La lecture de l’idéogramme Rammân-Adad/Observation de Jules Oppert
Observations de M. J. Oppert sur la notice précédente.
Le dieu des phénomènes météorologiques, qui fait pleuvoir, qui excite les vents, qui lance la foudre, qui inonde la terre, désigné par deux signes dieu (des) vents, a été nommé successivement Hevenk, Phal, Phoul, Hou, Ben, Bur, Ramman ou Ramannu. Il s’appelle réellement Adad. Tous sont, dans une égale mesure, faux, et doivent être repoussés au même titre.
Le vrai nom a été signalé par M. Schrader, d’après un texte assyrien de Sardanapale (prisme IX, 2), et cette proposition a été élevée à la hauteur d’une certitude par un texte publié par M. Bezold, où sont énumérées les différentes appellations assyriennes mystiques et courantes, ainsi que les divers noms que cette divinité portait chez les Araméens, les Phéniciens, les Élamites, les Susiens et les Sumériens.
Le seul nom courant de ce dieu est Adad ; le texte de M. Bezold porte A-da-ad : cette forme est la première après les noms mystiques sous lesquels, dans les sanctuaires et les serments, cette figure mythologique est invoquée. Ce qui achève la démonstration, c’est une brique trouvée à Telloh, publiée par M. de Vogüé dans le Corpus inscriptionum, t. II, où, en grec et en araméen, est transcrit le nom assez connu de , « le dieu des vents donne un frère » est transcrit :
Cette forme Adadnadinaches correspond lettre par lettre au nom assyrien Adad-nadin-akh.
Cette brique, inscrite par un Chaldéen qui parlait et connaissait sa langue maternelle, que nous trouvons encore en pleine vie et entière vigueur trois siècles plus tard, du temps de Tibère, résout définitivement le problème et clôt la discussion par un arrêt souverain.
Mais l’erreur s’est perpétuée avec ténacité. On n’a pas voulu démordre d’une opinion assez étrange, contraire au bon sens et faisant litière de tout esprit de critique. Mille fois le nom du dieu en question se trouve écrit ou par son chiffre cabalistique de dix, ou par l’idéogramme An-im, « dieu du vent ». Une seule fois, dans une liste d’éponymes dont il y a plusieurs exemplaires, on rencontre un nom absolument différent : Pur-an-ramana (non pas ramanu, ce qui a son importance), ou Pur-an-raman ; et parce que, parmi beaucoup de significations, le signe , im, signifie ra manu « même », on a conclu à un dieu Raman. On a fabriqué, sans autorité aucune, une forme Rammanu en ajoutant un m, pour avoir un dérivé apocryphe du ramamu « tonner », ce que l’idéogramme im n’exprime nullement. Dans la liste des noms du dieu Adad, publiée par M. Bezold, on trouve ramimu, le tonnant, comme ragimu, le bruyant, murta’imu, le mugissant, murtasnu, l’auteur de la pluie. Mais Rammanu n’existe pas, et personne ne l’a jamais montré dans un texte.
La lecture Raman repose en effet sur une erreur grossière. Le nom est à lire Evid-ramana « (le dieu Assur ou Éa) s’est créé lui-même ». Car le groupe pur-an, et qui contient le signe an, souvent veut dire « durée » mais pas ici ; le groupe est, selon les variantes des éponymes publiées par M. Bezold, substitué au signe « fondation, fond, création, origine », esidu ; et le même fond, origine, est prononcé isdu, l’hébreu יסד. On peut dire avec le fameux éponyme , comme on trouve le nom (R. II, 63, 20), peut-être « qui a créé la route », et . On trouve aussi Esid-Assur « Assur est créateur », Esid-Nabo est créateur, Esidat-Istar « Istar fonde ». Le nom de l’éponyme de l’année où eut lieu la fameuse éclipse solaire est écrit : ou , et se lit : Isid-seti-iqbi (ou qibā) « (Deus vel Dea) fondationem valli decrevit (vel decerne) », comme on trouve le nom de « Istar a fondé le mur », et d’autres.
Il n’y a pas donc de dieu dans le nom de l’éponyme Pur-an-ra-ma-na : la terminaison en a, l’accusatif, aurait déjà dû faire réfléchir les grammairiens, qui s’acharnent sur des vétilles et qui laissent de côté des indications importantes. Il n’y a pas de dieu Raman, et là où le mot ramanu se trouverait (comme ce n’est pas le cas dans notre mot) réellement après l’expression dieu, il signifiera toujours « même ».
Nous avons déjà exposé ces raisons dans un article de la Zeitschrift fur Assyriologie, vol. VIII, p. 310 et suiv., et nous fournirons maintenant des arguments nouveaux.
Quant au terme Immer que M. Thureau-Dangin croit pouvoir admettre, on peut lui concéder que la liste de Bezold porte un dieu Mer. Nous pouvons même lui signaler un passage d’un vieux texte publié par M. Meissner (35, 22) où les parties invoquent le nom mystique de Samas et d’Immerum ; mais ce dernier signe n’est pas précédé de l’idéogramme divin, ce qui a bien son importance. Le terme d’Immer a donc pu être un nom mystique du dieu Adad ; mais il serait absolument inadmissible de dire que ce nom date seulement de Nabonid, quand, à cette assertion dépourvue de tout commencement de preuve, on peut opposer le témoignage de Sardanapale, qui, près d’un siècle auparavant, faisait copier d’anciens documents donnant le nom d’Adad en toutes lettres. Le nom ordinaire du dieu des vents, dans toute la période plusieurs fois millénaire du panthéon sémitique, est et demeure Adad.