Bibliothèque de l’Action française (p. 87-89).


ALBERT LOZEAU




Tous les oiseaux du ciel devaient le reconnaître
A son regard profond qui perçait la fenêtre,
Lui dont l’âme n’était qu’un hymne à la beauté !…
Chez lui je vins, un jour au début de l’été.
En franchissant le seuil de cet autre Coppée
A la porte je fus tout de suite frappée
Par les traits de cet ange aux gestes consolants :
Sa mère, une admirable femme aux cheveux blancs !…


Le vent de mai jetait dans sa fenêtre ouverte
L’odeur des champs voisins et de la forêt verte,
Et lui, le regard grave, en son rêve perdu,
Sur une chaise longue il était étendu…
Mais quels feux, quels rayons brillaient dans sa prunelle
Et que cette douleur me parut solennelle !
Un grand chêne étendant ses feuillages au loin,
Un peu de ciel grisâtre, un rosier, dans un coin,
Un balcon, quelques toits habillés de verdure,
Une vigne accrochée aux maisons et qui dure,
Voilà tout ce qu’était son modeste horizon,
Voilà ce qui mettait le jour dans sa prison !…
Mais ce coin suffisait à son âme profonde ;
Un poète à lui seul est vaste comme un monde.
Quand tout est sombre ailleurs, en lui-même il fait clair
Son exil est un ciel qu’illumine l’éclair ;
Son cœur est un jardin de fleurs et de ramures,
Qui, pour un rien, s’emplit de chants et de murmures,
Car le poète voit ce que l’on ne voit pas,
Et, dans la nuit, il a du soleil sur ses pas !…


Il est un voyageur de l’éternel voyage,
Et son âme est pareille au léger coquillage
Dans lequel on entend gronder toute la mer !…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Et pendant qu’il parlait, que, sans un mot amer,
Il me livrait sa noble et magique pensée,
Et me montrait le fond de son âme blessée,
Je me disais : Tu peux, ô poète charmant,
Nous réjouir de ton rêve, de ton tourment,
Forçat de la beauté, de ton marteau sublime
Tu peux forger le mot, la césure, la rime ;
Faire naître, vivants en des rythmes divers.
Les tercets rayonnants, les poèmes, les vers,
Où tous les cœurs blessés pourront s’écouter vivre,
Plongés dans la douceur amère de ton livre ;
Jamais tu ne sauras rien écrire de mieux
Que ce poème qui pleure au fond de tes yeux !…