La nouvelle Justine/Chapitre XVI

LA NOUVELLE JUSTINE,

O U

LES MALHEURS DE LA VERTU,

SUIVIE DE L’HISTOIRE

DE JULIETTE, SA SŒUR

Ouvrage orné d’un Frontispice et de
cent Sujets gravés avec soin


On n’est point criminel pour faire la peinture
Des bizarres penchans qu’inspire la nature.


TOME QUATRIÈME.



EN HOLLANDE.
1 7 9 7.
LA NOUVELLE JUSTINE,

OU

LES MALHEURS DE LA VERTU.
CHAPITRE XVI.

Fin des orgies. — Dissertation — Comment la société se sépare. — Fuite de Justine.


La luxurieuse assemblée, réunie le lendemain pour de nouvelles infamies s’amusa tout aussi gaiement que si la plus atroce de toutes les cruautés n’eût pas été commise la veille. Et voilà quelle est l’ame des libertins ; absolument blasés sur toute autre sensation que celle de leurs vices, la plus coupable indifférence ou les entraîne à de nouveaux crimes, ou les console bientôt des anciens Rose et Lili soutinrent ce jour-là, et les deux suivans, tout le poids des lubricités de ces monstres, Pour Gernande, s’acharnant sur Marceline sa sœur, à laquelle il trouvait les plus beaux bras du monde, il la saigna dix fois dans ces deux jours, collant sans cesse sa bouche sur les jets de sang, les laissant jaillir dans son gosier, et s’en humectant les entrailles. Il me semble, lui disait Bressac, très-partisan de ce raffinement, il me semble, mon oncle, que ce ne peut être qu’ainsi que votre fantaisie doit avoir des charmes ; quand on aime le sang, il faut s’en rassasier ; l’antropophagie n’est constatée qu’alors, et j’avoue que l’antropophagie me fait bander. Tous essayèrent ce charmant épisode ; Dorothée même avala le sang de Marceline : ces horreurs s’entremêlaient de promenades, pendant l’une desquelles Bressac. découvrit une jeune fille de quatorze ans, belle comme le jour, et qu’il enleva pour en amuser la société. Rien ne fut reçu comme ce présent, et il n’y eut sortes de vilainies, de supplices et d’exécrations qui ne se commirent avec cette malheureuse. On raisonnait un soir sur l’heureux hasard de cette découverte, quand madame de Gernande s’avisa de dire : — Croyez-vous, messieurs, que si les parens de cette infortunée se trouvaient aussi puissans que vous, ils ne poursuivraient pas l’infamie dont vous venez de les accabler ? Or, si leur misère est la seule cause de la tranquillité dans laquelle ils vous laissent, n’êtes-vous pas des scélérats d’en abuser ainsi ?

Mon ami, dit Verneuil à son frère, si ma femme eût osé me faire un raisonnement aussi absurde que celui-là, je l’eus fait mettre à genoux devant la compagnie, et fustiger jusqu’au sang par mon laquais ; mais comme madame ne m’appartient pas, je vais me contenter de pulvériser son objection.

Voilà qui est à merveille, répondit le maître du château ; mais comme je ne prétends pas être plus doux que mon frère, la société trouvera bon que madame de Gernande n’écoute le discours qui va lui être fait que dans une attitude de douleur ; je la condamne donc à être à quatre pattes, les fesses fort en l’air ; deux bougies, très-près de son cul, en gresilleront lentement la peau pendant ce tems-là. Des bravo retentirent ; madame de Gernande est placée, et Verneuil commence.

Établissons d’abord, je vous prie, dit Verneuil, comme bases inébranlables de tout systême sur pareilles matières, qu’il y a nécessairement dans les intentions de la nature une classe d’individus essentiellement soumise à l’autre par sa faiblesse et par sa naissance : ceci posé, si le sujet sacrifié par l’individu qui se livre à ses passions est de cette classe faible et débile, le sacrificateur, en ce cas, n’a pas fait plus de mal que le propriétaire d’une ferme qui tue son cochon. Douteriez-vous de mon premier principe ? Parcourez l’univers, je vous défie d’y trouver un seul peuple qui n’ait eu sa caste méprisée ; les Juifs formaient celle des Egyptiens ; les Illotes celle des Grecs, les Parias celle des Brames ; les Nègres celle de l’Europe. Quel est, je vous prie, le mortel assez imbécille pour oser affirmer, en dépit de l’évidence, que tous les hommes naissent égaux en droits et en force ; il n’appartenait qu’à un misanthrope comme Rousseau d’établir un pareil paradoxe, parce que, très-faible lui-même, il aimait mieux rabaisser à lui ceux auxquels il n’osait s’élever ; mais de quel front, je vous le demande, le Pigmée de quatre pieds deux pouces pourra-t-il s’égaler à ce modèle de taille et de vigueur à qui la nature accorde et la force et la taille d’Hercule. Ne vaudrait-il pas autant dire que la mouche est égale à l’éléphant ? La force, la beauté, la taille, l’éloquence, telles furent les vertus qui, dans l’origine des sociétés, firent décerner l’autorité à ceux qui les gouvernèrent. Une famille, une bourgade, contrainte à défendre ses possessions, choisit bien certainement dans son sein, l’être qui lui parut réunir une plus grande somme des qualités que nous venons de peindre. Ce chef, une fois revêtu de l’autorité qui venait de lui être confiée, prit des esclaves parmi les plus faibles, et les immola sans pitié au plus léger besoin de ses intérêts ou de ses passions… à la fantaisie même de ceux qui l’avaient mis en place. Combien de fois peut-être cette cruauté fut-elle nécessaire au maintien de son autorité ? Qui doute que le despotisme des premiers empereurs de Rome ne fût utile à la splendeur de cette souveraine de l’univers ? Lorsque les sociétés s’établirent ; les descendans de ces premiers chefs, accoutumés à représenter, quoique souvent leurs forces ou leurs qualités morales n’égalassent plus celles de leurs pères, continuèrent de maintenir l’autorité sur leurs têtes ou dans leurs maisons ; et voilà l’origine de la noblesse dont la tige se découvre dans la nature même : des esclaves continuèrent de se ranger autour d’eux, ou pour les servir ou pour maintenir sous les ordres de ce chef la grandeur et la prospérité de la nation ; et ce maître, sentant combien il lui devenait essentiel d’en imposer, tant pour son intérêt que pour l’intérêt général, devint cruel par nécessité, par ambition, et le plus souvent par libertinage, Tels furent les Nérons, les Tibères, les Héliogabales, les Venceslas, les Louis XI, etc. ; ils héritaient d’un pouvoir transmis à leurs prédécesseurs par nécessité ; ils en abusaient par caprices. Mais, quel mal entraînaient ces abus ? beaucoup moins sans doute que le retranchement de leurs pouvoirs ; car l’abus maintenait l’empire, en faisant tomber quelques victimes. La suppression de l’autorité ne les épargnait pas, et plongeait les peuples dans l’anarchie. Il y a donc (et c’est où j’en veux venir) très-peu d’inconvéniens à ce que le plus fort abuse de sa puissance… on ne saurait moins d’obstacle à ce qu’il écrase le plus faible. Toutes les opérations de la nature ne sont-elles pas d’ailleurs des exemples de cette lésion nécessaire du fort sur le faible ? L’aquilon brise le roseau, les soulèvemens intérieurs de la terre culbutent, dégradent la frêle habitation imprudemment élevée sur elle ; l’aigle engloutit le roitelet ; nous ne respirons pas, nous ne remuons pas un de nos membres, que nous ne détruisions des fourmillières d’atômes : Eh bien ! vous disent ici les imbécilles partisans d’une impossible égalité, nous ne pouvons disputer la priorité physique et morale de certaines créatures sur d’autres ; elle nous frappe, il en faut convenir ; mais accordez-nous au moins que tous les êtres doivent être égaux aux yeux de la loi ; et, voilà certes ce dont je me garderai bien de convenir : comment voulez-vous en effet que celui qui a reçu de la nature la plus extrême disposition au crime, soit à cause de la supériorité de ses forces, de la délicatesse de ses organes, soit en raison de l’éducation nécessitée par sa naissance ou par ses richesses ; comment, dis-je, voulez-vous que cet individu puisse être jugé par la même loi, que celui que tout engage à de la vertu ou à de la modération ? Serait-elle plus juste la loi qui punirait de même ces deux hommes ? Est-il naturel que celui que tout invite à mal faire, soit traité comme celui que tout engage à se comporter prudemment ? Il y aurait à ce procédé une inconséquence affreuse, une injustice abominable, que toute nation prudente et sage ne pourrait jamais se permettre. Il est impossible que la loi puisse également convenir à tous les hommes. Il en est de ce médicament moral comme des remèdes physiques. Ne ririez-vous pas du charlatan qui, n’ayant qu’une pratique semblable pour tous les tempéramens, purgerait le fort de la halle comme la petite-maîtresse à vapeurs ? Eh ! non, non, mes amis, ce n’est que pour le peuple que la loi est faite ; se trouvant à-la-fois le plus faible et le plus nombreux, il lui faut absolument des freins dont l’homme puissant n’a que faire, et qui ne peuvent lui convenir sous aucun rapport. La chose essentielle, dans tout gouvernement sage, est que le peuple n’envahisse pas l’autorité des grands ; il ne l’entreprend jamais, sans qu’une foule de malheurs ne bouleverse l’état, et ne le gangrène pendant des siècles. Mais, tant qu’il n’y aura, dans une nation quelconque, d’autre inconvénient que celui de l’abus des pouvoirs du fort sur le faible, comme le résultat n’en est que de river les fers du peuple, cette action deviendra bonne au lieu d’être mauvaise ; et toute loi qui la protégera, tournera dès-lors à la gloire de l’état et à sa prospérité. Le régime féodal favorisait cette manière de voir ; et c’est sous lui que la France est parvenue au dernier degré de sa grandeur et de sa prospérité… à l’exemple de Rome qui ne fut jamais si grande, que quand le despotisme fut à son dernier période. Il y a une infinité de gouvernemens en Asie où les grands peuvent tout faire… où le peuple seul est enchaîné. C’est agir contre la nature, que de prétendre diminuer la force de ceux auxquels sa main l’a départie ; c’est la servir que d’imiter les modèles de cruauté, de despotisme qu’elle offre sans cesse à nos regards… que d’user de tous les moyens qu’elle a mis dans nous pour déployer notre énergie ; celui qui s’y refuse, est un sot qui ne mérite pas le présent qu’il a reçu d’elle… Et Verneuil, revenant ici à l’objet de la discussion, nous n’avons donc nul tort, mes amis, de faire servir cette créature à tous les caprices de notre lubricité ; nous l’avons enlevée, et nous sommes les maîtres, dès que la nature nous rend les plus forts, d’en faire tout ce que nous voudrons. Il n’y aurait que des imbécilles ou des femmes qui pourraient le trouver mauvais ; parce que ces deux sortes d’individus, faisant partie de la classe des faibles, doivent nécessairement en prendre le parti.

Eh ! qui doute, dit Bressac, électrisé par la morale de son oncle, qui peut ne pas être convaincu que la loi du plus fort ne soit la meilleure de toutes, la seule qui règle les ressorts du monde, qui soit à-la-fois la cause, et des vertus qui rétablissent le désordre, et des crimes qui maintiennent l’ordre dans chacun des rouages de ce vaste univers ?

Nos lecteurs imaginent aisément que de tels systêmes, dans la tête de gens dont ils lisent l’histoire, devaient nécessairement exalter leurs écarts. Madame de Gernande fut condamnée, malgré ses douleurs, à rester dans la même attitude où ces scélérats l’avaient mise ; et ce fut sur elle que se raffinèrent, avec la nouvelle victime, toutes les manières de saigner, et toutes les lubricités possibles à exécuter pendant l’effusion du sang. D’Esterval prétendit qu’il devait être délicieux de foutre pendant ce tems-là ; il le fit. Et les éloges qu’il prodigua à cette nouvelle passion engagèrent les autres à l’imiter. Verneuil dit qu’il fallait pincer, piquer, molester la créature flébotomisée, tout en la foutant. On la couvrit de meurtrissures ; Gernande voulut qu’elle branlât des vits de chaque main, et que ces engins s’inondassent de sang ; autre caprice qui fut trouvé délicieux. Victor prétendit qu’il fallait donner des clystères, et les voir rendre pendant la saignée. La d’Esterval soutint que ce qu’il y avait de mieux à faire était de les pendre par les cheveux, pendant que les saignées couleraient des quatre membres : nouvelles décharges. On en fit tant enfin que la malheureuse enfant fut bientôt rejoindre Cécile ; on l’enterra près d’elle, et de nouveaux forfaits embrasèrent bientôt l’imagination de ces Cannibales.

Au sortir d’un dîner, où l’on s’était permis les plus grandes débauches, où les têtes, prodigieusement exaltées, n’admettaient plus ni freins ni barrières, où l’on avait érigé l’indécence en principe, la cruauté en vertu, l’immoralité en maxime, l’athéisme en opinion seule faite pour le bonheur des hommes, tous les crimes en systêmes ; où la volupté la plus crapuleuse, ayant entremêlé les excès de la table, on avait porté l’égarement au point d’enculer des bardaches, sans cesser de boire et de manger ; où l’on avait mêlé aux alimens, dont on se gorgeait, les excrémens exhalés du corps de ces gitons, leurs larmes, leur sueur et leur sang ; au sortir de ce repas infernal, Gernande et Verneuil décidèrent enfin que le sang de Cécile, et de la jeune personne que l’on venait d’immoler, ne suffisait pas aux dieux infernaux, à qui s’adressait cette fête, et qu’il fallait essentiellement une victime de plus. Ici toutes les femmes frémirent. Notre malheureuse Justine, sur laquelle plusieurs yeux se tournèrent, pensa se trouver mal, lorsque Gernande proposa à l’assemblée de convenir que la victime serait choisie à la supériorité des fesses ; et voici le sophisme dont il se servit pour étayer son opinion. Celle qui a le plus beau cul, disait-il, doit nécessairement être celle qui nous a fait le plus décharger. Or, la créature qui a le plus excité nos désirs, doit être celle dont nous devons être le plus dégoûtés : c’est donc d’elle dont il faut indispensablement se défaire… Non, dit Verneuil ; il y aurait de la partialité ; il faut l’exclure absolument, et que le sort seul en décide. Consultons le Dieu qui déjà sut nous indiquer de si bonnes actions ; sa voix désignant la victime, il ne pourra plus nous rester de regrets… Excellente manière de se rassurer, dit d’Esterval en éclatant de rire ; jamais les dogmes jésuitiques ne furent raffinés à ce point. Allons, notre Dieu sera bientôt réédifié ; allons le consulter dans son temple. On écrivit sur des bulletins les noms de Justine, des dames de Gernande et de Verneuil, de Marceline, de Laurette et de Rose. Ces six noms, placés dans le calice qui avait servi aux précédentes orgies, furent présentés par Lili à l’effigie de l’Éternel, qui, après un moment de réflexion, met sa main dedans, et jette le billet qui en sort ; Bressac le ramasse avec empressement ; il y lit le nom de madame de Gernande… Je l’aurais parié, dit froidement le mari ; j’ai toujours cru le ciel juste à mon égard ; je suis ravi que, par un choix aussi plein d’équité, sa réputation se conserve. Allons, ma tendre amie, dit-il en s’approchant de sa malheureuse femme ; allons, mon cœur, un peu de courage. De toutes les occasions où il faut savoir prendre son parti avec fermeté, celle-ci, sans doute, est la plus importante… c’est un mauvais moment à passer… oh ! bien mauvais, mon ange… car nous vous ferons incroyablement souffrir, cela est certain : mais cela finira ; vous rentrerez paisiblement alors dans le sein de cette nature qui vous aime tant… et qui néanmoins vous destine une assez vilaine manière de vous réunir à elle. Rassurez-vous cependant, mon Amour ; ne vaut-il pas mieux mourir tout de suite, que de poursuivre l’ennuyeuse carrière où mes passions vous précipitaient ? c’était une fuite continuelle de tourmens, ils vont finir ; une éternité de bonheur vous attend, vos vertus vous l’assurent. Ce qui m’afflige, moi, mon enfant, je vous le répète, c’est la route épineuse… le chemin excessivement douloureux, par lequel vous allez parvenir aux délices qui vous sont préparées pour toujours. Et le cruel époux persifflerait peut-être encore sa malheureuse femme, si le fougueux Verneuil ne se fût à l’instant jeté sur la victime, pour en jouir délicieusement, disait-il, dans l’état de crises et d’angoisses où elle devait être. Le scélérat l’enconne, la lime avec ardeur… cueille avec impudence des baisers luxurieux sur une bouche flétrie par les plus amères douleurs, et qui ne s’ouvre plus qu’aux plaintes et qu’au désespoir… Attends, dit Gernande à son frère, en l’engageant à ne point précipiter son extase ; il faut que ce soit en jouissant d’elle, toi par-devant, Bressac en cul, moi dans la bouche, d’Esterval et Victor sous les aisselles, que nous prononcions tous cinq son supplice. Qu’on nous donne ce qu’il faut pour écrire, poursuit-il dès qu’il voit son idée remplie ; je vais commencer par tracer le mien ; et le scélérat, avec réflexion, le fait en jouissant de sa malheureuse épouse, qu’il considère à chaque mot qu’il peint. Victor en fait autant ; il écrit avec flegme, sur

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les épaules de sa tante, l’espèce de torture où il la destine, et qui paraît le mieux convenir à son insigne noirceur. Les autres imitent le procédé ; et, pour mettre à toutes ces infamies les plus bizarres recherches, comme Gernande connaissait l’attachement de Justine pour sa maîtresse, il veut que ce soit elle qui fasse la lecture de la sentence qui vient d’être prononcée. Hélas ! à peine la pauvre fille eut-elle la force de bégayer ces mots barbares ; mais, comme on la menaçait de la même mort, si elle n’obéissait pas, et que son refus n’eut servi de rien, il fallut se soumettre ; elle lut. La Gernande n’a pas plutôt entendu son arrêt, qu’elle se précipite aux pieds de ses bourreaux. Eh ! ce n’est point dans de telles ames que naquit jamais la pitié ! On insulte cette infortunée, on la bafoue, et, pour procéder sur-le-champ à son supplice, on s’enferme dans le salon, où s’étaient commises les horreurs dont on a précédemment rendu compte. Tout ce qui convenait aux exécrations projetées s’y voyait avec appareil.

On exigea d’abord de la patiente, de demander tout haut pardon à Dieu et aux hommes, des crimes qu’elle avait commis. La pauvre femme, dont l’esprit n’y était déjà plus, prononça tout ce qu’on voulut. Les vexations commencèrent ; chacun infligeait celle qu’il avait ordonnée, et, pendant qu’il agissait, deux individus, de l’un ou de l’autre sexe, étaient obligés de l’exciter ou de se prêter à ses luxures intermédiaires. Les vieilles aidaient aux supplices.

Verneuil commença. Justine et Dorothée le servaient ; il tourmenta la victime deux heures, et, dans l’instant où elle éprouvait une crise horrible, le paillard, fouetté par la d’Esterval, déchargea dans le cul de Justine, qu’une vieille épilait pendant ce tems-là, pour donner aux mouvemens des reins de la patiente une plus grande agilité.

Victor se présente, servi par Laurette et madame de Verneuil ; c’est-à-dire que le jeune élève torturait sa tante, en assouvissant ses lubricités sur sa mère et sur sa sœur. Madame de Verneuil éprouva un moment d’horreur insurmontable, que son fils devina malheureusement. Le petit monstre tenait alors une aiguille d’acier, dont il lardait les fesses de sa tante ; il la lance dans les tetons de sa mère, en l’invectivant d’une façon cruelle. La société prend fait et cause ; le cas paraît sérieux ; on interrompt l’opération pour juger la coupable, et, sur la simple accusation de son fils, la mère est à l’instant condamnée à quatre cents coups de fouet, indistinctement distribués sur tout le corps, et cela malgré les blessures qu’elle vient de recevoir. L’arrêt, par la main de ces quatre barbares, est aussi-tôt mis à exécution ; Victor demande que la gorge lui soit livrée ; et le scélérat la flagelle, pendant que Gernande lui suce le vit, et que son père le socratise. On se remet à l’ouvrage ; le petit scélérat, excité, prolonge trois heures les tortures qu’il fait endurer à sa tante, et décharge deux fois en la travaillant ; l’une en se branlant lui-même ; l’autre en sodomisant sa mère, pendant que sa sœur lui gamahuchait le trou du cul.

Gernande s’empare de sa femme, il la crible de coups de lancette, et perd son foutre dans la bouche d’un giton, en dardant une dernière piqûre dans l’œil droit de cette malheureuse.

D’Esterval surpasse tout par ses horreurs ; c’est le con de Justine qui reçoit son foutre ; il lui moleste sévèrement les tetons, en le lui lançant dans la matrice.

Quand la victime arrive à Bressac, à peine a-t-elle la force de souffrir. Pâle, défigurée ; ce beau visage, où régnaient autrefois les grâces, n’offrait plus maintenant que la plus déchirante image de la douleur et de la mort. Elle a pourtant encore la force de se jeter aux pieds de son mari, pour implorer de nouveau son pardon ; mais Gernande, inflexible, se plaît à la fixer dans cet état d’angoisses. Oh ! sacre-Dieu, s’écrie-t-il, quel plaisir de voir une femme en pareille situation ! que la douleur est belle à contempler ! viens me branler, Justine, sur le visage de ta maîtresse… Mon ami, dit Verneuil, il faudrait fouetter ce beau visage… Chier dessus, dit Victor… Le souffletter, dit d’Esterval… L’enduire de miel et y lâcher des guêpes, dit Dorothée… Un peu de patience, dit Gernande, qui savourait sur cette charmante figure toutes les différentes gradations douloureuses, qu’occasionnait chacune de ces propositions ; il est impossible de nous satisfaire tous. Chacun a-t-il envie de faire ce qu’il a proposé !… Oui… Eh bien, contentez-vous, mes amis ; je vous la livre. Toutes ces différentes horreurs s’exécutent ; cinq monstres s’acharnent sur cette malheureuse ; et c’est ainsi, qu’après une vie bien courte, terminée par onze heures des plus déchirans supplices, cet ange céleste remonte vers le ciel, d’où il n’était descendu que pour orner un moment la terre.

Le croira-t-on ? le corps de cette belle femme est mis au milieu de la table ; on sert autour le plus magnifique souper. Voilà comme j’aime le plaisir, dit Verneuil ; si celui qui veut le goûter n’écarte pas tous les freins, il ne l’atteindra jamais… Qu’il est délicieux de se repaître ainsi du crime que l’on vient de commettre !… voilà comme il est bon le crime ; c’est en le savourant, c’est en se délectant de ses suites… Oh ! mes amis, à quel point la férocité à l’art puissant d’aiguillonner les plaisirs !… La voilà pourtant celle qui vivait il y a une heure… qui nous entendait… qui nous redoutait… qui nous implorait… Un moment a tout terminé ; et cette créature, si sensible il n’y a qu’un instant, n’est maintenant plus qu’une masse informe qu’ont désorganisée nos passions… Oh ! qu’elles sont belles et grandes les passions qui conduisent à de tels écarts ! que leur élan est majestueux ?… qu’il est noble et sublime ! S’il était vrai qu’il existât un Dieu, n’en serions-nous pas les rivaux, en détruisant ainsi ce qu’il aurait formé ? Oh ! oui, oui, je le soutiens, le meurtre est la plus grande, la plus belle, la plus délicieuse de toutes les actions où l’homme puisse se livrer… Eh bien, mes amis, où est-elle cette ame merveilleuse, que nos excès viennent de séparer de ce corps ? Par où a-t-elle passée ?… qu’est-elle devenue ? Ne faut-il pas être insensé pour admettre un moment son existence ? N’avons-nous pas vu cette ame s’affaiblir à mesure que nous agacions les organes, ou que nous en détruisions les ressorts ? Tout cela n’était donc que matière ; or, je demande où peut être le crime à déformer un peu de matière ?… Un moment, dit Bressac ; puisque nous faisons tant que de raisonner sur une chose aussi importante, je vous demande la permission de vous révéler mes idées sur le dogme de l’immortalité de l’ame, qui, depuis si long-tems, agite les différentes classes de la philosophie… Oui, oui, dit Gernande, écoutons mon neveu dans cette discussion ; je sais qu’il est en état de l’approfondir.

En remontant aux époques les plus reculées, dit Bressac, nous ne trouvons malheureusement d’autres garans de l’absurde systême de l’immortalité de l’ame que parmi les peuples plongés dans les plus grossières erreurs. Si l’on examine les causes qui purent faire admettre cette affreuses ineptie, on les trouve dans la politique, dans la terreur et dans l’ignorance ; mais, quelque soit l’origine de cette opinion, la question est de savoir si elle est fondée. Je crains bien qu’en l’examinant, nous ne la trouvions tout aussi chimérique que les cultes qu’elle autorise. L’on conviendra que, dans les siècles même où cette opinion sembla le plus accréditée, elle trouva toujours des gens assez sages pour la révoquer en doute.

Il était impossible de ne pas sentir à quel point devenait nécessaire aux hommes la connaissance de cette vérité, et cependant aucun des Dieux qu’avait érigé leur extravagance ne prenait le soin de les en instruire. Il paraît que cette absurdité naquit chez les Egyptiens, c’est-à-dire, chez le peuple le plus crédule et le plus superstitieux de la terre. Une chose pourtant est à remarquer : c’est que Moïse, quoiqu’élevé dans ces écoles, n’en dit pas un seul mot aux Juifs ; assez bon politique pour créer d’autres freins, il n’osa jamais, on le sait, employer celui-là chez son peuple : trop de bêtise le caractérisait, pour qu’il imaginât de s’en servir. Jésus lui-même, ce modèle des fourbes et des imposteurs, cet abominable charlatan, n’avait aucune notion de l’immortalité de l’ame ; il ne s’exprime jamais qu’en matérialiste ; et lorsqu’il menace les hommes, on voit que c’est à leur corps que ses discours s’adressent ; jamais il n’en sépare l’ame[1]. Mais ce n’est point à chercher l’origine de cette fable hideuse que je dois m’attacher ici ; vous en démontrer toute la folie, devient l’unique objet de mon travail.

Parlons d’abord un instant, mes amis, des causes qui purent la produire. Les malheurs du monde, les bouleversemens qu’il éprouva, les phénomènes de la nature, furent incontestablement les premières ; la physique mal connue, mal interprétée dut autoriser les secondes ; la politique devint la troisième. L’impuissance où est l’entendement humain, par rapport à la faculté de se connaître lui-même, vient moins de l’inexplicabilité de l’énigme, que de la manière dont elle est proposée. D’anciens préjugés ont prévenu l’homme contre sa propre nature ; il veut être ce qu’il n’est pas ; il s’épuise en efforts pour se trouver dans une sphère illusoire, et qui, quand même elle existerait, ne saurait être la sienne. Comment, d’après cela, peut-il se retrouver ? N’a-t-on donc pas suffisamment démontré le mécanisme de l’instinct chez les bêtes, par le seul moyen de l’accord parfait de leurs organes ? L’expérience ne nous prouve-t-elle pas que l’instinct, dans ces mêmes bêtes, s’affaiblit en raison de l’altération qui survient en elles, soit par accident, soit par vieillesse, et que l’animal est enfin détruit, quand cesse l’harmonie dont il n’était que le résultat ? Comment peut-on s’aveugler au point de ne pas reconnaître que ce qui arrive chez nous est absolument la même chose ? Ce que vous venez de faire souffrir à cette femme dont voilà le cadavre sous vos yeux, ne vous le prouve-t-il pas évidemment ? Mais pour achever d’identifier en nous ces principes, il faut commencer par nous convaincre que la nature, quoiqu’une dans son essence, se modifie cependant à l’infini ; ensuite, ne pas perdre de vue cet axiome d’éternelle vérité, qu’un effet ne saurait être supérieur à sa cause, et définitivement, que tous les résultats d’un mouvement quelconque sont divers entre eux ; qu’ils s’augmentent ou s’affaiblissent en raison de la vigueur ou de la faiblesse du poids qui donne le branle au mouvement.

Aidés de l’usage de ces principes, vous parcourerez à pas de géant la carrière de la nature sensible. Au moyen du premier vous découvrirez cette unité qu’il annonce : partout dans le règne animal, il y a du sang, des os, de la chair, des muscles, des nerfs, des viscères, du mouvement, de l’instinct.

Par le second, vous vous rendrez raison de la différence qui se trouve entre les divers êtres vivans de la nature ; vous n’irez pas comparer l’homme à la tortue, ni le cheval au moucheron ; mais vous vous ferez un plan de diversité gradué, et tel que chaque animal y tienne le rang qui lui convient. L’examen des espèces vous convaincra que l’essence est par-tout la même, et que les diversités n’ont uniquement que les modes pour objet. D’où vous concilierez que l’homme n’est pas plus supérieur à la matière, cause productrice de l’homme, que le cheval n’est supérieur à cette même matière, cause productrice du cheval ; et que s’il y a supériorité entre ces deux espèces, l’homme et le cheval, c’est seulement dans les modifications ou les formes.

Vous verrez par le troisième principe, lequel dit que les résultats d’un mouvement quelconque sont divers entre eux, et qu’ils s’augmentent ou s’affaiblissent en raison de la vigueur ou de la faiblesse des poids qui donnent le branle au mouvement ; vous vous persuaderez, dis-je, par ce principe, qu’il n’existe plus rien de merveilleux dans la construction de l’homme, quand on vient à le comparer aux espèces d’animaux qui lui sont inférieurs ; de quelque manière que l’on s’y prenne, on ne voit que de la matière dans tous les êtres qui existent. Quoi ! Direz-vous, l’homme et la tortue sont une même chose. Non, certes, leur forme est différente ; mais la cause du mouvement qui les constitue l’un et l’autre, est très-certainement la même chose : « [2] Suspendez un pendule, au bout d’un fil, à ce plancher ; mettez-le en mouvement : la première ligne que décrira ce pendule, aura toute l’étendue que permettra la longueur du fil, la seconde en aura moins, la troisième moins : encore, jusqu’à ce qu’enfin le mouvement du pendule se reduise à une simple vibration, laquelle se terminera à un repos absolu »

Sur cette expérience, je me dis : l’homme est le résultat du mouvement le plus étendu, la tortue n’est que celui d’une vibration ; mais la matière la plus brute fut la cause de l’un et de l’autre[3].

Les partisans de l’immortalité de l’ame, pour expliquer le phénomène de l’homme, le douent d’une substance inconnue ; nous autres matérialistes, bien plus raisonnables sans doute, nous ne considérons ses qualités que comme le résultat de son organisation. Les suppositions tranchent bien des difficultés, nous en convenons, mais elles ne terminent pas les questions. Volant au but d’un pas bien plus rapide, ce ne sont que des preuves que je vous présente ; ce qu’il y a de particulier, c’est qu’aucun de ces demi-philosophes ne s’accordent sur la nature de la substance immatérielle qu’ils admettent ; la contrariété de leurs sentimens serait même, il en faut convenir, l’un des plus forts argumens que l’on pourrait leur faire ; mais dédaignant de m’en servir, je me livre plutôt à l’examen de la question qui fait de l’ame une substance créée.

Mille pardons, mes amis, si dans le cours de cette dissertation je me trouve contraint d’employer un moment l’admission de cet être chimérique, connu sous le nom de Dieu. Vous me rendez, j’espère, assez de justice pour être bien convaincus que l’athéisme étant le plus sacré de mes systêmes, ce ne peut jamais être que par nécessité, et momentanément, que je me sers de ces suppositions ; mais toutes les erreurs s’enchaînant dans l’esprit de ceux qui les admettent, on est souvent obligé de réédifier l’une pour combattre et dissiper l’autre. Je demande donc, d’après cette hypothèse de l’admission d’un Dieu, où ce Dieu a pu trouver l’essence de l’ame ? il l’a créée me dites-vous. Mais cette création est-elle possible ? Si Dieu existait seul, il occuperait tout, excepté l’absurde néant. Dieu, ennuyé du néant, a créé, dit-on, la matière, c’est-à-dire, qu’il a donné l’être au néant ; voilà donc tout occupé : deux êtres remplissent tout l’espace, Dieu et la matière. Si ces deux êtres remplissent tout, s’ils forment le tout, il n’y a plus lieu à de nouvelles créations ; car il est impossible qu’une chose soit et ne soit pas en méme-tems. L’esprit remplit dès-lors tout le vide métaphysique ; la matière remplit physiquement tout le vide sensible : donc plus de place pour les êtres de nouvelle création à quelque point que l’on réduise leur existence. Ici, l’on a recours à Dieu, et l’on dit que ce Dieu reçoit en lui-même ces nouvelles productions ; si Dieu a pu loger dans la sphère spirituelle de son infinité spirituelle de nouvelles substances de même nature, il s’ensuit clairement qu’il n’était pas d’une infinité complète et parfaite, puisqu’il a souffert des additions ; qui dit infinité, dit exclusion de toute limite ; or, un être qui exclud toute limite, n’est point susceptible d’additions.

Si l’on dit que Dieu, par sa toute puissance, a resserré son essence infinie pour faire place à des substances nouvellement créées, je réponds qu’alors il n’a plus été infini, parce que lors du resserrement, le côté où il s’est fait, a laissé voir une limite.

Quand Dieu aurait pu recevoir dans sa sphère les substances nouvellement créées, il est toujours certain que cette sphère éprouvera un vide au départ de chaque substance qui en sortira pour venir dans la sphère de la matière animer un corps.

Ce vide pourra subsister toujours ; car selon les amateurs de cette absurdité, les ames condamnées au supplice ne sortiront jamais de l’enfer.

Si Dieu remplit continuellement le vide causé par l’absence d’une ame, il faut qu’il fasse faire à sa propre substance un effet rétroactif, lorsque quelques-unes de ces ames retournent à sa sphère, ce qui est absurde ; car un infini complet comme votre Dieu, et dont les parties sont elles-mêmes infinies, ne saurait se replier ni s’étendre.

Si le vide, causé par l’absence d’une ame, n’est point rempli, c’est un néant ; car il faut que tout espace contienne esprit ou matière. Or, Dieu, ne peut remplir ce vide, ni par sa propre substance, ni par des portions de matière ; car Dieu ne saurait contenir de la matière : donc il y a du néant dans la divinité.

Ici nos adversaires prennent un ton plus doux ; quand nous disons, prétendent-ils, que Dieu créa l’ame humaine, cela veut dire seulement qu’il la forma, il faut convenir que cette modification de terme n’apporte pas un grand changement dans la dispute.

Si Dieu a formé l’ame humaine, il l’a formée de quelque essence ; c’est dans l’esprit ou dans la matière qu’il a puisé.

Ce n’a pu être dans l’esprit, parce qu’il n’y en a qu’un seul, qui est l’infini, ou Dieu lui-même ; or, tout le monde sent qu’il est absurde de supposer l’ame une portion de la divinité. Il est contradictoire de se rendre un culte à soi-même ; c’est ce qui arriverait, si l’ame était une portion de Dieu ; il ne l’est pas moins qu’une substance punisse éternellement une portion détachée d’elle-même ; en un mot, dans cette hypothèse, ne venez donc point me parler ni d’enfer ni de paradis ; car il serait absurde que Dieu punît ou récompensât une substance émanée de lui.

Dieu a donc formé l’ame de matière, puisqu’il n’y a que matière et qu’esprit ? Mais si l’ame a été formée de matière, elle ne peut être immortelle ; Dieu, si vous voulez, a pu spiritualiser, diaphaniser de la matière jusqu’à l’impalpabilité ; mais il ne peut la rendre immortelle ; car ce qui a eu un commencement, doit assurément avoir une fin.

Les déistes eux-mêmes ne peuvent concevoir l’immortalité de Dieu que par son infinité, et il n’est infini que parce qu’il exclud toute limite.

La matière, pour être spiritualisée, n’en est pas moins divisible, parce que la divisibilité est essentielle à la matière, et que la spiritualisation ne change point l’essence des choses : or, ce qui est divisible, est sujet à l’altération, et ce qui est susceptible d’altération, n’est point permanent, et encore bien moins immortel.

Nos adversaires, poussés à bout par toutes ces objections, se rejettent sur la toute-puissance de Dieu : il nous suffit, disent-ils, d’être persuadés que nous sommes doués d’une ame spirituelle et immortelle ; peu nous importe de savoir comment et quand elle a été créée. Ce qu’il y a de constant, ajoutent-ils, c’est que, par ses facultés, on ne peut la juger d’une autre substance que celle qu’on suppose aux esprits angéliques.

Avoir sans cesse recours à la toute-puissance, comme font les théistes, n’est-ce donc pas ouvrir la porte à tous les abus ? n’est-ce pas introduire un pirrhonisme universel dans toutes les sciences ; car enfin, si la toute-puissance agit contre les loix qu’elle-même a, prétend-on, déterminées, je ne pourrai jamais être sûr qu’un cercle n’est pas un triangle, puisqu’elle pourra faire que la figure que j’aurai sous les yeux soit en même-tems l’un et l’autre.

La plus saine partie des déistes sentant combien il répugnait à la raison de supposer l’ame une substance semblable à celle de leur Dieu, n’a pas hésité à dire qu’elle était une substance, une entéléchie de forme particulière, prise je ne sais où ; et, sur ce qu’on leur a objecté, qu’à l’exception de Dieu qui, à cause de son infinité, excluant toute limite, n’avait point de forme, tout ce qui restait dans la nature devait avoir une figure, et par conséquent une étendue, ils ont avoué, sans difficulté, que l’ame humaine a une extension, des parties, un mouvement local, etc. Mais c’est assez argumenter contre nos adversaires ; ils nous accordent, on le voit, que l’ame a une extension, qu’elle est divisible, qu’elle a des parties ; c’en est suffisamment pour nous porter à croire que ceux-là même qui soutiennent son immortalité, ne sont pas fort convaincus de sa spiritualité, et que cette opinion est insoutenable : il est tems de vous en convaincre.

Qui dit une substance spirituelle, dit un être actif, pénétrant, sans que, dans le corps qu’il pénètre, on apperçoive aucun vestige de son passage ; notre ame est telle dans cette hypothèse : elle voit sans regarder, elle entend sans prêter l’oreille, elle nous meut sans se mouvoir elle-même : or, un tel être ne peut exister sans renverser l’ordre social.

Pour le prouver, je demande de quelle manière voyent les ames ? Les uns ont répondu que les ames voyaient tout dans la divinité, comme dans un miroir où se réfléchissent les objets ; les autres ont dit que la connaissance leur était aussi naturelle que les autres qualités dont elles sont pourvues. Assurément si la première de ces opinions est absurde, on peut bien assurer que la seconde l’est pour le moins autant ; et, en effet, n’est-il pas impossible de comprendre comment une ame peut connaître dans une espèce générale toutes les particularités qui s’y rencontrent, et toutes les conditions de ces particularités. Supposons l’ame pourvue de la connaissance du bien et du mal en général ; cette science ne lui suffira pas pour rechercher l’un et pour s’abstenir de l’autre ; il faut pour qu’un être se détermine constamment à cette fuite ou à cette recherche, qu’il ait connaissance des espèces particulières du bien ou du mal qui sont contenues sous ces deux genres absolus et généraux. Les partisans du systême de Scot soutenaient que l’ame humaine n’avait point en soi la force de voir, qu’elle ne lui avait point été donnée au moment de sa création, qu’elle ne recevait ses propriétés qu’à l’occasion des circonstances où elle était obligée de s’en servir.

Dans la supposition précédente, l’ame qui a une connaissance née avec elle du mal en général, est une substance impuissante, car elle voit le mal à venir et n’en détourne pas ; la matière alors est l’agent, elle le patient, ce qui est absurde. De l’opinion de Scot il résulte que l’homme ne peut rien prévoir, ce qui est faux. Si vraiment l’homme en était réduit là, sa condition serait bien inférieure à celle de la fourmie, dont la prévoyance est inconcevable. Dire que Dieu imprime la connaissance à l’ame à mesure qu’elle a besoin d’exercer ses facultés, est faire de votre Dieu l’auteur de tous les crimes ; et je vous demande si ces conditions ne révolteraient pas les plus fermes sectateurs de ce Dieu ? Voilà donc les partisans de l’ame immortelle et spirituelle réduits au silence sur la question de savoir comment et par quel moyen cette ame voit et connaît les choses ; ils n’abandonnent pourtant point encore la partie ; l’ame humaine, disent-ils, voit et connaît les choses à la façon des autres substances subtiles ou spirituelles qui sont de même nature qu’elle ; ce qui, comme on le voit, est absolument ne rien dire.

Dans la défense d’une fausse opinion, les difficultés renaissent à mesure qu’on semble les abattre ; si l’ame humaine n’a pas la faculté de pénétrer les objets présens, ni celle de se représenter les absens qui lui sont inconnus et de s’en former des idées vraies, d’après quoi elle puisse juger de leurs dispositions intérieures ; si elle ne saurait recevoir d’impression que par la présence sensible des objets, et si elle ne peut juger de leur qualité que par les symptômes extérieurs qui les caractérisent, son intellect alors n’a ni plus de finesse, ni plus de propriétés que l’instinct des brutes qui recherchent ou fuyent certains objets, d’après les mouvemens qu’excitent en eux les loix inaltérables de la sympathie ou de l’antipathie : si cela est, comme tout nous le prouve… comme il est impossible d’en douter, quelle est donc la folie des hommes de se supposer une créature formée de deux substances distinctes, tandis que les bêtes, qu’ils regardent comme de pures machines matérielles, sont douées, en raison de la place qu’elles occupent dans la chaîne des êtres, de toutes les facultés qu’on remarque dans l’espèce humaine. Un peu moins de vanité et quelques instans de réflexion sur soi-même, suffiraient à l’homme pour se convaincre qu’il n’a de plus que les autres animaux que ce qui convient à son espèce dans l’ordre des choses, et qu’une propriété indispensable de l’être auquel elle est attachée n’est point le présent gratuit de son fabuleux auteur, mais une des conditions essentielles de cet être, et sans laquelle il ne serait pas ce qu’il est.

Renonçons donc au ridicule systême de l’immortalité de l’ame, fait pour être aussi constamment méprisé que celui de l’existence d’un Dieu, aussi faux, aussi ridicule que lui ; abjurons, avec le même courage, et l’une et l’autre de ces fables absurdes, fruits de la crainte, de l’ignorance et de la superstition ; ces épouvantables chimères ne sont plus faites pour en imposer à des gens tels que nous ; laissons la plus vile populace s’en repaître tant qu’elle le voudra ; mais ses préjugés, comme ses mœurs, ne doivent pas nous enchaîner un instant ; qu’elle se console de sa misère par un avenir chimérique… Nous, heureux du présent, tranquilles sur ce qui le suit, n’aimant que nous, ne rapportant tout qu’à nous, les plus piquantes… les plus sensuelles voluptés sont seules faites pour fixer nos cœurs, à elles seules doivent se rapporter nos cultes, nos uniques hommages : mille et mille fois maudit soit l’épouvantable imposteur qui, le premier, s’avisa d’empoisonner les hommes par de telles infamies ; le plus affreux supplice eût encore été trop doux pour lui. Ah ! puisse-t-on y condamner de même tous ceux qui promulguent ou qui suivent d’aussi détestables erreurs.

Je ne connais rien, dit Verneuil, qui mette à l’aise comme ces systêmes ; car il est bien certain que d’après eux, n’étant plus les maîtres d’aucune des actions de notre vie, nous ne devons plus ni nous effrayer, ni nous repentir d’aucunes. — Et, qui s’effraye, dit Dorothée, qui peut se repentir ? — Des esprits faibles, reprit Verneuil, des gens qui, point encore suffisamment familiarisés avec les vrais principes que vient d’établir mon neveu, conservent souvent malgré eux les sots préjugés de leur enfance. — Et voilà pourquoi, dit Bressac, je ne cesse de dire qu’on ne saurait étouffer trop tôt les germes de ces préjugés absurdes ; ce sont les premiers devoirs des parens… des instituteurs… de tous ceux à qui la jeunesse est confiée ; et j’estime un mal-honnête homme, celui qui, dans cette classe, ne regarde pas comme son premier soin de les éteindre. — Ce sont aux plus fausses notions de la morale que sont dues, selon moi, toutes les imbécillités religieuses, dit Gernande. — C’est tout le contraire, répondit Bressac, les idées religieuses furent les fruits de la crainte et de l’espoir, et ce fut pour les fomenter et pour les servir que l’homme arrangea sa morale sur la bonté imaginaire de son absurde Dieu. — Ma foi, dit Gernande en sablant du Champagne, que l’un vienne de l’autre, ou que celui-ci ait produit le premier, toujours est-il que j’ai pour tous deux la plus profonde horreur, et que mon immoralité, fondée sur mon athéisme, me fera bafouer et ridiculiser les liens sociaux avec autant de charmes et d’énergie que je détruirai la religion. — Voilà comme il faut penser, dit Verneuil ; toutes ces imbécillités humaines ne peuvent enchaîner que les sots, et des gens d’esprit tels que nous doivent les mépriser à jamais. — Il faut aller plus loin, dit d’Esterval ; il faut les heurter de front ; il faut que toutes les actions de notre vie n’ayent pour but que d’enfreindre la morale et de pulvériser la religion : ce n’est que sur les débris de l’une et l’autre de ces chimères que nous devons établir notre félicité dans ce monde. — Oui, dit Bressac ; mais je ne connais aucun crime qui satisfasse bien ce degré d’horreur que j’ai pour la morale ; aucun qui détruise, comme je le voudrais, toutes les superstitions religieuses. Qu’est-ce que tout ce que nous faisons ? Il n’y a dans tout cela rien que de simple : tous nos petits forfaits immoraux se réduisent à quelques sodomies, quelques viols, quelques incestes, quelques meurtres ; nos petits crimes religieux, à quelques blasphèmes, quelques . Y en a-t-il un de nous ici qui puisse se dire suffisamment délecté de ces misères ? — Non, certes, répondit la fougueuse épouse de d’Esterval ; je souffre peut-être encore plus que vous de la médiocrité des crimes dont la nature me laisse le pouvoir : il n’y a, dans tout ce que nous faisons, que des idoles et des créatures d’offensées ; mais la nature ne l’est pas, et c’est elle que je voudrais pouvoir outrager ; je voudrais déranger ses plans, contre-carrer sa marche, arrêter le cours des astres, bouleverser les globes qui flottent dans l’espace, détruire ce qui la sert, protéger ce qui lui nuit, édifier ce qui l’irrite, l’insulter, en un mot, dans ses œuvres, suspendre tous ses grands effets, et je ne puis y réussir. — Voilà ce qui prouve qu’il n’y a point de crimes, dit Bressac ; le mot ne conviendrait qu’aux actions qu’établit ici Dorothée, et vous voyez qu’elles nous sont impossibles ; vengeons-nous-en sur ce qui nous est offert, et multiplions nos horreurs, ne pouvant les améliorer.

On en était là de cette conversation philosophique, lorsque tout le monde s’apperçut d’un mouvement convulsif dans le cadavre de la Gernande, Victor eut une si grande peur, qu’il laissa tout aller sous lui ; mais Bressac le retenant aussi-tôt : Ne vois-tu donc pas, petit imbécille, lui dit-il, que ce qui arrive là est précisément la preuve évidente de ce que j’ai avancé tout-à-l’heure, sur la nécessité du mouvement dans la matière : vous voyez, mes amis, qu’il n’est nullement besoin d’ame pour faire mouvoir une masse. C’est par une suite de mouvemens semblables que ce cadavre va se dissoudre… engendrer en même-tems d’autres corps qui n’auront pas plus d’ames que lui[4]. Allons, foutons, mes amis, poursuivit Bressac en s’introduisant au cul tout merdeux de Victor ; oui, foutons ; que ce phénomène de la nature, l’un des plus simples de sa force motrice, ne prenne rien sur nos plaisirs. Plus la putain se développe à nous, et mieux nous devons l’outrager ; ce n’est qu’en l’invectivant qu’on la démêle : on ne la connaît bien que par des outrages. D’Esterval s’empare de madame de Verneuil, qui, depuis quelque tems, paraît l’occuper beaucoup : Verneuil rend à d’Esterval les cornes que lui fait porter celui-ci. — Un moment, dit Gernande ; avant que de vous indiquer la délicieuse jouissance que vous paraissez oublier, il faut que je donne l’essor au superflu de mes entrailles. — Ne sortez pas pour cela, mon oncle, dit Bressac toujours enculant ; on dit que vos scelles sont des passions ; veuillez vous-y livrer devant nous. — Réellement, vous voulez voir cela, répondit Gernande ? — Oui, oui, répondit d’Esterval ; tout ce qui tient aux écarts du libertinage est sublime, et nous ne devons en perdre aucune leçon. — Vous allez donc être satisfait, dit Gernande en tournant son énorme cul du côté des spectateurs. Et voici comme ce libertin procédait à cette dégoûtante opération : quatre bardaches l’entouraient alors, l’un lui soutenait le pot-de-chambre, le second tenait une bougie très-près du trou, pour que l’action fût bien éclairée, le troisième lui suçait le vit ; et le quatrième, tenant une serviette très-blanche à la main, lui baisait la bouche ; Gernande, appuyé sur les deux gitons de devant, poussait à demi courbé ; aussitôt que paraissait l’énorme quantité de merde qu’il était dans l’usage de déposer, vu l’immense nourriture qu’il prenait, le giton, tenant le vase, était obligé de louer l’excrément… la belle merde, s’écriait-il, ah ! monsieur, le superbe étron… vous chiez délicieusement ; Avait-il fini ? le bardache, armé de la serviette, venait, avec sa langue, nettoyer les parois de l’anus, pendant que celui qui tenait le pot, le rapportant sous le nez de Gernande, le lui faisait examiner, en redoublant ses éloges ; la bouche du suceur se trouvait alors pleine d’urine, qu’il était obligé d’avaler à mesure ; la serviette achevait de nettoyer l’anus ; et les quatre gitons, n’ayant plus rien à faire, terminaient leurs opérations, en venant sucer, fort long-tems, tour-à-tour, la langue, le vit et le trou du cul de ce libertin.

Oh ! foutre, dit Bressac toujours sodomisant Victor, qui maniait les fesses de sa jolie petite sœur Cécile, pendant ce tems-là ; sacre-Dieu, mes amis, je n’ai jamais vu chier si lubriquement… en vérité, je vais prendre la même habitude. Allons, mon oncle, dis-nous donc maintenant quelle est cette jouissance que tu prétends être oubliée ? — Vous allez le voir, dit Gernande en s’emparant de Justine, et la faisant lier par John et Constant, absolument ventre contre ventre, sur le cadavre de sa femme ; je vais, en cet état, dit-il, enculer la soubrette, collée sur sa maîtresse. Vous m’avouerez, poursuit-il en exécutant, que cette circonstance vous était échappée. Chacun applaudit à l’idée, et chacun veut l’exécuter, si-tôt que Gernande a fini. Mais la malheureuse Justine répugne tellement à cette horreur que ces traits s’altèrent, elle s’évanouit. Eh bien ! dit Bressac qui l’enculait pendant ce tems-là, ce seront deux mortes, au lieu d’une ; il n’y a pas grand mal à cela. — Il faut la fouetter, dit Verneuil, la pincer vigoureusement ; soyez sûrs qu’il n’est que ce moyen pour redonner du ton aux organes. — Il vaudrait mieux atteindre les nerfs et les piquer, s’il était possible, dit d’Esterval, qui maniait les fesses de Cécile, pendant qu’un giton le branlait. — Il n’y a qu’à tout essayer, en commençant par le plus simple, dit Verneuil, qui commençait à fouetter déjà la victime, tout en enculant Dorothée, dont la petite Rose suçait le clitoris ; si les premiers moyens ne réussissent pas, nous passerons de suite aux seconds. Heureusement ils furent inutiles : Justine, impitoyablement fustigée, r’ouvrit les yeux, et ce ne fut, hélas ! que pour se voir couverte de sang. Oh ! grand Dieu ! dit-elle en arrosant de ses larmes le visage inanimé de sa maîtresse, contre lequel était collé le sien, oh ! juste ciel ! je serai donc toujours un objet de douleur et de scandale. Hâte-toi de trancher mes jours, Être-Suprême ; j’aime cent fois mieux la mort que l’horrible vie que je mène. L’invocation n’excita que des éclats de rire, et les débauches se poursuivirent.

Ici d’Esterval sortant du cul de madame de Verneuil, qu’il venait de limer un moment, s’approche du mari, et lui demande par quel motif il ne réunirait pas sa femme à sa belle-sœur ? — Ah, ah ! dit Verneuil tout en sodomisant la femme de celui qui le questionne, est-ce que cette idée te fait bander ! — Tu le vois, répondit d’Esterval en montrant son engin menaçant le ciel ; je t’assure que le supplice de cette gueuse m’irriterait infiniment. Elle est d’un intérêt puissant dans les pleurs ; et je voudrais, poursuivit ce libertin en se branlant, lui en faire couler de réelles. — Eh bien ! mon ami, dit Verneuil, j’y consens ; mais voici les deux conditions que j’y mets. La première, qu’en tuant ma femme, tu me céderas la tienne, que j’aime beaucoup, et que je desire m’approprier. — Accordé, s’écrièrent à-la-fois d’Esterval et Dorothée. La seconde clause, poursuivit Verneuil, est que le supplice que tu prépares à ma digne compagne soit épouvantable… qu’il s’exécute dans une chambre extrêmement voisine de celle où, pendant ce tems-là, je foutrai la tienne, afin que je décharge aux cris de ta victime. — Je souscris à tout cela, dit d’Esterval ; mais j’exige également une condition de mon côté : il me faut une femme ; je te demande Cécile ; il sera délicieux pour moi d’épouser la fille, les mains teintes encore du sang de la mère. — Oh ! mon père, s’écria Cécile en frémissant de cette affreuse idée, pourriez-vous consentir à me sacrifier ainsi ? — Assurément, dit Verneuil, et la répugnance que tu montres cimente le contrat… Je le signe. D’Esterval, vous avez ma parole ; formez un peu cette petite fille, je vous en prie. — Oh ! parbleu, dit Bressac, où sera-t-elle mieux pour se familiariser avec le meurtre, que dans une maison où l’on tue tous les jours. Eh bien ! moi, poursuivit Bressac, je demande le pot-de-vin du marché. Quel est-il ? — Je vous prie, mon oncle, de me céder Victor votre fils ; j’aime à la folie ce jeune homme ; confiez-le-moi pour deux ou trois ans, jusqu’à ce que j’aye pu perfectionner son éducation. — Il ne saurait être en de meilleures mains, dit Verneuil : qu’il te ressemble, mon ami ; c’est le plus heureux des souhaits que je puisse lui faire. Corriges principalement ses faiblesses ; inities-le dans nos principes ; automatises son ame, et fais-lui détester les femmes. — Il ne pourrait être mieux placé pour toutes ces choses, dit Justine ; le malheureux enfant ! quel dommage ! combien je le plains ! et… — Je suis bien loin d’en dire autant l’interrompit vivement Dorothée ; M. de Bressac est peut-être le meilleur instituteur que je connaisse ; je voudrais avoir dix enfans, je les lui confierais tous à la minute.

En vérité, mes amis, dit Gernande, je suis fort aise de vous voir aussi bien arrangés ; il me paraît que dans tout ceci, je suis le seul qui soit oublié. — Non, dit Verneuil ; je voulais t’enlever Justine, je te la laisse ; ne te plains pas du lot ; il vaut bien tous les nôtres ; il n’est pas dans la société une plus belle fille, une plus douce, une plus vertueuse, que celle-là. Tu m’as parlé d’un nouveau mariage ; Justine, au fait de la conduite à observer avec tes femmes, te devient réellement précieuse ; je renonce à tous mes projets sur elle : tu vois, mon frère, que tu ne seras pas seul. — Ainsi donc, vous me quittez tous, dit Gernande ? — Oh ! Oui, demain ; c’est notre intention, dit d’Esterval — Il faut s’y résoudre, dit Gernande ; allons, je vais me presser de prendre une autre femme, afin de nous réunir bientôt pour quelques nouvelles orgies.

On se retira. D’Esterval, aidé de John et de l’une des vieilles, emmena madame de Verneuil dans une chambre sûre, et qui n’était séparée de celle de Verneuil que par la plus mince cloison. En partant, son féroce mari lui enfonça quelques instans le vit dans le cul ; elle pleura ; et d’Esterval, qui n’avait pas envie de la ménager, bandait étonnamment. Verneuil prit Marceline et Dorothée ; Cécile, Rose, Justine et deux gitons, furent la part de Gernande.

La scène préparée fut horrible. Bressac et Victor s’étaient secrètement introduits chez d’Esterval ; et le plaisir de celui-ci et de son ami Bressac fut de faire supplicier la mère par l’enfant. On connaît assez le caractère de ce petit monstre, pour être sûr du plaisir que lui procura cette scène, et du courage qu’il mit à son rôle. Bressac et d’Esterval ne cessaient de le tenir tour-à-tour enculé, pendant qu’il exécutait les supplices ordonnés par eux. On laissa quelques heures ignorer à Verneuil la part qu’avait son fils à cette horreur. Nous verrons bientôt comment il l’apprit : parlons avant du bonnet singulier dont on avait coîffé la victime. Comme on savait que les voluptés de Verneuil ne devaient s’allumer qu’aux cris qu’il allait entendre pousser à sa femme, on avait affublé son crâne d’un casque à tuyau, organisé de manière que les cris que lui faisaient jeter les douleurs dont on l’accablait ressemblaient aux mugissemens d’un bœuf. Oh ! foutre, qu’est ceci, dit Verneuil en entendant cette musique, et se ruant sur la d’Esterval ?… il est impossible de rien entendre de plus délicieux… que diable lui font-ils donc, pour la faire beugler ainsi ? Enfin, les cris diminuèrent, et l’on entendit à leur place ceux de la crise de d’Esterval, communément très-expressifs. Il a fini, dit Verneuil en dardant également son foutre au cul de Dorothée… me voilà veuf. — Je le crois, dit l’aimable épouse de d’Esterval, que Marceline branlait pendant ce tems-là ; mais il nous reste le douloureux regret de ne l’avoir pas vu. — Peut-être aurais-je eu moins de plaisir, dit Verneuil ; la scène à nu ne m’eut offert que des choses… que je sais par cœur… en laissant tout deviner à mon imagination elle s’est bien plus irritée… Oh ! mon ami, dit la nouvelle compagne de Verneuil, ce que tu dis là est délicieux ; j’aime ta tête à la folie, et je crois que nous ferons des choses bien fortes ensemble, — Oui, dit Verneuil, toujours sous la condition que je vous payerai… que je vous couvrirai d’or ; peut-être, sans cette clause, ne me verriez-vous plus rien éprouver pour vous… Et vous le savez, ma chère, il faut encore que cet argent s’emploie a des infamies : il faudra que vous échauffiez ma tête du récit de celles que vous aurez payées de cet argent ; plus elles seront affreuses, plus vous recevrez de nouveaux fonds. — Oh ! sacre-Dieu, répondit Dorothée, cet épisode étant de tous ceux que tu exiges de moi celui qui me plaît le plus, comment m’y refuserais-je ? L’argent n’est fait que pour se procurer des plaisirs. — Je n’en fais cas que comme l’instrument de tous les crimes et de toutes les passions, dit Verneuil, et si j’avais le malheur d’en manquer, j’avoue qu’il ne serait pas de moyen dont je ne me servisse pour m’en procurer. — Quoi ! tu volerais ? — Oh ! je ferais pis. — Ah ! je le vois, Verneuil, ta tête s’échauffe ; il faut encore que tu perdes du foutre, — Faisons quelques nouvelles folies, mon ange… passes dans la chambre de ton mari, je l’entends foutimacer encore, engages-le à te faire foutre par John sur le cadavre de ma femme… que je vous entende décharger tous deux… John et vous. Tu reviendras mouillée de foutre, et couverte du sang de ma femme ; je t’enculerai dans cet état, et je sens que cette recherche me fera goûter le plus grand plaisir… Mais, écoutes… écoutes une formalité qu’il y faut mettre pendant que tu agiras… tu le vois, Dorothée, je bande en te prescrivant tout ceci ; pendant que tu te pâmeras, dis-je, sous le membre vigoureux de John, tu me crieras, tant que tu auras de force… « Verneuil… Verneuil, tu es veuf et cocu ; mon mari vient d’assassiner ta femme… et moi, je t’outrage… » Oui, mon ange, oui, tu me crieras ces mots de toutes tes forces, et tu verras, au retour, l’état dans lequel de pareils propos m’auront mis… Oh, Verneuil ! quelle imagination ! s’écria Dorothée en s’apprêtant à obéir… Oh ! mon cher Verneuil, quelle tête ! — Elle est pourrie… putréfiée, j’en conviens ; mais que veux-tu, ma chère ? si les débauches m’ont perdu, c’est à leur délire à me remettre.

Quel fut l’étonnement de Dorothée, quand elle vit que Bressac et Victor venaient d’être les complices du crime exécuté près d’elle ! On lui fit signe de ne rien dire ; mais, au lieu de John, ce fut Victor qui lui mit le vit au derrière ; et, au moment de sa décharge, le petit coquin se met à crier : « C’est moi, mon père… c’est moi qui ai tué ta femme, et c’est moi qui te fait cocu. » Verneuil n’y tient pas ; il se précipite dans la chambre de d’Esterval, bandant comme un furieux : on lui fait voir le corps de sa femme, ou plutôt les lambeaux sanglans de cette malheureuse, expirée dans des tourmens qui feraient horreur à peindre. Verneuil encule son fils, qui, comme on vient de le dire, foutait Dorothée ; Bressac fout son oncle ; John sodomise Bressac ; Marceline fouette… encourage tous les acteurs de cette furibonde orgie, qui ne se rallentit que pour prendre de nouvelles formes, et pour se prolonger jusqu’au lever de l’astre qui devait éclairer enfin la séparation de ces scélérats[5].

On imagine aisément que cette séparation ne se fit qu’avec les plus fortes promesses de se revoir bientôt ; chacun se le jura, et partit escorté des nouveaux amis qu’il emmenait.

Gernande, de son côté, fut passer quelques jours au château de l’épouse qu’il convoîtait, et la ramena bientôt dans le sien. Madame de Volmire n’accompagna point sa fille ; rongée de goutte et de rhumatisme, elle ne pouvait plus quitter son fauteuil, moyennant quoi Gernande, en possession de la jeune personne, parvint bientôt à l’isoler comme l’autre. Au lieu de démence, on parle d’épylepsie ; la jeune comtesse a besoin d’être gardée à vue ; elle n’a pas un instant de calme ; la mère de cette infortunée, peu riche, et couverte de biens par Gernande, n’ose rien vérifier ; l’opinion prévaut, on la maîtrise avec de l’argent ; et le libertin, en paix, jouit bientôt, avec cette nouvelle victime, des plaisirs qui le délectaient avec l’autre.

Ce fut dans l’intervalle de ces nouveaux nœuds, que Justine pensa à la fuite ; et certes elle l’eût exécutée sur-le-champ, si elle n’eût entrevu l’espoir d’être plus heureuse avec cette seconde maîtresse, qu’avec celle que venait de lui enlever la cruauté de ces monstres. Mademoiselle de Volmire, âgée de dix-neuf ans, bien plus belle et plus délicate encore que celle qui l’avait précédée, sut intéresser Justine à tel point qu’elle résolut de la sauver, quelques pussent en être les dangers. Il y avait environ six mois que le perfide Gernande assouplissait à ses infâmes caprices cette douce et charmante fille ; la saison allait ramener toute la bande infernale, et par conséquent les mêmes atrocités. Justine ne balança plus ; elle s’ouvrit à sa jeune maîtresse… lui témoigna avec tant de franchise le desir qu’elle avait de briser ses fers, que celle-ci lui donna toute sa confiance.

Il s’agissait d’instruire la mère et de lui dévoiler les atrocités du comte ; mademoiselle de Volmire ne doutait pas que celle qui lui avait donné le jour, telle incommodée qu’elle pût être, n’accourût aussi-tôt pour la délivrer ; mais, comment réussir ? On était si soigneusement gardé. Accoutumée à sauter les remparts, Justine mesura de l’œil ceux de la terrasse ; à peine avaient-ils trente pieds. Aucune clôture extérieure ne paraît à ses yeux ; elle croit être dans la route du bois, si-tôt qu’elle aura franchi les murailles ; mademoiselle de Volmire, arrivée de nuit, ne peut rectifier ses idées ; et pendant l’absence de Gernande, Justine, gardée par les vieilles, n’a pu se procurer aucunes connaissances locales. Notre brave et sincère amie se résout donc à tenter l’escalade ; Volmire écrit à sa mère de la façon la plus faite pour l’attendrir et la déterminer à venir au secours d’une fille aussi malheureuse ; Justine met la lettre dans son sein, embrasse cette chère et intéressante femme ; puis, aidée de ses draps, elle se laisse glisser au bas de la forteresse. Que devient-elle, grand Dieu ! quand elle reconnaît qu’il s’en faut bien qu’elle soit hors de l’enceinte, et qu’elle n’est que dans un parc environné des plus hautes murailles, dont la vue lui avait été dérobée par l’épaisseur et par la quantité des arbres ; ces murs, hauts de trente pieds, larges de trois, étaient garnis de verre sur leur crête… Que devenir ? Le jour allait la surprendre dans cette perplexité. Que penserait-on d’elle, en la voyant dans un lieu où l’on ne pouvait raisonnablement la trouver, qu’en lui supposant un projet constaté d’évasion ? Pourrait-elle se soustraire à la fureur du comte ? Quelle apparence que cet ogre pût lui faire grâce !… Il allait s’abreuver de son sang ; elle le savait ; c’était la peine promise… le retour était impossible ; Volmire avait aussitôt retiré les draps ; frapper aux portes, était se trahir plus sûrement encore. Peu s’en fallut que la tête de notre pauvre Justine ne tournât tout-à-fait alors, et qu’elle ne cédât aux violens effets de son désespoir. Si elle avait reconnu quelque pitié dans l’ame de son maître, l’espérance un instant l’eût peut-être abusée ; mais un tyran, un barbare, un homme qui détestait les femmes, et qui cherchait depuis long-tems l’occasion de l’immoler elle-même, en lui faisant perdre son sang goutte à goutte, pour voir combien d’heures elle serait à mourir par ce supplice ! Quel moyen d’échapper à son sort ! Ne sachant donc que devenir, trouvant des dangers par-tout, elle se jette aux pieds d’un arbre, en se résignant en silence aux volontés de l’Éternel. Le jour paraît enfin : le premier objet qui la frappe, est le comte lui-même ; il était sorti pour guetter des petits garçons auxquels il faisait tacitement permettre de venir ramasser des branches dans son parc, afin d’avoir le plaisir de les prendre sur le fait, et de les fouetter jusqu’au sang par punition ; une de ces expéditions se présente ; il la consomme ; il déchire les fesses du petit malheureux, le poursuit à coups de canne, quand ses yeux tombent sur Justine ; il croit voir un spectre… il recule. Rarement le courage est la vertu des traîtres. Justine se lève tremblante ; elle se précipite, à ses genoux. Que faites-vous là, lui dit aigrement cet antropophage ? — Oh ! Monsieur, punissez-moi, je suis coupable, et n’ai rien à répondre… L’infortunée… elle a malheureusement oublié de déchirer la lettre de sa maîtresse. Gernande la soupçonne, il la demande, apperçoit le fatal écrit, le saisit, le dévore, et ordonne à Justine de le suivre.

On rentre dans le château par un escalier dérobé qui donne sous les voûtes ; le plus grand silence y régnait. Après quelques détours, le comte ouvre un cachot ; il y précipite Justine : fille imprudente, lui dit-il, je t’avais prévenue que le crime que tu viens de commettre, se punissait de mort ; prépares-toi donc à subir ce juste châtiment : demain, en sortant de table, je viens t’expédier. La pauvre créature se précipite de nouveau aux genoux de ce barbare ; mais la saisissant par les cheveux, le cruel la traîne à terre, lui fait faire ainsi deux ou trois fois le tour de la prison, et finit par la précipiter contre les murs, de manière à l’y écraser. Tu mériterais que je t’ouvrisse à l’instant les quatre veines, lui dit-il, en fermant la porte ; et si je retarde ton supplice, sois sûre que c’est pour le rendre plus long et plus horrible encore.

On ne se peint point la nuit que passa Justine ; les tourmens de l’esprit, joints à plusieurs contusions que les traitemens de Gernande venaient de lui faire éprouver, rendirent cette nuit l’une des plus affreuses de sa vie.

Il faut avoir été malheureux soi-même pour se figurer les angoisses d’un infortuné qui attend son supplice à toute heure… à qui l’espoir est enlevé, et qui ne sait pas si la minute où il respire, ne sera pas la dernière de ses jours. Incertain du genre des douleurs qui l’attendent, il se les représente sous mille formes plus horribles les unes que les autres. Le plus léger bruit lui paraît être celui de ses bourreaux ; son sang se glace ; son cœur s’arrête, et le glaive qui va terminer ses jours, est moins affreux pour lui, que l’instant qui le menaçait.

Il est vraisemblable que le comte commença par se venger sur sa femme. L’événement qui sauva Justine, nous l’a fait au moins présumer : il y avait trente-six heures que notre héroïne était dans la crise que nous venons de peindre, sans qu’on lui eût apporté aucun secours, lorsque les portes s’ouvrirent, et que Gernande parut à la fin. Il était seul ; la fureur éclatait dans ses yeux.

Vous connaissez, lui dit-il, la mort qui vous attend ; il faut que ce sang pervers s’écoule en détail ; vous serez saignée trois fois par jour, je vous l’ai dit, c’est une expérience que je brûle de faire ; je vous remercie de m’en avoir fourni les moyens. Et le monstre, sans s’occuper pour-lors d’autres passions que de sa vengeance, prend un des bras de Justine, le pique, et bande la plaie après l’effusion de trois palettes de sang. Il avait à peine fini, que des cris se font entendre. Monsieur, monsieur, lui dit en accourant une des vieilles, venez au plus vite, madame se meurt, elle veut vous parler avant que de rendre l’ame ; et la messagère revole auprès de sa maîtresse.

Quelqu’accoutumé que l’on soit au forfait, il est rare que la nouvelle de son accomplissement n’effraie celui qui vient de le commettre. Cette terreur fait rentrer un instant la vertu dans des droits que lui ravit bientôt le crime. Gernande sort égaré, il oublie de fermer les portes. Justine profite de la circonstance ; quelqu’affaiblie qu’elle soit par une diette de près de quarante heures, et par une abondante saignée, elle s’élance hors de son cachot, traverse les cours, et la voilà dans le grand chemin, sans que qui que ce soit l’apperçoive… Marchons, se dit-elle, marchons avec courage : si le fort méprise le faible, il est un Dieu puissant qui protège celui-ci, et qui ne l’abandonne jamais[6].

Pleine de ces consolantes et chimériques idées, elle s’avance avec ardeur, et se trouve, vers la nuit, dans une chaumière, à plus de six lieues du château.

Croyant sa maîtresse morte, n’ayant plus la lettre où l’adresse de la mère avait été mise, elle renonça à tout espoir d’être utile à la jeune Volmire, et partit dès le lendemain matin, abandonnant de même tous projets de plaintes, tant anciennes que nouvelles, et ne pensant plus qu’à se diriger vers Lyon, où elle arriva le huitième jour, bien faible, bien souffrante ; mais sans avoir été poursuivie. C’est-là, qu’après s’être reposée, rétablie pendant quelque tems, elle reprit la résolution de gagner Grenoble, où le bonheur (d’après ses idées) l’attendait infailliblement. Mais voyons, avant l’exécution de ce projet, tout ce qui lui arriva de fait, pour être transmis au lecteur indulgent qui veut bien prendre la peine de nous lire.

CHAPITRE XVII.


Rencontre singulière. — Proposition refusée. — Comment Justine est récompensée d’une bonne œuvre. — Asyle d’une troupe de Mendians. — Mœurs et coutumes de ces individus.


Rien ne fait rêver comme, le malheur ; toujours sombre, replié sur lui-même, celui que la fortune moleste accuse aigrement toute la terre, sans être assez juste un instant pour sentir que, dès qu’il y a une somme à-peu-près égale de faveurs et d’adversités dans le monde, il faut absolument que chacun ait une petite part de l’une et de l’autre[7].


si tôt: sitôt

  1. « Si votre bras, dit quelque part cet insolent baladin, vous est un objet de scandale, coupez-le, et jetez-le loin de vous ; car, il vaut mieux entrer dans le royaume des cieux avec un bras de moins, que d’être précipité tout entier dans l’enfer. » Est-il rien de plus matérialiste que ce propos ?
  2. Nous ne nous cachons point d’emprunter cette savante comparaison d’un homme de beaucoup d’esprit ; c’est pourquoi nous la différencions du texte par des guillemets. Nous userons de ce procédé par-tout où nous nous permettrons de joindre à nos idées, celles des autres.
  3. Voilà qui va à merveille, vont dire ici les amis du ridicule systême de la divinité ; mais vous admettez donc une cause au mouvement. Or, quelle est cette cause, si ce n’est Dieu ? Quel misérable syllogisme ! Non, je n’admets aucune cause au mouvement de la matière ; elle a dans elle-même le principe de sa force motrice ; elle est toujours en mouvement ; et c’est ce perpétuel mouvement, bien reconnu dans elle, qui joue le rôle de l’agent, dont je me sers dans la comparaison que j’adopte.
  4. Si-tôt qu’un corps paraît avoir perdu le mouvement par son passage de l’état de vie à celui que l’on appelle improprement mort, il tend, dès la même minute, à la dissolution : or, la dissolution est un très-grand état de mouvement. Il n’existe donc aucun instant où le corps de l’animal soit dans le repos ; il ne meurt donc jamais ; et parce qu’il n’existe plus pour nous, nous croyons qu’il n’existe plus en effet : voilà où est l’erreur. Les corps se transmutent… se métamorphosent ; mais ils ne sont jamais dans l’état d’inertie. Cet état est absolument impossible à la matière, qu’elle soit organisée ou non. Que l’on pèse bien ces vérités, l’on verra où elles conduisent, et quelle entorse elles donnent à la morale des hommes.
  5. « On dit mieux les choses en les supprimant (écrit la Métrie quelque part) ; on irrite les desirs, en aiguillonnant la curiosité de l’esprit sur un objet en partie couvert, qu’on ne devine pas encore, et qu’on veut avoir l’honneur de deviner. »
    Tels sont les motifs de la gaze que nous jetons sur les scènes que nous ne faisons qu’annoncer.
  6. Justine, si constamment abandonnée de ce Dieu, pouvait-elle raisonner ainsi ?
  7. Les Grecs avaient peint Jupiter assis entre deux cuves ; dans l’une étaient les dons de la fortune ; ses revers dans l’autre. Le Dieu prenait à pleines mains, tour-à-tour dans l’un et l’autre tonneau, pour jeter sur les hommes ; mais on remarquait qu’il revenait toujours plus souvent au magasin des malheurs qu’à celui des prospérités.