La nouvelle Justine/Chapitre XVII

CHAPITRE XVII.


Rencontre singulière. — Proposition refusée. — Comment Justine est récompensée d’une bonne œuvre. — Asyle d’une troupe de Mendians. — Mœurs et coutumes de ces individus.


Rien ne fait rêver comme, le malheur ; toujours sombre, replié sur lui-même, celui que la fortune moleste accuse aigrement toute la terre, sans être assez juste un instant pour sentir que, dès qu’il y a une somme à-peu-près égale de faveurs et d’adversités dans le monde, il faut absolument que chacun ait une petite part de l’une et de l’autre[1].

Justine, d’après l’impulsion naturelle à tous les hommes, s’enveloppait donc un instant du crêpe lugubre de ses réflexions, lorsqu’une gazette lui tombe sous les yeux : elle y lit que Rodin, cet artiste de Saint-Marcel, cet infâme qui l’avait si cruellement punie d’avoir voulu lui épargner l’infanticide le plus odieux, vient d’être nommé premier chirurgien de l’impératrice de Russie, avec des appointemens considérables. Grand Dieu ! dit-elle avec étonnement, il est donc écrit dans le ciel que je ne dois voir que des exemples du vice récompensé et de la vertu dans les fers ! Eh bien ! qu’il triomphe, ce scélérat, puisque la Providence le veut ainsi, qu’il triomphe ; et toi, souffres, malheureuse ; mais souffres sans te plaindre, c’est l’arrêt du destin ; soumets-toi, et quelqu’épineuse que soit la carrière, saches la parcourir avec fermeté ; la récompense est dans ton cœur, et la pureté de sa jouissance vaut mieux que tous les remords dont tes adversaires sont bourrelés… Elle ignorait, la pauvre créature, que le remord est nul dans des ames semblables à celles qui faisaient le malheur de sa vie, et qu’il est une certaine période de méchanceté où l’homme, bien loin de s’affliger du mal auquel il se livre, ne se désespère que de la faiblesse où ses facultés le mettent d’en pouvoir commettre davantage.

L’intéressante créature n’était pas au bout de ces exemples frappans du triomphe de la méchanceté ; exemples si décourageans pour la vertu… si délicieux pour le vice qui s’en amuse sans cesse ; et la perversité du personnage qu’elle allait retrouver devait la dépiter et la surprendre plus qu’aucun autre, sans doute, puisque c’était celle d’un des hommes dont elle avait reçu les plus sanglans outrages.

Elle s’occupait de son départ, lorsqu’un laquais, vêtu de vert, lui remet, un soir, le billet suivant, en lui demandant une prompte réponse :

« Une personne (lui disait-on dans cet écrit) à laquelle vous croyez quelques torts avec vous, brûle du desir de vous voir ; hâtez-vous de la venir trouver ; elle a des choses à vous apprendre qui, peut-être, l’acquitteront de ce que vous vous croyez dû. »

De quelle part venez-vous, monsieur, dit Justine au laquais ? je ne répondrai point que je ne sache quel est votre maître ? — Il se nomme monsieur de Saint-Florent, mademoiselle ; il a eu le plaisir de vous connaître autrefois aux environs de Paris ; vous lui avez, prétend-il, rendu des services qu’il veut absolument reconnaître ; maintenant à la tête du commerce de cette ville, il y jouit à-la-fois d’une considération et d’un bien qui le mettent à même d’exécuter ses heureux projets envers vous. Il vous attend.

Les réflexions de Justine furent bientôt faites. Si cet homme, pensait-elle, n’avait pas de bonnes intentions, serait-il vraisemblable qu’il lui écrivit de cette manière ? Il se repend sans doute de ses anciennes infamies ; il se rappelle, avec effroi, de m’avoir arraché ce que j’avais de plus cher ; de m’avoir réduit par l’enchaînement de ses horreurs, au plus cruel état où puisse être une femme ; il se souvient des nœuds qui nous unissent. Oh ! oui, oui, ce sont des remords, volons-y ; je serais coupable envers l’Être-Suprême, si je ne me prêtais à les appaiser : suis-je, d’ailleurs, en situation de rejeter l’appui qui se présente ? ne dois-je pas plutôt saisir avec ardeur tout ce que le ciel offre à mon soulagement ? C’est dans son hôtel que cet homme veut me voir ; sa fortune doit l’entourer de gens devant lesquels il se respectera trop pour oser me manquer encore ; et dans l’état où je suis, grand Dieu ! puis-je inspirer autre chose que de la commisération et du respect.

Ces combinaisons faites, Justine assura le laquais que le lendemain, sur les onze heures, elle aurait l’avantage d’aller saluer son maître pour le féliciter des faveurs qu’il avait reçu de la fortune ; mais qu’elle… en était traitée bien différemment. Elle se coucha… si occupée de ce que cet homme voulait lui dire, qu’elle ne ferma pas l’œil de la nuit. Elle arrive enfin à l’adresse indiquée ; un hôtel superbe, une foule de valets, les regards humilians de cette riche canaille sur l’infortune qu’elle méprise, tout lui en impose à tel point, qu’elle est au moment de se retirer, lorsqu’elle est abordée par le même laquais qui lui avait parlé la veille, et qui la conduit, en la rassurant, dans un cabinet somptueux, où elle reconnaît fort bien son bourreau, quoiqu’âgé de quarante-cinq ans, et qu’il y en eût à-peu-près dix qu’il ne l’eût vu. Saint-Florent ne se leva point ; mais il ordonne qu’on le laisse seul, et fait signe à Justine de venir se placer sur une chaise, à côté du vaste fauteuil qui le contient.

J’ai voulu vous voir, ira nièce, dit-il avec le ton arrogant de la supériorité ; non que je croie avoir de grands torts avec vous ; non qu’une fâcheuse réminiscence me contraigne à des réparations… au-dessus desquelles je me crois ; mais je me souviens que, dans le peu de tems que nous nous sommes vus, vous m’avez montré de l’esprit ; il en faut pour ce que j’ai à vous proposer ; et, si vous l’acceptez, le besoin que j’aurai de vous alors vous fera trouver, dans ma fortune, les ressources qui vous sont nécessaires, et sur lesquelles vous compteriez en vain, sans cela. Justine voulut répondre quelque chose à la légéreté de ce début ; mais Saint-Florent lui imposant silence : Laissons ce qui s’est passé, lui dit-il ; c’est l’histoire des passions, et mes principes me portent à croire qu’aucun frein n’en doit arrêter la fougue : quand elles parlent, il faut les servir ; je ne connais point d’autre loi. Lorsque je fus pris par les voleurs, dans la compagnie desquels je vous trouvai, me vîtes-vous me plaindre de mon sort ? Se consoler et agir d’industrie, si l’on est le plus faible ; jouir de tous ses droits, si l’on est le plus fort, voilà mon systême. Vous étiez jeune et jolie, Justine ; vous étiez ma nièce ; nous nous trouvions au fond d’une forêt ; il n’est point de volupté dans le monde qui allume mes sens comme le viol d’une fille-vierge ; vous possédiez cette fleur dont je fais tant de cas ; je l’ai flétrie, je vous ai violée ; j’eus fait bien pis, si mes premières insultes n’eussent pas assuré mon triomphe, et que vous eussiez pu m’opposer quelques résistances. Mais, me direz-vous, peut-être, pourquoi vous laisser sans ressources… au milieu de la nuit… dans une route dangereuse ! Ah ! Justine, je vous dévoilerais en vain ces motifs ; vous ne les entendriez pas ; les seuls êtres qui connaissent le cœur de l’homme… qui en ont étudié les replis… fouillé les coins les plus impénétrables, pourraient vous expliquer cette suite d’égaremens. Vous m’aviez obligé, Justine ; vous m’aviez aidé à briser mes liens ; vous usurpiez des droits à ma reconnaissance ; vous m’apparteniez, en un mot ; en fallait-il donc plus à une ame comme la mienne, pour me porter à tous les crimes imaginables contre vous. — Oh ! monsieur, de telles horreurs peuvent, dites-vous, se comprendre ? — Eh oui, Justine ; eh oui ; tout se comprend dans l’ame d’un libertin ; chez lui tous les écarts s’enchaînent, et, si-tôt qu’on a démêlé le premier, tous les autres se devinent aisément. Vous le vîtes ; en venant de vous violer, de vous battre (car je vous battis, Justine), eh bien ! à vingt pas de-là, songeant à l’état où je vous laissais, je retrouvai sur-le-champ, dans ces idées, des forces pour de nouveaux outrages, que je ne vous eusse peut-être jamais fait sans cela ; vous n’aviez été foutue qu’en con, je revins exprès pour vous enculer : eussiez-vous eu mille pucelages, je les eus tous cueillis l’un après l’autre. Il est donc vrai que, dans de certaines ames, la volupté peut naître au sein du crime… que dis-je ? il est donc vrai que le crime seul l’éveille et la décide, et qu’il n’est pas une seule volupté dans le monde, qu’il n’enflamme et qu’il n’améliore. — Oh ! monsieur, quelle atrocité ? — N’en pouvais-je pas commettre une plus grande ? Je pouvais vous assassiner, Justine ; je ne vous cache pas que j’en eus grande envie ; vous dûtes m’entendre revoler après vous dans cette intention ; vous étiez morte, si je vous eus trouvée. Je me consolais de n’avoir pu vous joindre, par la certitude où j’étais que, réduite aux dernières extrémités, la vie allait devenir pour vous un état plus cruel que la mort. Mais laissons cela, mon enfant, et venons à l’objet qui m’a fait desirer de vous voir.

Cet incroyable goût que j’ai pour l’un et l’autre pucelage d’une petite fille, ne m’a point quitté, Justine, poursuivit Saint-Florent. Il en est de celui-là comme de tous les autres écarts de la luxure ; plus on vieillit, et plus ils prennent de forces. De nouveaux desirs naissent des anciens délits, et de nouveaux crimes sont enfantés par ces desirs. Tout cela ne serait rien, si ce qu’on employe pour réussir n’était pas soi-même très-coupable ; mais comme le besoin du mal est le premier mobile de nos caprices, plus ce qui nous conduit est criminel, et mieux nous sommes irrités. Arrivés là, on ne se plaint plus que de la médiocrité des moyens ; plus leur atrocité s’étend, plus notre volupté devient piquante ; et l’on s’enfonce ainsi dans le bourbier, sans la plus légère envie d’en sortir. C’est mon histoire, Justine ; chaque jour deux jeunes enfans sont nécessaires à mes sacrifices : ai-je joui ? non-seulement je ne revois plus les objets qui viennent de me servir ; mais il devient même essentiel à l’entière satisfaction de mes fantaisies, que ces objets Sortent aussi-tôt de la ville. Je goûterais mal les plaisirs du lendemain, si j’imaginais que les victimes de la veille respirassent encore le même air que moi : le moyen de m’en débarrasser est facile. Le croirais-tu, Justine, ce sont mes débauches qui peuplent le Languedoc et la Provence, de la multitude d’objets de libertinage que renferme leur sein[2]. Une heure après que ces petites filles m’ont servi, des émissaires sûrs les embarquent, et les vendent aux appareilleuses de Nîmes, de Montpellier, de Toulouse, d’Aix et de Marseille, Ce commerce, sur lequel j’ai deux tiers de bénéfice, me dédommage amplement de ce que les sujets me coûtent, et je satisfais ainsi deux de mes plus chères passions… ma luxure et ma cupidité. Mais les découvertes, les séductions, me donnent de la peine. D’ailleurs, l’espèce de sujets importe infiniment à ma lubricité ; je veux qu’ils soient tous pris dans ces asyles de la misère, où le besoin de vivre et l’impossibilité d’y réussir, absorbant le courage, la fierté, la délicatesse, énervant l’ame enfin, décide, dans l’espoir d’une subsistance indispensable, à tout ce qui paraît devoir l’assurer. Je fais impitoyablement fouiller tous ces réduits : on n’imagine pas ce qu’ils me rendent. Je vais plus loin, Justine ; l’activité, l’industrie, un peu d’aisance, en luttant contre mes subornations, me raviraient une grande partie des sujets. J’oppose à ces écueils le crédit dont je jouis dans cette ville ; j’excite des oscillations dans le commerce, ou des chertés dans les vivres, qui, multipliant les classes du pauvre, lui enlevant d’un côté les moyens du travail, et lui rendant difficile de l’autre ceux de la vie, augmentent en raison égale la somme des sujets que la misère me livre. La ruse est connue, mon enfant ; ces disettes de bois, de bled, et d’autres commestibles, dont Paris souffre depuis tant d’années, n’ont d’autres objets que ceux qui m’animent. L’avarice, le libertinage, voilà les passions, qui, du sein des lambris dorés, tendent une multitude de filets sur l’humble toit du pauvre. Mais, quelqu’habileté que je mette en usage pour presser d’un côté, si des mains adroites n’enlèvent pas lestement de l’autre, j’en suis pour mes peines, et la machine va tout aussi mal, que si je n’épuisais pas mon imagination en ressources, et mon crédit en opérations. J’ai donc besoin d’une femme leste, jeune, intelligente, qui, ayant elle-même passé par les épineux sentiers de la misère, connaisse mieux que qui que ce soit les moyens de débaucher celles qui y sont ; une femme, dont les yeux pénétrans devinent l’adversité dans ses greniers les plus obscurs, et dont l’esprit suborneur en détermine les victimes à se tirer de l’oppression par les sentiers que j’applanis ; une femme spirituelle enfin, sans scrupule comme sans pitié, qui ne néglige rien pour réussir… jusqu’à couper même le peu de ressources qui, soutenant encore l’espoir de ces infortunées, les empêche de se résoudre. J’en avais une excellente et sûre ; elle vient de mourir. On, n’imagine pas jusqu’où cette délicieuse créature portait l’effronterie : non-seulement elle isolait ces victimes, au point de les contraindre à venir l’implorer à genoux ; mais, si ces moyens ne lui succédaient pas assez tôt pour accélérer les chûtes, la scélérate allait jusqu’à voler ces misérables : c’était un trésor. Il ne me faut que deux sujets par jour ; elle m’en eût donné dix, si je les eusse voulu. Il résultait de-là que je faisais des choix meilleurs et que la surabondance de la matière première de mes opérations me dédommageait de la main-d’œuvre. C’est cette femme qu’il faut remplacer, ma chère ; tu en auras quatre à tes ordres, et deux mille écus d’appointemens. J’ai dit, répond Justine. Et Sur-tout que des chimères ne t’empêchent pas d’accepter ton bonheur, quand le hasard et ma main te l’offrent.

Oh ! monsieur, répondit Justine à ce malhonnête homme, en frémissant de ses discours, est-il possible, et que vous puissiez concevoir de telles voluptés, et que vous osiez me proposer de les servir ? Que d’horreurs vous venez de me faire entendre ! Homme cruel si vous étiez malheureux seulement deux jours, vous verriez comme ces systêmes d’inhumanité s’anéantiraient bientôt dans votre cœur ; c’est la prospérité qui vous aveugle et qui vous endurcit ; vous vous basez sur le spectacle de maux dont vous vous croyez à l’abri ; et parce que vous espérez ne les point sentir, vous vous supposez en droit de les infliger. Puisse le bonheur ne point approcher de moi, dès qu’il peut corrompre à tel point ! Juste ciel ! ne se pas contenter d’abuser de l’infortune… pousser l’audace et la férocité jusqu’à l’accroître… jusqu’à la prolonger pour l’unique satisfaction de ses desirs ! Quelle cruauté, monsieur ! les bêtes les plus féroces ne nous donnent pas d’exemples d’une barbarie semblable ! — Tu te trompes, Justine, dit Saint-Florent, il n’y a pas de fourberies que le loup n’invente pour attirer l’agneau dans ses pièges ; ces ruses sont dans la nature, et la bienfaisance n’y est pas ; elle n’est qu’un caractère de la faiblesse préconisée par l’esclave, pour attendrir son maître, et le disposer à plus de douceur ; elle ne s’annonce jamais chez l’homme que dans deux cas, ou s’il est le plus faible, ou s’il craint de le devenir ; la preuve que cette prétendue vertu n’est pas dans la nature, c’est qu’elle est ignorée de l’homme le plus rapproché d’elle. Le sauvage, en la méprisant, tue sans pitié son semblable, ou par vengeance ou par avidité… Ne la respecterait-il pas cette vertu, si elle était écrite dans son cœur ? Mais elle n’y parut jamais. La civilisation, en épurant les individus, en distinguant des rangs, en offrant un pauvre aux yeux du riche, en faisant craindre à celui-ci une variation d’état qui pouvait le précipiter dans le néant de l’autre, mit aussi-tôt dans son esprit le desir de soulager l’infortune pour être soulagé à son tour, s’il perdait ses richesses. Alors naquit la bienfaisance, fruit de la civilisation et de la crainte ; elle n’est donc qu’une vertu de circonstance, mais nullement un sentiment de la nature, qui ne plaça jamais dans nous d’autre desir que celui de nous satisfaire à quelque prix que ce pût être. C’est en confondant ainsi tous les sentimens, c’est en n’analysant jamais rien, qu’on s’aveugle sur-tout, et qu’on se prive de toutes les jouissances. Ah ! monsieur, dit Justine avec chaleur, peut-il en être une plus douce que celle de soulager l’infortune ? Laissons à part la frayeur de souffrir soi-même. Y a-t-il une satisfaction plus vraie que celle d’obliger, jouir des larmes de la reconnaissance, partager le bien-être qu’on vient de répandre chez des malheureux qui, semblables à vous, manquaient néanmoins des choses dont vous formez vos premiers besoins, les entendre chanter vos louanges et vous appeler leur père, replacer la sérénité sur des fronts obscurcis par la défaillance, par l’abandon et le désespoir. Non, monsieur, nulle volupté dans le monde ne peut égaler celle-là, c’est celle de la divinité même ; et le bonheur qu’elle promet à ceux qui l’auront servie sur la terre, ne sera que la possibilité de voir ou de faire des heureux dans le ciel. Toutes les vertus naissent de celle-là, monsieur, on est meilleur père, meilleur fils, meilleur époux, quand on connaît le charme d’adoucir l’infortune. Ainsi que les rayons du soleil, on dirait que la présence de l’homme charitable répand sur tout ce qui l’entoure, la fertilité, la douceur et la joie ; et le miracle de la nature, après ce foyer de la lumière céleste, est l’ame honnête, délicate et sensible, dont la félicité suprême est de travailler à celle des autres.

Phœbus que tout cela, Justine, répondit cet homme cruel, les jouissances de l’homme sont en raison de la sorte d’organes qu’il a reçu de la nature ; celles de l’individu faible, et par conséquent de toutes les femmes, doivent porter à des voluptés morales plus piquantes pour de tels êtres que celles qui n’influeraient que sur un physique entièrement dénué d’énergie. Le contraire est l’histoire des ames fortes, qui, bien mieux délectées des chocs vigoureux imprimés sur ce qui les entoure, qu’elles ne le seraient des impressions délicates ressenties par ces mêmes êtres existans auprès d’eux, préfèrent inévitablement, d’après cette constitution, ce qui affecte les autres en sens douloureux à ce qui ne toucherait que d’une manière plus douce : telle est l’unique différence des gens cruels aux gens débonnaires ; les uns et les autres sont doués de sensibilité, mais ils le sont chacun à leur manière. Je ne nie pas qu’il n’y ait des jouissances dans l’une et dans l’autre classe ; mais je soutiens, avec beaucoup de philosophes, que celles de l’individu organisé de la manière la plus vigoureuse, seront incontestablement plus vives que toutes celles de son adversaire ; et ces systêmes établis, il peut, et il doit, se trouver une sorte d’hommes qui trouve autant de plaisir dans tout ce qu’inspire la cruauté, que les autres en goûtent dans la bienfaisance ; mais ceux-là seront des plaisirs doux, et les autres des plaisirs fort vifs. Les uns seront les plus sûrs, les plus vrais, sans doute, puisqu’ils caractérisent les penchans de tous les hommes encore au berceau de la nature, et des enfans même, avant qu’ils n’aient connu l’empire de la civilisation ; les autres ne seront que l’effet de cette civilisation, et par conséquent des voluptés trompeuses et sans aucun sel. Au reste, mon enfant, comme nous sommes moins ici pour philosopher que pour consolider une détermination, ayez pour agréable de me donner votre dernier mot… Acceptez-vous, ou non, le parti que je vous propose ? — Assurément je le refuse, monsieur, répondit Justine en se levant ; je suis bien pauvre… oh ! oui, bien pauvre, monsieur ; cependant, plus riche des sentimens de mon cœur que de tous les dons de la fortune, jamais je ne sacrifierai les uns pour posséder les autres ; je saurai mourir dans l’indigence, mais je n’outragerai point la vertu. — Sortez, dit froidement cet homme détestable, et que je n’aie pas sur-tout à craindre de vous des indiscrétions, vous seriez bientôt mise en un lieu d’où je n’aurais plus à les redouter.

Rien n’encourage la vertu comme les craintes du vice. Bien moins timide qu’elle ne l’aurait cru, Justine, en promettant à ce scélérat qu’il n’aurait rien à redouter d’elle, lui rappela qu’il devait au moins lui rendre l’argent qu’il lui avait dérobé. Vous devez bien sentir, monsieur, lui dit-elle, que cet argent me devient indispensable dans la situation où je suis, et je vous crois trop juste pour me le refuser. Mais le monstre répondit durement qu’il ne tenait qu’à elle d’en gagner, et qu’aussi-tôt qu’elle ne s’en souciait pas, il ne devenait nullement obligé de la secourir. Non, monsieur, répondit-elle avec fermeté, non, je vous le répète, je périrais mille fois plutôt que de sauver mes jours à ce prix. Et moi, dit Saint-Florent, il n’y a de même rien que je ne préfère au chagrin de donner mon argent sans qu’on le gagne. Cependant, malgré l’insolence de votre refus, je veux bien encore rester un quart-d’heure avec vous ; passez dans ce boudoir, et quelques instans d’obéissance vont remettre vos fonds dans un meilleur ordre. Je n’ai pas plus d’envie de servir vos débauches dans un sens que dans un autre, monsieur, répondit froidement Justine ; ce n’est point la charité que je vous demande, je ne vous procure pas cette jouissance ; ce que je réclame, est ce qui m’est dû… ce que vous m’avez volé de la plus insigne manière : gardes-le, homme cruel gardes-le, si bon te semble ; vois sans pitié mes larmes ; entends, si tu peux sans t’émouvoir, les tristes accens du besoin, mais souviens-toi que si tu te permets cette nouvelle infamie, j’aurai, au prix de ce qu’elle me coûte, acheté le droit de te mépriser à jamais.

Justine aurait dû se souvenir ici que la vertu ne lui réussissait pas mieux quand elle en adoptait le langage, que quand elle en suivait les préceptes. Saint-Florent sonne ; son valet-de-chambre paraît : voilà, dit le scélérat à cet agent de ses débauches, une petite créature qui m’a volé autrefois ; je la ferais pendre, si j’exécutais mon devoir ; je veux bien cependant lui sauver la vie ; mais comme il est essentiel d’en délivrer la société, saisissez-la et qu’on l’enferme sur-le-champ dans cette chambre sûre que nous avons là-haut ; ce sera sa prison pour dix ans, si elle se conduit bien ; son cercueil éternel, si nous avons à nous en plaindre.

Lafleur s’empare à l’instant de Justine, et se dispose à l’entraîner, lorsque celle-ci pousse des cris assez perçans pour faire redouter une scène. Saint-Florent furieux, lui entortille la tête, lui fait lier les mains ; puis, aidant lui-même à son valet, tous deux enlèvent au grenier cette malheureuse, et la jettent dans une chambre, assez bien fermée pour n’avoir rien à craindre, ni de ses plaintes, ni de son évasion.

Il n’y avait pas une heure qu’elle y était, lorsque Saint-Florent parut ; Lafleur l’accompagnait ; eh bien, lui dit ce monstre de luxure, oserez-vous encore vous soustraire à mes fantaisies ? — Le desir est égal, répondit fièrement Justine, la faculté seule n’est plus la même. — Tant mieux, répond Saint-Florent ; ce sera donc malgré vous que j’agirai, et cette clause est indispensable au complément de mes desirs ; qu’on déshabille cette putain… Ah, ah, dit Saint-Florent dès qu’il apperçoit la funeste marque, il me paraît que ma chère nièce n’a pas toujours été aussi vertueuse qu’elle veut bien nous le persuader, et voici des traces ignominieuses qui nous dévoilent suffisamment sa conduite. En vérité, monsieur, dit Lafleur, cette coquine peut vous déshonorer ; quand vous vous en serez satisfait, je vous conseille de la faire mettre dans quelque cachot où l’on n’entende jamais parler d’elle. Monsieur, monsieur, interrompit Justine avec impatience, daignez m’entendre avant que de me condamner, et la pauvre fille explique alors toute l’énigme. Mais quelque soit l’air de vérité qu’elle mette à raconter sa malheureuse histoire, Saint-Florent, incrédule, n’en redouble pas moins ses sarcasmes ; les injures, les humiliations n’en sont pas moins prodiguées par ce monstre à cette créature angélique, et d’un mérite bien plus grand que lui aux regards de l’Être-Suprême. Justine, nue, fut brutalement traitée par ces deux hommes ; obligée de se prêter également aux attouchemens lascifs… aux dégoûtantes caresses de l’un et de l’autre, ses dégoûts… ses défenses… tout devint inutile, il fallut céder. — Sais-tu, dit le maître à son confident, si j’ai là-bas une petite fille ? — Cela doit être, monsieur, l’heure est sonnée, et vous connaissez l’exactitude de celles qui vous servent, — Vas me la chercher. — Et pendant que le valet exécute la commission, on n’imagine pas à quoi s’amuse l’insigne libertin : tristes effets de l’égarement ! il semble que l’homme abandonne absolument sa raison, quand il devient l’esclave de ses caprices, et entre l’insensé et lui, la différence alors est en vérité bien imperceptible. Le vilain, plus par envie d’humilier cette intéressante créature, que par aucune espèce de sensation lubrique… en pourrait-il être à ces turpitudes !… L’infâme, dis-je, crachait au milieu de la chambre, et contraignait Justine à nettoyer la place avec sa langue. Elle refuse ; quelques mots de sa part annoncent encore de l’orgueil. Saint-Florent la saisit, et lui courbant la tête : chétive créature, lui dit-il en la contraignant à ses sales desirs, il te convient bien de résister à mes fantaisies ; infiniment trop heureuse de t’y soumettre, ne devrais-tu pas les prévenir ? Il faudra bien que tu fasses pis tout-à-l’heure quand ma victime sera devant toi… et cette victime annoncée paraît :

C’était une enfant de huit ans dans un état de misère et de dépérissement si complet, que la pitié devenait le seul sentiment qu’elle paraissait devoir inspirer. Déshabilles toi-même cette petite fille, dit Saint-Florent à la triste Justine ; c’est de ta main que je veux la recevoir : Lafleur, branle mon vit à ce spectacle ; et l’impudique maniait les fesses de son confident, pendant que celui-ci le polluait de son mieux. Prépares-moi les voies, dit le libertin à notre héroïne, humecte avec ta bouche le con de cette enfant, laisses-y beaucoup de salive. Guidé par son valet, Saint-Florent se présente ; en un instant, la place est emportée ; cris, résistances, larmes, plaintes, égratignures, rien ne l’étonne ; il veut, au contraire, qu’on l’outrage, et c’est dans cette intention qu’il laisse toute espèce de liberté à sa victime ; mais il n’en est pas de même de notre pauvre orpheline, elle va servir de plastron pendant la célébration du sacrifice.

JustineT4p85

Lafleur s’étend sur le lit ; il attire Justine sur lui, l’enconne, la contient dans ses bras, et présente, par cette posture, le cul de notre aventurière aux attentats de Saint-Florent ; armé d’une longue aiguille d’acier, le barbare, tout en foutant, tout en déchirant la petite fille, se divertit à piquer les belles chairs qui lui sont présentées ; chaque coup d’aiguille fait jaillir le sang, et c’est enfin quand le scélérat le voit couler sur les cuisses de cette infortunée, et sur le visage de la petite fille qu’il enconne, c’est alors qu’il songe aux changemens de main. Enculons, dit-il à Lafleur, sodomise Justine dans la même posture ; je ne ferai, moi, que retourner la mienne ; la petite fille, avant tout, a ordre de présenter son derrière à Justine, qui reçoit de son côté celui de le lui humecter, comme elle a fait le devant. Saint-Florent sodomise, Lafleur encule, et voilà le con de Justine offert à la fatale aiguille — Ah ! foutre, dit Saint-Florent extasié, quel plaisir de piquer un con en foutant un derrière !… La garce !… Qu’en dis-tu, Lafleur ?… Je la larderais comme une poularde ; et toutes les parties qu’offrait Justine à son persécuteur furent bientôt traitées comme venaient de l’être les autres… le sang ruissela de par-tout. Voilà l’état où je veux lui faire l’honneur de la foutre encore une fois, dit Saint-Florent en quittant le cul de sa pucelle pour s’introduire au con qu’il vient de molester. Ah  ! dit-il en se pressant sur sa victime, c’est ainsi que j’aime à jouir d’une femme  ; rien ne me plaît comme quand mes cuisses s’imprègnent du sang que fait couler ma fureur  ; et soulevant aussi-tôt sa jouissance, il dérange par ce moyen le vit de son valet, et le remplace dans le cul de Justine  ; coules-toi sous elle, dit-il à Lafleur, et viens te venger sur mon cul du dérangement que je te cause  ; crois-tu que mon anus ne vaudra pas celui d’une putain  ?… Tout s’exécute, et ce sont maintenant les fesses de la petite fille que déchire le funeste aiguillon. Cependant Saint-Florent s’échauffe, son sperme est prêt à jaillir  ; il encule, on le sodomise, il tourmente  : que de délicieux épisodes pour un libertin de ce genre  ! Ahe  !… ahe  !… ahe  !… s’écrie-t-il (C’est sa passion que nous peignons ici d’après nature.)… ahe  !… ahe  !… qu’on me donne des couteaux… des poignards… des pistolets… que je tue… que je massacre… que je déchire… que j’assassine tout ce qui m’environne  ; et le foutre enfin exalé de la couille impudique de ce monstre de luxure, en faisant renaître un peu de tranquillité, donne aux victimes le tems de se remettre.

Justine, dit Saint-Florent au bout d’un moment de calme, je vous ai dit combien il importait à mes jouissances nouvelles que l’objet des anciennes disparût aussi-tôt que je m’en étais rassasié. Me jurez-vous de quitter à l’instant Lyon ? À cette condition seule je vous rends votre liberté : si, dans deux heures, vous êtes encore dans la ville, vous pouvez être sûre qu’une éternelle prison punira votre désobéissance. — Oh ! monsieur, je n’y serai plus… je vais obéir, monsieur ; soyez-en bien sûr… ouvrez-moi les portes ; vous ne me reverrez de vos jours. — Et la pauvre fille, se r’habillant aussi-tôt, retraverse, avec promptitude, une maison où on la traite aussi cruellement, la quitte… vole à son auberge, dont elle sort quelques heures après, pour aller coucher au-delà du Rhône. — Oh ! ciel, dit-elle en s’enfuyant… quelle dépravation ! quelle horreur !… C’est au sein des larmes et de l’infortune que le monstre allume ses lubricités… Malheur… cent fois malheur à l’être dépravé qui peut soupçonner des plaisirs sur un sein que le besoin consume… qui cueille des baisers sur une bouche que la faim desséche, et qui ne s’ouvre que pour le maudire. Fuyons.

Justine fut bientôt hors de la ville ; mais on eût dit que les malheurs et les aventures devaient entraver toutes ses démarches, et que le destin, irrité contre elle, devait la faire heurter contre tous les projets de vertus que pouvait concevoir sa belle ame.

À peine a-t-elle fait deux lieues à pied, comme à son ordinaire, deux chemises et quelques mouchoirs dans ses poches, qu’elle rencontre une vieille femme, qui l’aborde avec l’air de la douleur, et qui la conjure de lui faire l’aumône. Loin de la dureté dont elle vient de recevoir d’aussi cruels exemples, ne connaissant de bonheur au monde que celui d’obliger, elle sort à l’instant sa bourse, à dessein d’en tirer un écu, et de le donner à cette femme. Mais l’adroite créature, qui n’avait emprunté le masque de la vieillesse que pour tromper Justine, saute lestement sur la bourse, la saisit, renverse celle qui la tient d’un vigoureux coup de poing dans l’estomac, et disparaît dans un taillis. Justine, bientôt relevée, s’élance sur les pas de celle qui la vole, l’atteint, et tombe avec elle, par une trappe que déguisait à tous les yeux le bouquet de bois dans lequel elle était pratiquée.

La chûte était considérable.; mais elle avait été si douce, qu’à peine avait-elle pu s’en appercevoir. Elle se trouvait, avec sa voleuse, dans un vaste souterrain, creusé à plus de cent toises aux entrailles de la terre, mais beau, et parfaitement meublé. — Qu’est ceci, Séraphine, dit un gros et grand homme, assis devant un bon feu ? quel est l’individu qui t’accompagne dans notre demeure ? — C’est une petite dupe, répondit la voleuse ; je l’ai attendrie, elle m’a donné l’aumône ; je lui ai dérobé son argent, elle a couru après moi, et, nous trouvant toutes deux, au même instant, sur la trappe, nous sommes arrivées ensemble. Capitaine, cette fille nous sera utile, et je ne suis pas fâchée de la rencontre. — Cela pourrait effectivement nous convenir, répondit le chef en faisant approcher Justine ; elle n’est pas mal ; et, ne fît-elle que servir aux amusemens de la compagnie, ce serait toujours un poste à remplir… Et Justine fut aussi-tôt entourée d’hommes, de femmes… d’enfans, de tout âge et de toute figure, mais dont la mauvaise mine ne lui donnait pas une haute opinion de la société où elle se trouvait, Chacun l’environne… l’admire, chacun lâche son mot ; et tout ce que Justine continue de voir et d’entendre, achève de la convaincre qu’elle est dans la plus mauvaise compagnie. Monsieur, dit-elle en tremblant au capitaine, n’y a-t-il point d’indiscrétion à vous prier de me dire avec quelles personnes je me trouve ? Je vous entends disposer de moi sans mon aveu ; les loix de la décence et de l’équité ne vous règlent-elles donc pas ici comme sur la surface de la terre ? — Mignone, dit le chef, commences par manger ce biscuit en avalant un verre de vin ; écoutes-nous ensuite, et tu vas apprendre à-la-fois quels sont les gens chez qui tu es… quel est l’emploi qu’ils te préparent. Notre héroïne, un peu plus tranquille, d’après l’honnêteté de ce procédé, accepte ce qu’on lui présente, s’asseoit, et prête l’oreille.

« Les individus, au milieu desquels ton étoile te place, dit le capitaine après avoir reniflé deux prises de tabac, sont ce que l’on appelle des mandians. C’est nous, ma fille, qui, après avoir converti la gueuserie en art, réussissons, par nos secrets et notre éloquence, à si bien émouvoir la commisération des hommes, que nous vivons à leurs dépens, toute l’année, dans le luxe et dans l’abondance. Comme il n’est point une plus sotte vertu que la pitié, aussi n’en est-il point de plus facile à allumer dans le cœur de l’homme. Quelques accens de voix plaintifs, une éloquence de situation, des maux supposés, des plaies contrefaites, un costume dégoûtant, telles sont les ruses qui servent à mouvoir les ressorts de l’ame, et qui nous assurent une aisance perpétuelle dans la fainéantise et l’oisiveté. Nous sommes environ cent dans ce souterrain ; un tiers est toujours en exercice, pendant que le reste boit, mange, fout et se divertit. Jettes les yeux sur ce tas de béquilles… de bosses, d’emplâtres qui nous déguisent, sur ces herbes qui nous défigurent[3], sur ces enfans, dont nous nous servons pour entr’ouvrir les entrailles des mères ; voilà nos fonds, nos biens, nos immeubles ; voilà l’assiette certaine de nos revenus. Nos procédés, quoiqu’à-peu-près toujours les mêmes, varient cependant en raison des circonstances ; humbles et languissans, si nous nous trouvons les plus faibles ; insolens, escrocs et voleurs, dès que la force est de notre côté ». — Mais, vous ne tuez pas, au moins, messieurs, interrompit aussi-tôt la compatissante Justine, avec cette tendre effusion de cœur qui caractérisait si bien sa belle ame ? — « Assurément, ma chère, répondit le chef ; nous ne nous en faisons aucune difficulté, si l’on nous résiste, et que nous puissions nous convaincre qu’un coup de poignard ou de pistolet doive constater notre victoire. Le meurtre n’est pas pour nous d’une assez grande conséquence, pour que nous croyions pouvoir nous passer des moyens qu’il nous donne, si ces moyens assurent nos intérêts ; vous verrez souvent arriver ici, par le même chemin qui nous y mène, des individus qui n’y paraîtront que pour y perdre la vie. Après avoir fait une prise considérable sur quelqu’un, nous croyez-vous assez imprudens pour lui laisser la faculté de se plaindre et de nous découvrir ? Nous ne sommes cependant ni voleurs, ni assassins de profession ; notre unique métier est la gueuserie ; nous mandions, et, d’après cela, nous suivons le cours des circonstances ; notre objet est de nous emparer du bien d’autrui ; nous parcourons la ligne indiquée, et, pourvu que nous réussissions, il devient ensuite à-peu-près égal que ce soit par telle ou telle voie. L’argent arrive dans le souterrain ; qu’il soit donné de bonne grâce ou enlevé de force, c’est sur quoi nous ne chicanons jamais ceux qui nous l’apportent. Avec une telle morale, avec une semblable profession, vous devez imaginer, ma fille, que toutes les espèces de vices doivent triompher parmi nous, et, certes, vous ne vous trompez pas, si telle est votre opinion. La gourmandise, l’ivrognerie, la fourberie, le mensonge, l’hypocrisie, l’impiété, et plus particulièrement la luxure et la cruauté, règnent ici comme dans leur empire ; et nos loix particulières, loin de sévir contre ces écarts, les alimentent et les entretiennent. Il est certain d’abord, ma chère fille, que votre âge et votre jolie figure, vont vous contraindre à satisfaire indifféremment tous les caprices, toutes les fantaisies de nos camarades, de quelque sexe, de quelqu’âge ou de quelque tournure qu’ils soient. Ces premiers feux appaisés, nous vous donnerons de l’emploi ; si nous vous reconnaissons des dispositions, des talens, vous serez placée dans les premiers postes ; si vous répugnez à nos usages… si notre métier ne vous convient pas, vous ne sortirez pas du souterrain : réduite alors au seul service de l’intérieur, vous serez utile au logis, et vous servirez nos passions ».

Toute la troupe applaudit à ce discours. Le chef, ayant assemblé ce qu’il y avait là de notables, ces décisions eurent à l’instant force de loix ; et il fut intimé à la demoiselle Justine, d’avoir à se mettre nue sur-le-champ, pour, après l’examen qui serait fait d’elle, avoir à satisfaire d’abord aux passions du chef… des notables, et ensuite de tous ceux de la troupe, hommes ou femmes qui voudraient d’elle. La malheureuse Justine n’a pas plutôt entendu cet arrêt, qu’elle se jette en larmes, aux pieds de ses juges, pour les supplier de ne pas la soumettre à des infamies qui lui coûtent autant… De violens éclats de rire sont la seule réponse qu’elle obtient.

Pudique enfant, lui dit le chef, comment as-tu pu supposer que ceux qui se font un jeu d’émouvoir la pitié dans les autres, eussent la faiblesse d’en être eux-mêmes susceptibles ? Apprends, poulette, apprends que nos cœurs sont durs comme les rochers qui nous servent de toits. Et comment voudrais-tu que la multitude de crimes où nous nous livrons tous les jours pût laisser en nous quelqu’accès au sentiment de la pitié ? Obéis, coquine, obéis ; il pourrait y avoir du danger à te le faire répéter une seconde fois. Justine ne trouve plus de réponse, et ses cotillons, promptement à bas, laissent bientôt jouir la gaillarde assemblée d’un des plus beaux corps de femmes qu’elle eût encore apperçu depuis long-tems. Objet de la curiosité de l’un et l’autre sexe, notre belle enfant est bientôt visitée, caressée, baisée par toutes les femmes, aussi chaudement que par les hommes, lorsqu’un d’eux (c’est le fils du chef), appercevant la fatale marque, la fait voir aussi-tôt à tout le monde. Qu’est ceci, pucelle, dit un des membres du sénat ? il me semble, qu’imprimée de cette manière, on n’a pas envie de te perdre, et, puisque tu fraternises avec nous par ces stigmates, tu n’aurais pas dû, ce me semble, contrefaire aussi bien la prude. Justine alors raconte son histoire ; mais aussi peu crue là que chez Saint-Florent, en l’assurant que ce petit malheur ne lui fera nul tort dans la troupe, on l’exhorte pourtant à ne plus se revêtir des voiles de la pudeur. Cette inconséquence, lui assure-t-on, pourrait bien, après ce que l’on voit, aigrir, au lieu d’intéresser. Mon enfant, dit le chef en se découvrant une épaule où pareille écriture se déchiffrait au mieux, tu vois que nous nous ressemblons ; ainsi, crois-moi, ne rougis plus de ce qui t’assimile à ton chef, et apprends que ces marques, loin d’être des flétrissures, sont les lauriers de notre état ; baises celle-ci, je vais coller mes lèvres sur celle que tu me montres. Nous sommes trente ici dans le même cas : eh bien ! voilà pourtant les gens à qui tu donnes l’aumône ; voilà ceux qui ont le talent de t’attendrir, et de tirer des écus de ta poche, au nom d’un Dieu dont nous nous moquons. Allons, suis-nous, bel ange, continue le chef en attirant Justine à lui dans un caveau séparé ; moi et ces vieillards, qui sont mes acolytes, nous allons commencer à tâter le terrain ; nous en rendrons compte à nos camarades, auxquels, ensuite, nous abandonnerons la place, si elle vaut la peine d’être occupée.

Les sexagénaires assaillans de Justine, étaient, en tout, au nombre de six. Des lampes perpétuelles brûlaient dans le caveau où on la conduisait ; des matelats par terre en rendaient le sol assez doux ; c’était le boudoir de ces messieurs. Justine, dit un de ces vieillards, livrez-vous d’abord à notre chef ; nous passerons ensuite par rang d’âge. Notre coutume, au reste, étant de nous livrer les uns devant les autres aux voluptés de la luxure, ne vous effarouchez pas, mon enfant, de nous avoir pour témoins de votre obéissance.

Gaspard prend Justine ; mais trop usé pour en jouir, il se contente de quelques préliminaires ; et, après s’être secoué un quart d’heure, il lui décharge au milieu des tetons.

Raimond, qui suit, a vécu dans le monde ; c’est un vieil escroc des brelans de Paris ; ses passions, plus usées, exigent davantage : il lêche le foutre que vient d’exhaler son confrère, se fait gamahucher le cul par Justine, et lui décharge enfin dans la bouche.

Gareau a été prêtre ; ses goûts se raffinent avec plus d’art ; il a conservé les penchans de l’ordre jésuitique où ses jeunes années s’écoulèrent ; et, comme il bande encore joliment, le sodomite encule, et crie comme un diable en perdant son foutre. Ribert est né farouche ; ses passions ont la teinte de son ame : il faut que Justine le branle pendant qu’il la soufflettera ; il lui rend les joues toutes rouges, et perd enfin ses forces auprès d’un con, qu’il n’a ni la volonté, ni le pouvoir de fêter d’une autre manière.

Vernol, aussi méchant que son camarade, manifeste autrement sa rage ; il enconne, mais en tirant les oreilles ; et c’est aux douleurs qu’il provoque, que le vilain module son plaisir.

Maugin gamahuche le cul ; il mord les fesses en se branlant ; il voudrait imiter Gareau ; tous deux ont les mêmes vices ; mais-leurs forces ne se ressemblent pas. Maugin, trompé par ses desirs, perd les siennes auprès de l’idole, et les heurlemens qu’il pousse peignent à-la-fois et ses regrets et sa luxure.

Allez, enfans, dit le chef au reste de la troupe, en rentrant avec ses adjoints, la créature vaut le coup… mettez-y de l’ordre… de la politesse ; que chacun, sur-tout, ne passe qu’à son tour. Hommes et femmes, entremêlez-vous ; je ne vous défends pas les plaisirs, mais j’y veux un peu de décence.

Comme il y avait là huit ou dix hommes qui ne voyaient jamais que des garçons, et cinq ou six femmes qui n’adoraient Vénus que sous les habits de Sapho, ce ne fut guères qu’à une trentaine de personnes de l’un et l’autre sexe que notre héroïne eut affaire : tout se passa avec ordre ; mais elle n’en fut pas moins excédée. Obligée de prêter tantôt le con, tantôt le cul, souvent la bouche et les aisselles… contrainte à polluer hommes et femmes… à recevoir mille baisers plus dégoûtans les uns que les autres ; quelquefois battue, fustigée, soufflettée, mordue, pincée, nous laissons à penser au lecteur en quel état la malheureuse dut sortir de cette joute libidineuse : il n’y eut pas jusqu’aux enfans qui ne la soumissent à leurs fantaisies ; et Justine, toujours complaisante, toujours esclave et toujours malheureuse, se prête à tout avec une résignation dont la source est loin de son cœur.

Les assauts terminés, on la conduisit vers une cuve où elle eut la permission de se purifier ; et, comme c’était l’heure du repas, Justine, ramenée dans le grand caveau, se mit à table avec toute la troupe. La conversation ne roula que sur les plaisirs dont on avait joui ; les femmes s’exprimèrent avec la même liberté… la même indécence que les hommes, et ce fut pour le coup que la malheureuse Justine put dire que, même chez les moines de Sainte-Marie, elle ne s’était jamais trouvée en société plus indécente.

Le dîner, au reste, fut délicieux ; tout ce qui pouvait contribuer à le rendre aussi délicat que succulent s’y rencontrait avec profusion. Dans un caveau voisin de celui où la compagnie mangeait était un vaste souterrain, tapissé de viandes… de gibier, et dans lequel un homme et trois femmes travaillaient journellement à la cuisine. Comme on avait beaucoup bu, une méridienne succéda : l’ex-jésuite Gareau s’approche alors de Justine : Vous avez, mon enfant, lui dit-il tout bas, le plus beau cul du monde ; à peine ai-je eu le tems de le fêter ; levez-vous, et suivez-moi ; dès qu’ils dormiront tous, nous irons jaser dans un coin.

Abandonnée comme l’était Justine, ne devait-elle pas se trouver trop heureuse de voir un être s’intéresser à son sort ; elle jette les yeux sur l’homme qui lui parle, et lui trouvant l’air plus honnête qu’aux autres, une assez belle figure et de l’esprit, elle se garde bien de le repousser. C’est dans une petite cellule, près de l’endroit où l’on tient le vin, que le nouvel amant de notre héroïne la conduit, pour s’entretenir avec elle ; et, tous deux assis là sur une espèce de baquet, telle est à-peu-près la conversation qui les occupe :

Du moment que je vous ai vue, mon enfant, dit Gareau, vous n’imaginez pas l’intérêt que vous m’avez inspiré ; votre charmante figure annonce de l’esprit ; votre maintien, de l’éducation ; vos discours, une naissance honnête ; et je suis, moi, dans mon particulier, bien persuadé que la flétrissure que vous portez n’est bien constamment que le fruit du malheur, et non de l’inconduite. Je ne vous cache pas, mon ange, que c’est avec chagrin que je vous ai vue parmi nous ; car, on ne sort pas d’ici comme on y entre. Vous ne pouvez vous le dissimuler ; n’acceptant pas d’exercer la même profession que ces gens-ci, je crains qu’ils ne vous captivent, ou qu’ils ne vous tuent, aussi-tôt qu’ils seront las de vous. Dans cette fatale occurence, je ne vois qu’un parti pour vous : celui de vous attacher à moi, et de vous en rapporter à mes soins pour vous obtenir un jour le moyen de vous évader. — Mais, monsieur, dit Justine, si vous preniez de l’amitié pour moi, quelle apparence que vous me missiez à même de vous fuir. — Je vous suivrais, Justine ; me croyez-vous donc fait pour cet état-ci ? L’avarice, la paresse, la luxure, voilà les chaînes qui me captivent : j’aime à gagner de l’argent, sans avoir d’autres peines que de le demander. Mais vous mettez, j’espère, une différence entre mon personnel et celui de ces gens-ci ; tôt ou tard nécessairement je dois les abandonner. Liée à moi, vous me suivrez alors, et nous mènerons ensemble une vie, si-non plus honnête, au moins pas si dangereuse ; en déclarant, d’ailleurs, publiquement que vous consentez à vivre avec moi, cette association vous sauvera de la cruelle nécessité dans laquelle vous êtes de vous livrer journellement à tous ces coquins-ci… comme vous voyez Séraphine et Ribert. — Ribert, monsieur ? mais il me semble que c’est un des premiers qui ait assouvi sa passion sur moi. — Lui, sans doute, rien ne nous captive, nous ; ce n’est pas sur nous que pèse le lien conjugal ; mais, sa femme, vous ne la verrez jamais se prostituer, — Sa femme !… celle qui m’a escroquée ? — Oui. — Mais, monsieur, elle s’est aussi divertie de moi. — Eh bien, oui ; mais de bonne volonté… Ce que je vous dis, c’est que vous n’avez vu, et que vous ne verrez jamais aucun homme la contraindre à des plaisirs qui ne seraient pas de son gré. Vous serez comme elle, libre de jouir, si cela vous amuse ; mais libre aussi de refuser, si cela vous répugne. Ce sont nos loix, et nous ne les enfreignons jamais, — Eh bien ! Monsieur, j’accepte, dit Justine ; je me rends à vous de ce moment : quelqu’affreux que soient vos goûts, j’y souscris, sous la promesse formelle que vous me faites de n’être jamais contrainte à me livrer à personne. — Je vous le jure, dit Gareau ; je vais en sceller le serment sur votre beau cul. Justine eût bien voulu jouir du privilège sans être obligée de le payer aussi cher. Mais le moyen de conserver sa vertu avec un prêtre escroc et sodomite ! Elle s’offre donc en gémissant, et l’adroit jésuite l’encule avec les précautions et la douceur dont un enfant d’Ignace est toujours susceptible.

Rentrons, dit le séducteur, dès qu’il se fut satisfait, une plus longue absence pourrait faire jeter des soupçons sur nous, et quand on a l’envie de mal faire, il faut éviter de faire mal.

Nos libertins réveillés contaient des histoires ; Justine et Gareau prirent place au foyer ; et dès que le souper fut servi, notre héroïne déclara que de tous ceux parmi lesquels son étoile la plaçait, Gareau se trouvait le seul qui lui inspirât de la confiance et de l’amitié, et qu’elfe prévenait l’assemblée que son intention était de se liera lui. Le chef demanda à Gareau si cet arrangement lui convenait. Celui-ci ayant répondu d’une manière affirmative, Justine, respectée de ce moment comme la femme d’un des notables, fut à l’abri des propositions que les libertins de la troupe ne paraissaient que trop avoir envie de renouveler ; et ce fut près de son nouvel époux que l’infortunée fut passer la nuit.

Mais Gareau, en assurant et sa main et sa protection à Justine, ne lui avait pas fait serment de fidélité ; et dès cette première nuit, le volage convainquit sa compagne qu’elle n’était pas la seule qui eût des droits à ses faveurs. Un des jeunes gens de la troupe, âgé de trois lustres au plus, attendait le couple conjugal, et se mit cavalièrement entre eux deux. Qu’est ceci, dit Justine ? est-ce donc là ce que vous m’avez promis ? Mon malheur, dit Gareau, est, je le vois, d’être rarement entendu de mon aimable épouse ; j’ai dit à Justine, et je le lui répète, qu’elle trouverait dans moi, pour le prix assuré de ses faveurs, protection, secours, conseils et soulagement ; mais je ne lui ai pas dit que je m’engageais à la continence ; aux goûts qu’elle a dû voir en moi, elle a démêlé, ce me semble, que les garçons ne pouvaient être exclus de mes plaisirs, et je la supplie de trouver bon qu’ils y soient très-souvent en tiers. Un tel discours était un ordre pour la malheureuse Justine, et la soumission devint son seul lot. Quand on en fut à l’action, Justine s’apperçut qu’il ne s’agissait pas seulement de consentir, qu’il fallait encore se prêter : pendant que l’ex-jésuite enculait le bardache, il exigeait que Justine suçât le vit du jeune homme ; était-ce à elle qu’il avait affaire, il fallait alors que le ganimède gamahuchât la sodomisée. Ainsi, tantôt première actrice, et tantôt double, c’était sous toutes les formes, et de toutes les manières, que sa complaisance était à l’épreuve.

Quelques jours se passèrent sans diversion, et Justine, toujours respectée, paraissait gagner de plus en plus la confiance de son nouvel époux ; mais, dénuée de l’art qu’il aurait fallu pour le démêler et pour le conduire, ce fut elle, au contraire, qui fut séduite et pénétrée.

Bientôt, lui dit un jour son protecteur, le tiers de nos gens qui se trouve en campagne va rentrer ; le détachement se renouvellera, j’en ferai partie ; demandez à me suivre, faites-vous donner l’éducation nécessaire à la réussite de ce projet : une fois hors de cet affreux séjour, nous n’y remettrons les pieds de la vie ; j’ai quelques ressources, nous en profiterons ; un village isolé nous recèlera, et nous y finirons nos jours avec bien plus de tranquillité qu’au milieu de ces scélérats, où notre mauvaise étoile nous place.

Oh ! combien j’aime ce projet, dit Justine avec enthousiasme ! sortez… sortez-moi de ce gouffre, monsieur, et je vous proteste de ne vous abandonner de la vie. — Je vous promets de vous tirer d’ici, Justine, je vous en fais le serment le plus authentique ; mais j’exige une condition. — Quelle est-elle ? — De voler la caisse en partant, de faire arrêter ensuite tous ces scélérats. — Le pourrons-nous, monsieur, après les avoir imité ? volez la caisse, puisque cela vous plaît, mais ne les dénonçons pas ; privons-les, s’il se peut, des moyens de mal faire… mais les faire punir !… oh ! Dieu, Dieu ! je n’y consentirai jamais. — Eh bien, dit Gareau, nous les volerons tout simplement ; ils deviendront ce qu’ils pourront : déclares ton dessein de me suivre, fais-toi donner quelques leçons, et nous serons bientôt en état de partir.

Le desir que nous avons d’offrir toujours à nos lecteurs le caractère de notre héroïne aussi pur qu’il a dû le reconnaître de tous les tems, nous engage à développer ici ses motifs. Il s’en fallait bien que cette vertueuse fille pût admettre de bonne foi le dessein de voler ces malheureux : quelque criminellement gagné que fût cet argent, il leur appartenait, n’en était-ce pas bien plus qu’il ne fallait pour que la scrupuleuse Justine se gardât bien de nuire à leur propriété ; mais elle desirait d’être libre ; on ne le lui offrait qu’aux conditions de ce crime : elle combinait donc comment elle pourrait faire pour allier l’un et l’autre… pour sortir de ce gouffre enfin sans dérober le bien de ses hôtes. Un moyen simple s’offrit à son esprit : ce fut de faire au chef l’aveu du crime auquel on voulait l’engager, mais de ne rien dévoiler pourtant qu’avec la promesse de la grâce du coupable et de sa liberté ; une fois fixée à ce projet, elle n’attendit plus, pour le mettre à exécution, que le moment où Gareau lui annoncerait la prochaine résolution du départ. Or, comme on lui avait assuré qu’il fallait être instruite pour faire partie du détachement, elle demanda un maître ; et Raimond, l’un des notables dont nous avons déjà eu occasion de parler, fut l’instituteur que lui accorda le chef de la bande.

Les enfans que vous voyez parmi nous, lui disait un jour ce digne gouverneur, sont, comme vous l’imaginez bien, Justine, de petits malheureux enlevés dans nos courses, desquels nous nous servons pour émouvoir les femmes, dont les cœurs sensibles et pusillanimes s’ouvrent plus aisément à la pitié. En plaçant dans la bouche innocente de ces petites créatures, et le tableau de nos misères et des instances pour les adoucir, nous sommes presque toujours sûrs du succès. Nous vous donnerons un de ces petits êtres ; vous le conduirez par la main ; vous vous en direz la mère ; tous les cœurs s’attendriront aux accens plaintifs de votre voix douce, et vous n’éprouverez jamais de refus. Mais votre costume, encore trop brillant, sera nécessairement ici métamorphosé contre un autre ; et, quelque répugnance que vous puissiez avoir pour la vermine, il faudra que vous en soyez couverte. Que le nom de Dieu soit sur-tout employé, presqu’à tout moment, dans vos discours ; on n’imagine point le parti que les fripons savent tirer de cette chimère.

Au reste, votre taille ni votre jolie figure ne seront point gâtées ; point de cautères, point d’érésipèle, point d’ulcères. Vous vous contenterez de quelques spasmes, et vous direz que ce sont des attaques de nerfs, occasionnées par la trahison d’un mari que vous adoriez. Nous vous apprendrons à jouer ces maux, à vous disloquer d’une telle manière, qu’on vous prendra pour une démoniaque. Mais, avant que de vous éloigner, avant que d’aller gueuser dans les rues de Grenoble, de Valence et de Lyon, vous rôderez quelque tems aux environs de la trappe ; et vous attirerez dessus, comme a fait Séraphine avec vous, tous ceux qui vous paraîtront en valoir la peine. Souvenez-vous sur-tout que nous aimons les gens riches, les jolies filles et les enfans ; que vos filets soient donc toujours tendus vers ces êtres-la, si vous voulez plaire à la société.

Une fois lancée dans les villes, faites tout ce que vous pourrez pour escroquer les gens, quand vous n’obtiendrez rien d’eux d’une différente manière. On va le long des boutiques ; on saisit le moment où l’on n’est point vu ; un coup de main est bientôt fait : il faut être leste dans notre métier… effronté… toujours prêt à nier… même l’action qu’un témoin viendrait de surprendre.

Si, malgré vos apparentes infirmités… malgré le rôle de mère, que nous vous ferons remplir, vous trouvez quelques libertins qui veuillent de vous (il en est tout plein qui, par caprice ou dépravation, préfèrent les femmes de notre état), cédez ; mais profitez de la faiblesse du particulier, et pressurez-le d’importance. Nous vous donnerons des somnifères et des poisons, que vous employerez au besoin, en partant toujours d’un principe ; c’est que la santé… la fortune du prochain n’est rien, toutes fois qu’il s’agit de s’enrichir. En excitant la pitié dans les autres, souvenez-vous que vos devoirs vous font une loi de n’en jamais éprouver aucune ; votre cœur doit être comme de l’acier ; et le seul mot qu’il doive faire retentir en vous, c’est de l’argent.

Il vous est permis de vendre l’enfant qui vous est confié, pourvu que vous en tiriez un bon parti, et que vous nous en apportiez les fonds.

Soit pour leur faire du bien, soit pour leur faire du mal, une infinité de personnes nous achètent de ces enfans-là ; quelques-uns pour les élever, ceux-ci pour les séduire et s’en amuser ; ceux-là, le croiriez-vous, Justine ?… ceux-là, pour les manger… oui, les manger ; il existe des êtres assez dépravés pour porter la débauche à ce point, et nous en trouvons tous les jours. Accoutumés nous-mêmes à toutes les horreurs, aucune ne peut nous surprendre ; et nous devons nous prêter à toutes celles qui nous sont proposées, et sur-tout, quand on nous les paye.

Ayez les larmes à commandement ; les histoires, les romans, les mensonges, que rien de tout cela ne vous coûte : il n’est point de métier dans le monde où il faille savoir en imposer avec plus d’impudence, feindre avec plus de hardiesse les maux et les revers les plus éloignés de nous.

Démêlez sur-tout le caractère de ceux auxquels vous vous adressez ; que vos moyens s’emploient en raison de leur sensibilité. Il ne s’agit que de se montrer à un être faible et pusillanime, notre seul aspect l’émeut sur-le-champ. Il faut plus d’art, un jeu mieux prononcé, près de ces ames racornies par l’âge ou par la débauche. On méprise notre état ; assurément cela est injuste : il n’en est point qui demande une connaissance plus entière du cœur-humain ; aucun qui exige plus de souplesse, plus d’intelligence et d’esprit ; nul, en un mot, qu’il faille exercer avec plus d’activité, d’étude et de soin ; pas un seul qui demande un plus grand fond de fausseté, de méchanceté, de dépravation et de fourberie.

Ne souffrez pas que les vrais pauvres se mêlent parmi vous ; ne les secourez, sur-tout, jamais ; brutalisez-les, au contraire ; menacez-les de les faire rosser par vos camarades, s’ils s’avisent de gêner votre commerce ; soyez aussi durs envers eux que les Crésus le sont avec nous.

Lorsque vous faites des courses dans les campagnes, et que les paysans vous donnent l’hospitalité, profitez de cela pour les voler, pour séduire ou enlever leurs enfans. Vous refusent-ils… vous traitent-ils mal, brûlez leur grange, empoisonnez leurs bestiaux. Tout est permis dans de tels cas ; la vengeance est le premier des plaisirs que nous laisse la méchanceté des hommes ; il faut en jouir.

Ces leçons de pratique et de morale bien inculquées, on donna à Justine un nouveau maître d’action, et dans peu de jours elle fut jugée digne de jouer un rôle dans la célèbre troupe des mandians du Lyonnais.

Son éducation était à peine terminée, qu’un des membres du détachement qui était en campagne, vint prévenir que ses camarades revenaient avec des trésors usurpés à la charité des sots ; de ce moment le reste de la compagnie s’assembla, et les remplaçans furent nommés. Gareau eut d’une voix unanime le commandement de la petite armée, moyennant quoi Justine, dès que tout fut arrangé, fit demander au chef l’honneur de l’entretenir un moment en particulier.

Admise à une audience secrète, elle révéla à Gaspard des choses que celui-ci savait intiment mieux qu’elle. « Fille trop confiante, lui dit ce supérieur, comment avez-vous pu croire que dans une association comme la nôtre, la partie de l’espionnage ne fût pas une de celle que nos soins épurassent le plus ? Gareau s’est moqué de vous, et vous êtes tombée comme une bête dans le piège tendu à votre imbécillité. Notre confrère vous a proposé trois choses : nous voler, nous dénoncer et fuir. Vous m’avouez le vol, vous avez refusé la dénonciation, mais vous avez accepté la fuite ; n’en voilà-t-il pas plus qu’il ne faut pour que vous soyez à l’instant gardée à vue. Vous n’aimez point notre métier, nous sommes sûrs que vous ne l’exercerez jamais ; ce n’est donc plus que comme notre putain et comme notre esclave, que nous pouvons vous garder ici ; et sous l’un ou sous l’autre rapport, d’indissolubles fers doivent vous captiver ». Oh ! monsieur, s’écria Justine, quoi ! ce monstre… — Il vous a trahi ; il a fait son devoir. — Mais il parlait d’amour… et la délicatesse… — Comment avez-vous pu croire que de tels sentimens pussent naître dans l’ame d’un individu de notre profession… et d’un prêtre sur-tout ? Gareau s’est amusé de vous, ma fille, il a voulu démêler votre manière de penser… arracher votre secret, et nous le dévoiler. Que ceci vous serve de leçons pour une autre fois, soumettez-vous, en attendant au sort que votre vertueuse candeur vous a préparé.

Séraphine fut aussi-tôt appelée ; Justine fut mise entre ses mains. Vous ne l’enfermerez pas, lui dit le chef ; mais vous ne la perdrez pas de vue, et vous en répondrez sur votre tête.

Cette Séraphine, dont il est tems enfin de donner une idée aux lecteurs, était une fort jolie femme d’environ trente ans, de beaux cheveux, des yeux très-noirs et très-libertins… excessivement adroite ; (on se souvient de la manière dont elle avait trompé Justine), jouant au mieux tous les personnages dont on la chargeait, et d’une corruption de mœurs au-dessus de tout ce qu’on peut imaginer au monde. La confiance qu’elle inspirait aux membres de cette association était si prodigieuse, qu’elle sortait maintenant bien peu de la maison. Quelques courses aux environs de la trappe, mais le plus grand détail dans la maison ; parfaitement bien d’ailleurs avec des chefs… dont elle était si digne par ses mœurs et par ses talens.

Gareau voyant repasser Justine avec sa gardienne, se mit à éclater de rire ; que penses-tu de cette pécore, dit-il à Séraphine, qui croit que de m’avoir prêté son cul, la soustrait aux peines que ses sottises lui font encourir. — Elle est encore novice, répondit Séraphine, il faut lui pardonner sa bonne-foi. — Comment, poursuivit Gareau, ne sera-t-elle pas punie de mort ? — Ah ! scélérat, dit Justine, voilà donc ce que tu voulais ? Altéré de mon sang, ce n’était que pour le voir répandre que tu as trahi tous les sentimens de l’honneur et de l’amour. — L’amour, l’amour. Séraphine, que dis-tu de cette pucelle qui s’imagine qu’on lui doit de l’amour, parce qu’on a foutu son derrière ? Apprends, putain, qu’on tire ce qu’on peut d’une créature comme toi ; mais qu’on ne l’aime point, on s’en dégoûte, et on la sacrifie : femmes, Voilà votre lot… Quoiqu’il en soit on lui fait donc grâce. — Oui, dit Séraphine, elle est sous ma garde, et je te réponds que je ne la lâcherai pas. Je l’aimerais mieux au caveau des morts, dit ce monstre, en se remettant à foutre un petit garçon qu’il tenait dans ce moment-là.

Dès-lors Justine fut chargée des plus vils soins. Absolument subordonnée à Séraphine, elle en devint en quelque façon la servante ; et comme Gareau lui retirait sa protection, elle devint le plastron des débauches publiques. On afficha dans le souterrain, que Justine n’étant plus la maîtresse de Gareau, se livrerait indistinctement à tous ceux qui voudraient d’elle, et que le moindre refus de sa part serait sévèrement puni. Ce qu’il y a de fort plaisant, c’est que Gareau fut le premier qui se présenta. Viens, coquine, lui dit-il, tout en voulant faire vexer ta personne,

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je n’en aime pas moins ton derrière ; viens que je te sodomise encore une fois avant que de partir ; Gareau était en train, il avait réuni quatre jeunes garçons, Séraphine s’y trouvait aussi ; Maugin dont le lecteur se rappelle les goûts, Maugin qui, à l’exemple de Gareau, chérissait prodigieusement le cul, mais dont les forces trompaient si souvent les desirs, venaient également de s’y joindre ; les orgies furent complètes. Il y avait des momens où notre malheureuse aventurière, objet des luxures de Séraphine, et des deux libertins dont on vient de parler, avait à-la-fois une langue dans le con, un vit dans le cul, un autre dans la bouche, et cela pendant que chacune de ses mains polluaient un jeune garçon, et qu’on enculait Séraphine. L’instant d’après deux vits lui labouraient le vagin ; Séraphine, toujours enculée, lui gamahuchait l’anus, et elle branlait un vit sur le clitoris de sa tribade. Vingt autres attitudes se succédèrent, et Justine put se flatter enfin d’avoir fait dans cette journée un cours de libertinage plus complet qu’aucun de ceux où on l’eût soumise depuis qu’elle était dans le monde.

Enfin le changement s’opéra. Gareau partit avec ses satellites, et le détachement rentra ; autant de personnages nouveaux qui s’offrirent à la triste Justine, et qui la soumirent bientôt à l’intempérance de leur perfide impudicité, Le chef de cette nouvelle troupe fut celui qui tourmenta davantage notre vertueuse créature. Roger, le plus scélérat des hommes, cruel par goût, brutal par tempéramment, avait avec le sexe quelques habitudes qui, comme on va le voir, n’étaient pas très-faites pour séduire : le vilain chiait au milieu d’une chambre, il fallait que la femme, nue, cabriolât une heure autour de son étron. Armé d’un martinet énorme, il l’étrillait sur tout le corps pendant ce tems-là ; ensuite, dès qu’il prononçait le mot, manges garce, il fallait que la pauvre victime avala l’étron par terre, et vint promptement lui en faire un dans la bouche ; alors Roger, suffisamment excité, donnait l’essor à son sperme ; mais en repoussant de lui si cruellement l’objet de sa luxure, que la malheureuse lancée à quinze ou vingt pieds de lui, ne touchait communément au but, qu’aux dépens de quelques fontaines de sang à la tête, ou de quelques membres de cassés. Ah ! Sacre-Dieu, s’écriait aussi-tôt Roger en contemplant les résultats de sa fureur, pourquoi la garce n’est-elle pas tombée à cent pieds sous terre, et pourquoi ne l’ai-je pas tuée ? Est-il au monde rien de plus affreux que la présence d’une femme qui nous a coûté du foutre !

Cependant les comptes du nouveau détachement se firent ; Gaspard qui commandait toujours dans l’intérieur, annonça que six mois de courses venaient de rapporter à la masse près de sept cent mille liv. uniquement en aumônes. Oh ! foutre, s’écria-t-il, après avoir fait voir le bordereau, vive la charité chrétienne ! Qu’il avait d’esprit celui qui le premier érigea cette sublime action en vertu ! vous voyez l’utilité dont elle nous est : continuons, mes amis, continuons de payer des prédicateurs pour en échauffer le zèle dans le cœur de l’homme, nous n’aurons jamais si bien placé notre argent[4] .

À cela près de beaucoup de crapule, de libertinage, d’irréligion, d’intempérance et de blasphêmes, Justine cependant n’avait pas trop vu jusqu’alors le crime dans toute son énergie, lorsqu’une aventure assez singulière vint lui présenter bien à nu l’ame atroce de ces scélérats.

Tout-à-coup la trappe s’abaisse, et vomit dans cette habitation un homme de quarante ans, fort bien mis… mais, qui tout étourdi de sa chûte, ne peut expliquer qu’au bout d’un moment la fatalité qui l’amène. Ceci n’était point la suite d’une des ruses de Séraphine ; ce voyageur avait effectivement vu une femme qui rodait aux environs du lieu où la terre s’était enfoncée sous ses pieds ; et c’était pour se cacher d’elle, qu’attiré par un besoin de la nature, il s’était réfugié dans l’intérieur de ce buisson ; son cheval, chargé d’une valise pleine d’or, devait être à quelques pas du trou, mais hors de la vue de Séraphine ; et si, disait-il, son sort le faisait tomber, comme au milieu d’une bande de voleurs, il fallait se dépêcher d’aller ravir son trésor à la cupidité du premier passant, ou le remonter promptement sur terre, dans le cas ou l’on n’eût sur lui nul mauvais dessein. — Te remonter, dit aussi-tôt Roger en s’avançant vers cet homme le pistolet à la main… Ah ! scélérat, de ta vie tes yeux ne verront le soleil. — Qu’apperçois-je, grand Dieu ! s’écria le voyageur, est-ce bien toi, Roger, que le hasard présente à mes regards surpris ?… toi mon frère… toi que j’ai, pour ainsi dire, élevé dans mon sein… toi, mon ami, dont je sauvai deux fois les jours… toi, j’ose le dire enfin qui me doit tout dans l’univers ! Oh ! combien je rends grâces au ciel de te trouver dans ce local obscur ; quelques soient les gens qui l’habitent, tu vas m’y servir de protecteur… et je n’ai plus rien à craindre sans doute, dès que mon sort est entre tes mains ! — Que la foudre m’écrase, s’écria Roger, s’il est aucune circonstance dans le monde qui puisse m’attendrir sur ton sort ; m’eusses-tu sauvé mille vies, je te tiens, scélérat, et tes jours vont nous assurer ta fortune ; c’est bien à des gens tels que nous, qu’il faut venir parler de liens fraternels ou de reconnaissance. Apprends, faquin, que l’intérêt étouffe dans nos ames tous autres sentimens que ceux de l’avarice, de la cupidité, de la soif du sang ou des richesses ; et que, m’eusses-tu, te dis-je, rendu mille fois plus de services que tu n’en étales ici, tu n’en deviendrais pas moins notre victime. Deux coups de pistolet, lâchés par le cruel Roger, étendent à l’instant son frère sur le carreau ; il y était à peine, que Séraphine parut avec le bagage du cavalier ; elle avait découvert le cheval ; et ne sachant pas ce que le maître était devenu, à tout évènement la gueuse apportait la valise. Voilà une excellente aventure, dit Gaspard en prouvant à ses camarades, que la prise s’élevait à plus de cent mille francs. Un tel frère est coupable, sans doute, puisqu’avec autant de richesses, il laisse son cadet exercer une aussi infâme profession. Il l’ignorait, répond Roger ; il me croyait depuis quatre ans en Amérique ; après l’action que je viens de commettre, il ne m’appartient pas de faire son éloge ; mais il ne vous en a point imposé, et rien n’est aussi certain que les services qu’il m’a rendus toute la vie. Le libertinage seul m’enchaîne à notre état, et certes, je ne l’exercerais pas, si j’avais profité de ses leçons, de ses conseils et des sommes dont sa libéralité me gratifia tant de fois ; n’importe ! je ne me repends point, mon action vous prouvera, mes camarades, que vos intérêts me sont plus chers que tous les liens de la nature, et que je sacrifierai toujours tout, dès qu’il s’agira de vous servir.

Le fratricide de Roger trouva beaucoup de partisans dans la troupe, mais pas un seul contradicteur. L’infortunée Justine fut chargée d’aller enterrer le cadavre ; et nous laissons à penser aux lecteurs, combien, et ce qui venait de se passer, et ce à quoi on l’obligeait sans cesse, redoublait dans son ame la haine profonde qu’elle nourrissait pour les nouveaux monstres chez lesquels le hasard la plaçait.

Cependant, la joie qu’occasionnait cette nouvelle prise, fut telle qu’on ne pensa plus le soir qu’à se divertir ; les orgies furent complètes : on y exigea que toutes les femmes ou filles de la troupe, ainsi que tous les jeunes garçons, y soupassent nus. Justine, dans le même état, fut obligée de les servir.

Gaspard dit au dessert, que depuis long-tems Séraphine leur avait promis l’histoire de sa vie ; et comme l’invitation fut renouvellée, tels furent à-peu-près les termes dans lesquels cette belle fille s’exprima :

  1. Les Grecs avaient peint Jupiter assis entre deux cuves ; dans l’une étaient les dons de la fortune ; ses revers dans l’autre. Le Dieu prenait à pleines mains, tour-à-tour dans l’un et l’autre tonneau, pour jeter sur les hommes ; mais on remarquait qu’il revenait toujours plus souvent au magasin des malheurs qu’à celui des prospérités.
  2. Ceci n’est point une fable : ce personnage a existé dans Lyon ; ce que l’on dit ici de ses manœuvres est exact ; il a coûté l’honneur à plus de vingt mille petites filles. Son opération faite, on les embarquait sur le Rhône ; et les provinces dont il s’agit n’ont été peuplées, pendant trente ans, d’objets de débauches, que par les victimes de ce libertin.
  3. L’épurge, ou la catapuce ordinaire, vulgairement connue sous le nom de réveil-matin, et qui croît en abondance dans les bois voisins de Paris, telle est la simple dont ces coquins se servent pour se défigurer, en en exprimant le suc sur leur visage. Ce suc laiteux se range aussi dans la classe des poisons.
  4. On assure que c’est une des ruses de ces drôles-là. Ils payent aux curés de village des sermons sur la pitié, sur la charité, sur la bienfaisance, sur toutes les faiblesses, en un mot, qui leur sont utiles.