La philosophie du bon sens/IV/XVIII

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§. XVIII.

que les principales Preu-
ves de Spinosa sont ti-
rées du sisteme de
Des-Cartes.


Spinosa n’admettoit qu’une seule Substance matérielle & infinie. Il en prouvoit l’Infinité, de la même Maniere que Des-Cartes prouve son Indéfinité. On ne peut, disoit-il, donner aucune Borne à l’Etendue. À quelque Point que notre Esprit se fixe, il conçoit au de-là une Etendue, que non-seulement il imagine, mais qu’il connoît devoir être telle qu’il se l’imagine. Il faut donc, l’Etendue étant infinie, que la Substance le soit auſſi, puisque la Substance s’étend par-tout où il y a de l’Etendue. due. Or, puiſque cette Subſtance eſt infinie, & qu’il ne peut y avoir deux Infinis, je dois l’appeller Dieu, ou la Cauſe efficiente de tous les autres Etres, qui ne ſont que des Modes de cette Subſtance infinie, qui les produit tous elle ſeule, & qui les reçoit tous dans ſon Sein, lorſqu’ils changent de Figure, ou qu’ils ſont détruits.

Si cette Subſtance, continuoit Spinoſa, eſt infinie, & qu’elle ſoit par conſéquens néceſſairement Dieu, comme je l’ai fait voir par l’Impoſſibilité de deux Infinis, il faut néceſſairement qu’elle ait exiſté de tout Tems ; car, qui auroit pu la créer. Il ſeroit abſurde de dire, qu’un prémier Infini a créé un ſecond Infini. Ne pouvant ſubſiſter enſemble, à plus forte Raiſon l’un ne peut émaner de l’autre. Il faut donc encore néceſſairement que cette Subſtance étendue ait exiſté de toute Eternité, & qu’elle ait eu toutes ſes Qualitez ; celle de l’Intelligence, de la Production, du Mouvement, &c. Le Sentiment des anciens Philoſophes, qui faiſoient Dieu coëternel avec cette Subſtance étendue, & l’en diſtinguoient comme un Etre ſeparé, devient ridicule, & tombe de lui-même, par l’Impoſſibilité de deux Infinis, qui ſe préſente toujours. Et ſi l’on veut abſolument que Dieu ſoit diſtinct de la Subſtance étendue & infinie, il faut donc faire Dieu fini, & par conſéquent inférieur de beaucoup à la Subſtance étendue, qui, étant elle-même infinie, eſt mille fois plus parfaite & plus digne d’être regardée comme la prémiere Divinité.

Vous voïez, Madame, que j’avois Raiſon de vous dire, que le Spinoſiſme raiſonné fondoit ſes Dogmes ſur bien des Principes du Cartéſianiſme. À Dieu ne plaiſe pourtant, que je veuille taxer Des-Cartes, qui a été un des plus grands Génies du Monde, & toujours très perſuadé de la Spiritualité de Dieu, d’avoir voulu favoriſer l’Athéisme. Mais, je n’ai fait ces Réfléxions, que pour vous montrer, que, de Sentimens qu’on croit ſouvent les plus innocens, on peut quelquefois tirer des Conſéquences les plus pernicieuſes. Il en eſt des Philoſophes ainſi que des Amans. Les uns prennent pied ſur le moindre Mot, les autres ſur la moindre Faveur. Ils ſont cependant tous également incertains : & la Philoſophie eſt pour le moins auſſi trompeuſe, que la plus fieſſée Coquette de Paris.