Bibliothèque de l’Action française (p. 167-172).


LA MAISON PATERNELLE

« L’air ne sera plus baigné par la
respiration suave de leur enfance »
Pierre Aguétant


I


Tu vas partir, quittant la maison et la ferme.
Et la douce rivière à la voix de cristal,
Tu vas partir hélas ! car ton âme se ferme
Au tendre et vif appel du village natal.

Ainsi qu’un triste oiseau que le calme importune,
Tu quittes la rivière au murmure argentin ;
Sous des cieux étrangers tu vas chercher fortune,
Et guetter, sombre esprit, un plus riche destin.


Mais un jour en passant près d’une humble demeure
Dont la porte sourit sous les aulnes tremblants,
Tu songeras au toit où ton vieux père pleure
Et vieillit seul et triste avec ses cheveux blancs…

Les souvenirs viendront frapper ton cœur de pierre,
Tu frémiras de voir au loin fumer les toits ;
Des larmes surgiront au fond de ta paupière,
Et tu te souviendras des beaux jours d’autrefois…

Tu verras la maison, la colline fleurie,
La mer où les bateaux flottent dans l’air du soir.
La grange, le verger, le champ, la bergerie,
Et le banc du jardin où tu venais t’asseoir…


Las enfin de chercher une joie incertaine,
Tu pleureras le toit si charmant et si gai ;
L’image de la bonne terre canadienne,
Surgira pure et belle en ton cœur fatigué !

Tu sentiras le poids du leurre et des mensonges,
L ennui de vivre loin du sol où l’on est né ;
Tu verras tournoyer chaque nuit, dans tes songes,
Les rivages du nord, les monts du Saguenay…

Alors tu pleureras notre fleuve et ses grèves,
La rive d’or au flot si doux et murmurant,
Tu seras lourd d’ennuis, de remords et de rêves,
Et tu regretteras les bords du Saint-Laurent !…


II


Lorsque, seul dans le chemin sombre,
Traînant tes rêves désolés,
Triste, tu pleureras, dans l’ombre,
Sur tous les beaux jours envolés.

Portant tes regards en arrière,
Sur ces instants si tôt flétris,
Songe à la petite rivière
Qui chante dans les aulnes gris !…

Ah ! souviens-toi de la fontaine
Restée encor fraîche depuis,
Du saule penché sur la plaine,
De la margelle et du vieux puits !…


Souviens-toi des champs, des vallées,
Des nids, chantant tous à la fois ;
Des belles routes ondulées,
Et des chemins au fond des bois…

Du bosquet débordant de roses,
De l’aube dorant les volets ;
Et du recoin où sont encloses
Les cerises que tu volais !…

Dans la détresse du voyage,
Sans espérance et sans amours,
Ah ! souviens-toi de ton village
Où tu vécus de si beaux jours !…


Dans ta tristesse et ta chimère
Si tu vas sans gîte et sans toit,
Du doux visage de ta mère
Ami, souviens-toi, souviens-toi !…