PREMIÈRE PARTIE
REPRÉSENTATION GRAPHIQUE DES PHÉNOMÈNES

CHAPITRE I.
EXPRESSION GRAPHIQUE DES GRANDEURS
ET DE LEURS RELATIONS.
Une grandeur quelconque peut être exprimée par une longueur. — Grandeurs scalaires : expression de nombres, de distances, de durées, de forces, etc. — Chronologies comparatives. — Expression graphique des relations d’espace ; systèmes de coordonnées en général. — Idée de Descartes ; courbes exprimant les relations de deux variables. — Tableaux statistiques de Playfair.
Une grandeur quelconque peut être représentée par une longueur.

Tout ce que l’esprit peut concevoir et mesurer avec exactitude s’exprime graphiquement d’une manière claire et précise : des nombres, des longueurs, des durées, des forces, trouvent dans l’emploi des figures graphiques leur expression la plus concise et la plus saisissante.

À côté de l’expression conventionnelle des nombres au moyen de chiffres, il en est une autre qui n’emprunte, pour ainsi dire, rien à la convention. Il suffit d’admettre qu’une longueur d’un millimètre corresponde à l’unité, pour que des lignes qui mesurent trois, sept ou quinze millimètres expriment clairement pour tout le monde les nombres trois, sept et quinze.

Or, une grandeur quelconque, distance, poids, température, etc., si elle est comparée à une grandeur de même ordre, prise pour unité, sera ramenée à un nombre et pourra s’exprimer par une ligne plus ou moins longue.

Pour faire voir à quel point la comparaison d’une série de nombres est facilitée par cette transformation, nous donnerons comme exemple la figure 1, qui représente l’importance comparée du matériel naval des différentes puissances maritimes[1]. C’est d’après le tonnage des navires que cette estimation est faite. Une série de colonnes dont les hauteurs sont proportionnelles aux nombres de tonneaux que peut porter la marine de chacun des douze États que l’on compare est représentée dans cette figure. Rangées, de gauche à droite, par ordre d’importance relative, la marine des Îles Britanniques occupe le premier rang ; celle de l’Autriche le dernier. Le nombre absolu de tonneaux se lit sur une échelle, à gauche de la figure. Enfin, dans la surface rectangulaire de chacune de ces colonnes, une partie teintée de hachures mesure l’importance de la marine à voiles, tandis que la surface restée blanche exprime le tonnage des navires à vapeur.

La mémoire conserve aisément le souvenir d’un tableau de ce genre : quand nous en évoquons le souvenir, nous voyons apparaître tous les rapports qui y sont représentés et que des chiffres n’exprimaient que d’une manière obscure.

Toute la statistique des marines du monde est contenue dans ce petit tableau, qui montre que les Îles Britanniques ont plus de navires à vapeur que toutes les autres nations ensemble ; que la France, au point de vue absolu du tonnage de ses flottes, ne vient qu’en sixième rang, mais qu’elle occupe le troisième si l’on ne considère que la marine à vapeur. Il n’est pas nécessaire de paraphraser un semblable tableau, ce serait délayer et obscurcir ce qu’il contient sous une forme synoptique et lumineuse.

Des tableaux du genre de la figure 1 servent à comparer entre elles toute espèce de grandeur ; tout le monde a vu des représentations de ce genre employées pour comparer les hauteurs relatives des différents édifices ou des différentes montagnes du globe.


Fig. 1. Tableau comparatif de l’importance des différentes marines à voile et à vapeur, au point de vue du tonnage.

On peut exprimer de la même façon les densités relatives des différents corps, les moyennes de la taille en différents pays, etc.

Grandeurs scalaires.

Si l’on se reporte à la figure 1, on remarquera qu’elle présente pour chaque colonne deux indications distinctes : celle du tonnage des navires à voiles et celle du tonnage des navires à vapeur. Il y a donc dans ce genre de tableaux un double élément de comparaison, chaque colonne exprimant non-seulement un nombre absolu, mais l’importance relative des valeurs qui le constituent. Dans certaines circonstances, ce mode d’expression a été utilisé avec grand avantage. Ainsi, dans la statistique médicale sur la mortalité à différents âges, on peut subdiviser chaque colonne exprimant la mortalité totale en une série d’assises dont chacune exprime par sa hauteur le nombre de morts dues à une certaine maladie ; de sorte que le chiffre total de la mortalité se trouve décomposé en une série de nombres correspondant chacun à une mortalité spéciale, celle qu’entraînent, par exemple, la phthisie, la variole, l’apoplexie, etc. Les compagnies d’assurances, devançant en cela les traités spéciaux de médecine, publient sur ce sujet d’intéressants tableaux qui permettent de comparer la proportion de décès qui correspond à chaque maladie dans la mortalité totale d’un pays. Ailleurs elles représentent par des tableaux du même genre le nombre de décès que chaque maladie entraîne à différents âges[2]. L’impression polychrome facilite beaucoup l’intelligence de ces tableaux, dont nous regrettons de ne pouvoir reproduire un type.

Le temps lui-même est soumis à ce genre d’expression. S’il est vrai, comme disent les empiriques, que le temps n’ait pas d’existence absolue, du moins il se manifeste à notre esprit par les phénomènes qu’il contient ; c’est ainsi qu’on le mesure par le nombre des retours successifs d’actes semblables entre eux : révolutions apparentes des astres, écoulements d’un sablier, oscillations d’un pendule, etc. Devenues nombres, les durées s’expriment en lignes et se comparent aisément les unes aux autres sous forme de longueurs. Il y a même certains phénomènes qui traduisent directement, sous forme de longueurs, les temps plus ou moins longs : tels sont les mouvements des astres ou ceux que nous réalisons au moyen de certains mécanismes, clepsydres ou horloges.

La notation musicale offre un exemple de représentation graphique des durées, puisqu’elle divise le temps en parties égales ou mesures, et les exprime par des longueurs égales prises sur les lignes horizontales de la portée. Cette représentation est assez grossière déjà pour la représentation des mesures dont les durées ne traduisent pas toujours par leur longueur le rhythme accéléré ou ralenti d’une mélodie écrite ; mais, dans la subdivision des mesures, l’expression des durées devient tout à fait conventionnelle. Une forme particulière donnée à chaque note en exprime la durée ; il en est de même pour les silences, où les pauses, soupirs et fractions de soupirs constituent une représentation absolument artificielle.

Rien ne serait plus facile aujourd’hui que de faire une notation musicale entièrement logique dans laquelle, en respectant l’emploi de la portée pour exprimer la hauteur des sons, on traduirait leur durée par la longueur d’un trait, l’intensité du son par l’épaisseur de ce trait. Il est probable que de longtemps un pareil système ne pourra s’introduire, parce qu’un autre usage règne aujourd’hui en tout pays ; mais il est à peu près certain qu’on reconnaîtra quelque jour les avantages d’un mode de notation musicale d’autant plus facile à apprendre, qu’il se rattacherait à l’ensemble d’une méthode dont chacun possédera les notions générales.

Chronologies comparatives.

La chronologie graphique, bien que peu répandue encore, est arrivée à un haut degré de perfection qui ne tardera pas à en imposer l’usage. La figure 2 est extraite d’un tableau graphique publié en Angleterre[3] et qu’il m’a paru fort intéressant de reproduire.

Le manque d’espace a forcé à ne prendre qu’une période de deux cents ans, de 1660 à 1860. La moitié supérieure du tableau représente la durée des règnes des souverains de la maison de


Fig. 2. Statistique graphique indiquant la succession des différents souverains en Angleterre et la durée du règne de chacun d’eux avec les dates correspondantes à leur avènement et à leur mort. Enfin sur ce tableau sont représentées les durées des périodes de paix et de guerre correspondantes à chaque règne.

Hanovre depuis Georges Ier jusqu’à Victoria. Une bande teintée

formée de hachures représente la durée de la vie de chacun des souverains ; elle commence à la date de la naissance, qu’on lit sur l’une des abscisses où les dates sont numérotées de dix en dix années, et finit à la date de la mort.

La durée du règne est figurée par une bande noire. Les généalogies se comprennent aisément, car la bande qui correspond à la vie de chaque souverain se détache de celle qui mesure la vie de son père comme une branche se détache d’un tronc.

On voit dans ce tableau que depuis l’avènement de Georges Ier jusqu’à celui de Victoria, la succession au trône s’est faite en ligne directe ; que les deux fils de Georges III ont régné tour à tour, et qu’une régence de dix ans a marqué les dernières années de Georges III.

La durée comparative des règnes apparaît au premier coup d’œil ; l’âge des souverains au moment de la naissance de leur fils est également indiqué lorsque ceux-ci ont régné. La ligne de vie de la reine Victoria ne se détache pas de celle des souverains qui l’ont précédée, parce qu’elle est petite-fille de Georges III par le duc de Kent qui n’a pas régné.

Ravivés par l’inspection de ce tableau graphique, les souvenirs historiques prennent une précision et une sûreté qu’ils empruntent à la mémoire des yeux.

Sur le même tableau se trouvaient représentées les successions des divers lords chanceliers pendant la même période, toutes les variations de la dette, de l’importation et de l’exportation, les variations du budget des recettes et des dépenses de l’État. Enfin, et nous avons reproduit cette partie du tableau comme l’une des plus intéressantes, une ligne horizontale coupée en tronçons de longueurs variables exprime, pour l’Angleterre, les périodes alternatives de paix et de guerre pendant l’espace de temps considéré. Quelques mots explicatifs rappellent dans le tableau original quelles étaient les puissances engagées dans la lutte, de même que pour la généalogie des souverains, le nom de chacun d’eux est inscrit devant sa ligne de vie.

Cet extrait ne donne qu’une idée insuffisante du tableau auquel il est emprunté, et que les ressources de l’impression polychrome rendent encore beaucoup plus expressif. Ajoutons que la multiplicité même des documents qu’il présente et qu’il ramène à une chronologie unique est un des principaux avantages qui ne saurait être reproduit dans notre petit format.

Les notions simples de grandeurs qui viennent d’être considérées isolément sont susceptibles de se combiner entre elles ; or, de ces combinaisons naissent des notions plus compliquées comme celles de surface, de mouvement, de variation. Ces notions complexes trouvent dans la méthode graphique leur expression la plus parfaite.

Expression graphique des relations d’espace.

Nous concevons l’espace suivant trois dimensions : longueur, largeur et épaisseur ; mais, pour exprimer cette triple notion, la méthode graphique ne dispose que des deux dimensions, longueur et largeur, que présente une feuille de papier ; ces ressources suffisent, dans un grand nombre de cas, pour représenter les trois dimensions de l’espace, grâce aux procédés de la géométrie descriptive ou de la perspective.

On a vu comment la notion simple de longueur se traduit par une ligne ; ce sera l’expression graphique de l’espace considéré suivant une dimension, c’est-à-dire de la distance qui sépare deux points. L’emploi du compas, du vernier ou du micromètre donne une précision merveilleuse à la mesure ou à la comparaison des distances qui sont représentées, tantôt en grandeurs réelles, tantôt amplifiées ou réduites à une échelle convenable. Cette possibilité de représenter les distances trop grandes ou trop petites à une échelle réduite ou amplifiée pour les besoins d’une compréhension facile, fait que, dans l’estimation ou la comparaison de ces grandeurs, nous jugeons mieux d’après les lignes tracées que nous ne le ferions à l’inspection des distances elles-mêmes.

L’espace considéré suivant deux dimensions nous donne la notion du plan. Des lignes tracées sur un plan expriment les différentes orientations ou directions ; enfin, l’espace limité par des lignes fournit la mesure des surfaces. C’est surtout dans les mesures de surfaces irrégulières que les constructions graphiques offrent toute leur importance, car rien ne saurait alors les remplacer. L’arpenteur n’a une idée exacte du terrain qu’il a mesuré que lorsqu’il en a tracé le plan sur son papier. Le géographe qui voudrait décrire par le langage la configuration d’un pays, la position, les distances relatives et l’orientation des différents lieux serait inintelligible, tandis que sur une carte tout est clair et l’esprit saisit aisément les formes des diverses contrées, le cours des fleuves, l’étendue relative des terres et des mers. Dans une antiquité déjà bien reculée, les Grecs employaient les cartes de géographie.

Quand une surface est de forme rectangulaire, elle exprime par son étendue le produit de deux grandeurs égales à deux des côtés adjacents. L’expression de carré d’un nombre employée comme synonyme du produit de ce nombre par lui-même montre combien est naturel ce mode de représentation graphique substitué à certaines opérations arithmétiques. Un rectangle exprime le produit de deux facteurs inégaux. Enfin, nous verrons, dans beaucoup de représentations graphiques de phénomènes, que la mesure des aires ou surfaces, faite au moyen du planimètre, donne d’une façon rapide et sûre des résultats numériques difficiles à obtenir autrement.

L’espace considéré suivant ses trois dimensions nous donne la connaissance complète des corps ou des formes que présente la nature. À défaut de la sculpture ou des plans en relief qui nous fournissent la plus parfaite expression de ces formes, on peut représenter graphiquement des solides dans l’espace.

La géométrie descriptive, par l’artifice des projections, représente à ses initiés les dimensions des corps situés en dehors du plan de la figure tracée ; mais il est une représentation qui, pour être moins rigoureuse et moins complète, n’en a pas moins une grande valeur à cause de la facilité qu’on éprouve à l’interpréter : c’est la perspective. Familiarisés depuis longtemps avec ce mode de représentation des formes par les peintures et les dessins que nous voyons partout, nous comprenons aisément la forme et les dimensions relatives des objets qui sont figurés de cette manière. Ajoutons que dans ces dernières années, grâce à la belle invention de Wheatstone, nous avons, au moyen de figures planes, la sensation complète du relief. En regardant dans un stéréoscope deux images tracées suivant une perspective différente, comme celles qui se peignent dans chacun de nos yeux quand nous les dirigeons à la fois sur un même objet, nous avons la même sensation que si un objet réel était placé devant nous et si nos deux yeux à la fois, dirigés sur cet objet, en exploraient chacune des parties différentes[4].

Détermination graphique de la position d’un point ou d’une série de points sur un plan. — Le moyen que le géographe emploie pour exprimer la position des différents lieux du globe en les rapportant à deux degrés terrestres, l’un de latitude et l’autre de longitude, n’est autre que celui qu’emploie le géomètre quand il veut exprimer sur un plan les positions relatives de différents points les uns par rapport aux autres : il détermine la position de chaque point par rapport à deux lignes qui se coupent à angle droit et qu’on appelle coordonnées rectangulaires[5]. Comme une ligne quelconque peut être considérée comme formée d’une série de points placés les uns à la suite des autres, on aura représenté sur un plan cette ligne avec sa direction et ses inflexions diverses quand on aura déterminé la position de chacun des points de cette ligne.

Soit, par exemple, à représenter le cours d’un ruisseau qui serpente sur le sol : traçons sur le terrain deux lignes qui se coupent à angle droit et que nous représenterons sur le papier par les droites et , figure 3 ; ce seront les coordonnées dont l’une s’appelle axe des abscisses ou simplement axe des  ; l’autre axe des ordonnées ou des . Un réseau de lignes parallèles à ces deux axes et se coupant comme eux à angle droit sert à faciliter la détermination du lieu où chaque point doit être figuré sur le plan.

Soit un premier point du ruisseau situé sur le terrain à deux mètres de l’axe des et à douze de l’axe des . Si nous convenons de réduire au millième les dimensions que le plan devra représenter, la position de ce premier point sera en 1, à 2 millimètres de l’axe des et à 12 millimètres de l’axe des . Un second point situé à 5 mètres de l’axe des et à 15 de l’axe des sera représenté sur le plan en 2, et ainsi de suite pour la série des points du ruisseau. La ligne ainsi construite par une succession de points exprimera toutes les inflexions du ruisseau, la longueur relative


Fig. 3. Construction d’une courbe sur un plan.


et la direction de chacune d’elles avec une fidélité d’autant plus grande qu’on aura déterminé des points plus rapprochés les uns des autres[6].

Descartes imprima une direction nouvelle à ce mode d’expression des relations au moyen de deux coordonnées. Il découvrit que les différents points des courbes engendrées par les sections coniques présentent avec deux coordonnées orthogonales des rapports simples susceptibles d’être représentés par une équation ; il fonda ainsi la géométrie analytique. Or, cette découverte devait donner aux expressions graphiques une portée nouvelle et beaucoup plus grande. Au lieu d’exprimer seulement des relations d’espace, les courbes devaient s’appliquer à l’expression des relations de deux grandeurs quelconques[7].

Courbe exprimant la relation de deux variables.

Courbe exprimant la relation de deux grandeurs quelconques. — Dans l’exemple ci-dessus indiqué, la courbe tracée sur le papier exprimait pour chacun de ses points des relations d’espace ; or, dans la conception la plus générale de la méthode graphique, on doit exprimer des relations de tout genre, et il n’est pas nécessaire que les mesures comptées sur les ordonnées et les abscisses correspondent à des grandeurs homogènes. Si nous supposons, par exemple, que les divisions comptées sur l’axe des correspondent à des temps, tandis que sur l’axe des elles correspondront à une autre grandeur, la courbe tracée exprimera les variations successives de cette grandeur, relativement au temps, et pour employer le langage technique, on dira qu’on a tracé la courbe des variations d’une grandeur en fonction du temps.

Tableaux statistiques de W. Playfair.

En 1789, W. Playfair[8] imagina de traduire par des courbes les variations que la dette d’Angleterre a subies d’année en année, depuis l’époque de l’avènement du roi Guillaume, en 1688, jusqu’à l’an 1786. Ce tableau, représenté figure 4, montre une courbe qui s’élève d’une manière irrégulière de gauche à droite, ce qui veut dire que la dette s’est accrue dans la suite des temps. Les hauteurs comptées verticalement, c’est-à-dire sur les ordonnées, expriment, en chaque point, le chiffre de la dette. Or, chaque point, par la position qu’il occupe relativement à l’axe des abscisses, indique la date à laquelle il correspond. L’auteur s’adressant à un public pour lequel ce genre de notation était nouveau, insiste longuement pour expliquer comment une grandeur linéaire peut exprimer une somme d’argent ; il imagine ladite somme réalisée en espèces, sous forme de livres tournois empilées. Dès lors, dit-il, la hauteur des piles étant proportionnelle à l’importance de la somme, il devient tout naturel d’exprimer cette somme par la longueur qu’elle occupe réellement, ou par une longueur qui lui soit proportionnelle.

Playfair insiste en outre sur la clarté que donne ce genre de représentation, et, pour montrer que les courbes seules font apparaître clairement la signification d’une statistique, il rapporte que des assertions mensongères sur le commerce de l’Angleterre ont pu circuler sans démenti, bien que leur fausseté fût démontrée par des documents statistiques qui étaient entre toutes les mains[9].


Fig. 4. Tableau des accroissements successifs de la dette d’Angleterre, d’après W. Playfair.

Les deux exemples qui précèdent suffiront pour montrer comment s’expriment graphiquement les relations de deux grandeurs ; nous allons exposer les principales applications de la méthode graphique, et pour citer d’abord celles qui sont les plus simples, nous commencerons par les cas où le temps est une des variables considérées. Plus tard, on verra des courbes qui expriment les relations de deux grandeurs quelconques, sans que le temps soit pris en considération ; plus tard encore, passant à des notions plus complexes, nous verrons comment l’espace étant considéré suivant deux dimensions, comme dans les mesures de surface, on peut combiner avec cette expression graphique celle d’une troisième variable.


  1. Cette figure est extraite de l’ouvrage de M. É. Reclus, Nouvelle Géographie de la France.
  2. On peut citer comme type de tableaux statistiques ceux que publie la Compagnie d’assurances sur la vie, de New-York : « Mortuary experience of the mutual Life, 1843 to 1874. »
  3. Chronological, historical, and statistical Diagram from the year 1600 to the present time, by J. Russell Sowray.
  4. Les images stéréoscopiques donnent même la sensation du relief dans des cas où nos yeux ne peuvent la fournir. Ainsi quand nous regardons un objet éloigné, l’écartement de nos yeux ne constitue plus une parallaxe suffisamment étendue, et chacun des yeux voit l’objet sensiblement sous le même angle que l’autre. Or, avec la photographie, on peut avoir deux images d’un même objet prises de deux points très-éloignés l’un de l’autre. Dans ces conditions, un village apparaît comme un amas de ces maisonnettes qui servent de jouets aux enfants et qu’on observerait à très-courte distance. Dans une exposition scientifique anglaise, j’ai vu des photographies stéréoscopiques de Saturne avec son anneau. Les épreuves avaient été prises à des époques différentes, de sorte que l’astre observé sous deux angles différents, son anneau se détachait avec un tel relief que l’on eût cru pouvoir le saisir à la main.
  5. On pourrait déterminer la position d’un ou de plusieurs points par rapport à des points fixes ou à des lignes quelconques. Aussi le nombre des systèmes de coordonnées est-il pour ainsi dire illimité ; mais le plus répandu, à cause de la facilité de son emploi, est celui dans lequel les coordonnées sont les distances à deux axes se coupant à angle droit et qu’on appelle, pour cette raison, rectangulaire ou orthogonal.
  6. Toute détermination de la position d’un ou de plusieurs points se fait de la même manière ; les noms seuls des coordonnées sont parfois différents. Ainsi, au lieu d’abscisses et d’ordonnées, les géographes emploient les noms de latitude et de longitude, les astronomes ceux d’ascension droite et de déclinaison.
  7. Le rôle de Descartes est apprécié de la manière suivante par Duhamel (Des Méthodes dans les sciences de raisonnement) :

    Après avoir rappelé que l’équation d’une courbe était connue, dans certains cas, par les plus anciens géomètres, Duhamel ne montre pas seulement Descartes comme le généralisateur de l’application de la science des nombres à la théorie des courbes, mais il fait voir encore que l’illustre philosophe recourait aussi dans un grand nombre de cas à l’application de la géométrie, à l’expression des nombres et à la comparaison des grandeurs. À l’appui de sa manière de concevoir le génie de Descartes avec son éclectisme, Duhamel cite un passage du Discours sur la Méthode, que nous croyons intéressant de reproduire :

    « Je n’eus pas dessein, dit-il, de tâcher d’apprendre toutes ces sciences particulières qu’on nomme communément mathématiques ; et voyant qu’encore que leurs objets soient différents, elles ne laissent pas de s’accorder toutes, encore qu’elles ne considèrent autre chose que les divers rapports ou proportions qui s’y trouvent, je pensai qu’il valait mieux que j’examinasse seulement ces propositions en général, et sans les supposer que dans les sujets qui serviraient à m’en rendre la connaissance plus aisée, même aussi sans les y astreindre aucunement, afin de les pouvoir d’autant mieux appliquer à tous les autres auxquels elles conviendraient ; puis, ayant pris garde que pour les connaître j’aurais quelquefois besoin de les considérer chacun en particulier et quelquefois seulement de les retenir ou de les comprendre plusieurs ensemble, je pensai que pour les considérer mieux en particulier je les devais supposer en des lignes à cause que je ne trouvais rien de plus simple, ni que je pusse plus distinctement représenter à mon imagination ni à mes sens ; mais que pour les retenir ou les comprendre plusieurs ensemble, il fallait que je les expliquasse par quelques chiffres les plus courts qu’il me serait possible, et que par ce moyen j’emprunterais tout le meilleur de l’analyse géométrique et de l’algèbre, et corrigerais tous les défauts de l’une par l’autre. »

  8. Tableaux d’arithmétique linéaire du commerce, des finances et de la dette nationale d’Angleterre, par M. W. Playfair. (Trad. de l’anglais, mars 1789. Paris, chez Barrois.)
  9. En 1769, époque où les exportations et les importations d’Angleterre furent plus grandes qu’elles ne l’avaient été auparavant, Junius (pseudonyme d’un écrivain politique de ce temps) dit que le commerce de l’Angleterre était extrêmement tombé. Cette assertion, aussi fausse qu’elle est hardie, ne fut relevée par personne quoiqu’on sache bien que cet auteur anonyme avait plusieurs antagonistes. Et pourtant les registres de la douane se trouvaient entre les mains des gens intéressés à prouver la fausseté de ce que J… avait avancé. Et l’on examine avec assez de soin en Angleterre les comptes que rendent les employés.

    Laissons l’auteur lui-même définir les avantages de ce mode de représentation qu’il a imaginé.

    « L’examen des tableaux, dit Playfair, laissera dans l’esprit une impression assez nette et assez profonde pour qu’elle y demeure longtemps sans être affaiblie, et l’idée qui en résultera sera simple et complète. Les hommes d’un rang éminent et ceux dont le temps est consacré à des affaires importantes n’ont le loisir de considérer les choses qu’en grand, que d’ailleurs l’attention qu’on prête aux particularités et aux détails n’est utile qu’autant que ces détails servent à donner une idée de l’ensemble. »

    Ailleurs l’auteur, frappé de l’accroissement énorme que la dette nationale avait subi et comme effrayé de ce que lui révélait le tableau qu’il venait de construire, se livre aux réflexions suivantes sur la moralité des emprunts d’États qui ne sont point amortis.

    « Satisfaits d’avoir trouvé de l’argent, nous avons laissé aux générations futures le soin de le rembourser ; et nous avons tenu, en corps de nation, une conduite pour laquelle un simple particulier qui l’emploierait dans ses affaires serait marqué du sceau de l’infamie. »