La philosophie du bon sens/IV/III

◄  II.
IV.  ►

§. III.

Examen des sistemes diffé-
rens de ceux qui ont cru
le Monde éternel.


Les Philoſophes Grecs avoient été prévenus par les Egyptiens dans l’Opinion de l’Eternité du Monde : & peut-être les Egyptiens l’avoient-ils été par d’autres Peuples, dont nous n’avons aucune Connoiſſance. Mais, nous ne pouvons en être éclaircis : car, c’eſt en Égypte où nous découvrons les prémieres Traces de la Philoſophie. Les Prêtres étoient ceux, qui s’y appliquoient le plus : mais, généralement tous les Egyptiens croïoient & admettoient deux Divinitez prémieres & éternelles, le Soleil, & la Lune, qui gouvernoient tout l’Univers. Ils croïoient, que l’Eſprit & le Feu appartenoient au Soleil, le Sec & l’Humide à la Lune, & l’Air à tous les deux ; & penſoient, que tout le Corps de l’Univers étoit formé de ces deux Aſtres : l’Eſprit, le Feu, le Sec, l’Humide, & l’Air, n’étoient que des Membres de ce Corps, comme la Tête, les Pieds, & les Mains, ſont les Membres de celui de l’Homme#1.

Quoique ce Siſtême ne ſuppoſât point entièrement le Monde éternel ; cependant, il approchait beaucoup de celui d’Ariſtote, en ſuppoſant l’Eternité du Soleil Se de la Lune. Il étoit beaucoup moins abſurde, que celui qui rendoit le Hazard la Cauſe de [1] l’Arrangement de l’Univers ; au lieu que les deux prémiers Principes intelligens, que ſuppofoient les Egyptiens, leur faiſoient trouver aiſément la Cauſe de l’Ordre & de ſa Continuation. Ils n’étoient plus ſurpris de la Juſteſſe que nous appercevons dans le Cours des Aſtres & dans les Arrangemens de Saiſons, puiſque la Regle avoit été faite, & étoit encore conſervée, par des Etres intelligens & éternels.

Les Romains prirent des Grecs l’Opinion de l’Eternité du Monde. Lorſqu’ils commencérent à s’appliquer à la Philoſophie, ils embraſſérent peu-à-peu toutes les Sectes différentes, & chacune eut ſes Partiſans dans Rome, ainſi que dans Athenes. Les uns adoptérent les Sentimens de Démocrite, d’Empedocle, de Diogene, d’Heraclite, d’Anaximandre, d’Epicure, de Zénon ; & crurent, que le Monde avoit eu un Commencement : les autres embraſſérent le Parti d’Ariſtote, & des autres Philoſophes qui avoient ſuivi ſon Sentiment ; & penſérent, que l’Univers avoit toujours été dans le même État où ils le voïoient. On diſputa dans l’Italie auſſi vivement que dans la Grece : l’on y avança auſſi peu ; & l’on ne fut pas plus éclairci dans un Païs que dans l’autre.

  1. Διὸ καὶ τὸ μὲν ἅπαν σῶμα τῆς τῶν ὅλων φύσεως ἐξ ἡλίου καὶ σελήνης ἀπαρτίζεσθαι, τὰ δὲ τούτων μέρη πέντε τὰ προειρημένα, τό τε πνεῦμα καὶ τὸ πῦρ καὶ τὸ ξηρόν, ἔτι δὲ τὸ ὑγρὸν καὶ τὸ τελευταῖον τὸ ἀερῶδες, ὥσπερ ἐπ´ ἀνθρώπου κεφαλὴν καὶ χεῖρας καὶ πόδας καὶ τἄλλα μέρη καταριθμοῦμεν, τὸν αὐτὸν τρόπον τὸ σῶμα τοῦ κόσμου συγκεῖσθαι πᾶν ἐκ τῶν προειρημένων.

    Ideoque totum Naturæ univerſæ Corpus Sole & Lunâ conſummari ; cujus Partes jam indicatæ Spiritus, Ignis, Siccitas, Humor, & Aëria tandem Natura, e quibus, ut in Homine Caput, Manus, Pedes, & alios Partes numeramus, eodem modo Corpus Mundo conſiſtat. Diodorus Siculus, Bibliothecæ Libr. I, Cap. II.