(alias Michèle Nicolaï)
S. E. G. (Société d’éditions générales) (p. 27-32).

VI

L’ASSAUT DES ROCHERS

En attendant l’arrivée de ce renfort, l’inspecteur prit ses dispositions pour surveiller efficacement l’adversaire, sans s’exposer, lui et les siens, à un nouvel attentat.

Les trois hommes se séparèrent, mettant entre chacun d’eux un intervalle d’environ trente mètres. Une fois parvenus à l’emplacement choisi, ils se hissèrent sur de grands arbres, de façon à voir le plus loin possible, tout en étant à l’abri des surprises.

Rigo occupait le centre. Il était ainsi à même de donner facilement un ordre à l’un et à l’autre de ses adjoints.

Il y avait près de deux heures qu’ils étaient en observation au haut de leurs perchoirs, lorsqu’un mouvement léger se produisit dans une touffe de broussailles, à mi-hauteur, vers le centre du massif rocheux. Une tête apparut alors, sortant avec précaution des branchages pour examiner le terrain alentour.

Sans doute rassuré par le silence, l’homme se dégagea complètement et, se coulant de roc en roc, alla se dissimuler derrière une pointe avancée.

Le doute n’était plus permis : une ouverture était cachée derrière le buisson d’où il était sorti. Lui-même était sans doute une sentinelle venant à l’extérieur prendre la garde.

La supposition fut confirmée par ce fait que l’homme resta désormais immobile à son poste.

De temps à autre, on pouvait l’apercevoir, passant la tête à droite et à gauche de la pointe qui le cachait, pour examiner attentivement toute l’étendue de la clairière.

L’ennemi pouvait être sur ses gardes, mais il donnait du moins à Rigo la certitude de sa présence en ce lieu, et l’espoir qu’avec l’aide des Mans, il parviendrait à capturer la bande.

Deux heures encore de silencieuse observation s’écoulèrent avant que, dans la forêt, à l’arrière des arbres qui leur servaient d’observatoires, ils aient perçu un mouvement. Les chasseurs Mans arrivaient ; l’un d’eux les devançait en éclaireur. Il émit un sifflement léger auquel Rigo répondit.

Se laissant alors glisser à bas de son arbre et se couvrant du large tronc, l’inspecteur recula et rejoignit le Man.

Celui-ci le prit par le bras et, furtivement, l’entraîna à quelque cent mètres en arrière, dans un fourré où la troupe des chasseurs attendait.

Rigo expliqua la situation et indiqua son plan d’attaque.

Le chef Man et ses hommes, furieux de la mort d’un des leurs, étaient décidés à tout faire pour le venger. Ils obéiraient à tous les ordres, ils étaient prêts à un dur combat.

Au chef, Rigo montra la sentinelle ennemie toujours aux aguets dans les rochers ; elle semblait n’avoir rien aperçu de l’arrivée des adversaires, qui s’étaient d’ailleurs tenus soigneusement dissimulés.

— Il faut le prendre d’abord, sans bruit, sans qu’il puisse donner l’alarme !

Sur un ordre du chef, deux Mans se détachèrent du groupe et, dénudés, le poignard aux dents, se coulèrent en rampant sous les broussailles de la clairière.

Pas un mouvement de feuillage, pas un bruit, ne décelait leur avance.

Rigo et le chef, dissimulés derrière un tronc, attendaient.

Trois quarts d’heure s’écoulèrent dans l’anxiété. Leurs envoyés réussiraient-ils ?

Les deux observateurs fixaient le point où la sentinelle continuait sa faction. Elle ne donnait aucun signe d’inquiétude, sa tête continuait à apparaître par moments, mais sans plus de hâte.

Au pied du rocher en surplomb, invisible pour la sentinelle, un des Mans émergea de la broussaille et s’arrêta.

Rigo aperçut un instant le second Man qui, toujours rampant, se glissait le long des pierres, s’y collait, et commençait une lente ascension.

Maintenant, il est en vue pour les siens, mais ne peut être aperçu des adversaires.

Il grimpe avec une extrême lenteur… Il atteint la base de la dent derrière laquelle est abrité le veilleur… S’aidant d’une liane pendante, il se hisse dans un mouvement à peine perceptible… Enfin, il est à la pointe, dominant celui qu’il veut surprendre.

Alors, vers le point où son camarade est posté, il lance une petite pierre… Signal certainement convenu, car l’autre, attentif, aussitôt module un léger sifflement… juste ce qu’il faut pour attirer l’attention de l’homme guetté sans l’inquiéter au point de lui faire donner l’alarme.

L’homme a entendu, il allonge le cou, il penche la tête pour essayer de voir.

Le Man, perché sur la dent de pierre, attendait le geste adroitement provoqué et, sur l’écouteur, il laisse tomber une liane préparée en nœud coulant.

Avec précision, l’ouverture du nœud prend la tête… Un coup sec… Le guetteur est cravaté.

Le Man tend le bras, le tire ainsi dans le vide et le laisse descendre comme un paquet vers son congénère embusqué.

Puis il rejoint celui-ci, et tous deux, emportant la sentinelle enlevée, disparaissent à nouveau dans les broussailles.

Une demi-heure après, ils émergeaient près de Rigo et du chef, déposant à leurs pieds le prisonnier si adroitement capturé.

Pas de temps à perdre maintenant ; si la relève avait lieu, l’ennemi, constatant la disparition du guetteur, serait alerté !

Rapidement, toute la troupe gagna la base des rochers. L’escalade commença en ordre dispersé, deux hommes par deux hommes, de façon à encercler tout le massif.

Pour consigne : ceux qui rencontreraient des issues de pénétration s’arrêteraient et appelleraient.

Aussitôt, les plus proches viendraient les rejoindre pour former une troupe d’envahissement qui ne devait se remettre en marche que sur un ordre de Rigo.

Trois hommes avaient été laissés en observation sur les arbres d’où ils pouvaient surveiller tout le massif et signaler au besoin une tentative de sortie ou de fuite.

Les assaillants grimpaient silencieusement sur les flancs des rochers ; s’aidant des arbustes et des lianes, ils progressait lentement avec les plus grandes précautions pour éviter de donner l’éveil à ceux qu’il voulaient surprendre.

Mais, au moment où un Man s’agrippait à une tige, celle-ci, mal plantée dans les pierres en éboulis, s’arracha, entraînant avec elle une avalanche bruyante de cailloux.

Les bonzes avaient entendu ! Un coup de trompe strident donna l’alarme… et tout rentra dans le silence.

L’assaut se précipita ; il n’y avait plus à éviter de faire du bruit, il fallait au contraire attaquer rapidement.

Deux entrées furent découvertes, et aussitôt des groupes formés pénétrèrent.

Rigo commandait l’un, l’autre était conduit par ses adjoints et le chef Man.

Torches électriques au poing, ils foncèrent dans les grottes.

Pas d’ennemi en vue, pas de résistance, et, quand les deux troupes se rencontrèrent dans une grande salle centrale, ils n’avaient aperçu personne.

Seul au milieu de la vaste excavation, un immense bouddha de bois sculpté souriait ironiquement et semblait les narguer.

Rigo courut vers l’extérieur, persuadé que les bonzes avaient pu sortir par quelque issue qui avait échappé à leur attention.

Un appel fut lancé aux trois hommes laissés en vedettes.

Ils n’avaient rien vu ! Personne n’était sorti des rochers.

Alors, ce fut, dans l’intérieur, une fouille minutieuse. Ils relevèrent des traces manifestes de séjour : des vivres abandonnés, du riz encore tiède dans des ké-bats, une théière sur un feu à demi éteint et, dans un coin, des nattes de couchage, cinq nattes !

C’était tout ! Les bonzes avaient fui par quelque ouverture soigneusement dissimulée !

Vainement, Rigo sonda, fouilla !

Après tant d’efforts et tant d’espoirs, la déception était cruelle !