La philosophie du bon sens/IV/XIX

◄  XVIII.
XX.  ►

§. XIX.

du Mouvements des Atomes.


Puiſque vous m’avez forcé, Madame, à prendre Parti pour Gaſſendi contre Des-Cartes, quoiqu’à vous dire le vrai, je ne ſois pas trop affermi dans mon Opinion, je vous expliquerai cependant, par le Mouvement des Atomes, pluſieurs Effets de la Nature, qui nous ſont cachés, & qui tiennent de l’Obſcurité des Principes généraux de la Phyſique.

Lucrece nous aſſûre que les Atomes ſont dans un Mouvement perpétuel, qu’ils ont eu de tous les Tems. Mais, nous corrigeons cette Erreur, & nous ſavons que Dieu, en les créant, a été leur prémier Moteur.

Le Changement perpétuel qui s’obſerve dans toutes les Choſes a occaſionné le Sentiment de Lucrece[1]. Il a crû avec Raiſon, que ce Changement ne venoit que du Départ continuel des Atomes, qui, étant dans une perpétuelle Agitation, cherchoient à ſe délier les uns des autres, & à ſe mettre en Liberté dans l’Eſpace vuide qu’ils parcourent avec une extrême Rapidité, juſques à ce qu’ils ſe ſoient racrochés avec quelques autres. Ainſi, l’Augmentation de tous les divers Corps n’eſt produite que par un nouveau Ramas d’Atomes ; & la Ruine & la Deſtruction des autres, que par leur Deſenchainement, & leur Fuite. La Façon, dont les Parties principales d’un Corps ſenſible à nos Sens, viennent à ſe deſunir, peut nous donner une Idée de la Deſunion des premières Parties actives de la Matiere.

Il s’offre une Difficulté dans le Mouvement perpétuel qu’on accorde aux Atomes. Car, il ſemble qu’il eſt impoſſible, que les Atomes, qui compoſent les Parties d’un Morceau d’Or, de Fer, & d’autres Corps très compactes, ſoient en Mouvement, & cherchent à ſe détacher. On peut répondre, que les Corps les plus ſolides ſont remplis de petits Eſpaces vuides qui favoriſent cette Agitation, qui ne nous doit pas paroître extraordinaire, quoi qu’elle ne tombe pas ſous nos Sens ; puiſque nous en voions l’Expérience tous les jours dans un Morceau de Plomb, qu’on fond, & qui, dès qu’il eſt entièrement fondu, ſemble reſter ſur le Feu dans un grand Repos, quoiqu’il doive y avoir en lui un Mouvement très violent. Car, dès que les Parties actives du Feu ont pénétré dans le Plomb, après s’être inſinuées dans ſes Pores, elles ne peuvent plus en ſortir, & y ſont retenues captives par d’autres Parties actives du Feu qui ſe ſuccédent perpétuellement les unes aux autres. Elles s’inſinuent donc de tous cotez, & deſaſſocient & délient juſques aux Parties les plus petites du Plomb, qui, ne pouvant ſe rejoindre, tant qu’elles continuent d’être agitées, font que le Plomb reſte liquide juſques à ce qu’on l’ôte du Feu, & que les Parties actives de cet Element, qui l’avoit diſſou, ſe ſoient échapées & exhalées. Dans tous les Mouvemens rapides, qui ſe font dans la Fonte des Métaux, à peine peut-on s’appercevoir d’une Agitation preſque inſenſible. Ainſi, nous devons penſer, qu’il n’eſt point extraordinaire qu’il puiſſe y avoir un Mouvement intérieur dans les Corps les plus compactes, qui puiſſe dans les ſuites occaſionner leur Deſtruction.

Il eſt pluſieurs Corps légers & volatiles, où l’on apperçoit le Mouvement perpétuellement, comme dans l’Eſprit de Salpêtre, celui qui ſe tire du Mercure, de l’Etain, & du Sublimé préparé. Tous ces Corpuſcules légers ſont ſans ceſſe en mouvement, dès qu’ils ſont renfermez dans une Bouteille.

  1. Nam certè non inter ſe ſlipata. coheret
    Materies ; quoniam minui Rem quamque videmus
    Et quaſi longinquo fluere omnia cernimus Ævo,
    Ex Oculiſque Vetuſtatem ſubducere noſtris

    Cum tamen incolumis videatur Summa manere
    Propterea, quia quæ decedunt Corpora quoque,
    Und, abeunt, minuunt, quo venêre agmine donant ;
    Illa ſene fære ; at hæc contra floreſcere cogunt,
    Nec remorantur ibi. Sic Rerum Summa novatur
    Semper, & inter ſe Mortales mutua vivunt,
    Augeſcunt aliæ Gentes, aliæ minuuntur,
    In quo brevi Spatio mutantur Sæcla animantum,
    Et quaſi Curſores Vitaï Lampada tradunt.

    Lucretius, de Rerum Naturâ,
    Libr. I, Verſ. 66 & ſeqq.