l’établissement du territoire du Lac-Saint-Jean. Elle travaille, dans ce but, de concert avec la compagnie du chemin de fer, laquelle apporte un concours des plus intelligents et des plus féconds en résultats.

L’agent principal de la société, M. René Dupont, se multiplie sur tous les points, visite sans relâche, l’un après l’autre, tous les endroits où il y a de la besogne à accomplir, fait des conférences, expédie des délégations, détermine des mouvements de colonisation par groupes, et a réussi enfin à faire du rapatriement des Canadiens émigrés aux États-Unis une réalité qui prend forme de plus en plus et devient une préoccupation de plus en plus intéressante.


II


Les Sociétés de Colonisation ont pour objet avant tout l’adoption et la vulgarisation des meilleures méthodes de peuplement. Le plus grand obstacle qu’elles rencontrent est dans l’insuffisance des chemins, tellement que, pour un bon nombre de personnes, le problème de la colonisation se réduit pratiquement à une question de voirie. Il faut y ajouter le maintien de prescriptions surannées et de formalités dilatoires qui gênent énormément l’action des sociétés et rebutent les colons. Ajoutons encore l’insuffisance du budget, tout en faisant remarquer que le gouvernement a dépensé, en 1898-99, trois fois plus d’argent que les années précédentes pour les ponts et les chemins.

« Quant aux colons, ils abondent et attendent sur tous les points l’action du gouvernement, » dit M. le docteur Brisson, agent général de la Société de Colonisation de Montréal. « De chacune de nos vieilles paroisses partent annuellement des essaims de jeunes gens, appelés par vocation à la culture du sol et assez disposés du reste à s’y livrer, mais que les lenteurs administratives ou le manque de direction poussent fatalement vers les villes du Canada et des États-Unis. »

La classe ouvrière de Montréal, entre autres, fournit bon nombre de colons.

* * *

Quant aux Canadiens des États-Unis, il faudrait travailler surtout à détruire en eux un reste de défiance au sujet de la position qu’ils occuperont, une fois revenus dans leur ancienne patrie. Ils ignorent que le gouvernement est prêt à leur donner toutes les garanties possibles d’encouragement et de succès. Le gouvernement n’a plus désormais qu’à accorder des permis de défrichement et à entreprendre des travaux publics pour procurer aux colons un travail rémunérateur, pendant qu’ils défrichent leurs terres.

III

À la suite de leur dernière réunion, les membres de la société de colonisation de Montréal ont résolu de demander au gouvernement : 1° la gratuité des terres pour les colons d bonne foi ; 2° des subventions abondantes pour l’ouverture de chemins nouveaux et pour l’entretien des chemins déjà construits ; 3° un service de guides pour diriger les colons dans le choix de leurs lots.

Du 1er juillet 1897 au 1er juillet 1898 la Société de Colonisation de Montréal distribuait 2050 colons nouveaux dans les différentes parties de la province, et la Société de Québec en plaçait environ 1700. De ce nombre faisaient partie environ 700 Canadiens revenant des manufactures américaines, et près de 150 Français et Belges.

Les trois quarts de ces colons se sont dirigés vers les Cantons du Nord et le bassin du lac Saint-Jean.

Le chiffre des Canadiens rapatriés en 1897-98 a dépassé 4000 âmes.


Au bureau d’Immigration de la province on a enregistré 2205 émigrants venant d’Europe pour se fixer au milieu de nous. Ils sont répartis, suivant leur nationalité, comme l’indique le tableau suivant :

Anglais 
  
1,108
Irlandais 
  
345
Écossais 
  
224
Français 
  
288
Belges 
  
141
Autres nationalités 
  
91

Autres Total 
  
2,205

Sur ce nombre on compte 1212 fermiers, 340 artisans et 653 femmes, domestiques et enfants.


Un certain nombre d’émigrants agricoles français ont été adressés par l’honorable monsieur Fabre, commissaire du Canada à Paris, et se sont établis dans la province ; le nombre n’en est pas aussi grand que les années précédentes, par suite des efforts faits par le gouvernement pour porter les émigrants de France à aller s’établir dans les colonies françaises ; en outre, le fait d’étre obligés de prendre, dans un port de France, un paquebot en destination des États-Unis, voie plus coûteuse que celle du Saint-Laurent, empêche beaucoup d’émigrants français de se diriger du côté de la province de Québec.


IV


Les tentatives faites jusqu’à présent pour fonder dans cette province de véritables colonies agricoles françaises ou belges n’ont pas réussi, parce qu’on a voulu établir des colons européens de la même manière que s’établissent les purs colons canadiens, et faire défricher des terres boisées à des gens absolument impropres à ce travail.

Les Français et les Belges ne connaissent rien au défrichement des terres boisées ; ils n’en ont pas l’habitude et leur faire abattre des bois, dès leur arrivée, c’est les vouer d’avance au découragement et à la misère.

Pour empêcher ces déplorables conséquences, M. A. Bodard, agent d’émigration française au Canada, a acheté, dans le comté de Bonaventure, pour des familles françaises désireuses d’y immigrer, des terres complètement en labour, avec étables, granges et maisons où elles pourront loger dès leur arrivée. Il a de plus offert à des défricheurs canadiens de leur payer huit dollars de l’acre défriché, et de leur laisser la récolte qu’ils obtiendront la première année sur tout le terrain défriché par eux.

Ces offres ont paru assez avantageuses pour déterminer 300 demandes de colons des États-Unis et du Canada, qui veulent s’établir dans la nouvelle colonie et travailler sur les lots des Français.

Le plan de M. Bodard, comme on peut le voir, assure trois résultats à la fois : il attire l’émigration française, favorise le rapatriement des Canadiens, lesquels n’étaient pas assurés jusque-là de trouver de l’ouvrage à leur retour dans le pays, et enfin empêche les Canadiens eux-mêmes, jusqu’à un certain point, de s’expatrier pour trouver des moyens de subsistance.

Tout le monde y trouve donc son compte, chacun travaille suivant son goût et ses aptitudes, et l’on ne saurait douter que la première colonie agricole française fondée sur une pareille base ne soit assurée du succès, dans un avenir plus ou moins rapproché.


Mouvement de la population dans l’Amérique britannique

En 1871, la Confédération canadienne, fondée quatre ans auparavant, ne comprenait encore que les provinces d’Ontario, de Québec, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse.

L’île du Prince-Édouard, non encore fédérée, comprenait 94,000 habitants.

Le Manitoba et la Colombie anglaise, à peine éclos à la vie politique, ne comptaient ensemble qu’une population de 56,240 âmes.

Le recensement de « 81 », les provinces étant réunies et fédérées, au nombre de sept, donnait une population de 4,325,000 âmes ; celui de 1891, 4,833,240 âmes.

Sur ce chiffre, 648,000 personnes étaient nées à l’étranger.




La province de Québec comptait 1,488,535 personnes, dont 1,292,000 catholiques.

La province de Québec ne reçoit que très peu d’augmentation du dehors à sa population. En 1881, on n’y comptait que 76,802 individus nés à l’étranger, contre 1,282,225 nés au pays, et en 1891, 82,021 nés à l’étranger contre 1,406,514 natifs de la province.

La population de la province de Québec était, en 1871, de 1,192,000 âmes ; en 1881, de 1,359,025 âmes, et en 1891 de 1,488,535 âmes.

La population rurale de la province comprend les huit-dixièmes de la population totale.

En 1881, la ville de Montréal comptait 155,237 âmes ; en 1891, elle en comptait 216,650.

Aujourd’hui, l’on estime que la population de la ville, faubourgs et banlieue compris, déliasse le chiffre de 300,000 âmes.

La population de Québec, qui n’était, en 1891, que de 64,000 âmes, en renferme aujourd’hui probablement 80,000, grâce aux progrès considérables qui s’y sont accomplis pendant la dernière décade et à un mouvement inouï de commerce et d’activité générale.


  1. Deux acres et demi font un hectare.