La marche des animaux

Traités des parties des animaux et de la marche des animaux, tome II
traduits pour la première fois en français et accompagnés de notes perpétuelles par J. Barthélemy-Saint Hilaire
Traduction par Jules Barthélemy-Saint-Hilaire.
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Texte établi par Jules Barthélemy-Saint-Hilaire, Librairie Hachette.

PRÉFACE AU TRAITE DE LA MARCHE DES ANIMAUX

Place du traité de la Marche des Animaux dans l’histoire de la science et dans l’encyclopédie aristotélique ; analyse de ce traité ; la question n’est reprise et continuée qu’au XVIIe siècle ; Fabrice d’Acquapendente ; Borelli ; abus des mathématiques ; Claude Perrault ; Buffon ; Barthez ; Cuvier ; M. H. Milne-Edwards ; M. Colin ; M. J. Bell-Pettigrew ; M. Marey. — Conclusion.

Le principal mérite du petit traité d’Aristote sur la Marche des Animaux, c’est d’être le premier en date ; il a devancé de deux mille ans la science moderne ; et quoiqu’à son tour, elle l’ait dépassé de beaucoup, c’est de lui qu’elle est sortie. Il est probable que, dans notre XVIe siècle, cette étude serait née spontanément, comme tant d’autres, si le génie grec ne l’avait pas eu créée dès longtemps ; mais l’initiative en appartient exclusivement à l’Antiquité, et cette théorie doit compter parmi les richesses que nous lui devons. Quatre cents ans avant notre ère, ce fut une idée très-neuve que de prendre pour objet d’un examen scientifique la locomotion des êtres animés, et de détacher ce curieux phénomène du reste de la zoologie. De nos jours, les sciences sont tellement distinctes les unes des autres que rien ne paraît plus simple que leur séparation ; mais à cette époque lointaine, en face de la nature inexplorée, au milieu de tant de recherches ardentes et d’abord très-confuses, il fallait un discernement bien énergique, et une rare pénétration d’esprit, pour tirer toute une science de faits qu’il était facile d’observer isolément, mais que personne, avant Aristote, n’avait songé à réunir en un ensemble systématique. On voyait bien les animaux se mouvoir, selon les lois que la nature leur impose, ici pour marcher sur le sol, là pour voler dans les airs, ailleurs pour ramper, ailleurs encore pour nager, en un mot pour changer de lieu et satisfaire les besoins divers de l’existence ; mais le philosophe a été le seul qui, dans ces faits si variés, découvrit des rapports propres à constituer méthodiquement une science réelle et générale. Commencée par lui, cette science est très-loin d’être achevée, même de notre temps ; et il faudra bien des labeurs encore, pour expliquer tous les ressorts ingénieux que la nature emploie à mouvoir les êtres auxquels elle a donné la vie.

De tous les phénomènes naturels, le mouvement est celui qui nous frappe le plus ; il est partout dans l’univers, depuis les sphères immenses qui parcourent l’espace sur nos têtes, jusqu’à ces animalcules presque invisibles qui se meuvent aussi ; depuis les organes dont tous les animaux sont composés dans leur intérieur mystérieux, jusqu’aux plantes elles-mêmes, et peut-être jusqu’à un degré encore plus bas qu’elles. Le mouvement est le signe le plus manifeste de la vie, qu’il révèle mieux encore que la sensibilité. Un fait si répandu et si nécessaire, non moins clair qu’étonnant, devait attirer puissamment l’attention d’Aristote ; et en effet, il y a consacré trois de ses ouvrages, parmi ceux qui nous sont parvenus, sans parler de sa psychologie. Le plus considérable des trois est sa Physique, théorie complète du mouvement, où il se montre le précurseur de Descartes, de Newton et de Laplace ; il y approfondit le mouvement dans sa nature et dans son action universelle, avec ses conditions indéfectibles de temps, d’espace et d’infini. Mais outre cette théorie générale, la question l’a occupé à un point de vue plus restreint, dans le traité du Mouvement dans les animaux, et dans le traité plus spécial encore, qui nous intéresse ici particulièrement. Ces trois ouvrages, la Physique, le traité du Mouvement dans les animaux, et le traité de la Marche des animaux, forment entre eux, et avec le traité de l’Ame, un tout indissoluble, où l’on trouve la pensée du philosophe sur cet inépuisable sujet, que l’homme étudiera sans cesse, et dont il ne se rassasiera jamais, sentant en lui-même le mouvement, tout aussi bien qu’il le voit dans tout ce qui entoure et domine sa personne fragile et merveilleuse.

Une brève analyse nous apprendra ce qu’est le traité de la Marche des Animaux, ce qu’il vaut, et aussi quelles en sont les bien pardonnables lacunes.

Aristote débute ici, comme dans ses ouvrages les meilleurs, par l’exposé de la méthode qu’il veut suivre, et il énumère les questions qu’il va discuter. Il se propose donc de comparer, dans tout le règne animal, les organes de la locomotion et les appareils que la nature a su y adapter, avec autant de variété que de justesse. Avant tout, l’auteur observera exactement les faits ; et il n’essaiera d’en découvrir les causes qu’en fondant ses théories sur des observations nombreuses et bien faites. Les explications qu’on pourra donner seront éclairées et guidées par ce principe supérieur, à savoir que la nature ne fait jamais rien en vain, et qu’elle fait toujours le mieux possible. En scrutant ses œuvres, on peut être assuré de découvrir le but qu’elle poursuit, et les moyens infaillibles dont elle se sert pour l’atteindre.

Le mouvement ne peut avoir lieu que dans six directions, qui se répartissent en trois séries de deux termes chacune : le haut et le bas, le devant et le derrière, la droite et la gauche. Dans ces directions, le corps se meut soit en totalité, soit partiellement. Par exemple, les saltigrades déplacent leur corps tout entier, dans le saut qui leur est naturel et pour lequel ils sont faits ; chez la plupart des autres animaux, le mouvement n’est d’ordinaire que partiel et successif. Mais de quelque manière que le mouvement se produise, il faut toujours qu’il y ait en dehors de l’animal, ou dans l’animal lui-même, un point d’appui qui permette et facilite le jeu des appareils dont il est pourvu.

La vie étant aussi dans les végétaux, quoiqu’elle y soit à un degré moindre, il faut remarquer que le haut et le bas sont dans les plantes à l’inverse de ce qu’ils sont dans les êtres animés. Le haut véritable de la plante, c’est sa racine ; le bas véritable, c’est sa tige, quoique le témoignage de nos yeux semble nous dire le contraire. Mais comme dans l’animal le haut est la partie dans laquelle est reçue la nourriture qui se distribue à tout l’organisme, et comme c’est par la racine que les plantes se nourrissent, c’est pour cette cause que, chez elles, la racine doit être regardée comme le haut, quoiqu’elle paraisse être le bas. C’est la fonction, et non la position, qui fait la différence. Dans l’animal, le devant et le derrière sont déterminés par la situation des sens, et spécialement par la situation de la vue, chargée de le conduire. La droite et la gauche se distinguent en ceci que la partie qui a l’initiative habituelle du mouvement est prise pour la droite, et que la partie opposée à celle-là est prise pour la gauche. La troisième série, celle du devant et du derrière, est en quelque sorte mutilée, en ce que les animaux marchent naturellement devant eux, et qu’aucun ne marche en arrière, si ce n’est par un mouvement contre nature. Il y a cependant certaines classes d’animaux inférieurs, telles que les mollusques et les crustacés turbines, où il est malaisé de distinguer le derrière et le devant, ou la droite et la gauche, soit par leur conformation, soit par leurs allures.

C’est dans l’homme que toutes ces différences sont le mieux marquées, parce qu’il est le plus complet des êtres, et que le haut et le bas, le devant et le derrière, la droite et la gauche, sont chez lui le plus nettement caractérisés. La station droite n’appartient guère qu’à l’homme ; il est essentiellement bipède, et sa position verticale concorde avec celle de l’univers lui-même. L’oiseau a bien cette espèce de station ; mais en lui elle est moins régulière ; et pour pouvoir se tenir debout, il a reçu une ossature du bassin toute spéciale, fort différente du bassin de l’homme. D’ailleurs, les ailes sont pour l’oiseau ce que les bras et les mains sont pour nous.

Comme c’est la droite qui commence le mouvement, on peut dire qu’elle est plus importante que la gauche, de même que le haut est plus important que le bas, et le devant, plus important que le derrière.

Entre les deux termes de chaque série, il y a des rapports qu’il est assez difficile de bien définir. Le principe qui produit le mouvement à droite est le même qui produit le mouvement à gauche ; rien ne sépare distinctement l’une de ces directions de la direction contraire, et il est évident qu’il n’y a pas là de discontinuité. On en peut dire autant du haut et du bas, du devant et du derrière. Il y a donc entre chacun des deux termes un terrain commun où ils se rencontrent et se confondent. Ce point, c’est le principe moteur que l’animal porte en lui-même, et qui décide la locomotion dans un sens ou dans l’autre, selon le besoin ou la volonté. Le principe moteur est immobile ; car il faut toujours un point d’inertie pour que le mouvement soit possible dans une des directions.

Les animaux qui ont du sang ont quatre appareils de locomotion, et ils ne peuvent en avoir davantage. Mais les animaux dépourvus de sang peuvent en avoir un plus grand nombre. Une autre différence entre ces deux genres d’animaux, c’est que ceux qui ont du sang cessent de se mouvoir et de vivre quand on les coupe en deux, tandis que les exsangues peuvent vivre et se mouvoir longtemps après qu’on les a coupés. On dirait que ceux-là sont composés de plusieurs animaux réunis, ayant chacun une vie à part. Les serpents et certains poissons qui n’ont pas de nageoires, par exemple les murènes, remplacent les quatre appareils qui leur manquent par les flexions de leur corps allongé, tantôt convexes, tantôt concaves, à droite et à gauche, en haut et en bas. Là encore, on peut retrouver les quatre appareils, bien que sous une autre forme. Les pieds de l’animal sont toujours en nombre pair, quel qu’en soit le nombre. Avec quatre pieds, il a une station très-solide ; mais on ne pourrait pas concevoir qu’il pût marcher avec trois ; et en réalité, la nature n’offre pas une seule combinaison de cette espèce. Les scolopendres polypodes auxquels on a retranché quelques pieds peuvent marcher, il est vrai, avec un nombre impair de pieds ; mais c’est seulement en suppléant à ceux qu’on leur a retranchés par ceux qui leur restent ; et la loi de parité n’en est pas moins applicable à ces animaux comme à tous les autres.

Le mouvement, quelles qu’en soient la direction et la nature, n’est possible qu’à la condition d’une flexion. Dans la progression, le membre qui s’avance, tandis que l’autre devenu perpendiculaire soutient le corps, doit nécessairement s’infléchir avant de toucher le sol, et avant de devenir droit à son tour, pour fournir successivement au corps l’appui qui lui est indispensable. La flexion du membre est tantôt convexe comme celle du genou, et tantôt concave comme celle des bras. Si le membre ne s’infléchissait pas, la marche serait caduque, et l’animal ne ferait que tomber.

En même temps que le membre avance, la tête s’abaisse, en se projetant pour contribuer à transporter le poids du corps sur la jambe qui va le recevoir. La flexion nécessaire au mouvement est évidente également dans la reptation des serpents, dans les ondulations des chenilles, dans les battements des ailes des oiseaux, dans les battements des nageoires des poissons, qui sont tantôt droites et tantôt recourbées. Enfin, c’est par la flexion de la queue et du corps que les poissons plats, même quand ils sont dépourvus de nageoires, progressent dans le liquide, qu’ils couvrent de leur largeur exceptionnelle.

Le mouvement des volatiles est plus compliqué ; les pattes sont nécessaires aux oiseaux pour voler, de même que les ailes le leur sont pour marcher. Ces corrélations indirectes semblent du premier coup d’œil assez étranges ; mais il en est pour les oiseaux comme pour l’homme, qui ne saurait marcher sans le mouvement alternatif de ses épaules, si ce n’est de ses bras. Chez l’oiseau, la queue, appendue au croupion, dirige le vol, à la façon dont le gouvernail dirige le navire. Les volatiles à ailes pleines, comme les coléoptères, qui n’ont pas de plumes à leurs croupions, non plus qu’aux ailes, volent mal, et s’abattent lourdement, comme un vaisseau désemparé. Voilà aussi pourquoi les oiseaux qui volent peu, comme le paon, le coq, les gallinacés, ne sauraient diriger leur vol en ligne droite. Les oiseaux de grand vol, hérons et flamands, étendent, en volant, leurs pattes en arrière, pour suppléer à leur queue, qui ne les dirige point. Chez les oiseaux de proie, pour qui la rapidité du déplacement est une condition d’existence, tout est calculé dans cette vue. Leur tête est petite ; leur col est mince. Leur thorax, très-charnu, est puissant et taillé comme la proue d’un navire, afin qu’ils puissent d’autant mieux fendre l’air ; les parties postérieures de leur corps sont à la fois plus légères et plus rétrécies, pour ne ralentir en quoi que ce soit leur vélocité.

Si la partie haute du corps des oiseaux était plus lourde, ils ne pourraient se tenir debout, pas plus que les enfants, qui, avant de marcher tout droits, se traînent d’abord sur le sol, en s’appuyant sur leurs quatre membres. Mais, comme, plus tard, c’est la partie inférieure du corps qui, chez les enfants, se développe davantage, ils peuvent se redresser, et ils finissent par marcher comme il convient à la race humaine. Si les oiseaux ne sont pas conformés pour avoir jamais une station aussi droite que la nôtre, notre conformation nous rendrait leurs ailes bien inutiles ; aussi la nature ne nous en a-t-elle pas donné, bien que parfois les peintres se permettent d’en attribuer aux Amours qu’ils représentent dans leurs tableaux.

En comparant les flexions telles qu’elles sont dans l’homme, non plus aux flexions de l’oiseau, mais à celles du quadrupède vivipare, on voit qu’elles s’accomplissent en sens contraires. Chez l’homme, les flexions des bras, c’est-à-dire des membres antérieurs, se font en creux ; et celles des membres postérieurs, en cercle. Dans les quadrupèdes, c’est tout l’opposé ; les membres de devant s’infléchissent en rond, et les membres postérieurs s’infléchissent en creux. Ici encore, il faut admirer la sagesse de la nature. Si les quadrupèdes fléchissaient leurs pattes de devant en forme concave, au lieu de la forme convexe, ils ne les élèveraient pas suffisamment au-dessus du sol, et ils ne marcheraient pas à l’aise ; et de même, si leurs pattes de derrière s’infléchissaient en cercle, elles gêneraient la marche sous leur ventre ; et ils auraient en outre beaucoup plus de peine pour allaiter leurs petits.

D’ailleurs, les flexions ne peuvent avoir lieu que de quatre manières : ou les membres de devant et de derrière pourraient être fléchis dans un seul et même sens, soit convexes, soit concaves, ou fléchis à l’opposé les uns des autres, les uns étant concaves, tandis que les autres seraient convexes. De ces quatre combinaisons possibles, la nature n’en admet que deux, les autres n’étant pas commodes pour l’animal. Dans un seul et même membre, les flexions se contrarient, afin de rendre le mouvement plus facile et plus harmonieux. Ainsi, la cuisse fléchit en creux sur la hanche ; le genou fléchit en rond sur la cuisse, et le pied fléchit en creux sur le tibia ; enfin, les doigts fléchissent en rond sur le pied. Tout devient ainsi plus souple et plus stable.

Dans la marche des quadrupèdes, le mouvement a lieu en diagonale, le pied gauche de derrière se levant en même temps que le pied droit de devant ; et le pied droit de derrière, en même temps que le pied gauche antérieur. Si les deux membres de devant se lèvent à la fois, ce n’est plus une allure de marche, c’est un saut véritable, qui, exigeant un très grand effort, ne peut avoir que très-peu de durée, ainsi qu’on le voit pour les chevaux de course. Si, dans la marche ordinaire, les deux pieds de devant partaient ensemble, l’animal risquerait de tomber à chaque pas. L’animal peut marcher encore en mettant simultanément en mouvement les deux membres d’un même côté ; mais alors l’allure est moins naturelle et moins solide. L’allure la plus ferme et la plus facile est l’allure en diagonale, qui assure constamment des appuis aux deux parties, droite et gauche, du corps en mouvement. Quoique la marche par diagonale soit de règle, il y a des animaux qui, comme les crabes, marchent obliquement, au lieu de marcher droit devant eux. Cependant les crabes mêmes ne font exception qu’à moitié ; car la nature a eu soin de placer leurs yeux obliquement aussi, de sorte que, grâce à cette particularité, on peut dire que les crabes marchent en ligne droite comme tous les autres animaux.

L’organisation des oiseaux n’est peut-être pas aussi loin de celle des quadrupèdes qu’on pourrait le croire. Les ailes, qui, chez eux, remplacent les membres de devant, se replient dans le même sens que les membres antérieurs des quadrupèdes. La plus grande différence, c’est la position de la cuisse, qui, chez l’oiseau, est avancée bien davantage sous le ventre, afin de soutenir le corps, qui ne peut jamais être aussi droit que celui de l’homme. Les ailes sont placées sur les côtés, comme les nageoires le sont en général chez les poissons ; car c’est par cette disposition que les nageoires et les ailes peuvent être le plus utiles, les unes et les autres, pour fendre l’air ou le liquide. C’est dans une intention pareille que les quadrupèdes ovipares, crocodiles, stellions, émydes, tortues, lézards, ont les pattes tournées de côté, afin de pouvoir entrer plus facilement dans les trous où ils vivent, et pour que l’incubation des œufs leur soit plus aisée.

On peut voir encore une intention du même genre dans la conformation des polypodes, c’est-à-dire des animaux qui ont plus de quatre pieds ; leurs pieds antérieurs, qui dirigent le mouvement, sont droits ; ceux de derrière, qui ne font que suivre la direction des premiers, sont obliques et légèrement cagneux. La locomotion des langoustes et celle des crabes mériteraient une étude spéciale. Dans les oiseaux palmipèdes, les pieds, armés de leurs membranes, sont des nageoires ; les pattes sont courtes, parce qu’elles perdent ce que les pieds gagnent ; et elles sont placées en arrière, afin que la propulsion soit plus efficace.

La raison comprend très-bien pourquoi les oiseaux nageurs ont des pieds, et pourquoi les poissons n’en ont pas. Les oiseaux nageurs, tout en nageant fréquemment, doivent pouvoir marcher sur le sol, tandis que les poissons ne doivent vivre que dans le liquide. Ils ne respirent pas l’air, comme les oiseaux ; c’est l’eau qu’ils respirent ; leurs nageoires et leur queue correspondent aux ailes et aux pieds des volatiles, et en font l’office très-suffisamment.

On pourrait pousser plus loin ces rapprochements entre les diverses classes d’animaux ; mais sur les êtres inférieurs, comme les crustacés par exemple, l’observation est très-difficile, et l’on ne sait guère s’ils ont du mouvement ou s’ils n’en ont pas. Tenons-nous en donc aux études précédentes, qui nous apprennent ce qu’est la locomotion chez les animaux supérieurs, et qui préparent naturellement d’autres études dont l’âme peut être l’objet.

Voilà le traité de la Marche des animaux résumé dans ses traits essentiels. L’histoire ultérieure de la science nous montrera que ce traité est incomplet à bien des égards ; mais, pour en porter un jugement équitable, il faut ne jamais perdre de vue que c’est Aristote qui a frayé le chemin ; et qu’il a fait, du premier coup, un pas si gigantesque et si sûr que, pendant des milliers d’années, on n’a rien ajouté à ce qu’il avait dit. Quand l’esprit humain est revenu à la science méthodique et à l’observation de la nature, il n’a pu que continuer la route que le philosophe avait ouverte. On a bien tardé à l’y suivre ; et pour la question de la locomotion animale, l’interruption a été beaucoup plus grande encore que pour l’Histoire des Animaux, ou pour le traité des Parties. Entre Aristote et Fabrice d’Acquapendente, au XVIIe siècle, il n’y a rien absolument ; car on ne peut pas compter pour quelque chose des commentaires, d’ailleurs fort rares, qui ne sont que des répétitions, et qui ne procurent à la science aucun progrès sensible, pas même un progrès de style et d’exposition.

Fabrice, élève et successeur de Fallope, a été professeur éminent d’anatomie pendant cinquante ans, à l’université de Padoue ; il meurt en 1619, et son ouvrage sur la locomotion des animaux ne paraît qu’un an avant sa mort. C’est le fruit d’un long et célèbre enseignement, dont il fait concevoir une haute idée. Voilà bien la science telle que la Grèce l’a entendue et pratiquée, observatrice avant tout, patiente autant que régulière, recueillant les faits et ne cherchant à en expliquer la cause qu’après les avoir constatés, passionnée pour les œuvres de la nature et croyant à sa sagesse, qui est la sagesse même de Dieu. Fabrice, en s’adressant à ses élèves, ne leur cache point ce qu’il doit à Aristote ; et il se plaît à leur rappeler que, depuis le philosophe, personne ne s’est occupé de ce beau sujet, « Doctrina pulcherrima et utilissima, neque ab alio quam ab unico Aristotele exculta. » Il a étudié très-attentivement les deux traités aristotéliques sur le Mouvement et la Marche des animaux ; et il croit répondre à la pensée de l’un et de l’autre en intitulant le sien : « De motu locali animalium secundum totum. » Par là, Fabrice indique qu’il veut ne s’occuper que du mouvement où l’animal se déplace tout entier ; et il exclut les mouvements qui se passent intérieurement, comme ceux du cœur, du poumon, du sang et de toutes les sécrétions, des muscles, des nerfs, etc. Aristote avait aperçu cette distinction ; mais il ne l’avait pas faite avec autant de précision.

Fabrice étudie d’abord le mouvement de progression dans l’homme, et il s’aide de tous les secours que lui offre une anatomie déjà fort avancée par ses prédécesseurs et par lui-même ; il décrit les mouvements de la cuisse, du genou, de la jambe, des pieds et des doigts, faisant une part à chaque membre dans l’action totale du déplacement. De la marche de l’homme, il passe à celle des volatiles, et à celle des quadrupèdes. (De gressu pennatorum, de gressu quadrupedum.) Enfin, il s’arrête assez longuement au vol des oiseaux et à l’action des ailes, et il termine par l’explication de la natation chez les poissons, et de la reptation chez les serpents. C’est, comme on le voit, toute la pensée aristotélique, avec plus d’ordre et avec des connaissances plus étendues, en anatomie et en physiologie. Fabrice les complète encore par des opuscules particuliers sur l’organisation, les fonctions et l’utilité des muscles, sur les articulations des os, sur la respiration, et sur les mouvements du cœur et des intestins. Ces travaux font grand honneur à l’université de Padoue, et ils n’ont été possibles qu’à la condition de tout ce que cette illustre école avait antérieurement accompli, en formant des anatomistes tels que Vésale, Fallope et tant d’autres.

Soixante ans après Fabrice, vers la fin du XVIIe siècle, Borelli et Claude Perrault reprennent la question de la locomotion animale, en la traitant par des méthodes fort différentes. Borelli (1608-1679), né à Naples, professeur d’anatomie à Pise et à Florence, était mathématicien plus encore que médecin et physiologiste. Editeur d’Euclide et d’Apollonius de Perge, astronome, météorologiste, il est, avec son élève, Bellini de Florence, le chef de la doctrine iatro-mathématique, qui n’a guère plus servi la médecine que les mathématiques elles-mêmes. Son ouvrage « De motu animalium » est dédié à Christine de Suède, et il n’a paru qu’un an après sa mort. Dans une préface dédicatoire, Borelli se montre d’une grande piété, et il admire l’œuvre de Dieu dans les êtres animés plus vivement encore que dans le reste de la nature. Il sent toutes les difficultés du sujet qu’il aborde, et il ne se les dissimule pas : « Aggredior arduam physiologiam de motibus animalium. » C’est par les mathématiques et la géométrie qu’il se promet de résoudre ces problèmes. Docile au conseil et à la pratique d’Aristote, il divise son ouvrage en deux parties : l’une consacrée à la pure exposition des faits ; l’autre, à l’explication des causes. Il étudie donc en premier lieu les mouvements externes, la marche chez les bipèdes et les quadrupèdes (gressus, incessus) ; la natation et le vol ; puis, les mouvements de la main, des jambes et de la tête. Arrivant aux mouvements internes, il les décrit pour les viscères, pour le cœur, les artères, les veines, les muscles, les os, pour la circulation du sang et celle des humeurs. A toutes ces descriptions, qui attestent beaucoup de science anatomique, il joint des figures géométriques, et des planches nombreuses. Après de savantes définitions, à la façon des mathématiciens, il avance des propositions ; il en tire des scholies, pour arriver à des conclusions, qu’il regarde comme démontrées et définitives.

Dans la seconde et dernière partie, où il essaie de remonter aux causes, il applique les mêmes procédés pour rendre compte des mouvements intérieurs du sang, du cœur, de la respiration, des reins, du foie, des nerfs, de la transpiration insensible, de la nutrition, de la faim, de la soif, de la fatigue, des convulsions, du tremblement et du frisson que cause la fièvre. Toutes ces recherches témoignent de beaucoup de science et d’application. Cet ouvrage a fait la renommée de Borelli ; et c’est à peu près le seul que l’on connaisse aujourd’hui. On peut toujours le consulter ; mais on devrait se garder de le prendre pour modèle.

Il a fait abus des mathématiques dans une question qui est surtout physiologique ; il a considéré les êtres animés à peu près comme des machines, non pas dans leur nature essentielle, mais dans leurs actes. Il est certain que les lois les plus profondes de la mécanique sont employées par la nature à faire mouvoir les animaux ; et les relations des muscles et des os, par exemple, sont celles des leviers et des points d’appui. La raison de l’homme n’a rien inventé dans cette partie de la géométrie qui ne se trouve déjà dans la locomotion animale. Mais dans l’organisation vivante, il y a bien autre chose encore que des lignes, et des angles. Tout y est concret, et mêlé au principe même de la vie, dont les abstractions mathématiques ne peuvent pas rendre compte. Il faut être très-sobre de ces considérations en physiologie, où elles ne doivent tenir qu’une place secondaire. On a dès longtemps banni de la science ce procédé, qui était fort en faveur au temps où Borelli écrivait ; et si maintenant on parle encore quelquefois de la théorie des leviers en histoire naturelle, on s’y arrête peu, et l’on a raison de laisser à la mécanique rationnelle des développements que la physiologie et l’anatomie ne comportent pas.

Claude Perrault (1613-1688) n’a pas commis la même faute ; il est cependant géomètre et architecte, et architecte qui construit là colonnade du Louvre. Il intitule son ouvrage : « De la méchanique des animaux » (1680) ; mais il se garde bien de faire de la géométrie ; c’est uniquement de physiologie et d’anatomie qu’il s’occupe (tome II, 3e volume de l’édition de Leide, in-4°, 1721). L’ouvrage est divisé en trois parties : la première traite des organes des sens ; la seconde, des organes du mouvement ; et la dernière, des organes de la nutrition, aboutissant à la génération. Perrault présente d’abord quelques considérations générales ; et pour éviter l’équivoque que pourrait causer le titre de son ouvrage, il déclare qu’il ne regarde pas les animaux comme de pures machines ; il avertit ses lecteurs qu’il entend par Animal un être doué de sentiment, et capable d’exercer les fonctions de la vie par un principe que l’on appelle Ame ; cette âme conduit toutes les pièces de la machine animale, comme l’organiste conduit l’orgue qu’il touche. Nous voilà loin de Borelli et des mathématiques.

Selon Claude Perrault, « le mouvement a été donné à l’animal pour rechercher ou fuir ce qu’il a connu par les sens lui être propre ou contraire, » Il distingue dans l’animal deux sortes de mouvement : l’un qui est obscur, comme celui de la sensation et de la digestion ; l’autre qui est manifeste, comme celui de la progression, ou à l’intérieur, celui de la respiration, de la voix et de la circulation. Les organes du mouvement sont les fibres des muscles, dont raccourcissement, qui est assez difficile à expliquer, met les membres et les articulations en jeu. Les muscles sont en général fixés sur les os ; mais dans quelques animaux, comme les écrevisses, les muscles sont situés en dedans des parties dures, qui font tout ensemble fonction d’os et de peau.

La progression est très-diverse selon les espèces, depuis l’huître qui n’a de locomotion que celle qui lui est imprimée par les vagues, depuis le traînement des limaçons, le rampement des serpents, la traction des polypes et des seiches, jusqu’au marcher des animaux terrestres, dont les pieds et les ongles sont appropriés à une foule d’usages, jusqu’au vol des oiseaux, dont les ailes sont une des merveilles les plus étonnantes de la nature, et enfin, jusqu’au nager des poissons, « qui a beaucoup de rapport au voler des oiseaux ».

Les organes de la progression servent en outre à l’animal pour sa défense ou pour l’attaque, tout aussi bien que les dents et les cornes. Les mouvements des parties qui produisent la voix ne sont pas moins variés ; la voix diffère dans les animaux en ce qu’elle est articulée plus ou moins complètement. Tantôt elle est simple et uniforme, comme chez les serpents, les lions, les tigres, les hiboux, les roitelets. Le chant des oiseaux, même le plus agréable, est peu articulé ; il n’y a que l’homme qui jouisse d’une voix capable de produire une variation de tons et d’accents presque infinie. Mais cette perfection elle-même tient beaucoup moins aux organes qu’à l’intelligence dont l’homme a été doué ; car il y a des animaux qui, comme le singe, ont tous les organes de la parole, y compris la luette, et qui cependant ne parlent point.

C’est le cerveau qui est le premier principe du mouvement ; il est divisé en trois parties principales : le cerveau proprement dit, le cervelet, et la moelle de l’épine. Il a ses artères, ses veines et ses vaisseaux excrétoires. Selon les espèces, le nombre de ses ventricules et de ses anfractuosités varie beaucoup. Il est très petit chez la plupart des poissons et chez le crocodile ; il est également peu développé en général chez les oiseaux. Le cerveau des poissons est encore moins fort que celui des oiseaux, bien que leur corps soit plus gros proportionnellement.

Telles sont à peu près les théories de Claude Perrault sur le mouvement animal ; elles ne sont pas absolument originales ; mais elles sont fondées sur des recherches anatomiques fort étendues, où Perrault se faisait aider par ses amis, qu’il guidait. On a peut-être exagéré la valeur de ces théories en plaçant Claude

Perrault à côté de Cuvier, ainsi que Font fait des physiologistes contemporains. Sa part n’est pas aussi grande ; et si l’on se souvient des travaux antérieurs de Borelli, de Fabrice et d’Aristote, les siens perdent un peu de leur prix, bien qu’ils restent toujours fort louables. Claude Perrault est trop instruit pour ne pas connaître les ouvrages physiologiques d’Aristote ; il cite même le philosophe une ou deux fois ; mais il ne semble pas accorder au père de la science toute l’estime qui lui est due. D’ailleurs, il admire autant qu’Aristote les œuvres de la nature ; et pieux comme il l’est, il se trouve en parfait accord avec le païen qui l’avait précédé de si loin dans cet hommage de la raison, qui est aussi l’hommage de la foi.

Buffon, qui n’est pas moins spiritualiste que Perrault, n’a pas consacré une étude spéciale au mouvement, bien qu’il ait fait un « Discours sur la nature des animaux ». Il établit une distinction profonde entre les fonctions qui agissent perpétuellement dans l’animal, comme celles du cœur et du poumon, et les fonctions intermittentes, comme celles du mouvement, suspendues ou excitées par le sommeil et la veille. La cause du mouvement est le désir, qui, dans l’animal, le pousse à son insu, mais dont l’homme a conscience, grâce au privilège de la double nature qui lui a été accordée (Homo Duplex). L’animal est une machine, qui obéit à l’impression des objets extérieurs.

Buffon s’en tient à ces généralités, qui sont surtout de la psychologie. Elles ne regardent pas très-directement l’histoire naturelle ; mais on peut y trouver une sorte de protestation contre le sensualisme qui a régné dans le XVIIIe siècle, et qui refusait à l’âme toute activité. On dirait que Buffon commence déjà la réaction qui, de notre temps, a fait justice de cette erreur dangereuse.

À la fin du siècle, Barthez, le célèbre professeur de Montpellier, reprend la question telle que l’avaient posée Perrault, Borelli et Fabrice, après Aristote. Son ouvrage est intitulé : « Nouvelle méchanique des mouvements de l’homme et des animaux » (Carcassonne, 1798, in-4°). En sa qualité de vitaliste, Barthez considère le principe vital comme le premier moteur des organes ; et dans un discours préliminaire, il essaie de résumer sa théorie personnelle sur ce principe essentiel, qui est « en dehors de toute matière », sur ses forces et ses fonctions. Selon Barthez, les lois du principe vital dépendent de la nature universelle et sont absolument étrangères aux lois connues de la mécanique, de l’hydraulique, de la physique et de la chimie. Mais Barthez se hâte d’ajouter « que ces lois ne sont pas moins étrangères aux facultés de liberté et de prévoyance, qu’on regarde généralement comme étant caractéristiques de l’âme pensante. » Par une contradiction assez singulière, il reconnaît que les organes des animaux et de l’homme sont admirablement conformés, et que les affections de l’âme ont une certaine influence sur les affections du corps ; puis, dans une phrase obscure et peu correcte, il déclare que ce qu’il importe » surtout de connaître le plus possible dans » l’homme vivant, c’est « Etre sympathique, » qui, obéissant à ses lois primordiales, fait se correspondre entre elles, et les forces qui vivifient toutes les parties de son corps et les facultés de son âme pensante. » C’est presque de l’Harmonie préétablie.

Cette théorie, que Barthez appelle un dogme, et qu’il croit généralement admise sur son autorité, ne doit pas nous retenir ; et il vaut mieux passer avec lui à la considération « des causes prochaines et méchaniques » des mouvements qu’il se propose de découvrir. Ce sujet lui semble entièrement neuf, même après le fameux ouvrage de Borelli, qu’il critique vivement, en y trouvant d’ailleurs des vues de détail ingénieuses. Il critique également tous ceux qui ont écrit sur cette matière, ou ont exprimé une opinion sur les causes du mouvement, Gassendi, Descartes, Willis, Mayow, Parent, Haller même ; et il rappelle que les erreurs mathématiques de Borelli ont été réfutées par un grand nombre de mathématiciens, à la tête desquels il nomme Varignon. Barthez en conclut que toutes les explications données jusqu’à lui sont vaines et vagues ; et il se flatte que ses théories personnelles sont les véritables.

Aussi, tient-il à constater comment il les a conçues. Il nous apprend donc que Chirac, le médecin de Louis XV, avait fondé deux chaires à l’école de Montpellier : l’une d’anatomie comparée ; l’autre, pour l’explication de l’ouvrage de Borelli. Ce dernier cours avait été négligé ; et Barthez, chancelier de l’Université de médecine, avait cru devoir réparer ce regrettable oubli, en se chargeant lui-même de commenter les idées de Borelli. De là, le livre qu’il se décide à publier, « malgré des circonstances défavorables et le dérangement de sa santé ».

L’ouvrage se divise en six parties, où l’auteur traite successivement de la station chez l’homme, le singe et l’oiseau, des diverses espèces de saut, des mouvements progressifs de l’homme, des mouvements progressifs des quadrupèdes, du ramper des chenilles et des serpents, du nager des poissons, sans oublier le nager des quadrupèdes et de l’homme ; et enfin, dans la sixième et dernière partie, du vol des oiseaux, en s’arrêtant assez longuement, comme l’avait fait Aristote, au vol très-singulier de l’autruche. Dans toutes ces études, Barthez montre de grandes connaissances d’anatomie et de physiologie ; il a en outre une érudition étendue, et il cite souvent ses prédécesseurs, pour les réfuter, sans toujour les bien comprendre, parce qu’il est trop épris de ses propres pensées. Ses prétentions excessives ne sont pas justifiées ; et il n’a pas résolu définitivement tous les problèmes, comme il l’espérait. Néanmoins, il a le mérite d’avoir poussé de minutieuses recherches plus loin que personne avant lui ; et il a fait voir, par les détails dans lesquels il est entré, que la mécanique des animaux est beaucoup plus compliquée qu’on ne le croit ordinairement, et qu’il y avait là matière aux analyses les plus prolongées et les plus ardues. Si Barthez n’a pas clos la question, il l’a certainement agrandie par l’exemple de théories subtiles et d’aperçus profonds. La forme sous laquelle il les présente n’est pas très-heureuse ; et le style, sans être mauvais précisément, laisse néanmoins beaucoup à désirer. Ce défaut est encore augmenté par l’étrange ponctuation que l’auteur s’est faite, contre toutes les règles de la logique. Ce n’est pas du reste la seule bizarrerie qu’on puisse signaler en lui ; et c’est ainsi qu’il croit que l’homme peut être quadrupède, en dépit de toutes les preuves contraires que nous fournit l’anatomie (page 2).

Barthez conclut tout son travail en revenant à sa théorie favorite du vitalisme, et en déclarant « que les facultés automatiques, que » le principe de vie exerce dans des organes qui lui sont inconnus, opèrent d’une manière si transcendante que l’intelligence humaine ne peut parvenir qu’à en voir quelques effets, dont elle doit renoncer à découvrir les causes premières. » La conclusion est modeste ; mais elle peut sembler assez timide, après les démonstrations d’Aristote sur les causes finales, et après l’adhésion unanime des plus grands esprits qui ont agité ces questions.

Cuvier, qui se range parmi les partisans les plus décidés des causes finales, n’avait à dire sur le mouvement que très-peu de choses dans son Règne animal, qui est surtout une classification. Même dans son admirable ouvrage d’Anatomie comparée, il ne devait étudier que la forme des organes du mouvement, sans presque s’occuper du jeu de ces organes employés par la vie. Il y a consacré un volume sur cinq, et sept de ses précieuses leçons. Après des généralités sur les rapports de la sensibilité et du mouvement, facultés caractéristiques de l’être animé, et sur le rôle des nerfs et des muscles, il décrit un à un tous les instruments de la locomotion, la fibre musculaire, les os, ou les parties dures qui en tiennent lieu, la jonction des os, les tendons et l’action des muscles. Dans cette vue, il montre successivement ce que sont les os et les muscles du tronc, ceux de l’extrémité antérieure ou membre pectoral, ceux de l’extrémité postérieure ou membre abdominal. Il analyse ainsi en détail les organes dans l’homme, les mammifères, les oiseaux, les reptiles et les poissons, c’est-à-dire dans les vertébrés. Il applique la même méthode aux animaux sans vertèbres, mollusques, céphalopodes, gastéropodes ou acéphales, crustacés, insectes, vers et zoophytes ; et il termine cette magistrale exposition par l’étude des organes locomoteurs considérés en action : station sur un ou plusieurs pieds, marche sur deux pieds ou quatre pieds, action de saisir et de grimper, saut et course, natation et vol. A propos du vol, les dernières observations de Cuvier, comme celles d’Aristote, portent sur des oiseaux qui ne volent point du tout, tels que l’autruche parmi les terrestres, le pingouin et le manchot parmi les aquatiques, et sur les mammifères, tels que la chauve-souris, qui volent assez bien sans avoir de plumes. Enfin, il dit quelques mots sur d’autres mammifères qui peuvent se soutenir dans l’air, sans y fournir un vol continu, non plus que les poissons volants.

Tel est l’ensemble des travaux de Cuvier sur le mouvement ; ils sont considérables ; et aucun naturaliste n’en a fait dans le même cadre de plus exacts ni de plus minutieux. Mais c’est à l’anatomie uniquement qu’il s’est attaché ; et il a laissé presque entièrement de côté la physiologie. Peut-être y serait-il revenu plus tard, s’il lui eût été donné de fournir une plus longue carrière ; mais la physiologie, avec les obscurités inévitables que la vie présente toujours même aux observateurs les plus sagaces, convenait moins que l’anatomie au génie de Cuvier ; et il n’a point tenté, après tant d’autres, d’expliquer le mécanisme du mouvement, dans toutes ses nuances si délicates et encore si obscures.

Il semble que, pendant tout un demi-siècle après Cuvier, la question ait été négligée ; du moins, elle n’a pas été étudiée spécialement ; mais de nos jours, elle a été reprise avec une ardeur qui promet les plus heureuses conséquences. On pourrait citer d’abord le grand et complet ouvrage de M. Henri Milne-Edwards, l’illustre doyen des naturalistes français : Leçons sur la physiologie et l’anatomie comparée de l’homme et des animaux (1857-1881), tomes XI, XII et XIII, sur les fonctions de relation ; le traité de Physiologie comparée de M. G. Colin, 1871, livre III, des Mouvements, pp. 340-522 ; et les ouvrages spéciaux de M. J. Bell-Pettigrew, la Locomotion chez les animaux, 1874 ; et de M. Marey, la Machine animale, 1882.

Les recherches de M. Pettigrew sont, à notre avis, les plus originales de toutes. Il s’est posé la question sous le point de vue le plus général et le plus vrai ; il l’a discutée avec une perspicacité rare ; et il a porté plus loin que personne les observations qui peuvent conduire à la résoudre dans toute son étendue. Ces observations, commencées par lui depuis plus de vingt ans, ont été poursuivies sans relâche. Les trois mouvements qu’il s’agit d’expliquer étant la marche sur le sol, la natation dans l’eau, et le vol dans l’air, c’est surtout au vol que l’auteur s’est attaché, pour deux raisons : d’abord, le vol est le plus beau de tous les mouvements dont la nature a doué les animaux ; c’est la poésie du mouvement, dit M. Pettigrew, par une expression aussi juste que brillante ; en second lieu, malgré les investigations les plus attentives, on ne sait toujours sur le vol que peu de choses ; et le mécanisme des ailes de l’oiseau reste à bien des égards un mystère que la science n’a pas pénétré. L’albatros, ce prince de la tribu ailée, comme l’appelle M. Pettigrew, vole non seulement avec une rapidité extraordinaire ; mais il plane quelquefois à des hauteurs prodigieuses, ses immenses ailes demeurant étendues et sans mouvement, pendant des heures entières. L’aile des moindres oisillons décrit, avec une vélocité presque insaisissable, une série de courbes géminées, dont on n’a pas pu jusqu’à présent se bien rendre compte. L’oiseau ne fait pas plus d’efforts que le quadrupède qui marche sur terre, ou le poisson qui fend les eaux ; c’est le milieu seul qui est différent, ainsi que les surfaces motrices. La locomotion animale est soumise aux mêmes lois que le mouvement des corps en général ; et M. Pettigrew indique les lois principales du mouvement, sans d’ailleurs accorder plus de place qu’il ne faut aux théories mathématiques, dont Borelli a fait abus. Il est, comme Aristote, comme Buffon, un admirateur passionné de la nature, « qui ne travaille jamais contre elle-même » ; et le squelette osseux est, à ses yeux, un miracle de composition. Mais les os, quelque bien agencés qu’ils soient, ont moins d’importance que les muscles, puisqu’il y a des animaux qui se meuvent sans avoir de squelette.

Après ces généralités, où la largeur des vues n’ôte rien à une savante exactitude, l’auteur consacre trois livres successifs à détailler la progression sur terre, la progression sur l’eau et dans l’eau, et la progression dans l’air. En parlant des quadrupèdes et des bipèdes, M. Pettigrew s’arrête particulièrement à l’homme et au cheval, dont les allures résument en quelque sorte celles de tous les autres animaux qui marchent sur terre. Il donne aussi beaucoup d’attention à la marche de l’autruche, qui avait déjà frappé vivement Aristote, ainsi qu’on l’a vu, parce que cette marche est une sorte d’intermédiaire entre le mouvement des quadrupèdes et le mouvement des oiseaux, moitié l’un, moitié l’autre.

Les surfaces motrices sont beaucoup plus grandes chez les poissons que chez les quadrupèdes, attendu que le milieu ambiant est beaucoup plus dense. La queue du poisson est bien un gouvernail, comme Aristote l’avait dit le premier ; et elle sert à la progression plus encore que les nageoires, contrairement à ce que croyait Borelli. Sans parler de tant d’autres animaux aquatiques, la baleine, le marsouin, le lamantin, le dugong, le phoque, l’ours marin, le morse, la tortue, le triton, le crocodile, ont chacun des appareils de queues, ou semblables ou analogues. Le résultat final est le même, « parce que la nature n’est jamais en faute » ; mais les moyens qu’elle emploie et les formes qu’elle adopte varient à l’infini.

Ce qu’elle a fait de plus parfait, entre tant de merveilles, c’est la progression dans l’air, « où elle n’a rien laissé au hasard, non plus que dans le reste des êtres vivants ». L’aile est un levier de troisième genre, c’est-à-dire que la puissance agit entre le point d’appui et la résistance ; l’air est le point d’appui ; la puissance est l’origine de l’aile ; et la résistance est le corps de l’oiseau. De tous les naturalistes, c’est peut-être M. Pettigrew qui a expliqué avec le plus de détails et de précision les phases diverses de cette action puissante, qu’on admire de plus en plus à mesure qu’on la comprend mieux. Monter, descendre, tourner, avancer en ligne droite, l’oiseau accomplit tous ces actes avec une facilité dont rien n’approche ; et le poids de son corps, qui est fort lourd relativement à l’air où il se meut, est un des éléments nécessaires de sa rapidité. Mais c’est dans l’ouvrage même de l’auteur qu’il faut suivre pas à pas cette analyse, qui n’a peut-être pas encore épuisé tout le sujet, mais qui fait voir du moins, dans les procédés de la nature, des profondeurs jusque-là trop peu aperçues.

M. Pettigrew conclut en recommandant aux aéronautes d’imiter, s’ils le peuvent, le vol de l’oiseau et de ne pas chercher, pour s’élever dans l’air, une matière qui ait moins de poids que l’air lui-même. La nature a résolu ce problème par un moyen absolument opposé, puisque le corps de l’oiseau est d’un poids considérable relativement au milieu qu’il parcourt si aisément. C’est aux aéronautes de profiter de ce conseil, s’il leur semble acceptable ; il est tout au moins spécieux ; et l’histoire naturelle peut bien l’adresser aux gens pratiques. Mais, quoi qu’il en soit de cet épisode, M. Pettigrew aura fait faire de très-sérieux progrès à la science de la locomotion ; et la voie qu’il a ouverte, notamment sur le vol de l’oiseau, est celle que la science doit désormais adopter, en usant des ressources toutes nouvelles que lui peut offrir la photographie instantanée, pour fixer des mouvements qui échappent aux regards de l’observateur le plus exercé.

Ici doit s’arrêter la carrière que nous avions à parcourir ; et après avoir essayé de rendre justice aux successeurs d’Aristote, c’est toujours à lui que nous croyons devoir rapporter le principal honneur de la science ; c’est lui qui l’a créée ; sans son génie elle serait peut-être encore à naître. Il n’a pas tout fait sans doute à lui seul ; mais en regardant à ce qui reste à faire dans ce champ indéfini, nous pouvons être équitables envers un passé à qui nous devons tant, et nous montrer reconnaissants par modestie.

DISSERTATION SUR L’AUTHENTICITE ET LA COMPOSITION DU TRAITÉ DE LA MARCHE DES ANIMAUX

Il faut se garder de confondre, comme on l’a fait quelquefois, le Traité de la Marche des Animaux avec le Traité du Mouvement dans les Animaux. Ce dernier traité fait partie des Opuscules, joints ordinairement au Traité de l’Ame, dont ils sont la suite, et qu’ils complètent à bien des égards. (Voir les Opuscules psychologiques, p. 237 de ma traduction.) Quoique les deux traités, du Mouvement et de la Marche, se tiennent de fort près et qu’ils aient des théories communes, il importe de les distinguer, en ce que le premier s’occupe du principe du mouvement, volontaire ou involontaire, dans toute sa généralité, l’étudiant dans l’univers aussi bien que dans les êtres animés, tandis que le second s’occupe exclusivement des organes et des modes particuliers que le mouvement présente à notre observation dans les diverses séries d’animaux.

Le Traité de la Marche, qu’on pourrait intituler aussi de la Locomotion des Animaux, n’est mentionné, ni dans le catalogue de Diogène Laërce, non plus que le Traité des Parties, ni dans celui d’Hésychius ; il ne se trouve que dans le catalogue de l’Arabe ; et le titre en est traduit, dans le latin de Casiri, par ces mots, qui correspondent à l’idée de la locomotion : « De motibus animalis localibus. » (Voir l’édition de Berlin, tome V, p. 1471, n° 45 ; et M. Chaignet, Psychologie d’Aristote, p. 98.) Malgré cet oubli des deux principaux catalogues, l’authenticité de l’étude sur la Marche, ou Locomotion, des Animaux, quelque imparfaite que soit la composition, ne peut être douteuse. Partout la pensée d’Aristote y est reconnaissable dans les théories, si ce n’est dans le style qui les exprime. Cette preuve doit suffire à qui la comprend bien, en dépit de quelques défauts de rédaction ; mais à cette preuve-là, qui est déjà frappante, on peut en ajouter d’autres, qu’il ne faut non plus négliger.

D’abord, le Traité de la Marche est très clairement indiqué, sans l’être nommément, dans le Traité du Mouvement dans les Animaux, qui débute en résumant, de la manière la plus exacte, le Traité de la Marche. Il marque la différence des sujets dans l’un et dans l’autre, celui-ci très spécial, et celui-là, tout général. Il n’y a pas à s’y tromper ; et, bien que le nom même du Traité de la Marche ne soit pas rappelé dans ce passage, le doute n’est pas possible. C’est ainsi que nous devons en juger aujourd’hui à la simple lecture, et qu’en jugeaient les commentateurs dans l’Antiquité, tels que Michel d’Ephèse. (Voir les Opuscules psychologiques, p. 238 de ma traduction, et la note.)

A cette première indication tirée d’un ouvrage aristotélique, on doit en joindre deux autres, qui se trouvent dans le Traité des Parties des Animaux, liv. IV, ch. II, § 14, et ch. XIII, § 6. Le premier de ces deux passages rappelle la théorie des jointures et des flexions ; le second rappelle l’organisation des serpents, qui se meuvent par la reptation. Ces deux références sont d’une parfaite exactitude.

Quant aux citations que fait le Traité même de la Marche des Animaux, elles ne sont également que deux. La première, ch. I, § 6, nomme l’Histoire de la Nature ; et sous cette appellation, qui est peut-être unique dans toutes les œuvres d’Aristote, il faut entendre l’Histoire des Animaux, caractérisée si précisément qu’il n’y a pas à s’y tromper un instant. La seconde citation concerne le Traité de l’Ame, et elle termine le petit Traité de la Marche, ch. XIX, § 3, en annonçant les études psychologiques, dont il est en quelque sorte l’introduction et comme le préambule.

Voilà tout ce qu’on peut dire de l’authenticité du Traité de la Marche des Animaux. Ces renseignements sont très-courts ; mais ils suffisent, du moment qu’on peut affirmer, comme on doit le faire, que ce petit ouvrage est, pour le fond, sinon pour la forme, digne d’Aristote. C’est ce qu’on a essayé d’établir plus haut, en le comparant aux travaux qui, depuis deux siècles et particulièrement de notre temps, ont été consacrés à la même question, c’est-à-dire à la locomotion animale, marche, vol, natation, reptation, etc., dans toutes leurs nuances.

Aristote, par la vue profonde du génie, a devancé de deux mille ans tous les labeurs anciens ou contemporains. Le sien est la première base de tout ce qui a suivi ; et il doit toujours tenir une place éminente, non pas seulement dans l’histoire de la science, mais en outre dans la science elle-même, quelques progrès qu’elle ait faits et quelque juste orgueil qu’elle puisse en concevoir. Tout avances que nous sommes, il n’est pas un zoologiste qui ne doive consulter Aristote, et savoir ce que l’étude de la nature a pu lui inspirer. Ce respect pour un ancêtre et pour le fondateur est en même temps un acte de prudence. Dans les annales de l’intelligence humaine, il n’y a pas un esprit plus puissant, plus fécond, plus étendu, plus observateur, ni plus méthodique. A quelle école meilleure pourrait-on se mettre, quand on aime la vérité et qu’on ne recherche qu’elle ?

Enfin, si la doctrine du petit Traité de la Marche des Animaux n’était pas d’Aristote, il resterait toujours à savoir de qui elle pourrait être ; et, de même que pour le Traité des Parties, il faut dire encore pour celui-ci qu’Aristote seul était capable de le faire et que la gloire doit exclusivement lui en rester. C’est une preuve négative, dira-t-on ; soit, mais elle n’est pas moins péremptoire.

Cette appréciation équitable n’empêche pas de reconnaître que, si la pensée est bien d’Aristote et ne peut être que de lui, la rédaction laisse beaucoup à désirer ; il y a des répétitions assez nombreuses et inutiles ; il y a des négligences d’expressions, qui ne permettent pas toujours de bien saisir l’idée qu’elles rendent incomplètement ; 321 enfin, on peut trouver dans la composition générale un désordre parfois choquant. Pour expliquer ces défauts, on peut recourir à deux hypothèses. L’une, c’est qu’Aristote n’a pas pu mettre la dernière main à ce petit ouvrage ; l’autre, que ce n’est pas lui personnellement, mais un de ses élèves, qui l’aura écrit, comme résumé des leçons du maître. Dans l’une ou l’autre de ces hypothèses, le fond des pensées appartient bien à Aristote ; et c’est à cette conclusion qu’il convient de s’arrêter.

CHAPITRE PREMIER

Enumération des questions que présente l’étude de la locomotion dans les animaux ; différences des organes locomoteurs ; leur nombre variable, mais toujours pair ; l’homme, l’oiseau, le poisson ; flexions des appareils locomoteurs en sens inverses chez l’homme, chez l’oiseau, chez les quadrupèdes vivipares et ovipares ; mouvement diagonal des appareils locomoteurs ; citation de l’Histoire de la Nature ; résumé des questions à traiter.

§ 1[1]. Pour étudier les organes dont se servent les animaux en exécutant des mouvements de locomotion, nous rechercherons pourquoi chacun de ces organes est tel qu’il est, et dans quelle vue il a pu être donné à l’animal qui l’emploie. Nous aurons également à observer les différences que ces organes peuvent présenter, de l’un à l’autre, dans un seul et même animal, ou relativement aux organes d’autres animaux qui appartiennent à un genre différent. § 2[2]. Mais d’abord, déterminons bien toutes les questions dont nous aurons à nous occuper. Un premier point qu’il faut fixer, c’est le minimum des appareils par lesquels les animaux ont la possibilité de se mouvoir. Nous verrons, ensuite, pourquoi tels animaux pourvus de sang ont reçu quatre de ces appareils, tandis que ceux qui n’ont pas de sang en ont un nombre plus grand ; ou plutôt, nous rechercherons, d’une manière toute générale, pourquoi tels animaux sont sans pieds, pourquoi tels autres en ont deux, pourquoi d’autres en ont quatre, et pourquoi d’autres encore en ont reçu davantage. § 3[3]. Après ceci, nous aurons à nous demander pourquoi tous les animaux qui sont pourvus de pieds ont les pieds en nombre pair, et pourquoi, absolument parlant, c’est toujours en un nombre pair que se montrent les organes de la locomotion. Une autre question qu’il faudra éclaircir comme les précédentes, c’est de savoir comment il se fait que l’homme et l’oiseau ont deux pieds, tandis que les poissons n’en ont pas du tout ; et comment, dans l’homme et dans l’oiseau, qui sont l’un et l’autre pourvus de deux pieds, les flexions des jambes se font dans des sens contraires, l’homme fléchissant la jambe en un cercle convexe, tandis que l’oiseau la fléchit en un sens concave. § 4[4]. Bien plus, l’homme lui-même fléchit en sens contraire ses jambes et ses bras, creusant en forme concave les bras pour les fléchir, et fléchissant le genou en une sorte de cercle convexe. Puis, nous verrons que les quadrupèdes vivipares ont des flexions qui sont opposées à celles de l’homme, et qui sont également opposées entre elles. Ainsi, ils fléchissent les jambes de devant, en formant une espèce de circonférence, et les jambes de derrière en les creusant. Quant aux quadrupèdes qui sont, non pas vivipares mais ovipares, ils ont une flexion particulière, qui est dirigée en un sens oblique.

§ 5[5]. Enfin, une dernière question qu’il faudra encore nous poser, c’est celle de savoir pourquoi les quadrupèdes se meuvent toujours en diagonale.

§ 6[6]. Tels sont donc tous les sujets que nous aurons à étudier, en y joignant aussi ceux qui tiennent de près à ceux-là, afin de découvrir les causes de tous ces phénomènes. Déjà l’Histoire de la nature nous a fait voir ce qu’ils sont réellement ; mais maintenant il nous faut chercher à comprendre pourquoi ils sont ce qu’ils sont.


CHAPITRE II

Application de la méthode générale à l’histoire naturelle ; deux principes généraux ; optimisme ; sagesse de la nature ; les trois dimensions des corps ; deux principes du mouvement et de la locomotion ; différence du moteur et du mobile, l’un agissant par lui-même, et l’autre mû par une force étrangère.

  

§ 1[7]. Après avoir indiqué préalablement, selon notre habitude, la méthode si souvent appliquée par nous à l’étude de la nature, nous poserons, pour point de départ de nos recherches, l’examen de tout ce qui peut être soumis à cette méthode dans les œuvres que la nature produit. § 2[8]. Le premier principe que nous affirmons, c’est que la nature ne fait jamais rien en vain, et qu’elle réalise toujours le mieux dans le possible, conformément à l’essence de chaque espèce d’animal. Aussi, quand une chose est mieux d’une certaine façon, on peut s’assurer qu’elle est aussi de cette façon même dans la nature. § 3[9]. En second lieu, nous aurons à considérer les différentes dimensions de la grandeur, et à marquer comment sont réparties ces dimensions selon les êtres différents. On distingue six dimensions, qui se divisent en trois séries de deux chacune ; une première série, c’est le haut et le bas ; une seconde, le devant et le derrière ; et la dernière, la droite et la gauche. § 4[10]. Il convient d’y ajouter les principes des mouvements de locomotion, c’est-à-dire la pulsion et la rétraction. Ces deux mouvements existent et agissent par eux-mêmes ; mais l’objet qui est déplacé par un autre objet n’a qu’un mouvement accidentel ; car ce qui est déplacé par quelque chose d’extérieur n’a évidemment pas la faculté de se mouvoir soi-même ; et c’est d’un autre qu’il reçoit son mouvement.


CHAPITRE III

Conséquences de ces principes ; les deux modes de locomotion chez les saltigrades et chez les animaux qui marchent ; condition commune d’un point d’appui pour les uns et pour les autres ; nécessité d’une base ; exemple des athlètes qui sautent avec des haltères ; balancement des bras dans la course ; partie de l’animal qui comprime ; partie qui est comprimée.

§ 1[11]. Ces points étant bien fixés, voyons quelles en sont les conséquences. Chez les animaux qui peuvent changer de lieu, tantôt ce changement se fait par le déplacement du corps entier en une seule fois, comme on l’observe chez les saltigrades ; tantôt le changement s’opère par certaines parties du corps, comme on le voit chez tous les animaux qui marchent. § 2[12]. Dans ces deux changements, l’être mis en mouvement change toujours de lieu en s’appuyant sur la base qui est placée au-dessous de lui, soit qu’il ne s’y appuie qu’en un rapide instant, soit qu’en accomplissant le mouvement sur cette base, l’être ait tout le temps de s’y appuyer. Il en résulte que, si cette base vient à disparaître avant que l’être qui doit se mouvoir, en s’appuyant dessus, ait pu y prendre son point d’appui, ou s’il n’y a pas du tout de base pour les êtres qui doivent se déplacer, aucun alors ne peut se mouvoir, en s’appuyant sur lui-même. § 3[13]. L’animal qui saute ne peut faire ce saut qu’en appuyant la partie supérieure de son corps sur lui-même, et en s’appuyant aussi sur ce qui est sous ses pieds. C’est que, dans les flexions, les diverses parties du corps s’appuient réciproquement les unes sur les autres ; et que, d’une manière générale, ce qui presse s’appuie sur ce qui est pressé. § 4[14]. Voilà comment les athlètes du pentathle sautent plus loin en tenant des haltères que quand ils n’en ont pas ; et comment l’on court plus vite lorsqu’on balance les bras ; car il y a comme un point d’appui dans le développement des bras et des mains. § 5[15]. Toujours l’être qui est en mouvement a tout au moins besoin de deux parties organiques pour opérer son déplacement : l’une qui est en quelque sorte chargée de comprimer, et l’autre qui souffre la compression. Le point qui reste immobile est comprimé, puisqu’il porte quelque chose ; et l’être ainsi soulevé se projette grâce à ce qui porte le poids. Aussi, un être destitué de parties et de membres ne pourrait jamais avoir un mouvement de ce genre, puisqu’il n’y aurait pas en lui de distinction possible entre la partie qui doit supporter et celle qui doit agir et faire le mouvement.


CHAPITRE IV

Entre les six dimensions, le haut et le bas se retrouvent dans les plantes ; mais la position est renversée ; les racines sont le haut, parce que c’est d’elles que vient la nourriture ; distinction du devant et du derrière, de la droite et de la gauche ; la droite et la gauche sont plus ou moins apparentes selon que l’animal a des organes plus spéciaux et plus distincts ; preuves que c’est par la droite que le mouvement commence ; port des fardeaux ; attitudes pour se mettre en défense et pour lancer quelque chose ; exemples des turbines, où la spire est tournée à gauche, le mouvement se faisant à droite ; exemple encore plus frappant dans l’homme.

§ 1[16]. Nous venons de dire qu’il y a six dimensions qui déterminent la forme naturelle des êtres animés, le haut et le bas, le devant et le derrière, la droite et la gauche. Tous les êtres vivants ont sans exception le haut et le bas ; car ce n’est pas seulement dans les animaux, c’est aussi dans les plantes que le haut et le bas se retrouvent, parce que le haut et le bas se distinguent et se séparent, d’après les fonctions réelles, et que leur différence ne consiste pas dans leur simple position, soit relativement à la terre, soit relativement au ciel. § 2[17]. Le point du corps d’où partent la distribution de la nourriture et la croissance des êtres constitue le haut pour chacun d’eux ; le bas, au contraire, est le point extrême et dernier où la nourriture se répartit. L’un est en quelque sorte un principe et un commencement, tandis que l’autre est un terme et une borne. C’est bien le haut qui est le principe ; et cependant il pourrait sembler que, dans les plantes spécialement, c’est plutôt le bas. C’est que dans les plantes le haut et le bas n’ont pas la même position que dans les animaux. § 3[18]. Il est bien certain que, relativement au tout, la position des uns et des autres est différente ; mais, en fait et en résultat, elle est semblable. Les racines dans les plantes constituent le haut, puisque c’est de là que la nourriture se répand dans le végétal, et que c’est par les racines que les plantes prennent leur nourriture, tout comme les animaux la prennent par la bouche.

§ 4[19]. Mais tous les êtres qui font plus que vivre, et qui sont de vrais animaux, ont à la fois une partie de devant et une partie postérieure, attendu que tous ces êtres ont des sens, et que c’est par les sensations que se déterminent le devant et le derrière dans l’animal. La partie d’où la nature fait dépendre la sensibilité et la partie d’où la sensation vient pour tous les animaux, c’est ce qui en eux est le devant ; et la partie opposée à celle-là, c’est le derrière. § 5[20]. Dans tous les animaux qui non seulement jouissent de la sensibilité commune, mais qui en outre peuvent accomplir par eux-mêmes et par eux seuls le mouvement qui les fait changer de lieu, on distingue, outre les deux parties qu’on vient de nommer, la gauche et la droite, qui, tout comme les parties qui viennent d’être indiquées, se distinguent l’une et l’autre par une fonction d’un certain genre, et non pas seulement par leur position. Le point d’où part naturellement l’initiative du mouvement de locomotion pour le corps, c’est la droite dans chaque animal ; le point qui y est opposé, et qui est fait naturellement pour suivre l’autre, c’est la gauche. § 6[21]. Cette distinction est plus ou moins marquée selon les divers animaux. Dans tous ceux qui ont des organes spéciaux, je veux dire des pieds, des ailes, ou tel autre organe de genre analogue, pour exécuter le mouvement dont ils sont capables, la distinction que nous signalons est marquée davantage. Au contraire, dans les animaux qui ne sont pas pourvus de ces organes spéciaux, et qui ne peuvent avancer qu’en faisant onduler le corps lui-même, par exemple les serpents, le genre des chenilles, et ce qu’on appelle aussi les entrailles de terre, il y a bien encore une gauche et une droite ; mais elles n’y sont pas également apparentes.

§ 7[22]. Une preuve que c’est en effet par la droite que le mouvement commence, c’est que tout le monde porte ses fardeaux avec la partie gauche ; car, de cette façon, ce qui porte peut recevoir le mouvement par la liberté laissée à ce qui doit le lui imprimer. Voilà encore pourquoi on se repose mieux et plus aisément sur la partie gauche, parce que c’est naturellement la droite qui meut et que c’est la gauche qui est mue. Par conséquent, il faut aussi que le poids repose, non sur ce qui doit mouvoir, mais sur ce qui doit recevoir le mouvement. § 8[23]. Si, au contraire, le poids était placé sur le moteur et sur le principe du mouvement, ou il n’y aurait pas de mouvement du tout, ou ce mouvement serait bien plus difficile. § 9[24]. Une autre preuve que c’est bien par la droite que le mouvement commence, c’est l’attitude que l’on prend toutes les fois qu’on lance quelque chose. On avance toujours la gauche ; et, pour affermir son assiette, c’est plus particulièrement la gauche qu’on met en avant, à moins de cas tout à fait fortuit. On ne fait pas le mouvement par le membre qu’on avance, mais bien par celui qu’on retire ; et c’est alors par la droite qu’on se met en défense. C’est encore pour cette raison que la droite est la même dans tous les animaux ; car le principe d’où part le mouvement est le même dans tous ; et pour tous, il est naturellement placé dans la même partie du corps. La droite est toujours le point de départ du mouvement. § 10[25]. Voilà encore pourquoi les turbines parmi les crustacés sont toujours dirigés à droite. Ils ne se meuvent jamais dans le sens de la spire ; ils s’avancent tous au contraire dans le sens opposé, ainsi que le font les pourpres et les buccins. Comme tous les animaux se meuvent en partant de la droite, et que ces crustacés se meuvent aussi de la même manière, il y a nécessité que tous également se meuvent à droite.

§ 11[26]. C’est l’homme qui, de tous les animaux, a la partie gauche la plus libre et la plus détachée, parce que, de tous les animaux, c’est l’homme qui est le plus conforme à la nature ; et dans l’ordre naturel des choses, la droite vaut mieux que la gauche, et elle est isolée. Aussi, c’est plus particulièrement dans la race humaine que la droite est la plus adroite. La droite une fois bien déterminée, il est tout simple que la gauche soit beaucoup moins mobile, bien qu’elle soit dans l’homme plus indépendante que dans tout autre être, de même que c’est en lui aussi que les autres principes sont déterminés le plus naturellement, je veux dire, le haut et le devant.


CHAPITRE V

Le haut et le devant sont marqués surtout dans les animaux à deux pieds : l’homme et l’oiseau ; les quadrupèdes, les polypodes et les apodes ; définition du pied ; le haut, le milieu et le bas, chez les animaux et dans les végétaux ; singularité des plantes ; position moyenne des quadrupèdes, des polypodes et des apodes ; la station droite et ses nécessités ; importance relative des principes de mouvement, et des lieux où ils sont placés.

§ 1[27]. Tous les animaux chez lesquels le haut et le devant sont déterminés comme ils le sont dans l’homme et dans l’oiseau, sont pourvus de deux pieds. Des quatre membres que possède l’animal, deux, chez les uns, sont des ailes ; chez les autres, ce sont des mains et des bras. Les animaux chez lesquels le devant et le haut sont dans le même sens sont, ou tous quadrupèdes, ou ils ont plus de quatre pieds, ou ils sont sans pieds. § 2[28]. J’appelle Pied la partie représentée par le membre qui marche et qui produit le mouvement de locomotion ; car il semble qu’on ait tiré dans la langue grecque le nom de Pied du mot qui exprime le Plan sur lequel le pied s’appuie. § 3[29]. Il y a des animaux qui ont le devant et le derrière confondus dans le même sens : par exemple, les mollusques, et les turbines parmi les crustacés. Nous ne nous y arrêterons pas, attendu que nous en avons déjà parlé ailleurs. Mais les lieux étant au nombre de trois, le haut, le milieu et le bas, les animaux à deux pieds ont leur haut dirigé vers le haut de l’univers entier, tandis que les polypodes ou les apodes sont dirigés vers le milieu, et que les plantes le sont vers le bas. § 4[30]. Ce qui fait cette disposition des végétaux, c’est qu’ils sont immobiles, et que, le haut se rapportant toujours à l’alimentation, c’est de la terre que les végétaux tirent ce qui les nourrit. Quant aux quadrupèdes, aux polypodes et aux animaux sans pieds, ils répondent au point milieu, parce qu’ils n’ont pas la station droite. Au contraire, les animaux à deux pieds se rapportent au haut, parce qu’ils sont droits ; ce qui est marqué chez l’homme plus que chez tout autre animal, attendu que, par sa nature, il est au suprême degré un être à deux pieds.

§ 5[31]. Du reste, la raison comprend très-bien que les principes de mouvement partent de ces points divers. Le principe est ce qu’il y a de plus important et de plus digne d’attention. Le haut est plus important que le bas ; le devant, plus que le derrière ; et le droit l’est plus que le gauche. Il est donc tout à fait dans l’ordre que l’on dise de ces parties, les unes à l’inverse de ce qu’on dit des autres, que c’est parce que ces parties renferment les principes, qu’elles sont par cela même plus importantes que les parties opposées.


CHAPITRE VI

La droite commence le mouvement ; division nécessaire du mouvement en deux parties, l’une qui se meut, l’autre qui est immobile ; point commun à toutes deux ; même théorie pour le point d’inertie ; mouvement en avant ; pas de mouvement naturel en arrière ; corrélation intime du haut et du bas, d’une part ; et d’autre part, de la droite et de la gauche ; il n’y a de part et d’autre qu’un seul et même principe pour les deux ; vraisemblance de ces explications pour deux des trois dimensions.

§ 1[32]. Ce que nous venons de dire suffit pour montrer bien évidemment que c’est par la droite que commence le mouvement. Mais, dans tout continu, où une partie se meut tandis que l’autre partie reste immobile, le tout pouvant se mouvoir dans l’immobilité de l’une des parties, comme alors les deux parties sont soumises à des mouvements contraires, il faut nécessairement qu’il y ait un point commun à toutes les deux où s’établisse leur continuité mutuelle, et d’où parte le mouvement de chacune de ces deux parties. § 2[33]. Ceci n’est pas moins évident quand le corps est à l’état de repos, toutes les fois que chacune des parties opposées l’une à l’autre ont un mouvement propre, selon les antithèses dont nous venons de parler. Il faut alors qu’elles aient toutes un principe commun où se trouve la connexion intime des parties en question ; je veux dire, de la droite et de la gauche, du haut et du bas, du devant et du derrière. § 3[34]. Pour le devant et le derrière, il n’y a point de distinction de ce genre dans l’être qui a la faculté de se mouvoir lui-même, parce qu’il n’y a pas un seul être qui ait naturellement le mouvement en arrière, et que l’être mis en mouvement n’a pas de détermination qui dirige son mouvement dans l’une ou l’autre de ces deux directions indifféremment. Mais pour la droite et la gauche, il y a une distinction, et il y en a également pour le haut et le bas. § 4[35]. Voilà comment, chez les animaux qui marchent à l’aide de membres organisés dans cette vue, il n’y a pas de détermination résultant de la différence du devant et du derrière. Mais pour les deux autres différences, cette détermination existe, la première distinguant la droite et la gauche, attendu que l’une de ces différences se trouve de toute nécessité et immédiatement dans les deux, et que l’autre se trouve dans les quatre premiers. § 5[36]. Puis donc que le haut et le bas, la droite et la gauche, sont essentiellement liés à un même principe qui leur est commun, je veux dire le principe maître du mouvement, il faut, dans tout être qui doit exécuter régulièrement le mouvement partant de chacun de ces points, que la cause de tous les mouvements dont il vient d’être question soit en quelque sorte déterminée et ordonnée par les intervalles qui existent entre ces principes, soit de série opposée, soit de même série que les principes qui sont dans ces parties. § 6[37]. C’est donc précisément le mouvement de droite et de gauche qui est le principe commun d’où partent les mouvements dans l’animal. L’explication est la même pour les mouvements de haut et de bas. C’est là ce qu’on doit supposer, en tant du moins qu’il se passe quelque chose qui en approche, pour chacun des principes dont sont animées les parties indiquées par nous.


CHAPITRE VII

Le mouvement de locomotion par deux ou quatre appareils n’appartient qu’aux animaux qui ont du sang ; chez eux, il n’y a jamais plus de quatre appareils ; différence entre les animaux qui ont du sang et ceux qui n’en ont pas ; ces derniers peuvent vivre après qu’on les a coupés en plusieurs morceaux ; les animaux sans pieds se meuvent aussi par quatre appareils, dont on peut retrouver les équivalents dans les flexions de ces animaux ; explication de ces flexions ; analogie des hommes de grande taille qui marchent voûtés ; marche des serpents et de quelques poissons, murènes, anguilles, kestres de Siphées.

§ 1[38]. On peut donc regarder comme certain que le mouvement de locomotion est le privilège exclusif des animaux qui ont deux ou quatre appareils pour se déplacer, ou du moins que c’est chez eux que ce mouvement est le plus marqué. Mais comme ceci se montre presque uniquement dans les animaux qui ont du sang, il n’est pas moins clair qu’aucun animal de ce genre ne peut se mouvoir par plus de quatre appareils ; et à l’inverse, du moment qu’un être quelconque se meut par quatre appareils seulement, cet être doit avoir du sang. § 2[39]. Les faits qu’on peut observer dans les animaux attestent la vérité de ce que nous avançons. Ainsi, pas un seul animal pourvu de sang ne peut vivre, pour ainsi dire, un seul instant, s’il est divisé en plusieurs parties ; et il ne peut plus jouir alors du mouvement de locomotion qu’il possédait, quand il était complet et continu, et qu’il n’était pas divisé. Tout au contraire, les animaux qui n’ont pas de sang et qui sont en même temps polypodes, peuvent encore, après qu’on les a coupés, vivre fort longtemps dans chacune de leurs sections, et conserver le mouvement qu’ils avaient avant qu’on ne les divisât. On peut citer, par exemple, les scolopendres, et d’autres insectes au corps allongé. § 3[40]. Chez tous ces animaux, la partie postérieure peut accomplir le même mouvement que la partie de devant. Ce qui fait qu’ils vivent même après avoir été coupés, c’est que la constitution de chacun d’eux ressemble beaucoup à celle d’un animal que l’on formerait de la réunion de plusieurs animaux. Ce que nous avons dit antérieurement démontre du reste qu’il en est bien ainsi. Les êtres les mieux constitués par la nature se meuvent, d’après ses lois, par deux appareils ou par quatre appareils.

§ 4[41]. Il en est de même aussi de tous les animaux qui, ayant du sang, sont dépourvus de pieds ; ceux-là aussi se meuvent également par quatre appareils destinés à aider leur mouvement. En effet, ils progressent par deux flexions le plus souvent ; la droite et la gauche, le devant et le derrière se retrouvent dans leur largeur, et dans l’une et l’autre de leurs flexions. Dans la partie qui représente leur tête, l’appareil antérieur est à droite et à gauche ; et dans la partie qui est à la queue, on retrouve les appareils postérieurs. Mais il semble qu’il n’y a que deux points de mouvement, celui qui touche en avant et celui qui touche en arrière. Cela tient à ce que l’animal est fort étroit en largeur, quoique, dans ces animaux aussi, ce soit la droite qui dirige, et qu’elle corresponde avec la partie postérieure comme dans les quadrupèdes. § 5[42]. C’est la longueur de la bête qui exige les flexions. Ici il en est comme pour les hommes de haute taille, qui marchent tout voûtés ; leur épaule droite se porte avant ; et la jambe gauche tend plutôt à demeurer en arrière ; et alors le milieu de leur corps se creuse et se voûte. C’est bien ainsi, croyons-nous, que les serpents marchent sur le sol, par des appareils qui se voûtent ; ce qui revient à dire qu’ils se meuvent tout à fait comme les quadrupèdes, puisqu’ils changent successivement le concave et le convexe. Quand la gauche à son tour conduit les parties antérieures, le concave se produit alors en sens contraire ; et à ce moment, c’est la partie droite qui rentre en dedans. § 6[43]. Représentons la partie droite du devant par A ; la gauche par B. La partie droite postérieure sera C ; et la gauche sera D. Voilà comment se meuvent les serpents parmi les animaux qui se meuvent sur le sol, et les anguilles parmi ceux qui se meuvent dans l’eau, ainsi que les congres et les murènes, en un mot tous les animaux qui se rapprochent encore davantage du serpent.

§ 7[44]. Il y a toutefois quelques-uns de ces animaux aquatiques qui n’ont pas même de nageoires, tels que les murènes ; mais les murènes se servent de l’eau comme les serpents se servent du sol et de l’eau ; car les serpents nagent également, même quand ils se meuvent sur terre. D’autres poissons n’ont que deux nageoires, par exemple, les congres et les anguilles, et aussi une espèce de kestres qu’on trouve dans le lac de Siphées. Aussi, les animaux qui sont habitués à vivre sur terre, comme l’espèce des anguilles, font-ils des flexions plus petites dans l’eau et sur terre. Mais ceux des kestres qui ont deux nageoires compensent par leur flexion dans l’eau les quatre appareils qu’ils n’ont pas.


CHAPITRE VIII

De la marche des serpents ; deux causes font qu’ils ne peuvent avoir de pieds ; les pieds des animaux sont toujours en nombre pair ; impossibilité de la locomotion sur trois pieds ; exemple des scolopendres, auxquelles on a arraché des pieds pour qu’ils fussent en nombre impair ; explication des effets de cette mutilation ; les pieds restants suppléent à ceux qu’on a retranchés. — Résumé partiel.

§ 1[45]. Si les serpents sont dépourvus de pieds, cela tient à deux causes : la première, c’est que jamais la nature ne fait rien en vain, et que, dans chaque cas donné, elle vise à faire toutes choses le mieux possible et qu’elle conserve soigneusement à chaque être son essence propre, et sa manière de rester constamment ce qu’il est. La seconde cause, c’est celle que nous avons déjà dite, à savoir que nul animal ayant du sang ne peut être pourvu de plus de quatre appareils de mouvement. § 2[46]. Il suit évidemment de ceci que les animaux pourvus de sang dont la longueur est disproportionnée au reste de leur corps, comme le sont les serpents, ne peuvent avoir des pieds. D’abord, ils ne pourraient pas en avoir plus de quatre, puisqu’alors ils seraient des animaux privés de sang. Mais tout en ayant deux pieds ou même quatre, ils seraient à peu près complètement immobiles ; et dès lors un mouvement aussi lent leur serait de toute nécessité presque inutile. § 3[47]. D’autre part, tout animal pourvu de pieds a nécessairement les pieds en nombre pair ; et ceux qui emploient exclusivement le saut pour faire leur mouvement de locomotion n’ont pas besoin de pieds pour exécuter un mouvement de ce genre. Les animaux qui doivent employer le saut, sans que d’ailleurs ce mouvement leur suffise, et qui, en outre, ont besoin de la marche, sont constitués de manière que la marche est plus commode pour eux, tandis que pour les autres la marche leur est absolument interdite.

§ 4[48]. Ce qui fait que nécessairement tout animal a des pieds en nombre pair, c’est que le mouvement n’est que partiel, et qu’il ne transporte pas la masse entière du corps d’un seul coup, comme le fait le mouvement du saut ; mais il faut absolument que quelques-uns des pieds qui changent restent en place, tandis que certains autres pieds se meuvent. L’un et l’autre de ces mouvements se font par les pieds opposés, l’animal faisant passer le poids du corps des parties mises en mouvement sur celles qui demeurent en place. Il serait complètement impossible à un être quelconque de marcher avec trois pieds ; car alors l’un des pieds n’aurait absolument aucun point d’appui où porter le poids du corps, ou bien l’autre, à chaque opposition, éprouverait une grande fatigue ; et si l’animal essayait de se mouvoir dans ces conditions, il tomberait inévitablement. § 5[49]. Les polypodes, tels que les scolopendres, peuvent se mouvoir avec un nombre impair de pieds, comme on peut le voir, si l’on veut, en leur enlevant un de leurs pieds ; c’est qu’alors ces animaux peuvent suppléer aux pieds correspondants qui ont été mutilés, par le nombre restant de pieds de chaque côté du corps. Cela tient à ce que, dans ce cas, les parties restantes se relèvent et transportent en quelque sorte la portion mutilée et boiteuse ; mais ce n’est pas là une marche à proprement parler. § 6[50]. Toutefois, il est bien clair que ces animaux mêmes feraient bien mieux leur mouvement s’ils avaient encore leurs pieds en nombre pair, et s’il ne leur en manquait pas un seul de tous ceux qui doivent se correspondre. Ainsi pourvus de tous leurs pieds, ils pourraient bien mieux équilibrer le poids, et ne pas appuyer davantage sur l’un des côtés, en ayant tous les appuis qui doivent correspondre les uns aux autres, sans le vide que laissent les pieds opposés. Mais c’est tour à tour par chaque partie que l’animal s’avance et progresse ; car alors l’aplomb du corps revient tout à fait dans les conditions de forme où il était au début.

§ 7[51]. Nous concluons donc que tous les animaux ont les pieds en nombre pair, et nous avons expliqué la cause de cette conformation.


CHAPITRE IX

Conditions générales du mouvement ; il y faut toujours un point d’inertie ; combinaison de l’extension et de la flexion ; équilibre des membres ; ondulations nécessaires de la marche ; reptation des enfants, et des lutteurs dans la palestre ; action successive des jambes ; marche des animaux dépourvus de pieds ; explication du saut ; explication du vol ; natation des poissons selon qu’ils ont plus ou moins de nageoires ; natation spéciale des poissons plats.

§ 1[52]. S’il n’y avait pas de point d’inertie, il n’y aurait pas de flexion possible, ni de natation, ni de marche en ligne droite ; et voici ce qui le prouve. La flexion n’est pas autre chose que le changement de la ligne droite en un cercle, ou en un angle rentrant. Le redressement en ligne droite n’est que le changement de l’un des deux en la ligne directe. § 2[53]. Dans tous les changements qu’on vient d’indiquer, il faut nécessairement que la flexion ou le redressement en ligne droite se rapporte à un seul et unique appareil. Sans la flexion, il n’y aurait ni marche, ni vol, ni natation. Aussi, comme les animaux pourvus de pieds doivent se tenir alternativement sur l’un et l’autre des deux membres opposés et y porter le poids du corps, il faut nécessairement, quand l’un des deux s’avance, que l’autre s’infléchisse ; car les membres qui se correspondent doivent avoir naturellement la même longueur ; et le membre qui porte le poids doit être tout droit, comme une perpendiculaire abaissée sur la terre. Mais quand le membre avance, il se forme une hypoténuse, elle équivaut à la longueur qui ne bouge pas, et à la ligne intermédiaire. § 3[54]. De plus, comme les membres sont égaux, il faut nécessairement que le membre qui reste en place s’infléchisse, soit dans le genou, soit dans la jointure, comme ce serait si l’un des animaux qui marchent n’avait pas de genou. Ce qui prouve bien qu’il en est ainsi, c’est qu’en marchant sur le sol près d’un mur, la ligne décrite ne sera pas une ligne droite, mais une ligne oblique, parce que la ligne décrite est plus petite quand on fléchit, et plus grande quand on se redresse et qu’on enlève le membre. § 4[55]. D’ailleurs, on peut marcher sans même que le membre fléchisse, comme on le voit chez les enfants qui rampent à terre. On en a dit jadis autant de l’éléphant ; mais c’est une erreur. Dans ces cas divers, il y a toujours aussi un mouvement grâce à la flexion qui se fait, soit dans les omoplates, soit dans les hanches. Mais aucun être ne pourrait jamais, en se tenant tout droit, se mouvoir d’une manière continue et sûre. L’animal ne pourrait alors se mouvoir que comme les lutteurs se meuvent sur les palestres, en se roulant dans la poussière sur les genoux.

§ 5[56]. Comme la partie supérieure du corps est considérable, il faut que le membre s’allonge ; et au moment qu’il a pris sa longueur, la flexion a lieu nécessairement ; car l’animal ne s’étant tenu debout que grâce à la ligne droite, il tomberait si cette ligne droite devenait plus courte, ou du moins il n’avancerait pas. Si, en effet, une des deux jambes étant droite, l’autre venait à s’avancer, elle deviendrait plus grande, tout égale qu’elle est ; car elle égalerait alors et la partie qui reste en place et en outre l’hypoténuse. § 6[57]. Il y a donc nécessité que la partie qui s’avance s’infléchisse, et qu’après qu’elle s’est infléchie, l’animal fasse en même temps étendre l’autre, qui s’incline et s’avance, en demeurant sur la perpendiculaire. Les jambes représentent ainsi un triangle isocèle. La tête s’abaisse un peu plus bas, lorsque se produit la perpendiculaire sur laquelle l’animal s’appuie en marchant.

§ 7[58]. Quant aux animaux sans pieds, il y en a qui progressent par ondulations ; et ce mouvement se produit de deux façons. Les uns marchent sur la terre au moyen de flexions, c’est la manière des serpents ; les autres s’élèvent au-dessus du sol comme le font les chenilles. Cette ondulation n’est réellement qu’une flexion. Il est d’autres animaux qui s’avancent par reptation, comme ceux qu’on appelle entrailles de terre, et comme les sangsues. Ils marchent en s’appuyant sur la partie du corps qui est devant ; puis ils rassemblent tout le reste du corps sur cette partie, et, à l’aide de ce procédé, ils se transportent d’une place à une autre. § 8[59]. Il est bien clair que, si les deux parties, réunies n’étaient pas plus grandes qu’une seule séparément, les animaux à ondulations ne pourraient pas du tout se mouvoir ; car si la flexion en se détendant n’était qu’égale, il ne se produirait aucune progression. Au contraire, en se détendant, elle dépasse la première extension ; et cette portion restant en place, l’animal y ramène encore tout le reste.

§ 9[60]. Dans tous les changements dont on vient de parler, l’être qui se meut progresse, tantôt en s’étendant en ligne droite, tantôt en se redressant sur les parties antérieures, après s’être infléchi avec elles, et en s’infléchissant sur celles qui suivent. Tous les animaux qui sautent doivent fléchir sur la partie du corps qui est inférieure, et c’est en s’y appuyant qu’ils peuvent exécuter leur saut. § 10[61]. Les animaux qui volent et ceux qui nagent procèdent encore de même. Ceux-ci volent en déployant tout droit leurs ailes et en les infléchissant ; les autres en font autant de la nageoire. Les uns d’ailleurs, parmi ces derniers, ont quatre nageoires, les autres n’en ont que deux quand ils sont plus longs, comme on le voit dans les anguilles. En place des deux nageoires qui manquent, ces poissons achèvent le reste du mouvement par la flexion du corps entier, comme nous l’avons expliqué antérieurement.

§ 11[62]. Ceux des poissons qui sont plats se servent de la largeur de leur corps pour remplacer les nageoires qui leur manquent-; ou bien, ils ont aussi deux nageoires. Ceux de ces poissons qui sont tout à fait plats, comme le batos, nagent directement avec les nageoires qu’ils ont et avec les derniers contours de leur corps, en les redressant et en les fléchissant successivement.


CHAPITRE X

Du vol des oiseaux et du mouvement général des volatiles ; nécessité de l’action simultanée des ailes et des pattes ; de la flexion et de l’extension des ailes pleines et des ailes divisées en plumes ; de l’action de la queue, faisant fonction de gouvernail ; vol irrégulier des volatiles sans queue et à ailes pleines ; action des pattes dans le vol des oiseaux de grand vol ; les coléoptères ; queue inutile du paon ; rapidité du vol des oiseaux de proie ; leur tête, leur cou, leur thorax, conformés en vue du vol ; légèreté relative de leurs parties postérieures.

§ 1[63]. On peut se demander comment les oiseaux, soit quand ils volent, soit quand ils marchent, se meuvent avec quatre appareils, puisque nous avons dit que c’est par quatre appareils que doivent se mouvoir tous les animaux qui ont du sang ; mais on n’a pas dit que ce fut par quatre appareils précisément, mais on a dit seulement qu’ils ne peuvent pas se mouvoir par plus de quatre. Ce qui est vrai, c’est que les oiseaux ne pourraient pas voler si on leur était leurs pattes, et qu’ils ne pourraient pas non plus marcher si on leur ôtait leurs ailes, pas plus que l’homme ne peut marcher sans mouvoir les épaules. § 2[64]. Ce qui n’est pas moins vrai, ainsi qu’on l’a dit, c’est que tous les êtres ne se déplacent que grâce à la flexion et à l’extension, puisque tous ne peuvent progresser que sur un appui placé, jusqu’à un certain point, sous eux, et dans un milieu qui leur cède. Par une conséquence nécessaire, il faut que, si la flexion n’a pas lieu dans une autre partie, elle ait lieu au moins dans la partie d’où part le mouvement. Pour les volatiles dont les ailes sont pleines, c’est de cette aile même qu’il part ; pour les oiseaux ordinaires, c’est de la plume ; et pour les autres animaux, pour les poissons, par exemple, c’est de la partie correspondante. Chez d’autres, enfin, tels que les serpents, le principe de la flexion est dans les flexions mêmes du corps.

§ 3[65]. Chez l’animal qui vole, la queue du croupion est destinée à régler le vol, qu’elle dirige, comme le gouvernail dirige les bateaux ; car il faut que les gouvernails aussi fléchissent dans la jointure qui les unit au navire. C’est là ce qui fait que les volatiles dont les ailes sont pleines, et, parmi les oiseaux à ailes divisées, ceux chez qui la queue du croupion n’est pas naturellement consacrée à la fonction qu’on vient de dire, tels que le paon, le coq, et, en général, les oiseaux qui ne volent pas beaucoup, c’est là ce qui fait, disons-nous, que ces oiseaux ne dirigent pas leur vol en ligne droite.

§ 4[66]. En effet, il n’y a pas un seul volatile à ailes pleines qui ait une queue garnie de plumes ; et tous ils s’abattent au hasard, en quelque lieu que ce soit, entraînés comme un navire désemparé de son gouvernail. C’est ce qu’on peut voir également dans les coléoptères, comme le canthare et le hanneton, ou dans les insectes sans élytres, comme les abeilles et les guêpes. Dans les oiseaux de grand vol, auxquels la queue est inutile, comme les flamants et les hérons, et dans tous les oiseaux qui nagent, on peut observer qu’ils volent en étendant les pattes en place de queue, et ils se servent de ces pattes comme ils se serviraient d’une queue pour diriger et gouverner leur vol. § 5[67]. Le vol des coléoptères est à la fois lent et faible, parce que la nature de leurs ailes n’est pas suffisamment proportionnée au poids de leur corps, qui est considérable, tandis que les ailes sont petites et faibles. Et de même qu’un navire de charge essaierait d’avancer à force de rames, de même ces oiseaux ne volent aussi qu’à grand’peine ; la faiblesse de leurs ailes, et celle de leur nature, contribuent chacune pour leur part au résultat que nous venons de dire. § 6[68]. Chez les oiseaux, le paon ne peut rien faire de sa queue, tantôt parce qu’elle est trop grande, et tantôt aussi parce qu’il la perd. Chez les oiseaux ordinaires, il se passe, pour la nature de leurs ailes, tout le contraire de ce qu’on voit pour les volatiles à ailes pleines ; et c’est une remarque qu’on peut surtout faire pour les oiseaux dont le vol est le plus rapide, c’est-à-dire, pour les oiseaux à serres recourbées. § 7[69]. Pour ces oiseaux, la rapidité du vol est une des conditions de leur vie ; et tous les autres organes de leur corps semblent être calculés pour produire ce mouvement qui leur est particulier. Tous ils ont une tête petite, un cou assez mince, un thorax puissant et pointu ; pointu, pour faciliter la marche, comme la proue du navire, qui a la forme d’un Lambda ; puissant, par la chair qui l’entoure et le recouvre, afin de pouvoir fendre l’air, qui le frappe et que l’oiseau doit pouvoir diviser aisément et sans fatigue. § 8[70]. Quant aux parties postérieures du corps de ces oiseaux, elles sont légères et vont en se rétrécissant, pour se rapprocher de plus en plus, afin de suivre les parties antérieures sans gêner l’air par leur largeur. C’est là du moins l’explication qu’on peut donner.


CHAPITRE XI

Des conditions de la station droite ; il ne faut que deux pieds, et les parties hautes doivent être plus légères que les parties basses ; conformation de l’homme ; exemple des enfants, qui d’abord ne peuvent se tenir droits ; conformation différente des oiseaux ; organisation de leur hanche, qui fait comme une double cuisse ; sa fonction remarquable ; l’oiseau ne peut être droit comme l’homme ; et l’homme ne peut avoir d’ailes, comme les Amours des peintres ; loi générale de la nature.

§ 1[71]. On comprend sans peine que, quand un animal doit être debout en marchant, il faut nécessairement qu’il soit bipède, et qu’en lui les parties supérieures du corps soient plus légères et que les parties inférieures aient plus de poids ; car c’est à cette condition uniquement qu’il est possible à l’animal de se porter lui-même avec facilité. Aussi est-ce pour cela que l’homme, qui est le seul entre tous les animaux à se tenir debout, a, proportionnellement au haut du corps, les jambes plus longues que tous les autres êtres pourvus de pieds, et qu’il a aussi des jambes plus fortes. § 2[72]. Le cas des enfants suffit pour donner à cette remarque une pleine évidence ; ils ne peuvent marcher debout, parce qu’ils sont tous des espèces de nains, et que les parties supérieures du corps sont chez eux plus grandes et plus fortes, proportion gardée, que les parties d’en bas. Avec les progrès de l’âge, ce sont au contraire les parties inférieures qui se développent davantage, jusqu’à ce que l’enfant ait pris toute la croissance convenable, et qu’il puisse marcher tout droit, grâce aux proportions que le corps a prises.

§ 3[73]. Les oiseaux, qui sont légers, ont deux pieds, parce que chez eux le poids est en arrière. C’est comme dans la fabrication des chevaux de bronze ; on leur fait toujours lever les jambes de devant. Ce qui fait surtout que les oiseaux, avec leurs deux pattes, peuvent se tenir tout droits, c’est qu’ils ont la hanche pareille à une cuisse, et qu’on dirait qu’ils ont deux cuisses au lieu d’une, d’abord la cuisse qu’ils ont dans la jambe avant la flexion, et ensuite celle qu’ils ont, outre ce membre, à partir du siège. § 4[74]. D’ailleurs, ce n’est pas à proprement parler une cuisse ; c’est plutôt une hanche, et s’il n’en était pas ainsi, l’oiseau ne pourrait pas se tenir sur deux pieds. C’est comme si, dans l’homme et dans les quadrupèdes, la hanche étant toute courte, la cuisse et le reste de la jambe venaient immédiatement après elle ; le corps, par suite, serait trop enclin à tomber. Mais dans l’organisation actuelle, la hanche étant longue, elle va presque jusqu’au milieu du ventre ; et grâce à cette conformation, les jambes, en s’y appuyant, peuvent soutenir le corps tout entier.

§ 5[75]. Il n’en faut pas davantage pour prouver que l’oiseau ne peut pas être debout à la manière de l’homme. Les ailes, dans le rapport qu’elles ont actuellement avec le corps, sont immédiatement utiles ; mais si l’oiseau était droit, elles lui seraient aussi inutiles que celles que les peintres donnent aux Amours qu’ils représentent. § 6[76]. Ce qui n’est pas moins évident, après ce qu’on vient de dire, c’est que l’homme, non plus qu’aucun autre être d’une conformation semblable à la sienne, ne peut jamais être ailé, non seulement parce que, étant un animal qui a du sang, il aurait alors plus de quatre appareils de mouvement, mais aussi parce que, pour les mouvements qui lui sont naturels, la possession d’ailes ne lui serait d’aucune utilité. Or la nature ne fait jamais rien qui soit contre nature.


CHAPITRE XII

Suite des conditions générales de la flexion, qui ne peut avoir lieu sans un point d’inertie ; différences des flexions dans l’homme et dans les quadrupèdes et les oiseaux ; sagesse de la nature ; déplacement successif du poids du corps sur l’une et l’autre jambe ; il faut que le membre dirigeant fléchisse en avant ; flexion du pied et du bras ; conditions de la locomotion dans les quadrupèdes ; rôle et flexion des pattes de devant ; explication de l’organisation actuelle des quadrupèdes ; utilité de cette organisation pour l’allaitement des jeunes.

§ 1[77]. Nous avons déjà dit que, s’il n’y avait pas de flexion dans les jambes, dans les omoplates et dans les hanches, les animaux qui ont du sang et des pieds seraient absolument hors d’état de se déplacer ; et nous avons ajouté qu’il n’y a pas de flexion possible s’il n’y a pas un point d’inertie. § 2[78]. Nous avons dit encore que l’homme qui est pourvu de deux pieds, et que l’oiseau qui a deux pieds comme lui, fléchissent cependant leurs membres en sens contraire. Il en est de même des quadrupèdes, qui fléchissent leurs membres en sens contraire les uns des autres, et en sens contraire de l’homme. Ainsi, l’homme fléchit ses bras en creux, et ses jambes en rond, tandis que les quadrupèdes fléchissent les jambes de devant en rond, et celles de derrière, en creux. L’organisation des oiseaux est toute pareille. § 3[79]. Ceci tient, comme nous l’avons bien des fois répété, à ce que la nature ne fait jamais rien en vain, et que tout en elle vise toujours au mieux possible, dans les conditions données. Par une conséquence nécessaire, comme la locomotion, dans tous les animaux qui en jouissent, se fait par les deux jambes, il faut que, quand chaque jambe se tient debout à son tour, le poids du corps passe dans ce membre ; et, quand l’animal se meut en avant, le pied qui se porte et se place avant l’autre, doit n’avoir point de charge. Puis, la marche venant à continuer, il faut que le poids passe successivement sur ce pied qui le reçoit ; et nécessairement, il faut que le membre, après sa flexion, se redresse de nouveau, l’appareil tout entier et le bas de la jambe demeurant fixes, relativement au pied qui s’est avancé.

§ 4[80]. Il est dès lors possible que les choses s’accomplissent ainsi, et qu’en même temps l’animal avance, du moment que la flexion du membre dirigeant a lieu en avant. Mais ce serait tout à fait impossible, si elle avait lieu en arrière ; car à la façon dont les choses sont actuellement, le corps se projette en avant et l’extension de la jambe a lieu ; mais autrement, il faudrait que le corps se portât en arrière. § 5[81]. De plus, si la flexion se faisait en arrière, le pied ne pourrait se poser que par deux mouvements, et contrairement à ces mêmes mouvements, l’un des deux étant en arrière, et l’autre étant en avant. Dans la flexion simultanée de la jambe, l’extrémité de la cuisse doit nécessairement se porter en arrière, et la jambe doit porter le pied en avant, à partir de la flexion. Mais la flexion se faisant en avant par des mouvements qui ne se contrarient pas, et par un mouvement unique en avant, la progression dont il s’agit peut se faire très-convenablement. § 6[82]. Ainsi donc, l’homme, qui a deux pieds, et qui se déplace naturellement à l’aide de ses jambes, fléchit ses jambes en avant par le motif qu’on vient de dire, et il fléchit ses bras en creux. Cela se comprend de reste. Infléchis en sens opposé, les bras eussent été sans objet, soit pour l’usage des mains, soit pour la préhension des aliments.

§ 7[83]. Quant aux quadrupèdes vivipares, leurs jambes de devant, étant destinées à commencer la progression, et étant placées dans la partie antérieure du corps, doivent nécessairement s’infléchir en cercle, par la même raison qui fait fléchir de cette manière les jambes de l’homme ; car à cet égard les quadrupèdes et les hommes sont entièrement semblables. Ce qui fait que les quadrupèdes fléchissent les pattes en avant comme on vient de l’expliquer, c’est que, la flexion se faisant pour eux dans ce sens, ils peuvent élever beaucoup leurs pattes. § 8[84]. S’ils fléchissaient en sens contraire, ils n’élèveraient les pattes que très-peu au-dessus de terre, parce qu’alors la cuisse entière et sa flexion, sur laquelle s’articule la jambe, passeraient sous le ventre, quand la cuisse s’avancerait. Si les jambes de derrière s’infléchissaient en avant, les pieds ne s’élèveraient alors pas plus haut que ceux mêmes de devant ; car les jambes en s’élevant, non plus que la cuisse et la flexion, ne leur donneraient qu’un bien faible écart, puisque l’une et l’autre viendraient à tomber sous la région du ventre. § 9[85]. Au contraire, en fléchissant en arrière, comme ils y fléchissent en effet, ils ne rencontrent aucun obstacle à leur progression, dans un mouvement des pieds ainsi réglé. On peut même remarquer que, quand ces animaux allaitent leurs petits, cette flexion des jambes leur est nécessaire pour remplir cette fonction, ou du moins leur est beaucoup plus commode ; car s’ils fléchissaient en dedans, ils auraient grand’peine à avoir les jeunes sous eux et à les couvrir de leur corps.


CHAPITRE XIII

Quatre espèces de flexions possibles ; figures qui les représentent ; flexions réelles des bipèdes et des quadrupèdes ; flexions particulières de l’éléphant ; flexions chez l’homme, des bras et des jambes, de la cuisse et de l’épaule, du coude et du carpe ; opposition et harmonie de ces flexions, tantôt concaves, tantôt convexes.

§ 1[86]. La flexion qui se fait dans les articulations peut être de quatre espèces. Nécessairement, ou elle est concave tout à la fois pour les membres de devant et pour ceux de derrière, par exemple en A ; ou elle a lieu circulairement tout au contraire pour les deux, comme en B ; ou en sens opposé pour des membres différents, c’est-à-dire que le devant fléchit en rond, et le derrière en creux, comme on le voit en C ; ou tout à l’inverse, les parties arrondies correspondant entre elles, et les parties creuses étant en dehors, comme on le voit en D. § 2[87]. Il n’est pas un seul animal bipède ou quadrupède qui fléchisse comme on le voit en A et en B. Mais les quadrupèdes fléchissent comme en C ; et, parmi les quadrupèdes, il n’y a que l’éléphant qui fléchisse comme en D. Quant à l’homme, il fléchit les bras et les jambes ; mais il fléchit les bras en creux, et les jambes en rond, et en forme convexe. § 3[88]. Chez l’homme, les flexions des membres sont toujours réciproquement et successivement contraires. Ainsi, le coude se plie en dedans, le carpe de la main est convexe, et à son tour l’épaule est convexe également. Il en est de même de la jambe entière ; la cuisse s’infléchit d’une manière concave, et le genou d’une manière convexe ; le pied s’infléchit contrairement au genou, d’une manière concave. Il n’est pas moins évident que les parties inférieures sont dans une opposition toute pareille avec les parties supérieures, précisément parce que le principe est contraire aussi ; l’épaule est convexe, et la cuisse est concave ; l’olécrane est concave, et le genou convexe ; et le pied, tout au contraire, est concave aussi.

§ 4[89]. Telle est la disposition générale des flexions dans les membres, et telles sont les causes auxquelles tient cette disposition.


CHAPITRE XIV

Du mouvement diamétral ; sa description ; sa nécessité ; le saut ne peut se prolonger ; exemple des chevaux de course ; le mouvement diamétral peut seul donner la stabilité et la durée à la locomotion de l’animal ; allure ordinaire des chevaux ; les animaux qui ont plus de quatre pieds marchent également en diamètre ; marche oblique des crabes ; c’est un phénomène unique ; la nature leur a donné des yeux en conséquence.

§ 1[90]. Les membres de derrière, dans leur rapport avec ceux de devant, se meuvent en diagonale. Après le membre droit de devant, l’animal meut le membre gauche de derrière ; puis, il meut le gauche de devant et le droit de derrière. Cette organisation tient à ce que, si les membres antérieurs se développaient à la fois, et tous deux les premiers, ils se disloqueraient ; la marche pourrait bien même devenir caduque ; car, en quelque sorte, les membres postérieurs la retiendraient par leur tension extrême. § 2[91]. D’ailleurs, ce ne serait plus là une marche de progression ; ce serait un saut véritable. Mais quand un animal saute, il lui est bien difficile de prolonger un tel déplacement. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à voir combien se lassent vite sous nos yeux les chevaux qui se donnent ce mouvement, comme ceux des courses de cérémonie. C’est pour cela que les animaux ne se meuvent pas en isolant les parties antérieures des parties postérieures. Si les deux membres droits partaient ensemble les premiers, il n’y aurait plus d’appuis pour soutenir l’animal ; et, ainsi en dehors de ses appuis, l’animal tomberait. § 3[92]. Si donc il y a nécessité que le mouvement se produise par un de ces deux procédés, ou qu’il se produise diamétralement, et si l’un et l’autre sont également impossibles, il y a nécessité absolue que l’animal se meuve en diamètre ; car si l’animal se meut comme on vient de le dire, aucun de ces inconvénients n’est possible. C’est pour cette raison que les chevaux et les animaux de même genre restent debout en progressant par diamètre, et non point en mettant tout à la fois en mouvement les deux membres de droite ou les deux membres de gauche.

§ 4[93]. C’est bien encore de la même façon que se meuvent aussi tous les animaux qui ont plus de quatre pieds. Toujours, dans les quatre pieds qui viennent à la suite, ceux de derrière se meuvent en diamètre par rapport à ceux de devant. On peut le voir très-clairement dans les animaux qui se meuvent lentement, et, par exemple, dans les crabes, qui se meuvent de cette façon. § 5[94]. Les crabes sont des polypodes, et leur mouvement est toujours en diamètre, dans quelque sens qu’ils se dirigent. C’est, qu’en effet, cet animal a une locomotion qui lui est toute particulière, et il est le seul, parmi tous les animaux, qui ne se meuve pas devant lui et qui se meuve obliquement. Mais comme dans l’animal ce sont les yeux qui déterminent le devant, la nature a fait que, dans les crabes, les yeux sont d’accord avec les membres ; car leurs yeux se meuvent de côté ; et, par suite, on peut dire que les crabes aussi se meuvent en avant, du moins dans une certaine mesure, grâce à cette organisation.


CHAPITRE XV

Flexions des pattes chez les oiseaux ; les ailes remplacent les membres antérieurs ; leur rôle indispensable ; organisation de la cuisse des oiseaux ; position de leurs ailes ; position des nageoires chez les poissons ; ailes des volatiles à ailes pleines ; progression de tous ces animaux ; disposition des membres sur le côté dans les crocodiles, les lézards, les tortues, etc.; explication de cette disposition.

§ 1[95]. Les oiseaux fléchissent leurs pattes à la manière des quadrupèdes, et leur nature se rapproche à certains égards de la leur. Chez les oiseaux, les ailes remplacent les membres de devant ; et de là vient que leurs ailes se plient dans le même sens que les membres antérieurs chez les quadrupèdes. Pour eux, c’est des ailes que part le principe naturel de la locomotion et du mouvement nécessaire à la marche, puisque le vol est leur mouvement spécial. § 2[96]. Aussi, il n’y a pas un oiseau qui put, si on lui enlevait ses ailes, se tenir debout, ni avancer d’un pas. De plus, comme l’oiseau, tout bipède qu’il est, n’est pas fait pour se tenir droit, et comme les parties antérieures de son corps sont plus légères, il est indispensable, ou du moins il est mieux, pour lui faciliter la station droite, que sa cuisse soit placée en dessous, ainsi qu’elle l’est ; je veux dire par là qu’elle est naturellement placée à la partie postérieure. Du moment qu’il fallait qu’il en fût ainsi, il y a nécessité que la flexion de la patte soit concave, par la même raison qui fait que, dans les quadrupèdes, les membres de derrière sont ainsi fléchis, selon l’explication que nous avons donnée pour les quadrupèdes vivipares. § 3[97]. En général, les oiseaux et les volatiles à ailes pleines, et même les animaux qui nagent dans les eaux et qui ont des organes particuliers pour se mouvoir dans le liquide, doivent être munis de ces organes sur les côtés, en forme d’appendices. Il n’est pas difficile de se convaincre que cette organisation est la meilleure, comme on peut l’observer actuellement, soit dans les oiseaux, soit dans les volatiles à ailes pleines. C’est également ce qu’on peut remarquer dans les poissons ; car, pour les animaux aquatiques, les nageoires sont ce que les ailes sont pour les oiseaux. § 4[98]. Dans les volatiles à ailes pleines, les Ptiles sont placés sur le côté, parce que c’est dans cette position que ces organes, en divisant, de la façon la plus rapide et la plus puissante, ici l’air, et là le liquide, peuvent produire le mouvement. Les parties du corps sont portées à la suite en avant et en arrière, dans le milieu qui cède devant elles, dans le liquide pour les uns, et dans l’air pour les autres. § 5[99]. Les quadrupèdes ovipares qui vivent dans des trous, comme les crocodiles, les lézards, les stellions, les émydes et les tortues, ont tous les pattes obliquement attachées sur le côté et étendues sur la terre ; ils les fléchissent toujours de côté, à la fois pour faciliter leur entrée sous terre, et leur incubation sur les œufs, pendant qu’ils les gardent. Ces membres étant au dehors, il faut nécessairement que ces animaux avancent les cuisses et les placent sous eux pour pouvoir élever le corps ; et, pour arriver à ce mouvement, il n’est pas possible que la flexion ait lieu autrement qu’à l’extérieur.


CHAPITRE XVI

Organisation des polypodes privés de sang ; ils sont cagneux ; leurs flexions particulières ; nécessité de la conformation de leurs pieds ; la cause de cette conformation tient à ce que ces animaux vivent dans des trous ; obliquité de la marche des crabes ; exemples des lézards, des crocodiles et de quelques ovipares ; flexions des polypodes.

§ 1[100]. Nous avons déjà dit que les animaux dépourvus de sang qui ont des pieds en ont un grand nombre, et que, parmi eux, il n’y en a pas un seul qui n’en ait que quatre. Comme il était nécessaire que, sauf les derniers pieds, les autres fussent attachés obliquement et que les flexions fussent en haut, il est clair que ces animaux doivent être un peu cagneux en arrière ; car il faut que, dans eux tous, les membres intermédiaires soient, tout ensemble, et dirigeants, et suivants. § 2[101]. Puisque c’était là leur organisation, il fallait bien qu’ils eussent leur flexion en avant et en arrière : en avant, afin de pouvoir diriger, et en arrière, poursuivre le mouvement des premiers. Comme pour eux cette double conformation était nécessaire, il fallait bien encore qu’ils fussent cagneux et que les flexions fussent obliques, excepté les dernières ; et cela selon la nature plus spéciale de chacune, celles-ci comme devant suivre, et les autres comme devant diriger. On peut ajouter que les flexions sont ainsi disposées à cause de la multiplicité même des membres, puisque, de cette façon, les pieds devaient se gêner beaucoup moins dans la marche, et se heurter bien moins les uns aux autres. § 3[102]. Si ces animaux sont cagneux, c’est qu’ils vivent tous, ou presque tous, dans des trous ; et il n’est pas possible que des êtres destinés à vivre ainsi soient hauts sur leurs pieds. Les crabes sont, de tous les polypodes, ceux qui sont les plus remarquables. Ils ne font pas leur progression en avant ; et ainsi que nous l’avons déjà dit, ils sont les seuls, entre tous les animaux, à avoir plusieurs pieds dirigeants. Cela tient à la dureté de leurs pieds, dont ils se servent non pas pour nager, mais pour marcher ; car ils marchent sur terre presque toujours.

§ 4[103]. Chez tous les polypodes, les flexions se font sur le côté, comme chez les quadrupèdes qui vivent dans des trous ; tels sont les lézards, les crocodiles et bon nombre d’ovipares. Cela tient à ce qu’ils sont troglodytes, soit pendant leur ponte, soit durant leur vie tout entière.


CHAPITRE XVII

Des pieds des langoustes, faits pour nager et non pour marcher ; flexion oblique des pieds chez les crabes, qui sont faits pour marcher plus que pour nager ; progression singulière du crabe avançant tous ses pieds à la fois et en sens oblique ; marche des Psettes ; organisation des pattes des oiseaux palmipèdes ; elles sont placées par derrière et non au centre ; elles sont courtes, mais épaisses et larges ; utilité de cette disposition pour nager ; sagesse de la nature.

§ 1[104]. Les autres animaux ont les pieds cagneux, parce qu’ils sont mous ; mais dans les langoustes, qui ont la peau dure, les pieds sont faits pour nager et non point pour marcher. Chez les crabes, au contraire, la flexion a lieu obliquement ; et leurs pieds ne sont pas cagneux, comme chez les ovipares qui ont du sang et qui sont polypodes, parce que leurs membres sont revêtus d’un tégument dur, qui ressemble à celui des huîtres, et parce que l’animal n’est pas fait pour nager et qu’il est troglodyte. La vie du crabe se passe sur terre ; sa forme est à peu près ronde, et il n’a pas de queue comme la langouste.

§ 2[105]. Les langoustes, en effet, se servent de leur queue pour nager, tandis que le crabe ne nage pas ; et il est le seul où la partie oblique ressemble à la partie postérieure, parce qu’il a plusieurs pieds dirigeants. Cela vient de ce qu’il n’a pas de flexion en avant, et de ce qu’il n’est pas cagneux non plus. Nous venons de dire que ce qui rend non cagneux les pieds des crabes, c’est la dureté de leur tégument, qui est à peu près celui de l’huître. De là, une nécessité pour le crabe de progresser par tous les pieds à la fois et de progresser en sens oblique. D’abord, l’obliquité de la marche est forcée, parce que la flexion est oblique aussi ; et, ensuite, le mouvement simultané de tous les pieds n’est pas moins nécessaire, parce que les pieds qui resteraient immobiles gêneraient ceux qui seraient en mouvement.

§ 3[106]. Les poissons dans le genre des Psettes (barbues) nagent, comme les borgnes marchent, parce que leur nature est toute retournée. Les oiseaux palmipèdes nagent avec leurs pieds ; cependant, comme ils reçoivent l’air et qu’ils respirent, ce sont des bipèdes ; et comme ils vivent aussi dans l’eau, ils sont palmipèdes. Grâce à cette conformation, les pieds leur, tiennent lieu de nageoires. D’ailleurs, ils n’ont pas leurs pattes au centre du corps comme les autres oiseaux, mais ils les ont plus en arrière ; et comme les pattes sont fort courtes, placées en arrière, elles servent à la natation.

§ 4[107]. Si ces oiseaux ont de courtes pattes, c’est que la nature a ajouté aux pieds ce qu’elle enlevait à la longueur des pattes, et qu’au lieu de donner de la longueur à ces membres, elle leur a donné de l’épaisseur, en même temps que de la largeur aux pieds. Cette épaisseur les rend plus utiles que s’ils étaient longs, pour repousser énergiquement le liquide lorsque l’animal doit nager.


CHAPITRE XVIII

Comparaison des oiseaux et des poissons ; leurs différences ; leurs rapports à certains égards ; position des ailes chez les uns, et des nageoires chez les autres ; queues des oiseaux ; queues des poissons.

§ 1[108]. La raison comprend sans peine que les volatiles aient des pieds et que les poissons n’en aient pas. Les premiers passent leur vie dans un milieu qui est sec ; et comme il est impossible de se tenir toujours à une certaine hauteur, il leur faut des pieds ; au contraire, comme les poissons vivent dans le liquide, c’est l’eau qu’ils reçoivent et non pas l’air. Tandis que les nageoires leur servent à nager, les pieds ne leur serviraient à rien ; et s’ils avaient les deux, c’est-à-dire les pieds et les nageoires, c’est qu’ils seraient dépourvus de sang. § 2[109]. Quant aux oiseaux, leur organisation est, dans une certaine mesure, celle des poissons. Ainsi, les oiseaux ont les ailes au haut du corps, et les poissons ont aussi deux nageoires dans la partie déclive et antérieure. Si les uns ont des pieds en dessous, les autres également ont, pour la plupart, des nageoires sous le ventre, et près des nageoires antérieures. Les uns ont un croupion garni de plumes ; les autres ont une queue.


CHAPITRE XIX

Des crustacés ; obscurité de leur mouvement ; ils n’ont pas de droite et de gauche ; leur nature imparfaite rapprochée de celle des phoques et des chauves-souris ; mesure très-restreinte de leur mouvement ; la pince droite des crabes, étant toujours plus forte, indique qu’il y a en eux une sorte de droite et de gauche. — Résumé sur les organes de la locomotion en général ; annonce du Traité de l’Ame.

§ 1[110]. Pour les crustacés, on peut être embarrassé de dire quel est leur mouvement ; et, comme ils n’ont pas de droite ni de gauche, on ne sait d’où leur mouvement peut partir ; mais on voit cependant qu’ils en ont un. Peut-être faut-il supposer que tout cet ordre d’animaux est en quelque sorte mutilé ; et l’on peut croire qu’ils se meuvent comme le feraient les animaux pourvus de pieds, si on venait à leur couper les membres ; tels sont, par exemple, le phoque et la chauve-souris, qui sont bien aussi des quadrupèdes, mais qui ne le sont que très-imparfaitement. § 2[111]. Les crustacés se meuvent sans doute aussi ; mais leur mouvement est contre nature ; ils ne sont pas vraiment mobiles ; ils ne se meuvent que comme des êtres immobiles et attachés à un lieu fixe ; mais, sous le rapport de la marche, ils ne bougent pas. Chez les crabes, il y a encore une droite ; mais celle qu’ils ont est bien imparfaite ; la preuve qu’ils en ont une, c’est leur pince, puisque la pince droite est toujours plus grande et plus forte, comme si la gauche et la droite voulaient par là se distinguer entre elles.

§ 3[112]. Voilà ce que nous avions à dire en ce qui regarde toutes les parties des animaux en général, et spécialement celles qui concourent à leur marche et à toute leur locomotion. Après ces détails, ce qui les suit naturellement, c’est l’étude de l’âme.


FIN DU TRAITE DE LA MARCHE DES ANIMAUX.
  1. Pour étudier. Ce premier chapitre et le suivant sont consacrés à exposer la méthode qui sera adoptée dans ce petit traité. C’est un soin qu’Aristote a toujours pris, ainsi qu’on peut le constater déjà dans l’Histoire des Animaux ; mais on le voit surtout dans le Traité des Parties, dont le premier livre tout entier n’a pas d’autre objet. Sur cette question de la méthode, consulter le début de l’Histoire des Animaux, avec la note qui s’y rapporte ; voir aussi la Préface à ma traduction, page exiv. — Pourquoi… dans quelle vue. C’est toujours la théorie des causes finales, qu’Aristote le premier a préconisée, et qui seule peut donner à la science de la nature un véritable intérêt, quand elle est appliquée avec discrétion et sagacité. Sans cette théorie, la nature n’a pas de sens ; elle n’est plus qu’une collection de faits curieux sans doute, mais profondément obscurs. Tous les grands naturalistes ont cru, comme Aristote, aux causes finales ; et comme lui, ils se sont efforcés de les scruter, avec la certitude de pouvoir les découvrir. — Dans un seul et même animal. Par exemple, dans un seul et même quadrupède, où les membres de devant et ceux de derrière, qui servent également à la locomotion, offrent de grandes différences. — D’autres animaux… Par exemple, le quadrupède et le reptile, l’oiseau et le poisson, qui appartiennent à des genres éloignés les uns des autres. Mais, malgré de grandes et évidentes dissemblances, le but est le même, et le moyen seul diffère ; c’est toujours à la locomotion que servent les organes, quelque divers qu’ils soient. — à un genre différent. C’est de l’anatoraie comparée, au sens où l’entendent les Modernes. Aristote n’a pas créé le mot ; mais il a créé la science, en la fondant sur des observations et des comparaisons aussi nombreuses qu’exactes, comme le prouve le présent traité, analysant une question spéciale, après les généralités fécondes de l’Histoire des Animaux, et du Traité des Parties.
  2. Toutes les questions. Les questions énumérées ici seront développées successivement, dans les chapitres suivants, avec plus ou moins d’étendue. — Le minimum des appareils. Dans les bipèdes, les appareils sont au nombre de deux, du moins à ce qu’il semble ; mais les bras chez l’homme, et les ailes chez l’oiseau, complètent le nombre des appareils, qui sont toujours quatre. Ce point d’ailleurs sera éclairci dans les chapitres suivants. — Pourvus de sang. Ce sont presque tous les animaux supérieurs. — Ceux qui n’ont pas de sang. Pour Aristote, ce sont surtout les insectes. Dans la science moderne, ces dénominations ont disparu ; et l’on ne connaît plus que les animaux à sang rouge, et les animaux à sang blanc. De part et d’autre, il y a du sang indistinctement, c’est-à-dire, un fluide nourricier, qui est indispensable, et qui ne diffère qu’en couleur. Cependant Cuvier, dans son Anatomie comparée, tome IV, p. 163, 1ere édition, penche à croire que la nutrition des insectes se fait par imbibition et qu’ils n’ont ni vaisseaux lactés, ni vaisseaux sanguins ; mais Cuvier n’en croit pas moins au sang des insectes, que l’air vient chercher en quelque sorte par les trachées, puisque le sang ne peut pas, chez ces animaux, aller chercher l’air dans les poumons, « Le suc nourricier est absorbé par les parois de l’intestin, et se répand immédiatement dans la spongiosité du corps ; » Cuvier, Règne animal, tome I, p. 35, édition de 1829. — Sans pieds. Ce sont la plupart des reptiles, et particulièrement les ophidiens ; ce sont aussi les poissons. — Reçu davantage. Comme une foule d’insectes, les hexapodes, les décapodes, les myriapodes, par exemple, et aussi les crustacés.
  3. En nombre pair. La question est importante, et cependant on ne voit pas qu’elle ait été reprise depuis Aristote ; c’est peut-être que la raison de ce phénomène est évidente. Le corps étant composé de deux parties, l’une droite et l’autre gauche, la locomotion ne pouvait se faire que des deux côtés. Pour les animaux qui n’ont ni droite ni gauche, la question est différente ; ou plutôt, elle ne peut être posée. — L’homme et l’oiseau… les poissons. Ce sont la de simples questions de fait ; il faut constater les réalités ; mais il faut préalablement les admettre. — N’en ont pas du tout. Les poissons ne diffèrent peut-être pas autant qu’Aristote semble le croire ; on retrouve aussi en eux des organes correspondants à ceux des autres animaux. C’est là ce qui fait que la natation chez les animaux aquatiques et le vol chez les oiseaux se confondent à plus d’un égard. — Se font dans des sens contraires. Ceci est parfaitement exact ; et Aristote reviendra plus d’une fois sur cette curieuse observation.
  4. En sens contraire ses jambes et ses bras. Cette observation n’est pas moins exacte. — Concave… convexe. Le texte n’est pas aussi précis ; mais le sens n’a rien de douteux. — Des flexions qui sont opposées à celles de l’homme. Ceci est également exact ; Aristote reviendra plus loin sur ce détail. Cette conformation différente des flexions est la suite nécessaire de la conformation même des quadrupèdes, portés sur quatre appuis au lieu de deux. C’est à la condition seule de flexions de ce genre que leur locomotion est possible. — Qui est dirigée en un sens oblique. Ceci se rapporte aux membres des reptiles, crocodiliens, chéloniens et batraciens ; les ophidiens ont pour se mouvoir les torsions et les ondulations de leur corps entier, au lieu des membres qui leur manquent.
  5. Toujours en diagonale. Le fait n’est pas général ; et au lieu de la diagonale, certains quadrupèdes ont une autre allure, l’amble, qui est naturelle chez quelques-uns et qui peut aussi être factice ; les deux parties du corps semblent avancer l’une après l’autre, les deux membres du même côté se mouvant ensemble, au lieu de se mouvoir alternativement. Mais la question que se pose Aristote n’en est pas moins curieuse et digne d’étude ; voir l’Histoire des Animaux, liv. II, ch. I, § 12, page 105 de ma traduction. La marche des quadrupèdes, et notamment celle du cheval, est beaucoup plus compliquée qu’elle ne le paraît au premier coup d’œil. On y reviendra plus loin.
  6. . Les causes de tous ces phénomènes. C’est la recherche des causes finales, qui doit venir après l’observation des faits ; elle est la partie essentielle de la science, en dépit des préjugés, fort en vogue aujourd’hui, qui veulent l’en bannir. — L’Histoire de la nature. Ou, si l’on veut, par une traduction non moins exacte, l’Histoire naturelle. Cette dernière expression a peut-être un air trop moderne ; et c’est là ce qui m’a empêché de l’adopter, bien qu’elle soit l’équivalent absolu de l’expression grecque. Du reste, on doit penser qu’ici Aristote entend, par l’Histoire de la nature, désigner l’Histoire des Animaux, dont le caractère général est bien celui qui est rappelé dans ce passage. — Pourquoi ils sont ce qu’ils sont. C’est l’explication scientifique, après l’observation matérielle.
  7. Après avoir indiqué….. la méthode si souvent appliquée… Ceci démontre bien qu’Aristote ne s’est pas astreint à la méthode d’observation uniquement par l’instinct de son génie ; il a fait plus ; et c’est, avec une réflexion profonde, qu’il a posé la théorie de cette méthode à la tête de tous ses ouvrages principaux. A cet égard, la méthode d’observation, dont il est le père, lui appartient en propre. Notre dix-septième siècle ne peut en revendiquer l’honneur ; et les Modernes auraient tort d’usurper une gloire qui revient à la Grèce toute seule. — Dans les œuvres… C’est l’expression même du texte ; et cette expression, générale comme elle l’est, semble s’appliquer à l’ensemble des choses, et non pas seulement aux êtres animés que produit la nature.
  8. . La nature ne fait jamais rien en vain. C’est le principe dont Aristote a fait le fondement inébranlable de toute son histoire naturelle ; c’est le principe même des causes finales, et par suite de l’optimisme. Sous une forme ou sous une autre, tous les grands esprits et tous les grands naturalistes s’y sont rangés. Sans ce principe, la science est un chaos. Voir la Préface à l’Histoire des Animaux, pp. LXXXII et suiv. Voir aussi Claude Perrault, Méchanique des Animaux, édit. de 1721, pp. 334 et suiv.; et M. J. Bell-Pettigrew, la Locomotion chez les Animaux, p. 35, édit. de 1874. — Le mieux dans le possible. C’est, au fond, la même théorie que celle des conditions d’existence, établie par Cuvier. — Conformément à l’essence de chaque espèce. C’est ainsi que les conditions changent de l’homme au quadrupède, du quadrupède à l’oiseau, de l’oiseau au poisson. — On peut s’assurer… Et l’esprit de l’homme s’associe par là, dans la mesure qui lui est accordée, à l’intelligence infinie, qui éclate partout dans la nature ; en comprend les intentions, en partant de la réalité qu’il observe, pour atteindre, dans ses secrets les plus éloignés, le but poursuivi. Les grandes découvertes de la science ne sont pas autre chose ; et de nos jours, on peut citer la découverte de Neptune par Leverrier. Les perturbations d’Uranus exigeaient la présence d’un corps dans l’espace ; l’homme pouvait être sûr à l’avance que la nature l’y avait mis, dès qu’il a une foi absolue aux lois que le créateur a imposées à la matière.
  9. En second lieu. Après le principe posé dans le paragraphe précédent, celui-ci paraît d’une importance secondaire ; il est nécessaire cependant d’en tenir compte en histoire naturelle. Aristote s’en est servi dans son Histoire des Animaux, liv. I, chap. XI et XII, pp. 63 et suiv. de ma traduction ; mais il n’a pas fait à ce principe une aussi grande place qu’ici, — Les différentes dimensions. Ces six dimensions de la grandeur ou de l’espace sont très-réelles ; et elles se divisent, comme le dit Aristote, en trois séries de deux chacune. Il a insisté sur ces distinctions dans l’Histoire des Animaux, loc. cit., plus qu’il ne le fait actuellement ; voir aussi le Timée de Platon, trad. V. Cousin, p. 141.
  10. Il convient d’y ajouter… Dans la suite des pensées d’Aristote, ce principe devrait se placer avant ceux dont il vient de parler, et immédiatement après le principe des causes finales. L’objet spécial du présent traité, c’est d’expliquer la locomotion des animaux ; et cette considération particulière devait l’emporter sur toutes les autres. — La pulsion et la rétraction. D’une manière générale, ce sont bien là les deux sortes de mouvements qui servent à déterminer la locomotion et le déplacement des êtres ; les bipèdes et les quadrupèdes en particulier doivent pousser leurs membres et les retirer successivement, pour que leur corps puisse avancer. — Agissent par eux-mêmes. Cette pensée n’est pas assez claire. Sans doute, Aristote veut distinguer les mouvements volontaires et les mouvement involontaires ; mais l’expression pouvait être plus nette pour une pensée aussi simple. Du reste, pour les principes généraux du mouvement, c’est la Physique qu’il faut consulter, ainsi que le petit traité du Mouvement dans les Animaux, Opuscules psychologiques, de ma traduction.
  11. Quelles en sont les conséquences. Peut-être les considérations qu’Aristote va exposer ne sont-elles pas celles qui sortent les premières des principes antérieurement indiqués ; mais ces considérations n’en sont pas moins justes ; et la distinction entre le saut et la marche ordinaire des animaux est parfaitement réelle. — Par le déplacement du corps entier. Il n’y a pas un naturaliste qui n’ait distingué le saut des autres espèces de mouvement ; mais il eût été plus naturel de ne parler du saut qu’après avoir traité de la marche. — Les saltigrades… On pourrait prendre une expression plus générale, et ne rapporter celle du texte qu’aux animaux qui sautent, que ce soit d’ailleurs leur mode habituel de locomotion, comme il arrive pour les saltigrades proprement dits (Attides), ou que ce soit un mode exceptionnel de mouvement, comme il arrive pour les quadrupèdes et pour les reptiles, ou même pour les poissons, quand ils font des sauts et des bonds ; voir pour les saltigrades M. Claus, Zoologie descriptive, p. 520, trad. franc.; et pour le saut, voir Cuvier, Anatomie comparée, t. I, p. 496, septième leç., art. IV, 1re édit. ; et M. G. Colin, Physiologie comparée, t. II, p. 446, édit. de 1871. — Par certaines parties du corps. Le corps entier arrive à se déplacer ; mais c’est par des organes spéciaux qu’il est mis en mouvement, pieds, pattes, ailes, nageoires. — Qui marchent. Sur le sol par un mouvement de progression, qui est le mouvement qu’Aristote a surtout en vue dans la présente étude.
  12. En s’appuyant sur la base. Le texte n’est pas tout à fait aussi développé ; mais le sens est très-exactement rendu. Il est reconnu par tous les physiologistes et les mathématiciens que le mouvement ne peut jamais avoir lieu dans l’animal qu’à cette condition. Quelle que soit l’espèce de levier qu’emploie la locomotion animale, il faut de toute nécessité un point d’appui. Sans ce point fixe, le mouvement est impossible. Voir M. Marey, la Machine Animale, pp. 107 et 108, édit. de 1882. — Aucun alors ne peut se mouvoir. Cet axiome de mécanique est incontestable ; et l’animal, spécialement considéré, ne peut se mouvoir qu’à la condition de s’appuyer sur une base résistante, même dans le saut, comme Aristote le dit dans le paragraphe suivant.
  13. L’animal qui saute. Voir Cuvier et M. G. Colin, loc. cit.Dans les flexions… La théorie est présentée ici d’une manière trop concise ; et la science moderne en peut dire beaucoup plus sur le jeu des flexions dans les animaux ; mais cette considération générale est bien conforme aux faits, quoique l’analyse n’ait pas été poussée assez loin. — S’appuient réciproquement. C’est la conséquence nécessaire de la constitution entière de l’animal, et du système complet qu’il forme. Voir Cuvier, Anatomie comparée, t. I, p. 56, 1ere édit. — Ce qui presse s’appuie sur ce qui est pressé. Ainsi, le pied de l’homme s’appuie sur le sol qu’il presse ; et le sol est pressé par notre pied dans la marche, ou dans la station ; en un mot, dans toutes les attitudes.
  14. Voilà comment les athlètes. Le fait est parfaitement exact ; et l’on saute beaucoup plus loin quand on tient des haltères et qu’on lance ses bras en avant ; le poids des haltères contribue à entraîner le corps. Mais quelle que soit l’exactitude de cette observation, on peut trouver qu’elle n’est pas placée très-bien ici ; ce n’est peut-être qu’une interpolation. — Lorsqu’on balance les bras. Chacun de nous a pu faire cent fois cette observation sur lui-même ; voir Cuvier, Anatomie comparée, t. I, p. 488, 1ere édit.; et M. J. Bell-Pettigrew, la Locomotion chez les Animaux, p. 14, édit. de 1874, et page 30 ; voir aussi M. G. Colin, p. 453, loc. cit. Voir enfin Barthez, Méchanique nouvelle des mouvements de l’homme et des animaux, p. 64.
  15. Toujours l’être. Ce paragraphe semble, à première vue, ne faire que répéter ce qui vient d’être dit ; mais cependant on peut penser qu’Aristote restreint ici le principe général au corps même de l’animal qui se meut. Il faut toujours qu’il y ait là, comme ailleurs, deux points, dont l’un est nécessairement fixe pour que l’autre puisse s’y appuyer. — Deux parties organiques. L’expression est bien vague ; et aujourd’hui on préciserait bien davantage les choses par le rapport des muscles aux os. Ces derniers sont le point fixe à l’égard des fibres musculaires, comme le sol est le point résistant sur lequel le tout doit s’appuyer. — Il n’y aurait pas en lui. Ceci confirme l’explication que je donne de ce passage ; il s’agit des réactions qui se passent dans l’animal lui-même, et non plus des conditions extérieures du mouvement ; les deux questions sont différentes.
  16. Nous venons de dire. Voir plus haut, ch. II, § 3. — Tous les êtres vivants. Par cette expression générale, Aristote comprend les plantes aussi bien que les animaux ; les plantes vivent, bien qu’elles ne soient pas animées. — C’est aussi dans les plantes. Aristote s’était beaucoup occupé de botanique ; mais ses ouvrages sur les plantes ne sont pas parvenus jusqu’à nous. Il a fait faire la botanique par son disciple Théophraste, ne pouvant à lui seul développer toutes les sciences que créait son génie. Voir la Dissertation sur l’authenticité et la composition de l’Histoire des Animaux, p. CXCI de ma traduction. — D’après les fonctions réelles. La distinction est fort ingénieuse ; peut-être n’est-elle pas également vraie ; mais la raison qu’en donne Aristote est assez justifiée. Si la situation de l’organe de la nutrition indique le haut dans l’être vivant, il est certain que les racines sont le haut de la plante, puisqu’elles la nourrissent.
  17. Le point du corps… Cette définition est fort acceptable ; mais ailleurs Aristote rapporte le haut dans le corps des animaux à une autre cause ; le haut et le bas dans l’homme coïncident avec le haut et le bas de l’univers ; voir l’Histoire des Animaux, livre I, ch. XII, § 2, p. 69 de ma traduction. — Le point extrême et dernier. Ce point n’est pas assez précisé ; et l’on peut comprendre qu’il s’agit soit de l’orifice excrétoire, soit de l’extrémité des membres inférieurs, où la nourriture se répartit comme partout. — Il pourrait sembler que, dans les plantes D’après la théorie d’Aristote, ce n’est qu’une apparence trompeuse, puisque c’est par la racine que la plante se nourrit. — Le haut et le bas.. n’ont pas la même position… Une fois qu’on admet la théorie d’Aristote, cette conséquence est nécessaire.
  18. Relativement au tout. C’est la traduction littérale du texte ; par le Tout, Aristote entend l’univers, comme le prouve le passage de l’Histoire des Animaux, cité au paragraphe précédent. Voir le Traité de Platon, trad. V. Cousin, p. 182. — En fait et en résultat. Il n’y a qu’un seul mot dans le grec. Le fait, ce sont les fonctions dont il est question au § 1. — Constituent le haut. Ceci est vrai, si l’organe de la nutrition détermine le haut dans l’animal. Il n’est pas moins certain que ce sont les racines qui nourrissent la plante, comme c’est par la bouche et l’œsophage que se nourrissent les animaux supérieurs.
  19. De vrais animaux. J’ai ajouté l’épithète, pour mieux marquer la pensée, qui, du reste, est très-claire. — De devant… postérieure. C’est la seconde des trois séries, deux à deux, indiquées plus haut, ch. II, § 3. — C’est par les sensations. Les organes des sens chez l’homme sont placés en avant, surtout la vue, l’odorat, le goût ; l’ouïe est à la circonférence, et le toucher est départi au corps entier. — La sensation….. devant… derrière. C’est un moyen de distinguer en effet les deux directions, en avant, en arrière ; et il nous serait difficile de trouver une explication plus satisfaisante.
  20. . De la sensibilité commune. L’expression du texte n’est pas plus définie que ma traduction. Par la sensibilité commune, on peut entendre, ou l’ensemble des cinq sens, ou le sens du toucher répandu dans toutes les parties du corps. Le contexte peut admettre l’une ou l’autre de ces explications. — Le mouvement… En opposition aux animaux qui sont immobiles. — La gauche et la droite. Voir plus haut, ch. II, § 3 ; c’est la dernière des trois séries distinguées dans les six directions. — Par une fonction d’un certain genre. Voir plus haut, § 1. — L’initiative du mouvement. C’est la théorie qui est exposée déjà dans l’Histoire des Animaux, livre II, ch. I, § 12, p. 105 de ma traduction. — Est la droite dans chaque animal. Je ne sais pas si cette observation est aussi générale qu’Aristote semble le supposer ; elle n’est pas difficile à faire ; mais il ne paraît pas que la science moderne ait reprise. Il est tout simple d’ailleurs que le mouvement commence par la droite chez l’homme, la partie droite étant chez lui plus libre et plus alerte que la gauche.
  21. . Plus ou moins marquée. Aristote avait donc observé le phénomène d’aussi près qu’il avait pu, puisqu’il avait porté son attention non seulement sur l’homme, mais sur plusieurs espèces d’animaux. — Les entrailles de terre. Voir, sur cette singulière expression, l’Histoire des Animaux, livre VI, ch. XV, §§ 3 et 4, p. 305, de ma traduction. Ces entrailles de la terre, ainsi appelées, donnaient naissance aux anguilles, à ce que supposait la crédulité populaire, qu’Aristote ne partage pas. — Il y a bien encore une gauche et une droite. L’auteur aurait dû expliquer ceci un peu plus clairement ; nous distinguons bien une gauche et une droite dans les reptiles et dans les animaux que cite Aristote ; mais à quel signe les y reconnaît-on ?
  22. Une preuve… La preuve ici donnée n’est pas péremptoire ; il est bien vrai qu’en général nous portons nos fardeaux du bras gauche, afin d’avoir la main droite plus libre ; mais la main droite recherche instinctivement cette liberté, précisément parce qu’elle est plus apte au mouvement et plus habile que la gauche. Je ne vois pas que, dans la physiologie moderne, on ait cherché à expliquer cette prédominance de la droite. Cette prédominance est de nature ; et elle tient sans doute a la position du cœur dans le corps humain. C’est une sorte de protection puissante donnée à cet organe essentiel de la vie. La gauche est défendue par la droite. — On se repose… L’observation est exacte, et l’explication qu’en propose Aristote est fort ingénieuse. Si l’on admet que c’est la droite qui commence le mouvement, il est dans l’ordre que ce soit la gauche qui soit plus particulièrement à l’état de repos.
  23. Si, au contraire… Ceci est la conséquence logique de ce qui précède ; et en effet, la droite doit, à ce compte, être plus libre que la gauche.
  24. Une autre preuve… Cette nouvelle preuve se fonde, comme les précédentes, sur un fait très-réel ; et l’attitude qu’on prend pour lancer quelque chose est bien celle que dit Aristote. Ceci est vrai pour la plupart des hommes ; mais ce ne l’est plus pour les gauchers, qui avancent la jambe droite, précisément parce qu’ils lancent de la gauche. Il faut toujours que la position des membres se contrarie en diagonale. Dans le gaucher, le bras gauche se retire, et c’est la jambe droite qui est placée en avant. Voir Barthez, Nouvelle méchanique des mouvements de l’homme et des animaux, p. 50. — Par la droite qu’on se met en défense. A moins qu’on ne soit gaucher ; mais c’est l’exception. — La droite est la même dans tous les animaux. Je ne sais pas si cette généralité, fondée sur l’origine du mouvement, est parfaitement exacte. Il est constaté que le cheval commence le mouvement par le pied droit ; mais il reste à savoir ce qu’il en est de tant d’autres animaux ; voir M. J. Béclard, Traité élémentaire de Physiologie humaine, p. 742, 6e édition. — La droite est toujours le point de départ… C’est un fait à vérifier ; et c’est peut-être un desideratum dans la science moderne.
  25. Voilà encore pourquoi les turbines… On pourrait croire que tout ce paragraphe est une interpolation ; on ne comprend pas bien en effet comment les turbines viennent figurer ici. Voir, sur les turbines, l’Histoire des Animaux, liv. IV, ch. IV, § 2, p. 38 de ma traduction. — Tous également se meuvent à droite. C’est à cette généralité qu’aboutit la digression faite dans ce paragraphe ; elle est déjà indiquée plus haut.
  26. C’est l’homme… Il semble que la pensée interrompue dans le paragraphe précédent reprend ici son cours régulier. — La plus libre et la plus détachée. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte. Ceci ne veut pas dire que dans l’homme, la gauche soit plus libre que sa droite, mais seulement que la gauche est plus libre dans l’homme que dans le reste des animaux. L’observation, même dans ces limites, n’est peut-être pas très-juste ; mais elle est encore confirmée par la fin de ce paragraphe. — Le plus conforme à la nature. La prééminence de l’homme n’est pas plus douteuse pour Aristote qu’elle ne l’est aujourd’hui pour les plus savants et les plus illustres de nos naturalistes. — Elle est isolée. L’expression du texte est aussi vague ; et je n’ai pas cru devoir la préciser davantage. La droite se distingue et se sépare de la gauche par les mouvements plus complets qu’elle peut exécuter. — La droite est la plus adroite. Cette tautologie est encore plus marquée dans l’expression grecque ; elle est une simple répétition d’un même mot, qui peut signifier tout à la fois Droit et Adroit. — Dans l’homme plus indépendante. Ceci se rapporte au début même de ce paragraphe. — Les autres principes. Voir plus haut, ch. 2f § 3.
  27. Sont pourvus de deux pieds. Il n’y a, en effet, que l’homme et l’oiseau qui soient bipèdes, et chez qui le haut et le devant soient déterminés comme ils le sont. Chez les autres animaux, il y a bien aussi un haut et un devant ; mais ils y sont moins déterminés. — Des mains et des bras. C’est la traduction exacte ; mais il eût été préférable de dire simplement des bras, puisque le bras comprend la main nécessairement. — Le devant et le haut sont dans le même sens. Le texte est un peu moins précis ; et il se sert d’un pronom indéterminé.
  28. . J’appelle Pied. Cette définition du Pied n’est peut-être pas aussi complète que l’auteur semble le croire ; mais elle suffit à indiquer sa pensée ; le pied est, selon lui, le membre qui prend l’initiative du mouvement de locomotion. — Dans la langue grecque. J’ai dû ajouter ceci, parce que, dans notre langue, cette ressemblance n’a pas lieu. On peut trouver d’ailleurs que l’étymologie donnée ici n’est pas très-juste, bien que la forme des mots soit en effet très-rapprochée. C’est une simple coïncidence.
  29. Confondus dans le même sens. Il serait peut-être plus exact de dire Indistincts, au lieu de Confondus. — Déjà parlé ailleurs. Aristote a beaucoup parlé des turbines et des crustacés dans l’Histoire des Animaux, et il est possible qu’il se réfère ici à ce qu’il a dit dans cet ouvrage ; voir notamment liv. IV, ch. IV, § 7 et ch. V, § 4 ; mais il se peut aussi qu’il fasse simplement allusion à ce oui vient d’être dit des turbines un peu plus haut, ch. IV, § 10. Ce dernier passage, du reste, n’est pas en parfaite conformité avec celui-ci. — Vers le haut de l’univers entier. Voir plus haut, ch. IV, § 3. Le haut dans l’homme est dans le même sens que le haut de l’univers, d’après la théorie d’Aristote ; c’est la pensée répétée plus tard par le poète : « Cœlum que tueri… » — Les polypodes. Ce sont d’abord tous les quadrupèdes, et tous les animaux qui ont plus de quatre pieds. — Les apodes. Ce sont les reptiles de toutes les espèces du genre ophidien. — Les plantes le sont vers le bas. Voir plus haut ch. IV, § 3, où l’on explique que les racines représentent le haut dans les plantes.
  30. C’est qu’ils sont immobiles. L’argument n’est pas décisif ; et ce n’est pas l’immobilité des végétaux qui pour eux détermine le haut. — Le haut se rapportant toujours à l’alimentation. Ce second argument est le vrai. Comme les aliments, de quelque genre qu’ils soient, ont un certain poids, il faut qu’ils entrent par le haut pour descendre peu à peu dans toutes les parties du corps, par suite des transformations qu’ils subissent. — Ils répondent au point milieu. C’est-à-dire qu’ils sont horizontaux, au lieu d’être verticaux. — Ce qui est marqué chez l’homme. Voir plus haut, ch. IV, § 11. — Un être à deux pieds. Tous les naturalistes, en décrivant la station droite chez les oiseaux et chez l’homme, en ont marqué les profondes différences ; voir Barthez, Nouvelle méchanique des mouvements de l’homme et des animaux, p. 43, édition de 1798 ; Cuvier, Anatomie comparée, l. 1, p. 480, 1e édition ; M. G. Colin, Traité de Physiologie comparée, tome I, p. 376, édition de 1871.
  31. De ces points divers. Ou, De ces parties diverses ; ce sont le haut, la droite et le devant, comme on l’a expliqué dans tout ce qui précède. — De plus important et de plus digne d’attention. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Les parties opposées. Le bas, la gauche, le derrière. Ces considérations, bien qu’un peu subtiles, ne sont pas fausses ; et la supériorité signalée par Aristote est certaine. La main droite est beaucoup plus importante pour nous que la gauche.
  32. . Suffit pour montrer. C’est une question de fait, qui ne demande pas d’explication ; il suffit de constater la réalité, qui peut ensuite devenir le fondement d’une démonstration régulière. — Dans l’immobilité de l’une des parties. Il faut toujours une partie immobile qui serve de point d’appui à l’autre partie destinée à se mouvoir. C’est le rôle que jouent les os, relativement aux muscles, qui sont en quelque sorte la partie mobile, puisque ce sont eux qui exécutent le mouvement. — Un point commun. Ceci résulte de la connexité même des parties destinées par leur rapport mutuel à former un tout ; mais la condition essentielle du mouvement est toujours un point fixe, sur lequel le levier qui agit puisse s’appuyer.
  33. Quand le corps… de repos. Après le mouvement, on doit considérer l’état de repos ; et ce qui était vrai dans le premier cas ne l’est pas moins dans le second. Il faut aussi, pour le repos, un point commun où les parties diverses, et antithétiques, se joignent et communiquent. Ainsi pour la droite et la gauche, il doit y avoir un point commun qui n’est plus ni un ni l’autre ; de même pour le devant et le derrière, le haut et le bas. — Les antithèses dont nous venons de parler. Voir plus haut, ch. II, § 3, et passim.
  34. Pour le devant et le derrière. Ceci revient à dire que tous les animaux doués d’un mouvement propre marchent toujours devant eux ; et quelques lignes plus bas, l’auteur affirme qu’il n’y a pas d’animal qui naturellement marche en arrière. C’est qu’Aristote ne connaissait pas les serpents amphisbènes, qui marchent dans les deux sens, parce que leur tête est tout d’une venue avec le reste du corps. C’est là, selon Cuvier, Règne animal, tome II, p. 72, édition de 1829, ce qui leur permet de marcher également bien dans les deux sens ; néanmoins l’organe de la vue est placé en avant chez ces animaux, comme chez tous les autres ; voir aussi H. Claus, Zoologie descriptive, p. 916, trad. franc. — Indifféremment. J’ai ajouté ce mot.
  35. Voilà comment… Ceci ne fait guère que répéter ce qui vient d’être dit dans le paragraphe précédent. — De la différence du devant et du derrière. Cette assertion doit être restreinte au mouvement, puisqu’à tout autre point de vue, le devant est très-différent du derrière dans la plupart des animaux ; les amphisbènes font une exception à peu près unique. — Dans les deux… dans les quatre premiers. Le texte ne peut avoir un autre sens ; mais il n’est pas assez clair. Sans doute, Aristote veut dire que d’abord la distinction de droite et de gauche est certaine, et que la distinction du haut et du bas, avec celle de droite et de gauche, forme quatre termes distincts. Par les quatre premiers, il faut entendre les quatre premières distinctions, le devant et le derrière ne venant qu’en dernière ligne. Mais quoi qu’il en soit de cette explication, ce passage reste très-obscur.
  36. Puis donc que le haut et le bas… Ce paragraphe n’est pas beaucoup plus clair que le précédent. — Le haut et le bas. L’auteur n’a pas montré jusqu’à présent quel est le rapport du haut et du bas au principe initial du mouvement. Il a expliqué seulement que le haut est la partie qui fournit l’alimentation à l’animal ; et c’est d’après cette condition qu’il a pu dire que les racines sont le haut de la plante, puisque c’est par là qu’elle se nourrit. Quant au droit et au gauche, ils sont bien déterminés par le mouvement, puisque, selon Aristote, c’est toujours par la droite que le mouvement commence. — Par les intervalles. Il y a une distance nécessaire de la droite à la gauche, et du haut au bas, comme il y en a une aussi entre le devant et le derrière. — De série opposée. Par exemple, le haut et le droit, le bas et le derrière, etc. — Soit de même série. La droite et la gauche, le haut et le bas, le devant et le derrière.
  37. Le principe commun. Il y a en effet dans l’animal un principe de mouvement qui se dirige tantôt à droite, tantôt à gauche ; et ce principe peut être considéré comme étant commun aux deux, puisqu’il s’applique également à l’un et à l’autre, bien qu’il commence par l’un des deux plus spécialement. — L’explication est la même. C’est-à-dire que pour le haut et le bas, il y a aussi un principe commun, qui se dirige tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre. — C’est là ce qu’on doit supposer. Cette formule, peu ordinaire à l’auteur, semble annoncer que lui-même n’est pas très-sûr des explications qu’il vient de donner sur une question d’ailleurs difficile.
  38. Deux ou quatre appareils. Les bipèdes et les quadrupèdes ; voir plus haut, ch. I, § 2, et ch. V, §§ 1 et suiv. — Dans les animaux qui ont du sang cet être doit avoir du sang. Cette généralité n’est pas exacte ; car beaucoup d’animaux qui ont du sang n’ont pas les quatre membres. L’auteur croit que cette théorie s’appuie sur les faits ; mais il se trompe ; et ce sont précisément les faits qui la condamnent.
  39. . Les faits. Aristote essaie bien toujours d’appliquer ici la méthode d’observation ; mais les faits qu’il choisit ne sont pas démonstratifs. — S’il est divisé en plusieurs parties. Le fait est exact ; mais il ne se rapporte pas à la théorie que l’auteur veut exposer. — Pourvu de sang. Peut-être faudrait-il ajouter : Et pourvu de deux ou quatre appareils. — Les animaux qui n’ont pas de sang. Il y a des éditions qui donnent un texte contraire : « Les animaux qui ont du sang ». C’est évidemment une erreur ; et ce qui prouve bien que c’est la négation qui est la leçon véritable, ce sont les exemples cités plus bas ; ils s’appliquent à des insectes qui, selon Aristote, n’ont pas de sang. D’ailleurs les mêmes observations se retrouvent dans l’Histoire des Animaux, liv. IV, ch. VII, § 3, p. 69 de ma traduction ; et dans ce passage, Aristote cite, parmi les insectes, la scolopendre, comme il la cite ici. — Les scolopendres. Voir Cuvier, Règne animal, tome IV, pp. 335 et 338. Les insectes myriapodes ont vingt-une paires de pattes ; leurs antennes ont dix-sept articles ; leurs yeux sont au nombre de huit ; quatre de chaque côté. Il y a des espèces de scolopendres qui ont plus de vingt-une paires de pattes. — Au corps allongé. Quelques scolopendres ont jusqu’à deux décimètres de long.
  40. La partie postérieure… la partie de devant. Ceci se rapporte aux deux parties dans lesquelles l’insecte a été coupé, et non à la constitution naturelle de la bête. — De la réunion de plusieurs animaux. Cette comparaison ne paraît pas très-exacte. — Antérieurement. Voir plus haut, ch. IV, § 11, la remarque sur l’homme, et ch. V, § 1 et suiv.
  41. Sont dépourvus de pieds. Ce sont les reptiles ophidiens, les serpents proprement dits. Il eût été bon d’indiquer nommément les animaux auxquels ceci s’applique. La suite du paragraphe ne les désigne pas suffisamment. — Par quatre appareils. Ou, Indices, pour reproduire plus littéralement l’expression du texte. Il ne s’agit plus ici de quatre membres comme dans les quadrupèdes. — Par deux flexions. C’est ce qu’on peut voir en effet dans les insectes qui marchent comme la chenille. La flexion du corps a deux branches qui font une sorte de voûte ; une partie s’étend et s’avance, et l’autre la suit. L’animal progresse assez vite de cette façon. — La droite et la gauche, le devant et le derrière. Il n’est pas parlé du haut et du bas, bien qu’on pût cependant les distinguer, même dans le plus rampant des insectes. — Qui représente leur tête. Cette expression semblerait faire croire que la tête de ces insectes est difficile à distinguer. Ce serait une erreur. — Et dans la partie qui est à la queue. Toute cette description laisse beaucoup à désirer. — Qui touche en avant….. qui touche en arrière. C’est bien là en effet l’apparence. Le corps se replie en arcade ; les deux extrémités sont les seules à toucher le sol, en avant et en arrière ; le reste du corps est surélevé, pour pouvoir s’avancer en se développant. — Ce soit la droite qui dirige. Il aurait fallu citer quelques faits à l’appui de cette assertion, qui n’est peut-être pas fausse.
  42. C’est la longueur de la bête. La raison ici donnée est de toute évidence. — Comme pour les hommes de haute taille. Le fait est exact ; mais la comparaison ne l’est pas autant. — Tout voûtés. C’est une observation que tout le monde a pu faire, ainsi que la suivante. — C’est bien ainsi… que les serpents. La conformation des serpents est tellement différente que ce rapprochement n’a rien de fondé. — Qui se voûtent. Soit horizontalement, soit verticalement. — Tout à fait comme les quadrupèdes. Cette assertion est fort exagérée, et elle n’a quelque réalité qu’avec la restriction que fait l’auteur dans les lignes qui suivent. — Quand la gauche à son tour. C’est-à-dire, quand le serpent fait une reptation à gauche, après l’avoir faite à droite. — Qui rentre en dedans. Le fait est certainement exact ; mais le mouvement de reptation est tout autre chose que le mouvement progressif des quadrupèdes.
  43. Représentons la partie droite… On peut refaire la figure d’après ces indications ; mais les manuscrits ne la donnent pas. Les quatre lettres ABCD doivent former une ligne ondulée dans le genre de celle que décrivent les serpents. Voir sur la reptation, Claude Perrault, Méchanique des Animaux, pp. 369 et 384, édit. de 1721 ; Barthez, Nouvelle méchanique des mouvements, etc., 4e section, p. 135 ; Cuvier, Anatomie comparée, t. I. pp. 23, 51, qui n’a pas traité spécialement de la reptation ; M. J. Bell-Pettigrew, La Locomotion chez les animaux, pp. 46 ; M. G. Colin, Physiologie comparée, p. 456, 1er volume.
  44. Les murènes. Voir l’Histoire des Animaux, liv. I, ch. V, § 3, où se trouvent les mêmes détails, presque dans les mêmes termes ; et aussi liv. II, ch. IX, § 5, pp. 29 et 158 de ma traduction ; voir Cuvier, Règne animal, tome II, p. 351, édit. de 1829. — Kestres. J’ai dû conserver le mot grec, parce que l’identification est incertaine ; il est peu probable que ce soient des espèces de muges. Voir MM. Aubert et Wimmer, et leur catalogue, en tête de leur édition et traduction de l’Histoire des Animaux, t. I, p. 130 — Le lac de Siphées. Ce lac est nommé dans l’Histoire des Animaux, liv. II, ch. IX, § 4, p. 157 de ma traduction. Le lac, ou l’étang, de Siphées était en Béotie. — Qui sont habitués à vivre sur terre. L’expression n’est pas juste ; mais j’ai dû la conserver, parce que c’est celle du texte. — Ceux des kestres qui ont deux nageoires. Ce ne sont pas alors des muges, puisque les muges ont des nageoires dorsales, ventrales et pectorales ; voir Cuvier, Règne animal, tome II, p. 230, édit. de 1829.
  45. Si les serpents sont dépourvus de pieds. La reptation des ophidiens est un des phénomènes de locomotion les plus remarquables, et Aristote a bien fait de ne pas la négliger. Les explications qu’il en donne sont bien insuffisantes sans doute ; mais ce sont les premières. — La première, c’est que jamais… Il ne semble pas que cette cause, qui est profondément vraie dans sa généralité, ait ici une application spéciale ; c’est un admirable principe que l’homme demande à sa raison, mais qui ne concerne pas plus les reptiles que le reste de la création. — Le mieux possible. Fondement de l’optimisme, qu’Aristote a toujours professé, sur les traces de Platon, son maître, et de Socrate. — Que nous avons déjà dite. Voir plus haut, ch. VII, § l, et ch. II, § 2.
  46. Il suit évidemment de ceci. La conséquence n’est pas du tout évidente, comme l’auteur paraît le croire. Ce sont là simplement des considérations abstraites, qui ne sont pas fausses précisément, mais qui ne tiennent pas d’assez près au sujet qu’on traite. — La longueur est disproportionnée. Le fait est vrai ; mais il n’a pas les conséquences qu’on lui donne. — À peu près complètement immobiles. On ne dit pas pourquoi, si ce n’est que leur mouvement serait trop lent ; mais il y a beaucoup d’autres animaux dont la locomotion est encore plus lente que celle des reptiles, en dépit des pieds dont ils sont pourvus.
  47. En nombre pair. L’observation est juste ; et ce nombre pair tient évidemment à ce que le corps a deux parties, la droite et la gauche ; voir plus loin, § 4, et plus haut, ch. I, § 3. — Qui emploient exclusivement le saut. On pourrait citer les puces, et d’autres insectes, qui paraissent n’avoir que ce moyen de locomotion. Ces animaux sautent si bien, parce que leurs jambes et leurs cuisses de derrière sont très-longues et très-épaisses. Leur saut se fait par un déploiement subit des articulations inférieures jusqu’à la dernière inclusivement, qui préalablement avait été ployée plus que de coutume ; voir Cuvier, Anatomie comparée, VIIe leçon, tome I, p. 497, 1ere édition. — Pour eux…. pour les autres. Le texte est moins précis ; mais le sens ne paraît pas douteux.
  48. Ce qui fait que nécessairement L’explication est excellente ; et la physiologie moderne ne saurait mieux dire ; mais ceci résulte primitivement de la constitution même du corps, formé de deux parties accolées. — D’un seul coup. C’est là ce qui arrive dans le saut ; mais dans la presque totalité des animaux, le saut est un moyen exceptionnel de locomotion ; la marche est leur procédé habituel. — Restent en place, tandis que. Comme il a été dit plus haut, ch. III, § 2. — Faisant passer le poids du corps. La science actuelle ne peut s’expliquer autrement que ne le fait Aristote. — Avec trois pieds. L’observation est vraie ; et il n’y a pas d’animal à trois pieds ; ce serait une claudication perpétuelle et très-fatigante. — Il tomberait inévitablement. L’hypothèse paraît vraisemblable.
  49. Les polypodes, tels que les scolopendres. Voir plus haut, ch. VII, § 2. La scolopendre fait partie de l’ordre des chitopodes ou myriapodes, mille-pattes ; et elle forme une famille ; voir la Zoologie descriptive de M. Claus, p. 535, trad. franc. Il y a des espèces de scolopendres qui sont venimeuses, et assez redoutables ; elles se cachent d’ordinaire sous des pierres ; et elles fuient le jour ; voir Cuvier, Règne animal, tome IV, p. 337, édit. de 1829. Elles courent très-vite et sont carnassières. — En leur enlevant un de leurs pieds. C’est une sorte d’expérience de vivisection. — Peuvent suppléer aux pieds correspondants. L’explication est toute naturelle ; et elle est péremptoire.
  50. Il est bien clair… La remarque est très-juste, et elle peut s’étendre à bien d’autres cas de mutilation ou d’infirmité. — Mais c’est tour à tour. On comprend bien ce que l’auteur veut dire ; mais l’expression de sa pensée aurait pu être un peu plus précise.
  51. Nous concluons… C’est une simple répétition de ce qui a été dit plus haut. — Nous avons expliqué. Voir plus haut, § 4, sur les pieds dont le nombre est toujours pair.
  52. Pas de point d’inertie. C’est le point d’appui indispensable à toute espèce de levier pour qu’il puisse agir ; et le principe que pose ici Aristote est un des premiers et des plus essentiels de la mécanique. — Ni de natation, ni de marche. Il faudrait ajouter le vol, qui, au fond, a lieu selon les mêmes lois ; il faut toujours un point d’appui pour les ailes, comme il en faut un pour les nageoires ou pour les jambes. Cuvier, dans son Anatomie comparée, n’a pas essayé de poser aucun principe de mécanique ; il ne s’est occupé que des os et des muscles, IIe leçon, tome I, p. 89, 1ere édition. La plupart des autres anatomistes ont fait d’utiles emprunts à la mécanique. Voir aussi dans l’Anatomie comparée de Cuvier, la VIIe leçon, où de temps à autre il est amené à présenter quelques considérations de mécanique et de statique. — En un cercle. Comme on le voit par les pattes antérieures des quadrupèdes.
  53. À un seul et unique appareil. La jambe, par exemple, avec la cuisse, la flexion du genou, et celle du pied. — Doit être tout droit. Cette condition est indispensable, et il y a nécessairement, dans toute progression, un moment où le corps doit être perpendiculaire. — Il se forme une hypoténuse. Les deux jambes étant à peu près de même longueur, l’une droite, l’autre s’avançant, le triangle a deux côtés à peu près égaux ; mais la distance entre les jambes n’est pas égale à l’un des côtés. L’hypoténuse s’adresse exclusivement au triangle rectangle ; puisqu’elle est le côté opposé à angle droit. Au temps d’Aristote, le langage mathématique n’était peut-être pas encore tout à fait arrêté ; mais l’hypoténuse doit ici s’entendre de la jambe qui avance, celle qui est perpendiculaire formant un angle droit avec le sol, où elle s’appuie pour soutenir le corps. — La longueur qui ne bouge pas. C’est la jambe qui est un instant droite et perpendiculaire ; c’est le plus long côté de l’angle droit. — La ligne intermédiaire. C’est l’espace compris entre les deux pieds, qui forme le second côté de l’angle droit.
  54. . Qui reste en place. Il semble que c’est la jambe sur laquelle le corps s’appuie, et qui à un moment donné est immobile, en supportant tout le poids du corps. — Dans la jointure. Le texte n’en dit pas davantage ; mais il est clair qu’il s’agit ici de la jointure de la cuisse au bassin, qui doit fonctionner quand il n’y a pas de genou. La flexion de la jambe est indispensable pour que le mouvement de progression ait lieu. — Ce qui prouve bien. La démonstration n’est pas absolument claire. — Près d’un mur. Le mur qui forme une ligne droite sert de terme de comparaison avec la direction des pas de la personne qui marche.
  55. D’ailleurs, on peut marcher… Il semble que ceci interrompt un peu le cours des pensées ; et l’exemple des enfants marchant à quatre pattes, à cause de leur faiblesse, ne paraît pas bien placé ici. Voir Barthez, Méchanique nouvelle, etc., p. 54. — Sans même que le membre fléchisse. Ceci n’est pas exact ; car il y a toujours quelque flexion dans la cuisse de l’enfant ; et il n’y aurait pas de progression possible si rien ne fléchissait en lui. — On en a dit jadis autant de l’éléphant. La flexion des jambes de l’éléphant est en effet très-remarquable, puisque les jambes de derrière semblent fléchir dans le même sens que celles de devant ; mais le texte n’explique pas assez complètement ce qu’on veut dire de l’éléphant. Il y a peut-être ici quelque interpolation d’une note mise à la marge, qui, de là, sera passée dans le texte. — Soit dans les omoplates. L’enfant doit avancer alternativement une des deux parties du corps ; et l’épaule participe nécessairement à ce mouvement ; mais on ne peut pas dire qu’il y ait flexion dans les omoplates ; c’est plus vrai pour les hanches. — En se tenant tout droit. La remarque est juste, par la raison donnée dans le § 1. — Que comme les lutteurs. La comparaison n’est pas exacte, puisque l’on suppose d’une part que l’animal reste droit, et puisque d’autre part les lutteurs se roulent dans la poussière, où ils rampent à peu près à la manière des enfants.
  56. Comme la partie supérieure du corps… Cette phrase ne se comprend pas bien, quoiqu’elle soit fort régulière de forme. — Il faut que le membre s’allonge. La jambe qui se porte en avant prend toute sa longueur, et dès qu’elle l’a prise, la flexion du genou doit avoir lieu. — Pris sa longueur. Le texte n’est pas aussi développé ; il se sert simplement d’un pronom indéterminé. — Cette ligne droite devenant plus courte. Si la jambe mise en avant restait toute droite, elle deviendrait trop courte en allant toucher la terre ; et le corps, en s’inclinant, pourrait faire une chute. — Si, en effet… Toute cette fin du paragraphe n’est pas intelligible ; et les manuscrits ne fournissent aucun moyen de l’améliorer. — Plus grande, tout égale qu’elle est. Il y a là une contradiction flagrante. — Et en outre l’hypoténuse. D’après ce qui a été dit au § 3, l’hypoténuse est formée par la jambe qui s’avance, puisque, dans le triangle, cette jambe est opposée à l’angle droit formé par la jambe qui est perpendiculaire et par la ligne du sol, entre les deux jambes. Tout ce qu’on peut tirer de ce passage embarrassé, c’est qu’Aristote a étudié avec la plus vive attention les diverses phases que présente la marche dans l’homme. Mais l’expression de sa pensée est restée fort incomplète, soit par sa faute, soit par celle des copistes.
  57. Il y a donc nécessité… Cette nécessité ne résulte pas de ce qui précède ; mais le fait de la flexion n’en est pas moins certain, et sans elle la marche serait impossible. — Qui s’incline… sur la perpendiculaire. Il y a des éditeurs qui ont mis toute cette petite phrase entre crochets, comme suspecte. — Un triangle isocèle. L’observation est vraie, et il y a en effet un moment dans la marche où les jambes forment un triangle isocèle, le tronc et le haut du corps représentant une perpendiculaire élevée au sommet. — La tête s’abaisse. Le mouvement de la tête aide de cette façon le mouvement de progression, qu’exécutent les muscles des jambes.
  58. Quant aux animaux sans pieds. Par les animaux sans pieds, l’auteur entend surtout les reptiles ophidiens ; plus loin, il sera question des poissons, qui se déplacent par l’action de leurs nageoires et de leur queue. — Par ondulations. Le mot du texte rappelle le mouvement des flots, tout aussi bien que le mot que j’emploie dans ma traduction. — De deux façons. L’ondulation peut être, ou horizontale, de droite à gauche et de gauche à droite, ou verticale, une partie du corps faisant voûte. — C’est la manière des serpents. Les serpents avancent surtout par des ondulations latérales ; mais il y en a aussi qui se dressent et avancent à la façon des chenilles. — N’est réellement qu’une flexion. La seule différence, c’est que le corps entier s’infléchit, au lieu d’un membre isolé. — Entrailles de terre. Voir plus haut, ch. IV, § 6. — Les sangsues. Voir Cuvier, Règne animal, tome III, p. 212, où est décrite la progression de la sangsue. Cette description se rapproche tout à fait de celle d’Aristote.
  59. Réunies. J’ai ajouté ce mot pour plus de clarté. — Pas plus grandes qu’une seule. Il est possible que le corps entier puisse dans une certaine mesure rentrer en lui-même pour se détendre ensuite ; mais sans cette condition, le mouvement progressif s’explique très-bien par le rapprochement des deux extrémités, l’une des deux se fixant alternativement pour attirer ou pour pousser l’autre en avant. — N’était qu’égale. Il n’y a pas besoin que le corps devienne plus long ; il suffit qu’à la courbe formée par la flexion du corps, il succède une ligne droite, pour que la progression ait lieu dans une mesure proportionnée à la dimension de la bête. — L’animal y ramène encore tout le reste. C’est là en effet ce qui se passe dans la réalité.
  60. Dont on vient de parler. Ceci ne fait guère que répéter ce qui a été dit dans les paragraphes précédents. — Sur celles qui suivent. Ce sont les parties postérieures du corps. — Tous les animaux qui sautent. Voir plus haut, ch. IIII, § 1.
  61. Qui volent et ceux qui nagent. Presque tous les physiologistes contemporains ont rapproché le vol et la natation, comme Aristote le fait ici. — En déployant tout droit leurs ailes L’explication n’est pas fausse ; mais elle est beaucoup trop brève ; le mouvement des ailes de l’oiseau est excessivement compliqué, comme on peut le voir dans Claude Perrault, de la Méchanique des animaux, pp. 374 et suiv., édit. de 1721 ; Barthez, nouvelle Méchanique des animaux, p. 190, 6e section ; Cuvier, Anatomie comparée, t. I, p. 510, 1ere édit.; M. Marey, la Machine animale, pp. 218 et 236 ; et surtout M. Pettigrew, la Locomotion chez les animaux, pp. 17, 143 à 235, 245 et 276. — Les autres en font autant de la nageoire. Ceci n’est plus aussi exact ; aujourd’hui il est reconnu que les poissons avancent presque exclusivement par le mouvement de leur queue ; les nageoires maintiennent le corps en équilibre, et le dirigent. — Comme nous l’avons expliqué antérieurement. Voir plus haut, ch. VII, § 6 et 7.
  62. Ceux des poissons qui sont plats. Barthez, nouvelle Méchanique des animaux, page 166, cite ce passage d’Aristote, qu’il approuve ; et il nomme, parmi les poissons plats, la raie, la sole, le turbot, la pastenague, etc. Ces poissons ont une manière de nager toute spéciale. Barthez en donne une explication assez détaillée. — De la largeur de leur corps. Il serait plus exact de parler de leur queue, comme Aristote le fait d’ailleurs, dans le Traité des Parties des animaux, liv. IV, ch. XIII, § 8, p.. 257. — Comme le batos. Voir Histoire des Animaux, livre I, ch. IV, § 2, p. 26 de ma traduction. J’ai eu tort dans ce passage de ranger le batos dans la famille des raies ; il paraît bien qu’il n’y appartient pas ; voir le catalogue de MM. Aubert et Wimmer, premier volume de leur édition et traduction de l’Histoire des Animaux, p. 146. Il est jusqu’à présent impossible d’identifier ce poisson. Il est nommé aussi dans le traité des Parties des Animaux, livre IV, ch. XIII, § 8 et § 14, pp. 257 et 262. — En les redressant et en les fléchissant. Voir Barthez, loc. cit. — Successivement. J’ai ajouté ce mot.
  63. Se meuvent avec quatre appareils. Au premier coup d’œil, il semble que les oiseaux n’ont que deux appareils, les deux pattes quand ils marchent, et les deux ailes quand ils volent ; mais comme les pattes sont nécessaires dans le vol, et les ailes dans la marche, il y a chez les oiseaux les quatre appareils. — Nous avons dit. Voir plus haut, ch. I, § 2, et ch. VII, § 1. — Ne pourraient pas voler. Les pattes servent à maintenir l’équilibre du corps quand l’oiseau vole ; les ailes en font autant quand il marche. — Sans mouvoir les épaules. A cause de la constitution même du corps humain, formé de deux moitiés juxtaposées.
  64. Ainsi qu’on l’a dit. Voir plus haut, ch. IX, § 1. — Dans un milieu qui leur cède. Le texte est moins précis ; et le mot dont il se sert est plus général ; mais le sens ne peut faire de doute ; le milieu qui code ne peut être que l’air ou l’eau. — Dont les ailes sont pleines. Comme les insectes, et aussi les chauves-souris, dont les ailes sont membraneuses. — C’est de cette aile même. Le mot grec est tout à fait spécial, et il désigne cette nature d’aile particulière. Dans notre langue, nous n’avons qu’un seul mot pour l’aile de l’insecte et pour l’aile de l’oiseau ; voir M. J. Bell-Pettigrew, de la Locomotion, p. 235. — De la plume. J’ai dû essayer de reproduire la différence des mots que le texte emploie. — La partie correspondante. Et ici, ce sont les nageoires. — De la flexion….. dans les flexions. Cette répétition est dans le grec même.
  65. . La queue du croupion. Ou simplement : La queue. Mais l’expression du texte implique l’idée de croupion. — Comme le gouvernail dirige les bateaux. La comparaison est si naturelle que bien des auteurs l’ont faite après Aristote, sans avoir à la lui emprunter ; voir Barthez, Nouvelle Méchanique des mouvements de l’homme et des animaux, p. 44, et aussi p. 203. — Fléchissent dans la jointure. Il faut en effet que le gouvernail puisse se mouvoir en une certaine mesure, à droite et à gauche, pour avoir une action sur le navire. — Ne dirigent pas leur vol en ligne droite. Parce que la queue n’est pas rectrice chez ces volatiles.
  66. Une queue garnie de plumes. J’ai dû ajouter ces derniers mots pour marquer davantage la différence de la queue des insectes avec celle des oiseaux. — Entraînés comme un navire désemparé. C’est la suite de la comparaison précédente ; le fait est parfaitement observé et décrit. — Le canthare. Voir l’Histoire des Animaux, livre V, ch. XVII, § 15, p. 213 de ma traduction ; et le catalogue de MM. Aubertet Wimmer, p. 165 du tome I de leur édition et traduction de l’Histoire des Animaux. — Dans les oiseaux de grand vol. La description que donne ici Aristote est parfaitement exacte ; beaucoup d’autres naturalistes l’ont reproduite après lui. — Les flamants. J’ai traduit Porphyrion par Flamant ; mais l’identification n’est pas sûre, ainsi que je l’ai fait remarquer, Histoire des Animaux, livre VIII, ch. VIII, § 1, p. 45 de ma traduction ; pour le héron, voir id. ibid., livre VII, ch. V,§ 11, p. 34.
  67. . Le vol des coléoptères. Je ne sais si les explications données ici par Aristote sont acceptées par la science moderne ; elles ont pour elles une grande vraisemblance. — Au poids du corps… petites et faibles. Tout ceci est fort exact. Il en est tout autrement chez les oiseaux, où les ailes sont en général très-puissantes. — Un navire de charge. Cette comparaison est aussi juste que les précédentes.
  68. Chez les oiseaux. Par opposition avec les insectes. — Le paon ne peut rien faire de sa queue. Relativement au vol. — Parce qu’il la perd. Le paon n’a toute sa queue que vers trois ans ; il la perd chaque année à l’automne, et il la reprend au printemps. — Chez les oiseaux ordinaires. J’ai ajouté le dernier mot, afin de mieux marquer la différence entre les oiseaux et les volatiles à ailes pleines. — Il se passe… tout le contraire. La pensée pourrait être exprimée plus précisément. Aristote veut dire sans doute que, pour les oiseaux, le vol est rapide et que les ailes sont très-fortes pour un corps léger, tandis que les coléoptères n’ont pas ces avantages. — Pour les oiseaux à serres recourbées. Ce sont les oiseaux de proie.
  69. Tous les autres organes de leur corps. Cette remarque est très-exacte. Buffon dit à peu près la même chose, dans son Discours sur la nature des oiseaux, tome XIX, p. 34, édit. de 1830. — Un thorax puissant et pointu. Tous ces détails sont parfaitement justes. Voir la description de l’oiseau dans le Règne animal de Cuvier, tome I, pp. 303 et suiv. « Le sternum surtout est d’une grande étendue, et augmente encore sa surface par une lame saillante dans son milieu. » Cuvier décrit ensuite la fourchette formée par la réunion des deux clavicules et les apophyses coracoldes. — La proue du navire. La comparaison était neuve du temps d’Aristote ; depuis lui, elle a été cent fois répétée. Elle est frappante, quand on considère surtout les oiseaux nageurs, le cygne par exemple ; mais elle n’est pas moins naturelle, quand on considère le mouvement des oiseaux volant dans l’air. — La forme d’un Lambda. C’est-à-dire la forme d’un triangle dont un angle aigu serait tourné en avant, pour faciliter la marche dans un fluide qu’il faut diviser avec plus ou moins d’effort.
  70. Quant aux parties postérieures. La queue des oiseaux, surtout des oiseaux de grand vol, est calculée de manière à aider la locomotion, loin de la gêner. — Afin de suivre les parties antérieures. Comme les flancs du navire et le gouvernail sont calculés pour faciliter le sillage tout entier. — L’explication qu’on peut donner. Les considérations que présente ici Aristote peuvent paraître un peu trop concises ; mais on ne voit pas qu’en général les naturalistes s’y soient arrêtés beaucoup plus que lui. Ces considérations sont d’ailleurs très-exactes.
  71. Il faut nécessairement qu’il soit bipède. C’est là non seulement le fait actuel ; mais on ne saurait imaginer une autre condition que celle de bipède pour un être qui doit marcher en se tenant debout. C’est là une de ces nécessités qu’Aristote appelle Hypothétiques ; il n’est pas nécessaire qu’il y ait un être bipède ; mais du moment qu’il y a un être de ce genre, il faut nécessairement qu’il soit bipède pour pouvoir marcher. — Les parties supérieures… les parties inférieures… Ce rapport des parties supérieures et des parties inférieures du corps est très-exactement observé. — De se porter lui-même avec facilité. Cette explication est excellente. — L’homme, qui est le seul… Buffon, qui a fait une admirable étude de l’homme, tome XI, pp. 309 et suiv. édit. de 1830, ne semble pas s’être occupé d’observations analogues, bien que ces rapprochements soient d’une grande importance ; voir également la Description de l’homme, ibid. pp. 412 et suiv., Age viril. — Proportionnellement au haut du corps. Avec cette restriction sur la proportionnalité, cette remarque est très-juste. — Des jambes plus fortes. L’homme est le seul animal qui ait des mollets ; et c’est la station droite qui exige ce développement des chairs et des muscles. Cela suffit pour démontrer que le singe n’est pas fait pour se tenir debout ; et ce n’est qu’accidentellement qu’il prend cette position.
  72. Le cas des enfants… Ces remarques sur la conformation des enfants sont très-exactes ; mais peut-être la faiblesse des jambes se joint chez eux à la prédominance des parties hautes du corps. Ils sont bien des nains dans le sens où l’entend Aristote ; et leur tête est proportionnellement plus grosse que dans l’adulte. Buffon a fait sur l’enfance un chapitre spécial, où il a dit d’excellentes choses ; mais des considérations du genre de celles-ci lui ont échappé ; voir tome XI, pp. 323 et suiv., édit. de 1830.
  73. . Le poids est en arrière. La conformation générale de l’oiseau justifie complètement cette remarque ; mais elle n’est peut-être pas tout-à-fait d’accord avec ce qui vient d’être dit plus haut dans le chapitre précédent, § 8. Il est vrai d’ailleurs que, chez les oiseaux, le poids porte principalement sur partie postérieure, sans que ce soit précisément sur la queue, qui la plupart du temps est très-courte. — Des chevaux de bronze. Il faut ajouter que l’artiste a voulu représenter le cheval appuyé sur les deux seules jambes de derrière, se cabrant ou s’élançant. — Toujours lever les jambes de devant. Ce n’est pas là une posture obligée ; le cheval peut être représenté les quatre jambes à terre, ou deux jambes levées en diagonale, ou même une seule jambe soulevée. Du reste, il est possible que toute cette phrase sur l’attitude des chevaux coulés en bronze soit une interpolation. — La hanche pareille à une cuisse. Voir plus haut, ch. I, § 3, une première comparaison entre les jambes de l’homme et les pattes des oiseaux. — La cuisse qu’ils ont dans la jambe. C’est la traduction exacte du texte ; mais il faut comprendre, par la cuisse proprement dite, la partie de la jambe correspondant au fémur, indépendamment du tibia et du péroné, qui viennent ensuite après le genou et avant le pied. C’est l’ensemble de toutes ces parties qui constitue ce qu’on appelle, d’un terme générique, la jambe. — À partir du siège. Il est à regretter que l’auteur ne soit pas entré dans plus de détails sur cette organisation si particulière de l’oiseau. Buffon n’en a rien dit dans son Discours sur la nature des oiseaux, tome XIX, pp. 25 et suiv., édit. de 1830. Cuvier, Règne animal, tome I, p. 302, dit : « Le bassin des oiseaux est très-étendu en longueur pour fournir des attaches aux muscles qui supportent le tronc sur les cuisses… Les ischions et surtout les pubis se prolongent en arrière. » Cuvier et Buffon se sont peu occupés de la station droite chez les oiseaux, et des différences qu’elle présente avec la station de l’homme. C’est cependant un point fort curieux. Voir aussi M. Claus, Zoologie descriptive, p. 912, trad. franc.
  74. À proprement parler. J’ai ajouté ces mots, dont le sens est impliqué dans l’expression du texte. — Plutôt. Mot également ajouté. — C’est comme si, dans l’homme… Ces détails ostéologiques ne sont peut-être pas aussi clairs qu’Aristote aurait pu les donner, en observant les choses de plus près. — La hanche. Ou, Le bassin. — Dans l’organisation actuelle. Sous-entendu : « De l’oiseau. » — Jusqu’au milieu du ventre. Ceci ne peut se rapporter qu’à l’oiseau. — Le corps tout entier. Même remarque.
  75. À la manière de l’homme. C’est là certainement un point que la zoologie doit élucider ; la station droite de l’oiseau peut si facilement se confondre avec celle de l’homme, qu’il est utile de montrer en quoi elles diffèrent l’une de l’autre. — Si l’oiseau était droit. Sous-entendu : « De la même manière que l’homme. » — Aux Amours qu’ils représentent. C’est là une indication qui peut regarder l’histoire de l’art. Du reste, on voit déjà dans Platon qu’on prêtait des ailes à l’Amour ; voir le Phèdre et le Banquet, pp. 61 et 285 trad. de M. V. Cousin. Sur les monuments de toutes les époques, Éros est représenté avec des ailes, en même temps qu’avec un carquois et des flèches.
  76. Ne peut jamais être ailé. Le fait est que l’homme n’a pas d’ailes, bien que souvent l’imagination des poètes en ait rêvé pour lui ; mais les raisons qu’en donne Aristote ne sont peut-être pas très-solides ; et si la nature avait voulu que l’homme pût voler, elle aurait su adapter à son dos un mécanisme d’ailes aussi ingénieux et aussi puissant que celui des oiseaux, placé sur les côtés. — Plus de quatre appareils. Voir plus haut, ch. X, § 1. — D’aucune utilité. Ceci serait contestable. L’homme marche et nage ; il aurait bien pu voler aussi. — La nature ne fait jamais rien… C’est le principe ordinaire qu’invoque l’optimisme ; mais la faculté de voler aurait pu, ce semble, s’accorder dans l’homme avec le reste de son organisation.
  77. Nous avons déjà dit. Voir plus haut, ch. VI, § 1, et ch. IX, §§ 1 et 2.
  78. . Nous avons dit encore. Voir plus haut, ch. I, §§ 3 et 4. — Il en est de même des quadrupèdes. Voir, ibid, ch. I, § 4. — Ses bras en creux, et ses jambes en rond. Voir plus haut, ch. I, § 4, la même pensée, exprimée presque dans les mêmes termes. — L’organisation des oiseaux est toute pareille. Ceci peut paraître trop général ; et il aurait fallu expliquer cette pensée en la développant un peu davantage.
  79. Comme nous l’avons bien des fois répété. Le principe des causes finales a été invoqué par Aristote plus que par qui que ce soit ; on peut dire aussi qu’il a été le premier à s’en servir pour expliquer la nature. — Dans les conditions données. C’est là une restriction nécessaire qu’Aristote a toujours faite. — Dans tous les animaux qui en jouissent. Ceci semble trop général relativement à ce qui suit. Il ne s’agit, en effet, que des bipèdes. — Le poids du corps passe dans ce membre. Ce détail et tous ceux qui suivent sont d’une parfaite exactitude. — Doit n’avoir point de charge. Chacun de nous peut vérifier ce fait, très-facile à observer. — Le poids passe successivement. Même remarque. Tous ces détails sont d’une exactitude frappante ; ils étaient tout nouveaux du temps d’Aristote. Voir Cuvier, Anatomie comparée, tome 1, pp. 486 et suiv., VIIe leçon, 1ere édition.
  80. Il est dès lors possible… Ce n’est là que la constatation de la réalité. L’animal avance grâce à la flexion en avant et non point en arrière. — Il faudrait que le corps se portât en arrière. Sous-entendu : « Si la flexion se faisait en arrière au lieu de se faire en avant. »
  81. Si la flexion se faisait en arrière. Il semble que cette hypothèse est assez inutile. — Que par deux mouvements. Ceci demanderait plus d’explication ; on ne comprend pas bien la nécessité de ces deux mouvements supposés. Si la flexion était en arrière, le pied serait en avant, par analogie à ce qui est maintenant, puisque le cou-de-pied fléchit en sens contraire du genou. — Dans la flexion simultanée de la jambe. Il faut comprendre qu’il s’agit de la jambe dans toute son étendue : la cuisse d’abord, à partir de la hanche et de la tête du fémur jusqu’au genou et au pied, c’est-à-dire le haut et le bas du membre tout entier. — L’extrémité de la cuisse. C’est le fémur s’emboîtant sur le bassin. Voir Cuvier, Anatomie comparée, tome I, pp. 350 et 352, 1ere édition. La tête du fémur joue dans la cavité cotylolde ; et l’articulation est maintenue par un ligament capsulaire, qui vient de tout le pourtour de la cavité. — À partir de la flexion. La flexion dont il s’agit ici doit être celle du genou.
  82. Ses jambes en avant .. ses bras en creux. Voir plus haut ch. I, § 4. — Les bras eussent été sans objet. La remarque est parfaitement juste. — L’usage des mains….. la préhension des aliments. Sur la main de l’homme et sa prodigieuse organisation, voir le Traité des Parties des Animaux, livre IV, ch. X, § 15. Les animaux en général prennent leurs aliments avec la bouche.
  83. Quant aux quadrupèdes vivipares… par la même raison. Les jambes de devant dans les quadrupèdes vivipares s’infléchissent, il est vrai, comme les jambes de l’homme ; mais les jambes de l’homme forment le membre postérieur, au lieu de former le membre antérieur. — Entièrement semblables. C’est trop dire, et il faut faire la réserve qui vient d’être indiquée. — Ce qui fait… Cette théorie n’est peut-être pas très-exacte, en ce sens que la flexion en avant a pour but la progression, bien plutôt que l’élévation plus ou moins grande du mouvement des pattes.
  84. La cuisse entière et sa flexion. Il semble qu’il ne peut être ici question de la cuisse, puisqu’il s’agit des pattes de devant chez les quadrupèdes ; mais il est possible que par la Cuisse l’auteur entende le haut de la patte qui se rattache au trône et correspond à l’humérus. — Si les jambes de derrière s’infléchissaient en avant. L’observation est juste, et l’on doit admirer les efforts que fait Aristote pour toujours justifier ce que fait la nature. — Un bien faible écart. Les jambes de devant, pliant en arrière, seraient beaucoup trop près de celles de derrière, qui se plieraient en avant. — À tomber sous la région du ventre. Dans l’état actuel des choses, les jambes s’écartent du dessous du ventre, soit en avant, soit en arrière ; et l’allure de l’animal est beaucoup plus libre que s’il avait une organisation contraire.
  85. En fléchissant en arrière. Ceci s’applique aux pattes de derrière. — Ils ne rencontrent aucun obstacle. Ceci est parfaitement exact ; et l’observation est fort ingénieuse. — Quand ces animaux allaitent leurs petits. Autre remarque, plus délicate encore que les précédentes, et non moins juste. — Beaucoup plus commode. C’est frappant de vérité. — De leur corps. J’ai ajouté ces mots.
  86. Peut être de quatre espèces. La figure qu’indique Aristote est très-facile à reconstituer, dans les trois premiers cas, d’après les explications qu’il donne. — Ou tout à l’inverse. Cette dernière hypothèse est difficile à comprendre. Le texte ne semble pas pouvoir présenter un autre sens que celui que je donne ; mais ce sens est obscur et très-peu satisfaisant. — Comme on le voit en D. La figure qu’Aristote annexait à son texte le rendait sans doute fort clair ; mais en l’absence de cette figure, que la tradition n’a pas conservée, on ne voit pas bien ce qu’elle pouvait être, malgré l’exemple de l’éléphant donné au paragraphe suivant.
  87. Un seul animal bipède ou quadrupède. Ceci est exact. — Il n’y a que l’éléphant. En effet, l’éléphant fléchit ses jambes de derrière dans le même sens que les jambes de devant ; et c’est là ce qui fait qu’il se met si facilement à genou. Ce genre de flexion semble être celui qui est indiqué plus haut en A, et non pas en D comme le dit le texte. Buffon n’a pas insisté sur cette partie de l’anatomie de l’éléphant ; voir tome XVI, p. 335, édit. de 1830.
  88. Chez l’homme. Voir plus haut, ch. I, § 4. — Le coude… le carpe de la main… Ces observations sont fort exactes ; et depuis Aristote, elles n’ont pas été reproduites, bien qu’elles soient toutes dignes d’attention. — L’épaule est convexe également. J’ai conservé l’expression du texte ; mais elle n’est pas très-correcte. Ce n’est pas l’épaule qui se plie à proprement parler ; mais le haut du bras, là où il se joint à la clavicule et à l’épaule. — Il en est de même de la jambe entière. Ces détails sont exacts comme les précédents. — Le pied… d’une manière concave. C’est le cou-de-pied, qui a en effet une certaine concavité. — Les parties inférieures… les parties supérieures. Cette opposition est très-réelle ; et depuis Aristote, on n’a rien ajouté ce qu’il en dit ici. — L’épaule est convexe. Même remarque que plus haut sur la forme de l’épaule. Mais dans le langage aristotélique, le mot d’Épaule a un sens plus large que dans la langue de l’anatomie actuelle ; il comprend tout à la fois l’omoplate et l’articulation supérieure de l’humérus.
  89. Telle est la disposition générale des flexions. La science actuelle pourrait sans doute ajouter beaucoup aux observations d’Aristote ; mais ces observations, quelque restreintes qu’elles soient, n’en sont pas moins justes, et fort remarquables pour le temps.
  90. . En diagonale. Ou diamétralement ; ceci a déjà été établi plus haut, ch. I, § 5, où la question a été indiquée, sans les développements qu’elle reçoit ici. — Après le membre droit de devant. Plus haut, ch. IV, §§ 5-7, l’auteur a essayé de prouver que c’est par la droite que le mouvement commence ; et voilà pourquoi il parle ici d’abord du membre droit de devant. — L’animal meut. Ce passage est peut-être l’origine de toutes les recherches qui, dans ces derniers temps, ont été faites sur la locomotion animale. Ces premières données sont fort exactes en ce qui concerne les quadrupèdes. — Si les membres antérieurs se développaient à la fois. Comme l’auteur le remarque au paragraphe suivant, ce ne serait plus là une marche, ce serait un saut ; et il est bien vrai que, dans le saut, l’animal est exposé davantage à tomber.
  91. De progression. J’ai ajouté ces mots, dont le sens est implicitement compris dans l’expression grecque. — Un saut véritable. Ma traduction est encore ici un peu plus précise que le texte. — Il lui est bien difficile de prolonger… C’est très-exact même pour les animaux les plus vigoureux, comme on peut voir, ainsi que le dit Aristote, sur les chevaux de course ; ils ne peuvent soutenir cette allure violente que quelques minutes ; voir Cuvier, Anatomie comparée, tome I, p. 496, 1re édition, vue leçon, article IV. — Des courses de cérémonie. Ou des courses solennelles, comme celles des jeux Olympiques : « metaque fervidis evitata rotis ». — En isolant les parties antérieures. Le mouvement en diagonale fait que les animaux sont soutenus dans les deux sens, à droite et à gauche, devant et derrière. — Si les deux membres droits… Cette allure des deux membres du même côté est ce qu’on appelle l’amble ; elle n’est pas naturelle, et très-peu d’animaux la possèdent ; on cite notamment la girafe ; mais l’industrie humaine a su imposer cette allure spéciale à quelques animaux quadrupèdes. — L’animal tomberait. Ce n’est pas tout à fait exact.
  92. Par un de ces deux procédés. Ces deux procédés sont d’abord le saut et l’amble ; l’auteur les déclare l’un et l’autre impossibles pour la progression ordinaire ; il ne reste donc que le mouvement en diagonale, ou en diamètre. — Aucun de ces inconvénients n’est possible. C’est-à-dire que l’animal peut tout à la fois progresser plus longtemps sans fatigue, et peut progresser avec plus de sécurité. — Les chevaux et les animaux de même genre. Cette généralité est fort exacte ; mais l’analyse de ces mouvements a été poussée beaucoup plus loin par les zoologistes contemporains ; voir M. E.-I. Murey, la Machine animale, Ve édition, pp. 158 et suiv., et M. Pettigrew, la Locomotion chez les animaux, pp. 56 et suiv., édit. de 1871.
  93. Les animaux qui ont plus de quatre pieds. Ce sont en général les insectes et particulièrement les myriapodes et les hexapodes ; voir M. Claus, Zoologie descriptive, pp. 529 et suiv. trad. franc. — Les quatre pieds qui viennent à la suite. Cette indication reste obscure, et il aurait fallu parler d’abord des pieds placés avant les autres. Le genre carcinus, dont il semble qu’il s’agit ici, a cinq paires de pattes ; voir M. Claus, ibid. p. 497. — Dans les crabes. Il ne semble pas que cette observation, qui est très-juste, ait attiré l’attention de la zoologie moderne.
  94. Sont des polypodes. Les crabes ont en général au moins cinq paires de pattes, qui sont assez diversement disposées selon les espèces. — En diamètre. Ou en diagonale, les pieds d’un côté ayant un mouvement correspondant à celui des pieds de l’autre côté. — Dans quelque sens qu’ils se dirigent. Ces détails indiquent une observation très-attentive. — Une locomotion… toute particulière. Le fait est très-réel, et le naturaliste grec a le mérite de l’avoir signalé le premier. — Qui se meuve obliquement. Il ne paraît pas en effet qu’aucun animal autre que le crabe ait le même mode de locomotion. — Les yeux qui déterminent le devant. Ceci peut être accepté comme très-vrai ; mais cette théorie n’est pas tout à fait d’accord avec celle qui a été exposée plus haut, ch. IV, § 4, et où Aristote distingue le devant et le derrière de l’animal par le siège des sensations en général, au lieu de désigner spécialement la vue. — La nature a fait. C’est toujours la même admiration pour les œuvres de la nature. — Leurs yeux se meuvent de côté. Parmi les décapodes, la science moderne distingue des espèces qu’elle appelle Podophthalmes, c’est-à-dire qui ont des yeux sur les pieds ; et les pieds sont placés de côté. — Les crabes aussi se meuvent en avant. Et de cette façon, ils rentrent dans la règle générale de tous les animaux sans aucune exception.
  95. . À la manière des quadrupèdes. Cette généralité paraît au premier abord assez étrange ; mais l’auteur essaie de la justifier par les détails qui suivent, et qui sont fort exacts. — À certains égards. La restriction est indispensable. — Les ailes remplacent les membres de devant. Ce rapprochement, répété bien des fois depuis Aristote, était très-neuf de son temps. — Dans le même sens. Ceci est un peu trop vague ; et il aurait fallu peut-être pousser l’analyse plus loin. — Le vol est leur mouvement spécial. M. Bell Pettigrew dit, par une heureuse expression, que « le vol est la poésie du mouvement, » la Locomotion chez les Animaux, p. 9, édit. de 1874.
  96. Se tenir debout, ni avancer d’un pas. Parce qu’en réalité les ailes font équilibre pour les deux parties du corps, soit qu’il vole, soit qu’il marche ; mais elles ne sont peut-être pas aussi indispensables à la marche que l’auteur le dit. Voir plus haut, ch. X, § 1. — N’est pas fait pour se tenir droit. La station droite est le privilège exclusif de l’homme. — Que sa cuisse soit placée en dessous, ainsi qu’elle l’est. Voir plus haut, ch. II, § 3. — Pour les quadrupèdes vivipares. Voir plus haut, ch. XII, § 7.
  97. Les volatiles à ailes pleines. Les chauves-souris et les insectes ; voir plus haut, ch. X, § 2. — Sur les côtés. Ceci n’est pas sans exception ; les ailes sont souvent sur le dos bien plutôt que sur les côtés, ainsi que les nageoires. — Est la meilleure. Application nouvelle, après tant d’autres, de la théorie de l’optimisme, dont Aristote est un des défenseurs les plus autorisés. — Les nageoires sont ce que les ailes… Rapprochement exact dans une certaine mesure.
  98. Les Ptiles. J’ai reproduit le mot grec parce que, dans ce passage, il s’applique tout à la fois aux ailes des oiseaux et aux nageoires des poissons, et que notre langue n’a pas de terme commun de ce genre. En grec, le mot de Ptile est spécial pour les ailes des insectes ; puis, par extension, on l’emploie pour les ailes des oiseaux ; mais si l’on en juge d’après le Thésaurus d’Henri Etienne, Aristote serait le seul auteur qui l’aurait employé pour les nageoires des poissons. D’ailleurs, ce passage n’offre aucune difficulté. — Ici l’air, et là le liquide. Ceci est la preuve que le mot de Ptile s’applique également aux volatiles, aux oiseaux et aux poissons.
  99. Les quadrupèdes ovipares… Sous ce nom commun. Aristote réunit ici plusieurs espèces que la zoologie moderne a distinguées. Les crocodiles sont des sauriens ; les lézards sont des lacertiens ; les stellions sont des iguaniens ; les émydes et les tortues sont des chéloniens ; voir Cuvier, Règne animal, tome II, pp. 5, 16, 30, 32. Toutes ces espèces sont comprises dans la classe des reptiles, la 3e des vertébrés ; voir aussi M. Claus, Zoologie descriptive, pp. 913 et suiv., trad. franc. — Attachées sur le côté. La science moderne n’a pas donné à cette conformation particulière la même importance que le naturaliste grec. — Leur entrée sous terre. Cette raison ne s’applique pas également bien à tous les animaux qui viennent d’être nommés. — Leur incubation sur les œufs. Voir plus haut, ch. XII, § 9, une remarque analogue sur les quadrupèdes. Cuvier dit au contraire qu’aucun reptile ne couve ses œufs ; Règne animal, tome II, p. 3.
  100. Nous avons déjà dit. Voir plus haut, ch VII, § 2, et ch. VIII, § 5. Ces références ne sont pas d’ailleurs très-exactes ; voir aussi ch. I, § 2. — Comme il était nécessaire. Il aurait fallu expliquer d’abord d’où vient cette nécessité prétendue.
  101. . En avant et en arrière. Ceci encore est assez obscur ; il aurait été bon de l’expliquer davantage. — Qu’ils fussent cagneux. C’est-à-dire que la flexion des pieds fût un peu oblique, comme il est dit dans la suite de cette phrase. — À cause de la multiplicité même des membres. Cette raison est plus réelle. — Se gêner beaucoup moins. Ceci est exact.
  102. Ou presque tous. La restriction est nécessaire, puisque tous les reptiles, à commencer par les crocodiles et les batraciens ne vivent pas dans des trous. — Soient hauts sur leurs pieds. Ceci est vrai ; mais il ne s’agit pas de la hauteur de ces animaux ; il s’agit de la direction cagneuse de leurs pieds ; leur stature aurait pu être très basse. — Les crabes… ainsi que nous l’avons déjà dit. Voir plus haut, ch. XIV, § 5. — Sur terre presque toujours. Ce détail est fort exact.
  103. . Les lézards, les crocodiles. Ceci a déjà été dit au chapitre précédent, § 5. — Troglodytes ou habitant des trous, selon l’étymologie.
  104. Les autres animaux. Cette expression désigne ici les animaux autres que les lézards, crocodiles, etc., dont il vient d’être question, à la fin du chapitre précédent. — Dans les langoustes. Voir l’Histoire des Animaux, livre IV, ch. II, de ma traduction. — Qui ont la peau dure. Ceci est exact ; mais les langoustes sont parfois classées parmi les crustacés, ainsi que les crabes ; voir le Règne animal de Cuvier, tome IV, pp. 30 et 80. — Chez les crabes. La flexion dans les crabes ne semble pas différer autant que le dit l’auteur de ce qu’elle est dans les langoustes. — Ne sont pas cagneux. La négation paraît tout à fait indispensable pour que ce passage concorde avec tout le reste du texte. L’édition Firmin-Didot a soin de la donner. — N’est pas fait pour nager. Le crabe nage quelque peu ; mais on peut dire qu’il n’est pas fait pour cette fonction, comme la langouste et les poissons en général. — Sa forme est à peu près ronde. Cette restriction est nécessaire, parce que la forme des crabes est assez variable ; tantôt ils sont arqués, tantôt ils sont quadrilatères, tantôt orbiculaires, tantôt triangulaires, etc.; voir Cuvier, Règne animal, tome IV, pp. 30, 36, 40, 52, 55, etc.
  105. Se servent de leur queue pour nager. Cette fonction est attribuée surtout aux pieds dans le paragraphe précédent. — Il est le seul. Il y a des éditions qui suppriment cette nuance d’expression ; l’édition Firmin-Didot la rétablit avec raison ; voir plus haut la même pensée, au chapitre précédent, § 3. — Plusieurs pieds dirigeants. Voir id. ibid. — Non cagneux. Ici encore, il y a des éditions qui suppriment la négation. — De là, une nécessité. On peut trouver que cette nécessité n’est pas aussi évidente que le croit Aristote. — La flexion est oblique aussi. Répétition de ce qui vient d’être dit au § 1.
  106. Des Psettes. Voir l’Histoire des Animaux, livre IV, ch. II, § 5, p. 113 de ma traduction. J’ai laissé ici le mot grec de Psettes, parce que l’identification n’est pas certaine ; les psettes sont sans doute des plies ou des barbues ; et certainement, des poissons plats. La zoologie moderne a donné le nom de Psettes à des poissons acanthoptérygiens ; voir Cuvier, Règne animal, tome II, p. 193. — Comme les borgnes marchent. Cette comparaison est assez inattendue ; et il aurait fallu développer la pensée d’une façon plus claire. — Leur nature est toute retournée. Même remarque. Voir pour les poissons plats, Cuvier, Règne animal, tome II, pp. 337 et suiv. « Les poissons plats ont un caractère unique parmi les vertébrés, celui du défaut de symétrie de leur tête, où les deux yeux sont du même côté. Le côté où sont les yeux reste toujours supérieur quand l’animal nage ; il est toujours coloré fortement, tandis que le côté où les yeux manquent est toujours blanchâtre. » C’est sans doute à ces singularités qu’Aristote fait allusion en parlant de « nature retournée. » Quelquefois aussi il y a de ces poissons qui ont les yeux placés d’un autre côté que le reste de leur espèce. — Les oiseaux palmipèdes. La transition est bien brusque, quoi qu’il s’agisse d’oiseaux nageurs après les poissons. — Palmipèdes. Ils forment, dans la zoologie moderne, le sixième ordre des oiseaux ; voir Cuvier, Règne animal, tome I, p. 543. — Plus en arrière. C’est aussi la remarque de Cuvier, id. ibid., qui ajoute également que, chez ces oiseaux, les tarses sont courts et comprimés.
  107. . La nature. C’est toujours l’admiration sans bornes d’Aristote pour la nature. — Elle leur a donné de l’épaisseur. Ce caractère, qui est très-exact, n’a pas été étudié particulièrement par la zoologie moderne ; on peut l’observer aisément sur les lamellirostres, canards, cygnes, oies, etc.
  108. . La raison comprend sans peine. En face de la réalité, la raison de l’homme ne peut que chercher à la comprendre et ne peut que s’incliner devant elle. — À une certaine hauteur. Dans l’air, sous-entendu. — Les pieds ne leur serviraient à rien. Il est évident, d’après les pieds du phoque, que ces membres ne seraient guère utiles aux poissons. — C’est qu’ils seraient dépourvus de sang. On ne voit pas d’où vient cette conclusion et ce qui la justifie. Il est probable qu’il y a ici quelque lacune ; mais les manuscrits ne permettent pas d’y suppléer.
  109. Quant aux oiseaux. Ces rapprochements entre l’organisation des oiseaux et celle des poissons ne sont pas faux ; mais ils sont un peu forcés, et l’auteur lui-même le sent, puisqu’il dit que la ressemblance n’existe que « dans une certaine mesure ». Voir Cuvier, Règne animal, tome II, p. 122, édit. de 1829. — Deux nageoires. Il ne s’agit ici que des nageoires pectorales, qui sont en effet placées sur chacun des côtés du corps. — Pour la plupart. Cette observation est exacte, comme les précédentes ; voir Cuvier, Règne animal, tome II, pp. 120 et suiv. — Sous le ventre. Ce sont les nageoires ventrales de la zoologie moderne. — Un croupion garni de plumes. Le texte est un peu moins précis ; mais j’ai cru devoir le développer pour bien marquer la différence de la queue des oiseaux et de la queue des poissons.
  110. Pour les crustacés. Ce qui est dit ici du mouvement des crustacés est bien obscur et bien insuffisant. Il n’y a pas à douter de l’authenticité de ce passage ; mais il est à croire que auteur n’aura pas pu y mettre la dernière main. — De dire quel est leur mouvement. Ceci ne veut pas dire que le mouvement n’existe pas chez les crustacés en général, mais seulement qu’il n’y est pas bien déterminé. — Ils n’ont pas de droite ni de gauche. Ceci ne se comprend pas bien ; et les crustacés ont une droite et une gauche, dans les mêmes conditions que la plupart des animaux. L’auteur lui-même le reconnaît dans le paragraphe suivant. Les yeux placés en avant sur des pédicules mobiles, et le sens où marchent ces animaux, indiquent suffisamment et distinguent leur droite et leur gauche, comme chez les autres animaux. — Mutilé. Ceci peut sembler exagéré ; l’organisation est différente ; et voilà tout ; mais le mouvement n’en est pas moins réel, soit dans l’eau, soit sur terre. — Comme le feraient les animaux pourvus de pieds… La comparaison est ingénieuse ; et il est exact que ces animaux se traînent plutôt qu’ils ne marchent. A cet égard, ils sont incomplets, comme le sont le phoque et la chauve-souris, en tant que quadrupèdes. — Qui sont bien aussi des quadrupèdes. La science moderne ne regarde pas le phoque et la chauve-souris comme des quadrupèdes. La chauve-souris est classée parmi les mammifères carnassiers, et elle vient immédiatement après les singes ; le phoque est classé parmi les amphibies. Il est bien vrai que la chauve-souris et le phoque ont quatre membres, qu’on peut assimiler à des bras et à des jambes ; mais dans ces animaux, ce n’est qu’un caractère secondaire. Voir Cuvier, Règne animal, tome I, pp. 112 et 166 ; voir aussi le tome IV, pp. 16 et suiv., édit. de 1829. — Ne le sont que très-imparfaitement. Ceci est exact.
  111. Est contre nature. Ceci est exagéré ; seulement le mouvement est autre. — Vraiment. J’ai ajouté ce mot, qui me paraît nécessaire. — Ils ne se meuvent que comme des êtres immobiles. La contradiction est frappante ; il est difficile de l’expliquer ; et j’ai taché de la pallier autant que possible dans ma traduction. — Ils ne bougent pas. Même remarque. Les manuscrits n’offrent aucune variante dont on puisse tirer parti pour rectifier la pensée. — La pince droite est toujours… plus forte. Voir l’Histoire des Animaux, livre IV, ch. IV, § 15, p. 27 de ma traduction. — Voulaient. C’est l’expression même du texte.
  112. Voilà ce que nous avions à dire. Résumé de ce petit traité, qui regarde surtout la locomotion dans les animaux. — C’est l’étude de l’âme. On peut croire que cette petite phrase est une addition venue de quelque main étrangère. L’étude de l’âme peut faire suite à l’histoire naturelle en général ; mais la suite et le complément régulier du Traité des Parties, c’est le Traité de la Génération, comme Aristote lui-même l’indique en plus d’un passage. Il est vrai que même le Traité de l’âme est essentiellement physiologique, puisqu’il étudie surtout le principe vital, bien plus encore que l’âme proprement dite. Aussi, Aristote attribue-t-il au naturaliste, et non au philosophe, la véritable étude de l’âme ; voir le Traité de l’Ame, livre I, ch. I, § 11, p. 104 de ma traduction.