La langue du monde excentrique en Angleterre

La langue du monde excentrique en Angleterre
Revue des Deux Mondes2e période, tome 53 (p. 462-481).
LA LANGUE
DU MONDE EXCENTRIQUE
EN ANGLETERRE

A Dictionary of modem Slang, Cant, and vulgar Words, by a London Antiquary. 1 vol. London, J. Camden Hotten.

Le travail naturel des sociétés sur elles-mêmes aboutit presque partout à créer au sein de l’organisation légitime, avouée, publique, résultant de codes écrits et débattus en plein soleil, un système en sous-ordre qu’une nécessité mystérieuse fait éclore et fructifier dans les ténèbres, impure et féconde végétation que le fer et le feu n’ont pu jusqu’à présent ni empêcher de naître ni extirper quand elle est née. Aucune forme de gouvernement ou de culte, aucun degré de civilisation ne préserve de cette espèce de lèpre, qui se maintient obstinément sur les corps les plus sains comme sur les plus gangrenés. le pays le mieux ordonné n’en est pas plus exempt que celui où les bouleversemens anarchiques ont fait table rase de toute règle et de toute tradition. L’opulence extrême, la misère extrême, y sont sujettes l’une comme l’autre. — Vous retrouvez des classes proscrites et honnies jusque chez les peuples qui semblent, par leur dégradation même et le niveau qu’elle établit, se dérober à cette loi fatale. Les Hottentots ont leur souquas (mendians), les Cafres leurs fingoes (voleurs), le Mexique a ses leperos, tout comme l’Angleterre a ses prigs[1], ses « clercs de Saint-Nicolas. » La seule différence un peu essentielle est que dans les pays régulièrement policés, où la justice est armée de pouvoirs suffisans et dispose d’instrumens efficaces, la république souterraine, l’état secrètement formé dans l’état, pour faire face à d’incessantes attaques, pour échapper à des dangers sans cesse renouvelés, cherche d’instinct à multiplier les liens qui font sa force, ou, pour mieux dire, suppléent à sa faiblesse. Il faut s’unir, s’entendre, combiner les élémens de la défense, et tout ceci sans livrer ses secrets à la vigilance de l’ennemi, qui est tout le monde. Il faut se reconnaître, se démêler parmi la foule, et, dans tels lieux publics que le hasard vous rassemble, échanger, sans être compris, le mot de passe ou le mot d’ordre. Ce premier problème a été résolu non par un seul homme, non pas. en un jour, mais par une série de générations successives, et depuis déjà quelques siècles, au moyen de cet idiome à part que nous appelons argot, et qu’on retrouve en Espagne sous le nom poétique de germania, tandis que les Allemands l’ont baptisé rolhwalsch (italien rouge). Les Italiens eux-mêmes le nomment gergo. Les Anglais, dans l’origine (c’est-à-dire dès le milieu du XVIe siècle), le désignaient à nos dépens comme « le français des colporteurs » (pedlars’ frenche, dit Harrison dans sa description de l’Angleterre, servant de préface à la Chronique d’Holinshed) ; mais vers le même temps une autre locution venait de naître, plus pittoresque et moins faussée par les préventions populaires.

Thomas Harman, dont le curieux lexique, imprimé en 1566, prend le pas, comme le plus ancien, sur tous les autres dictionnaires d’argot, nous donne le mot cante (chanter) comme synonyme de parler. Il y a là une évidente allusion à la plaintive mélopée dont les mendians font usage pour attendrir l’inconnu auquel ils s’adressent. Ce parler chantant ou chant parlé, devenu la langue des bandits et des filles perdues, s’imprègne fortement, dès l’origine, de l’idiome des gypsies ou bohémiens, qu’on voudrait rendre, encore aujourd’hui, responsables de cette création : douce illusion de l’orgueil britannique, en vertu de laquelle le vagabondage, le vol organisé, les industries illicites, seraient d’importation étrangère, et ne dateraient dans les annales des trois royaumes que du jour où les « Égyptiens » débarquèrent sur le sol immaculé d’Albion ! Ils y trouvèrent très certainement, quoi qu’on en veuille dire, ils y propagèrent peut-être le goût de la vie errante et désordonnée ; à leurs bandes errantes se mêlèrent celles de leurs dignes émules. Il y eut bientôt alliance non de sang, mais d’intérêts et de rapines. On se répartit les districts, on se groupa pour exploiter chaque branche de mendicité ou de vol ; on trouva convenable et profitable de marcher d’accord. Restait la difficulté du langage usité parmi les nouveau-venus, langage bizarre, d’origine asiatique, et auquel s’accoutumaient difficilement les oreilles anglaises : il fallut le modifier, l’amender, le dénaturer, pour l’implanter sur le coin de terre où il cherchait à se faire place. Tout en l’anglicisant au degré voulu, il fallait lui conserver son caractère mystérieux, son plus précieux attribut, celui de n’être accessible qu’aux seuls initiés, et seulement après un difficile apprentissage. On y parvint en le saturant d’élémens étrangers, de mots surannés, de glanes exotiques apportées de çà, de là, par les grammairiens errans de cette langue hybride. Comment on employait ces élémens, comment on amalgamait l’ancien et le nouveau, l’asiatique et l’européen, le çingari et l’anglais du moyen âge, la lingua franca des ports méditerranéens et le français de Villon ou l’espagnol des Novelas ejemplares, le diable seul, patron de certaines œuvres, pourrait l’expliquer en détail. À peine surprenons-nous, et bien vaguement, certains procédés de cette élaboration disséminée dans le temps et l’espace. Reste seulement un fait avéré, c’est que certains vocables de la langue légitime et connue ont été empruntés à celle dont les philologues s’occupent le moins[2]. Qui s’en étonnera, surtout de notre temps ? N’assistons-nous pas chaque jour à des phénomènes du même genre ? La littérature moderne, et par quelques-uns de ses représentans les plus accrédités, n’a-t-elle pas jeté un pont sur l’abîme qui séparait jadis les deux grandes catégories de l’ordre social ? N’a-t-on pas fait de l’argot des voleurs, au profit ou du moins à l’usage des honnêtes gens, une étude fort attentive et presque passionnée ? Quoi qu’il en soit, nous venons d’entrevoir comment naquit le cant primitif, la langue secrète des vagabonds et des malfaiteurs. Plus tard, le mot qui le désignait prit une autre acception, — la première, par parenthèse, sous laquelle il ait été connu chez nous, grâce à lord Byron, — celle de « jargon hypocrite à l’usage des pseudo-croyans ou pseudo-moralistes. » Addison, dans son Spectator[3], lui donne ce sens particulier ; il le définit en termes très précis, et le fait dériver du nom d’un prédicateur écossais, Andrew Cant, dont le fanatisme s’abritait, paraît-il, derrière des formules inintelligibles pour toute personne étrangère à sa congrégation : — anecdote suspecte, qui, dans les termes où elle nous est offerte, pourrait bien n’être qu’une ingénieuse épigramme contre ces « presbytériens bleus, » essentiellement antipathiques à l’élégant humoriste.

Le cant est en somme, au dire des experts en ces matières, un idiome de formation ancienne, construit d’après des idées qui s’enchaînent et en vue d’un but défini, la langue secrète des classes dangereuses, le voile de leurs desseins pervers, le principal instrument de leurs menées criminelles. Le slang, — bien que ce mot semble, lui aussi, d’origine bohémienne[4], — est tout autre chose que le cant. Il a existé de tout temps et dans toutes les langues. C’est l’idiome changeant et capricieux des familiarités à la mode. On le fait, on le défait tous les jours et partout. Il se localise ou s’étend, on ne sait de par quel hasard ou quelle fantaisie. Les mots dont il se compose jaillissent, on ne sait comment, d’une source ignorée, pour répondre à un vague besoin d’innovation. Ils naissent tantôt en haut et tantôt en bas, d’un empereur ou d’un pitre (peu importe à qui les répète), et vont éveiller, en vertu d’une loi d’acoustique parfaitement indéfinissable, mille retentissans échos. Tel d’entre eux, examiné de près, semble, à la rigueur, mériter sa merveilleuse fortune ; la plupart, en revanche, ont à se prévaloir exclusivement du « droit divin, » qui leur assigne une éphémère domination. Ils sont parce qu’ils sont, ils règnent parce qu’ils règnent, et celui-là même qui les a lancés dans le monde serait bien embarrassé d’en expliquer la vogue énigmatique. Il en est d’eux comme de ces refrains populaires, absolument dénués de sens, qui se succèdent périodiquement, à deux ou trois années d’intervalle, chez le peuple le plus spirituel de l’univers, et que ce peuple chante avec une.ardeur, un entrain, un brio, — disons mieux, une résignation et une patience exemplaires. Il ne faut pas être bien vieux pour se rappeler une demi-douzaine de ces chorals entonnés à la fois sur tout le territoire. Quels miracles d’épidémique stupidité ! Quelle popularité soudaine, illimitée, universelle, acquise à quel néant, à quelles inepties ! Ce phénomène explique l’existence de certaines modes absurdes en fait de langage, et ces modes constituent précisément le jargon changeant et mobile auquel nos voisins avaient autrefois donné le nom de flash, et qu’ils ont désigné plus tard, qu’ils désignent maintenant sous celui de slang, tiré, nous l’avons vu, du dictionnaire a égyptien. »

Il importait de marquer dès le début la différence de ces deux expressions, la première traduisant exactement celle d’argot (que les voleurs de Londres emploient aussi bien que ceux de Paris) ; la seconde, mieux rendue par le mot de jargon ou de langue verte, pour nous servir d’un idiotisme contemporain. Les deux vocabulaires ont des points de contact, ainsi que peut le faire pressentir l’origine commune des deux noms que portent ces deux langues distinctes ; mais ils ne se côtoient et ne se mêlent que par momens. Le fonds du premier, — fonds immuable et de vieille date, bien que plusieurs locutions soient tombées en désuétude, — est une mosaïque où l’anglais d’autrefois joue le rôle de ciment. On y a incrusté des mots hébreux, slaves, persans, quelques-uns de la plus haute antiquité, à côté desquels se juxtaposent les emprunts faits aux langues vivantes européennes, l’allemand, l’italien, le français. Le fonds du second est plus homogène, plus exclusivement national. Les expressions archaïques, adaptées aux besoins nouveaux et parfois torturées afin d’y suffire, se combinent, pour le former, avec les nouveautés les plus hasardeuses. Les affluens étrangers s’y font moins sentir. C’est d’ailleurs essentiellement le langage du jour même, non celui de la veille ou du lendemain. Il n’a ni passé ni avenir, ni emploi sérieux, ni raison d’être. Produit, dans la rue comme dans les cercles de la high life, par le heurt continuel des causeries familières, le choc des répliques improvisées, il ne fournit guère plus de lumière que l’étincelle, guère plus de chaleur utile que l’éclair lui-même.

Revenons au cant, à sa formation cosmopolite. Vous y trouverez dès le début, et parmi les façons de parler que le temps a détruites, des mots de toute provenance : boung par exemple (bourse), qui vient du frison pong ; commission, chemise, de l’italien camiccia ; grannam, blé, du latin granum ; lag, eau, de l’espagnol agua ; pallyard, gueux, du français paillard, né sur la paille ; ken, maison, qui est évidemment le khan des Orientaux, et d’où vient lyb-ken, maison à lit, un mot métis d’origine franco-turque. Ce mélange de locutions empruntées un peu partout s’explique le plus naturellement du monde par l’existence même de ces tribus malfaisantes et nomades. Le receleur juif qui se chargeait de négocier les produits de leurs vols glissait facilement quelques mots d’hébreu dans un idiome qu’il s’agissait de rendre toujours moins accessible ; un autel, une messe, prenaient le nom de salomon, et le mendiant qui prétendait avoir séjourné à Bedlam (Bethléem), pour s’assurer le bénéfice d’une feinte folie, s’appelait un abraham (Abraham-man). Un prêtre s’appelait tantôt un patrico (de padre), tantôt un domine, l’église un autem, — ressouvenirs des prières catholiques en usage avant la réforme. Les marins revenus de la Méditerranée rapportaient des débris de cet italien bâtard qui se par le encore, sous le nom de lingua franco, sur les quais de Gênes comme sur ceux de Trieste, à Malte comme à Smyrne, dans les ports de Turquie et dans ceux d’Égypte. L’italien pur arrivait à Londres avec les sculpteurs errans accourus de Florence et de Rome. Le contingent espagnol était dû sans doute à cette rivalité maritime qui mettait aux prises les flottes des deux nations et peuplait de prisonniers anglais les presidios de Cadix, de prisonniers espagnols les pontons de la Tamise. Vous le dégagerez sans peine de phrases comme celles-ci : bash a donna, battre une femme ; draw a bilbo, tirer une épée[5] ; a don hand, une main habile[6],etc.

De là une langue de contrebande, où se sont amassées, comme dans la bourse d’un voleur, des monnaies de toute date, de toute contrée, de tout titre, doublons et maravédis, piastres et sequins, cruzades et réaux, or, argent, billon, pêle-mêle et non comptés. Les gens d’esprit et d’imagination, les poètes eux-mêmes, ne dédaignent pourtant pas ce patois interlope qui attire par sa bizarrerie, son âpre saveur, son dévergondage intelligent, ses franchises cyniques. Les dramaturges de l’ère shakspearienne, Ben-Jonson, Brome, Beaumont et Fletcher, parlent avec une aisance surprenante le « grec de Saint-Giles. » Une comédie de ces derniers, the Beggar’s bush, est à elle seule un véritable répertoire de l’argot, connu sous Charles II. Shakspeare lui-même, le cygne de l’Avon, trempe ses blanches ailes dans cette fange. Quelques-uns des termes qu’il emploie, et dont le sens se devine à peine, appartiennent à la langue courante des colporteurs ou des musiciens ambulans. Un regrattier de Londres, pour faire entendre qu’il forcera bien un rival à céder, à se reconnaître vaincu, s’exprime ainsi : I’ll make him buckle under, — je le ferai boucler (plier) sous moi. Cette expression, que nul commentateur n’a pu relever ailleurs, — ainsi que l’a remarqué un critique érudit, M. Halliwell, — se trouve dans la seconde partie du Henry IV de Shakspeare (acte premier, scène première). Elle y est du reste en nombreuse compagnie. Falstaff, causant avec Pistol et Bardolph, ne se pique guère de purisme, et le poète, lui, se pique de couleur locale, même quand il hante la taverne. Usant alors d’une large synonymie, il remplace le verbe « rosser » ou « battre » par les verbes « payer, poivrer, moudre » (to pay, to pepper, to mill). Il dira fort bien d’un homme trompé, abusé, qu’il est « vendu » (sold), emploiera pour le mot quereller celui de « carrer » (to square), qui pourrait bien être sa racine primitive ; il substituera au mot « femme » toute sorte d’équivalens injurieux : drab, mutton, piece, etc. Remarquons, à propos de ce dernier, qu’il existe ou plutôt qu’il existait dans notre langue sans arrière-pensée blessante ; mais, n’en déplaise à la galanterie de nos aïeux et à la tolérance de nos grand’mères, il y avait bien quelque brutalité cachée dans l’expression de « friand morceau. »

Les savans envisagent l’argot à un autre point de vue. Il est pour les philologues de profession une espèce de silo ténébreux où se sont conservés, sous leur forme et avec leur sens primitifs, une foule de mots soustraits à l’usage universel et par. là préservés de l’altération graduelle qu’il entraîne. C’est ainsi que l’entend le docteur Latham quand il remercie les voleurs de Londres d’avoir conservé mainte et mainte locution anglo-saxonne. M. Mayhew, lui aussi, dans sa curieuse enquête sur les classes laborieuses et les classes pauvres de la capitale anglaise[7], reconnaît que beaucoup de locutions appartenant soit au cant, soit au slang, sont tout simplement d’anciennes façons de parler, très légitimes dans le principe, mais tombées en désuétude en vertu des caprices de la mode. Ainsi de l’adjectif crack dans le sens d’excellent, supérieur, etc., et du verbe crack up, dans celui de louer, vanter, préconiser ; ainsi du substantif dodge (un bon tour, un fin stratagème), qui vient, paraît-il, du plus pur anglo-saxon[8], et ne sert plus qu’à désigner les fraudes éhontées de la mendicité la plus vile. En revanche, une certaine quantité de mots ont humblement débuté dans les bas-fonds du cant et du slang pour conquérir plus tard droit de cité. Beaucoup de ceux-là sont nés en France, et nous n’avons pas à les désavouer (incongruous, insipid, intriguing, equip, serviront d’échantillons). D’autres (forestal, indecorum, hush, grapple, etc.) sont de construction britannique, et tous, il y a cent cinquante ans, figuraient dans les vocabulaires spéciaux de la cacologie[9].

Ces vocabulaires sont nombreux. Outre ceux que nous avons déjà cités, on a les ouvrages de Thomas Decker (the Bellman of London, 1608, Gull’s hornbook, 1609, O per se O, 1612, Lanthorne and Candle-light, 1608, 1616, 1648), la Canting academy de Richard Head, 1674, le Blackguardiana de James Caulfield, 1795, le Lexicon balatronicum et macaronicum de John Badcock, qui, tantôt sous le pseudonyme de Hinds, tantôt sous celui de Jon. Bee, s’était constitué l’annaliste didactique du turf, le grammairien des jockeys. On a aussi la chronique picaresque de Bamfylde Moore Carew, surnommé le roi des mendians, et les Vies de Jonathan Wild, de Jack Sheppard, de Peau-Bleue (Joseph Blake), imprimées en 1750 dans le même volume. Celle du comte de Vaux, pickpocket, date de 1819, et suit, à un siècle de distance, la complète Biographie des plus célèbres bandits, par le capitaine Alexandre Smith, auteur d’une grammaire et d’un glossaire des voleurs[10], lequel eut un successeur redoutable dans la massive personne de Francis Grose. Celui-ci, — Burly Grose, comme on l’appelait, — figure, autorité souveraine, parmi ces compilateurs vulgaires. Il fut l’ami du poète Burns, qu’il égayait par ses plaisanteries de haut goût, et qui lui dédia l’immortel poème de Tam O’Shanter. On nous le donne aussi comme le plus intrépide buveur de bière qui ait bravé les périls d’une obésité toujours croissante. Il a laissé après lui, — son meilleur titre aux souvenirs de la postérité, — un Dictionnaire classique (et vraiment classique) de la langue vulgaire, livre de poids et de prix, publié en 1785, et qui, nonobstant les licences extraordinaires dont usait l’auteur ; a été réédité jusqu’à trois fois[11].

Que de singularités dans un recueil de ce genre ! Dans ce langage à part dont il vous livre les secrets, que d’ironie, que d’amertume ! Et là où le philologue ne cherche qu’à satisfaire sa curiosité, quel sujet de réflexion pour le moraliste ! Cet étrange vocabulaire a pour toutes les conditions humaines des images significatives. Un enfant est un kinchin ou un kid (chevreau), de là et du mot nab, qui signifie voler, le verbe kidnap, enlever un enfant ou un adulte. Une femme est, suivant son âge, sa position sociale, sa réputation plus ou moins aventurée, sa dégradation plus ou moins patente, une lady ou crony, si elle est vieille et laide, — une demirep, un petticoat, une mousseline, si elle est jeune et jolie, — un sac de foin (hay-bag), une burerk, une raclan, une lunan,… et j’en passe, car les synonymes deviennent d’autant plus nombreux que l’objet à désigner a plus d’intérêt. Notons cependant quelques expressions qui ont une portée épigrammatique. Un « nid de jument » (mare’s nest), c’est un conte à dormir debout ; un « dindon » (turkey) est un alderman ; un apéritif est « un employé des douanes. » Les ravageurs de la Tamise sont désignés par cette locution pittoresque : alouettes de boue (mud-larks) ; le chapeau devient une « tuile » (tile), la chemise, « un sac à chair » (flesh-bag). Les prisonniers appellent « ma femme » (wife) la chaîne qui leur pend de la ceinture aux talons. Un nigaud est une « cuiller » (a spoon) ou un « manchon » (a muff), et si vous demandez pourquoi, on vous répond, chose étrange, par un madrigal. Le manchon entoure, sans la presser, la main d’une belle, la cuiller passe entre ses lèvres sans y laisser un baiser ; Voilà de l’imprévu !… Du cachot ou de la workhouse on passe au boudoir sans transition. Cartouche s’efface pour faire place au chevalier Dorat. C’est à n’y pas croire.

On se demandera peut-être, — la question s’offre naturellement à l’esprit, — s’il y a quelques rapports frappans à signaler entre l’argot anglais et celui dont se servent nos « fanandels » ou compagnons de la « pègre » haute ou basse, nos brigands de toute catégorie. Nous avons parcouru d’un œil attentif le livre qui nous occupe sans trouver, — à quelques exceptions près, — en fait de similitudes, autre chose qu’une sensible analogie de procédés dans ce qu’on pourrait appeler la syntaxe de ce langage à part, dans la formation des mots, dans la logique des métaphores. Dab, il est vrai, qui figure dans le dictionnaire du cant comme signifiant « passé maître, expert, homme habile, » s’emploie parmi nos galériens avec l’acception de maître ou de chef. Demirep, expression ménagée qui classe une femme parmi les personnes de mœurs suspectes, n’est autre chose qu’une locution française à l’état d’ellipse (demi-réputation). Le mot « dents » est remplacé par celui de « dominos » aussi bien sur les bords de la Tamise que sur ceux de la Seine. Les voleurs anglais disent gent pour « argent, » et certes le dérivé n’est pas douteux, pas plus que n’est douteuse l’origine du mot kickshaws (bagatelles, menues broutilles, friandises), où se retrouvent, étrangement contractés et défigurés, nos deux mots quelques choses ; mais, nous l’avons dit, ces points de contact direct sont excessivement rares. On voit plus fréquemment des expressions, des locutions forgées de même, et pour ainsi dire sur la même enclume, bien que d’un métal différent.

Appeler « un squelette » (skeleton) la fausse clé que nous nommons « un rossignol, » c’est procéder à peu près de même, sauf que dans le premier cas on fait allusion à l’aspect général de ce crochet anguleux, dans le second au grincement de la serrure qu’il fouille et fourrage en tout sens. Un bandit parisien qui dit à ses camarades : Allumez vos clairs ! (voyez ! regardez !), et un prig de Londres qui, après avoir poché les yeux de quelque rival, prétend avoir « obscurci ses soupiraux » (darkened his daylights), emploient des formules du même ordre. Quand celui-ci appelle une mouche un policeman, et quand celui-là qualifie de « mouche » un sergent de ville, l’un et l’autre font le même rapprochement, bien qu’en sens inverse. Nous insisterions là-dessus, si nous avions pour l’argot en général cet enthousiasme hautement professé par quelques romanciers modernes ; mais, faute sans doute d’un organe spécial, nous ne nous sentons qu’une admiration modérée pour cet « idiome farouche » dont les « mots âpres » ont le privilège de les fasciner. « Minuit sonne, » par exemple, nous paraît aussi expressif (et plus élégant) que « douze plombes crossent ! » Toutes ces curiosités enthousiastes, toutes ces fantasques admirations nous remettent malgré nous en mémoire les commentaires dont Mascarille donna jadis le régala Cathos et à Madelon. Les précieuses du temps jadis et les anti-précieux de nos jours n’auraient-ils pas quelques ridicules en commun ?

Avant d’en finir avec le cant et les honnêtes gens qui le parlent, arrêtons-nous devant une carte qui sert de frontispice au curieux volume de l’antiquaire de Londres. Cette carte a été fort exactement copiée sur un document géographique du même genre fixé par quatre clous aux murailles d’un cabaret. Vous y voyez le main toby (la grand’route) et quelques-uns de ses embranchemens, quelques chemins de traverse, au bord desquels sont grossièrement esquissées les habitations où ils donnent accès ; à côté de chacune, un signe hiéroglyphique des plus élémentaires, un carré, un triangle, un point ou une croix dans le milieu d’un cercle, une croix simple, un losange, une fourche, une espèce de crochet. Autant d’indications laissées par un tramp (un habitué de grands chemins, mendiant ou colporteur) à ceux de ses collègues qui visiteront le même district, et ceci de par une tradition bohémienne (le patteran) expliquée tout au long dans le Rommany rye de George Borrow. Les dents de la fourche indiquent la direction à suivre. La croix est un conseil d’abstention : « n’entrez point là, les résidens y sont pauvres et en savent long. » Le losange dit exactement le contraire : « braves gens, simples, crédules et charitables. » Le triangle équivaut au mot cooper’d, terme d’argot qui indique une localité trop exploitée, et par là même n’offrant plus guère de chances. Le carré se traduit par une autre expression du même idiome, gammy, qui indique un péril à peu près certain : « tenez-vous sur vos gardes ; ils sont capables de vous faire arrêter ! » Plus pressante encore la recommandation que renferme implicitement le point au milieu d’un cercle : « flummuxed, dangereux ; si vous entrez là, vous en avez pour un mois de quod (prison). » Le cercle divisé par une croix annonce simplement une famille très pieuse, mais d’ailleurs accommodante. Tous ces signes, notez-le bien, sont discrètement reproduits à la craie sur quelque porte ou quelque mur de l’habitation même qu’il s’agit de caractériser, et il a suffi à tel ou tel propriétaire bien avisé de tracer lui-même sur sa résidence ceux qui devaient en écarter les mendians, pour se délivrer à jamais de leurs importunes visites.

Cette faculté de communiquer secrètement avec les gens de leur caste, les parias de notre ordre social l’exercent jusque sur la plateforme du gibet. Quand il va être pendu (topped ou trined), l’infortuné pal agite aux yeux de la foule, avant de se livrer à Calcraft, un wipe, un stooke, un billy (mouchoir) de couleur rouge. C’est son testament, ce sont ses adieux, et ce signe cabalistique doit s’interpréter ainsi : « je meurs sans avoir trahi les miens, sans avoir fait la moindre révélation. » Ceci dit, la planche s’abaisse, le malheureux est lancé dans l’éternité. Il « meurt dans ses souliers, — dansant sur rien[12]. »

On voit quelle valeur a le cant, si l’on y cherche des documens sur cette redoutable famille des déclassés dont il est l’idiome favori depuis plusieurs siècles. La vie nomade, les cyniques instincts des parias de l’Angleterre s’y reflètent avec une énergie saisissante. Veut-on maintenant, sans sortir du domaine des idiomes et des mœurs excentriques qui sont l’objet de cette étude, — veut-on surprendre d’autres mystères moins sombres de la vie anglaise, c’est au slang qu’il faut s’adresser. Nous sommes ici sur un terrain essentiellement mobile. Le slang, la langue des coteries multiples de la société anglaise, ne varie pas seulement suivant les classes diverses qui le parlent, il se renouvelle pour chaque génération. Cromwell ne s’appelle plus « le vieux Noll, » Buonaparte ne s’appelle plus Boney, Wellington ne s’appelle plus Conkey[13]. Les débiteurs arriérés qui redoutent les poursuites du constable ne le traitent plus de Philistin ou de Moabite comme au temps du « joyeux monarque. » Le slang suranné d’Hudibras est aussi peu intelligible pour nous que le serait pour Samuel Butler celui dont se servent maintenant les héros de la fast-life, ou celui que forgent, pour les besoins de chaque semaine, les graves rédacteurs du Punch. On en peut dire autant du vieux Roger l’Estrange, de Swift, d’Arbuthnot, qui tous trois cultivèrent le slang de l’époque où ils vivaient. Autres temps, autres mots… Depuis lors a passé le slang des comédies qu’on ne joue plus, celui des bouffons de profession, comme Tom Brown ou le cabaretier Ned Ward, morts, enterrés avec leurs facéties, qui semblent anté-diluviennes. Celui que Jonathan Bee codifiait, réglementait en 1825, à l’usage du fameux boxeur Tom Crib, serait lettre morte pour Heenan et Sayers, glorieux successeurs de ce glorieux champion. Pierce Egan, l’auteur du Boxiana et de la Life in London, a bourré de slang six énormes in-octavo. Je ne crois pas qu’on pût en extraire cinquante locutions à l’usage de nos contemporains. De celles qui subsistent encore, plus de la moitié a pris place dans les dictionnaires, et leur vulgarité a désormais un caractère officiel. Le slang les rejette et les désavoue. Mob, sham, turf, hoax, puff, ne lui appartiennent plus, snob[14] pas davantage depuis Thackeray.

L’histoire du slang d’autrefois est donc, somme toute, peu nécessaire à l’intelligence du slang d’aujourd’hui. Nous ne nous occuperons que du dernier, et nous ne promettons pas de nous en occuper très longtemps malgré l’incontestable importance du sujet. L’un des traits caractéristiques du jargon moderne est d’être habituellement polysyllabique par opposition à celui du temps passé, qui se composait en grande partie, on a pu s’en assurer, de mots très simples et très brefs. Quockerwodger, pot-walloper, il y avait là de quoi faire bâiller nos ancêtres. Ces gracieux idiotismes appartiennent au slang parlementaire, et, sans entrer dans trop de détails, nous dirons que le premier désigne un « pantin politique » dont les fils moteurs sont dans la main d’autrui, le second, une classe particulière d’électeurs qui escamotent, au moyen d’un vain-simulacre de résidence » les exigences de la loi relative au domicile des votans. Ferricadouzer et slantingdicular ([15] sont encore d’assez jolies créations ; mais la palme, sous ce rapport, est aux États-Unis. Frère Jonathan dépasse John Bull. Catawampously, exflunctify, kewhollux !… voilà quelques échantillons des américanismes recueillis à New-York en 1850 par le lexicographe Bartlett. Absquatulate vient des mêmes parages, et n’en a pas moins fait son chemin jusqu’en Angleterre, où nous le trouvons à peu près naturalisé[16].

Figurez-vous, au milieu de ce débordement de mots nouveaux, empruntés de toutes parts, fabriqués de toute main, et que chaque année, chaque jour, chaque heure même enfante encore par douzaines, le malheureux étranger qui, s’en tenant à « l’anglais de la reine, » — l’anglais de Johnson, de Webster, d’Ogilvie, de Walker, — et l’ayant soigneusement appris, s’enorgueillit de sa correcte science. Il découvre bientôt, à sa grande humiliation, que les mots les mieux connus, détournés en mille acceptions nouvelles, sont pour lui du chaldéen ou de l’hébreu. Qu’on le mette par exemple devant cette affiche vulgaire d’un logement à louer : single mentaken in and done for. Cela lui donnera fort à faire et surtout fort à réfléchir, car take in (mettre dedans) veut dire duper tout comme chez nous, et Shakspeare l’emploie dans le sens de conquérir. Done for en revanche présente au premier coup d’œil l’idée d’un homme qu’on achève, dont on vient à bout. Ne dirait-on pas qu’on promet au locataire futur de le battre après l’avoir dépouillé ? Point : il s’agit d’un appartement libre, service et nourriture compris. Ceci n’est qu’un aperçu des problèmes que les « petits mots » de la langue, do, cut, go, vont poser au nouveau débarqué. Encore est-il là sur un terrain connu ; mais il en verra bien d’autres. La voiture où un de ses amis le fait monter pour le conduire à Epsom n’est plus un cab, c’est un bounder, un drag, un cask, une birdeage (machine à cahots, drague, tonneau, cage à volaille) ; un membre du club des Four-in-hand, la regardant avec dédain, déclare « qu’elle n’est pas en bas de la route » (not down the road). Un swell, un dandy de classe inférieure, dirait au contraire, et dans le même sens, avec la même intention méprisante, qu’elle ne « monte pas à la marque » (not up to the mark). Swell s’applique à tout ce qui a la vogue, aussi bien à un comédien qu’au pape, aussi bien à Garibaldi qu’à Robson ou à Charles Mathews ; mais en général le swell, c’est l’homme élégant, celui qui affiche des dehors « extensifs » (extensive), qui de temps en temps se permet une fantaisie « tapageuse » (loud), qui s’habille « à mort » (to death), c’est-à-dire à la dernière des modes les plus récentes. Celui-là se gardera bien d’appeler un bal la réunion brillante où il se rend « en pleine figue » ou figure (full-fig, grande tenue). Ce bal n’est plus qu’un hop, une « sauterie ; » ce serait un spread, si l’on n’y dansait pas. Veut-on un exemple plus significatif encore des bizarreries du slang, qu’on prenne cette exclamation familière par laquelle s’exprime quelquefois une surprise poussée à son degré le plus intense : stunning Joe Banks ! Pour la comprendre, il faut savoir ce que fut Joseph Banks, un célèbre logeur qui servit longtemps de trait d’union entre le beau monde et le monde souterrain de la capitale anglaise. Les dandies et les voleurs plaçaient en lui la même confiance, et moyennant son intervention officieuse échangeaient une foule de bons procédés. Remarquable par sa probité immaculée, plus remarquable par les excentricités de sa mise habituelle, il avait été proclamé par ses cliens de la plus haute volée, — le marquis de Douro, le colonel Chatterley, etc., — l’étonnant Joe Banks ! L’adjectif et le nom propre, une fois accouplés, sont restés ainsi dans la circulation.

Old Pam is a gone coon[17], mot à mot : — « le vieux Pam est un raton fini. » Interprétez cela, vous qui vous occupez des grandes difficultés où se débat l’Europe ! .. Mais non, vous jetez votre langue aux chiens. Voici donc la même nouvelle traduite en style du Thunderer[18] (ou du Times) : « l’opinion publique a décidément abandonné lord Palmerston, — la direction des affaires publiques va passer en d’autres mains, etc. » Et si vous voulez savoir qui pourrait remplacer le vieux Pam, un membre de l’opposition actuelle vous proposera « le vieux Dizzy. » Or c’est l’ancien chancelier de l’échiquier, M. Disraeli en personne, dont il entend annoncer ainsi la rentrée aux affaires.

Un refuge paisible, loin de la vie mondaine, contre les dépravations du langage contemporain, les universités ne vous le fourniront point, on croit devoir vous en prévenir. Nulle part le slang ne pousse plus vigoureusement que parmi les étudians d’Oxford ou de Cambridge, qui, même une fois sortis de l’université et entrés dans les ordres, ne parleront pas toujours à leurs ouailles un anglais irréprochable. La chaire a son slang comme le théâtre, et ici nous ne songeons pas à ces mille désignations de sectes qui servent à se démêler dans le labyrinthe des différences dogmatiques (evangelical, tractarian, recordite, etc.), mais à des expressions bizarres ou à des termes usuels pris dans une acception technique et spéciale qui les métamorphosé de la façon la plus absolue. N’est-on pas surpris et presque scandalisé d’entendre dire que le révérend A est « la bassinoire » (warming pan) du docteur B, parce qu’il occupe provisoirement un bénéfice dont ce dernier ne peut encore être investie Tel prédicateur est plus « avoué » (owned) que tel autre, parce qu’il fait plus d’effet. Il compte plus « de sceaux » (more seals), c’est-à-dire plus de conversions. Une personne est « obscure » (dark)[19], un livre est obscur, une ville même est obscure, si telle forme de croyance n’est point pratiquée par cet individu, exposée dans ce livre, prêchée dans cette ville. Les dévots de la basse église ayant désigné la haute église par cette locution : high and dry (haut et sec), leurs adversaires ont riposté par une épithète du même ordre : low and slow (bas et lent) ; puis, pour abréger encore, et dans le laisser-aller de la conversation, l’habitude est venue de ne plus se servir que des deux derniers adjectifs, si bien que le sec est maintenant l’église officielle, et sa rivale s’appelle le lent. Entre les deux, une troisième s’intitule « l’église large » (broad church). Celle-là reçoit le nom de broad and shallow (large et sans profondeur). Elle finira par s’appeler shallow tout court, comme le juge mis en scène dans les comédies de Shakspeare.

Parmi les « requins de terre » (land-sharks, sobriquet donné par le matelot à l’homme de loi), il existe aussi des locutions professionnelles que le vulgaire, autant vaut dire le client, à force de les entendre, s’est finalement appropriées. Le grand art d’aligner les chiffres, de régulariser un compte fautif, a pris le nom vulgaire de « cuisine » (cooking). L’attorney qui présente son interminable note de frais est appelé bécasse (snipe)[20]. Si des gens essentiellement graves se laissent aller à de pareilles bouffonneries, que ne doit-on pas attendre des plaisans de profession ? Aussi le slang des coulisses est-il d’une richesse sans égale. L’acteur est un pro (iprofessional), le figurant est un sup (supernumerary). Le directeur est traité de grand-papa (daddy) par tous les membres du tripot comique. Si la paie vient à manquer le samedi, les artistes déconcertés se transmettent la triste nouvelle que « le fantôme ne marche pas » (the ghost does not walk). Une étoile (star) est l’acteur ou l’actrice en renom. Etoiler une pièce, c’est la jouer avec des histrions de troisième ordre, et devenir ainsi, parmi ces humbles satellites, l’astre principal. Notre mot paradis a son équivalent exact dans les théâtres des trois royaumes. On est « parmi les dieux » (up amongst the gods) quand une dure nécessité vous a logé aux galeries supérieures.

Les ours et les taureaux du Stock Exchange (bears and bulls) sont connus de longue date ; chacun sait que l’ours misanthropique spécule sur la baisse des fonds, tandis que le « taureau » courageux se jette, cornes en avant, dans tous les périls dont un haussier est menacé. Au temps où la fièvre des chemins de fer avait exalté toutes les têtes, à l’époque de la rail-way mania, un acheteur ou un vendeur à découvert, un joueur sans capitaux, s’appelait un « cerf, » (stag). Se retirait-il écloppé, plumé, d’une lutte où sa parole restait engagée, il devenait un « canard boiteux » (lame duck). Dans Lombard-street, où tant de métaphores, ce nous semble, sont légèrement déplacées, un billet de 500 livres sterling porte le nom de « singe » (monkey), une somme de 100,000 livres sterling celui de « prune » (plum), et le million lui-même (le million sterling, vingt-cinq de nos millions) se réduit, par un diminutif essentiellement poétique, aux proportions de cette fleur dorée qui chez nous porte le nom de « souci » (marygold), Passons sur les réflexions philosophiques auxquelles ce dernier rapprochement pourrait nous conduire. Le slang, au surplus, qui possède une trentaine de synonymes pour le mot homme, autant pour celui de femme, presque autant pour celui de voleur ou de constable, n’en a pas moins de cent soixante bien comptés pour les diverses espèces de monnaies, métal ou papier[21].


Le slang de la classe ouvrière a quelque chose de lamentable dans sa vulgaire énergie. Les ouvriers ne sont plus que des « mains » (hands). Chacun d’eux, selon qu’il reçoit ou non paie entière, est une pierre à feu, ou un excrément (flints or dungs). S’il fait un travail payé d’avance, il « traîne le cheval mort. » L’ouvrage manquant, ces pauvres diables se disent humblement « hors du collier » (out of collar). Ce travail qui leur fait défaut, ils l’appellent « graisse de coude » (elbow-grease), et le salaire lui-même est un screw (une vis, un écrou). De celui que renvoie un patron mécontent, les autres diront qu’il « a le sac, » expression consacrée aussi dans le slang parisien, mais avec un tout autre sens. S’il va chercher des consolations dans une pub[22] quelconque, où il lui est encore permis de boire on tick[23], c’est-à-dire à crédit, il en sortira peut-être dans un état d’ébriété plus ou moins avancée. Alors, selon l’occurrence, il sera light (serré de près), stewed (cuit à l’étuve), hazy ou foggy (brumeux), moony (influencé par la lune), elevated (entre ciel et terre), blued (passé au bleu), ou bien encore il aura finalement acquis d’incontestables droits au nom de lushington[24], qui, résumant toutes ces épithètes, combinant toutes ces nuances, éveille l’idée de l’ivrogne complètement livré aux horrors, c’est-à-dire aux angoisses nerveuses, aux blue devils de l’intempérance.

Une remarque déjà faite à propos de ce vocabulaire hybride, c’est que les deux idiomes, quoique bien distincts, se côtoient parfois et se mêlent ; mais celui des classes dangereuses n’emprunte que bien rarement, autant vaut dire jamais, ses excentricités à la cacologie des salons, tandis que celle-ci s’alimente constamment de métaphores dérobées au langage technique du pugilat ou des courses de chevaux, quand elle ne descend pas plus bas encore. Ceci s’explique. Un jeune patricien de mœurs légères trouvera toujours plus de plaisir à s’exprimer comme le jarvey[25] secourable avec lequel les hasards d’une orgie l’auront mis en rapport, que celui-ci n’en aurait à modeler son langage sur celui de son noble client. L’amour-propre du premier, — sa vanité plus ou moins mal raisonnée, — s’accommode fort bien de la surprise produite par le contraste inattendu de son rang avec le jargon populacier qu’il emploie çà et là comme un condiment de saveur piquante, un travestissement original dont il pourra toujours se débarrasser au besoin. Le second au contraire sait bien qu’en cédant à une tentation analogue, il encourrait un double ridicule aux yeux de ses pairs et de ses supérieurs, les premiers naturellement hostiles à des prétentions où perce quelque dédain, les seconds particulièrement sensibles aux contre-sens, aux gaucheries d’une imitation presque toujours fautive. Le cant d’ailleurs s’est constitué pour un objet déterminé, en vue de nécessités particulières ; elles lui font une loi de rester aussi obscur, aussi mystérieux qu’il l’a été dès son origine, et lui interdisent, comme périlleux au premier chef, tout commerce avec la langue dont se servent les gens qui peuvent impunément se laisser comprendre.

On pourrait nous croire disposé à épuiser notre sujet, et nous n’avons voulu que l’effleurer. Dans ce royaume du slang, qui paraît s’étendre chaque jour, nous laissons de côté des provinces entières. L’anglais à rebours que parlent les quarante mille revendeurs ou costermongers de la capitale anglaise, le slang rimé des chaunters et payterers[26], la « langue de ziph, » le gibberish, qui défigure tous les mots par l’insertion d’une consonne identique, en avons-nous seulement parlé ? De tant de locutions ultrafamilières, les plus usitées, les plus connues n’ont malheureusement pu trouver ici leur place. Le vieux mot humbug (synonyme hum and haw), qui occupe[27] deux grandes pages dans le lexique de l’antiquaire cockney, n’a pas obtenu deux lignes de son indigne commentateur. Nous ne savons pas encore si humbug est dérivé de Hambourg, la ville anséatique, la ville aux fausses nouvelles, ou du chimiste Homberg, qui aidait le duc d’Orléans, régent de France, à trouver la pierre philosophale. Grande question, n’est-il pas vrai ? En attendant qu’elle soit résolue, en attendant que les lexicographes et slangographes se soient mis d’accord, humbug fait le tour du monde. Il est acclimaté au boulevard des Italiens, et une ville de la Californie, Humbug-Flat, prospère sous son invocation.

Aborderons-nous la catégorie des euphémismes, celle des imprécations, celle des locutions proverbiales, comme « prendre congé à la française » (sans tambour ni trompette), — « envoyer un homme à Coventry » (le mettre au ban de la société), — « avoir vu l’éléphant » (être au courant de toute chose), — « offrir à quelqu’un l’épaule froide » (le tenir en respect et l’éloigner par des façons glaciales) ? Expliquerons-nous le mot seedy, le mot shabby, deux adjectifs synonymes qui manquent à notre langue, et par lesquels se caractérise merveilleusement, avec un mélange d’ironie et de pitié, l’aspect triste et bouffon de la misère en habit noir, alors qu’elle cherche vainement à se dissimuler, alors qu’elle affiche encore les dehors d’une élégance flétrie ? Non, il. faut se résigner, il faut s’arrêter. Une question plus importante s’offre d’ailleurs au terme de cette étude. Le cant nous a montré les classes dangereuses sous un aspect nouveau, comme un élément social dommageable à la pureté de la langue. Leur malfaisante influence aurait-elle autant d’action, si le slang ne se faisait l’auxiliaire du cant et ne l’aidait à s’introduire dans des sphères sociales qui lui semblaient interdites ? Que signifie ensuite la vogue toujours croissante du néologisme vulgaire ? Comment expliquer la place énorme qu’il s’est faite en quelques années dans la littérature contemporaine ? N’est-ce pas un « signe du temps » que cette langue du brigandage et de la prostitution pénétrant bannières déployées, au lieu de s’infiltrera petit bruit, chez les gens dont elle écorchait les oreilles ? Et quelles inductions tirer de cet inquiétant phénomène ? A qui en demander compte ? que fait-il prévoir ? — Il accuse, disent quelques-uns, une curiosité malsaine dont on se défendait naguère, à laquelle on s’abandonne aujourd’hui, un certain ennui de la dignité qu’on gardait, non sans quelque gêne, et dont on ne veut plus. Cette préoccupation du « quant à soi » dérivait d’un amour-propre qu’on a tout simplement remplacé par un autre, ce dernier beaucoup moins justifiable, beaucoup moins fécond en bons résultats, beaucoup plus périlleux, s’il faut tout dire. — La thèse contraire a ses défenseurs plus ou moins désintéressés. Le puritanisme n’est pas de leur goût ; ils cherchent le vrai sans s’inquiéter du beau. Le terre-à-terre leur va mieux que les échasses, et la Beauce mieux que les Pyrénées. Selon eux d’ailleurs, — et ceci a quelque chose de plausible, — la fusion des classes, qui est une des aspirations, un des résultats inévitables du progrès démocratique, produit naturellement et légitime dès lors la fusion des idiomes. La langue doit se faire toute à tous, sans acception de caste, et telle expression autorisée par le suffrage du grand nombre peut marcher de pair avec celles que le génie a créées d’un jet et qu’il a fait universellement accepter.

C’est encore, on le voit, transporter sur le terrain de la linguistique cette question de l’égalité, qui, — moins déplacée quand on l’étudie à d’autres points de vue, — joue un si grand rôle dans les controverses modernes. Pour nous, s’il fallait choisir entre la langue du bon sens, de la raison générale, la langue que parlait Addison ou Mme de Sévigné, et le slang de Londres ou celui de Paris, notre hésitation ne serait pas longue ; mais cette préférence si simple et si légitime, à laquelle les adhésions ne manqueraient pas, que vaut-elle pour le très grand nombre ? Ce que « vaut le caviar pour le million, » pour emprunter encore une locution au slang du temps de Shakspeare, c’est-à-dire ce que valent pour la foule les choses de nature exquise. La foule ne lit guère, et choisit encore moins le peu qu’elle lit. Elle écoute, curieuse et béante, elle répète sans trop de discernement ce qui fait le plus de bruit à ses oreilles. On parle à ses yeux par l’enluminure violente et non par les nuances délicates, à sa mémoire par la bizarrerie outrée bien mieux que par la grâce élégante. Une trivialité grotesque la saisit, — « l’empoigne, » vous dira-t-elle, — tout autrement que le plus ingénieux sous-entendu. Elle comprend, elle apprécie, elle goûte d’autant mieux le jargon qu’elle en tient fabrique, et qu’en lui parlant ce langage à part, en lui rendant ce qu’on tient d’elle, on flatte son amour-propre en même temps qu’on se place au niveau de son intelligence.

Voilà ce qui est, ou peu s’en faut. Ce qui sera, nous croyons le deviner, mais nous n’oserions le prédire. Il nous semble que, le million gagnant toujours de valeur, le caviar cessera petit à petit d’être pour lui une friandise trop recherchée. Nous ne nous berçons point de chimères, nous ne croyons pas au perfectionnement indéfini, nous ne rêvons pas la disparition complète, l’extinction totale des classes, malfaisantes, et tant qu’elles subsisteront, un idiome particulier leur sera indispensable ; mais cet idiome, on ne le leur disputera plus comme on le fait aujourd’hui, et ce n’est point à elles que les novateurs iront demander les richesses dont ils voudront grossir le trésor des langues adultes et déjà formées. D’autres sources leur seront offertes, bien autrement abondantes et saines. Le rajeunissement des archaïsmes injustement tombés en désuétude, — l’adaptation graduelle et sagement limitée de la technologie scientifique aux nécessités progressives de la langue courante ou de celle qui constitue le monopole des poètes, — le droit de bourgeoisie concédé de temps en temps à quelques rusticités pittoresques, — les lettres de grande naturalisation données, après mûr examen, à tel mot étranger dont nous ne possédons pas l’équivalent, — n’y aurait-il pas là de quoi remplacer avantageusement les leçons de style qu’on demande au turf, à l’écurie, aux prisons même, et les emprunts qu’on fait à leurs grossiers idiomes ? Ceci ne nous parait guère douteux, notre confiance dans le bon goût national nous donnant d’ailleurs lieu de penser que l’initiative d’une réaction en ce sens ne sera pas prise ailleurs qu’en France. Le génie gaulois, particulièrement libre et prime-sautier, accessible à toute sorte de séductions, complaisant aux nouveautés les plus diverses, n’en prévaut pas moins à la longue contre tout ce qui est excessif et illogique. La règle, chez nous, survit à l’abus qui semblait l’avoir détruite, comme le tuf solide aux plus folles végétations de l’humus qui le recouvre. Le jour n’est donc pas loin, selon nous, où le monde saura résolument purifier son langage des expressions empruntées à la bohème, et procéder avec ces mots interlopes comme les clubs à la mode avec les candidats de mauvais renom, qu’ils écartent sans pitié. Ce jour-là, le cant seul aura survécu ; — le slang sera mort sans avoir trop chance de ressusciter jamais.


E.-D. FORGUES.


  1. Prig, du saxon priccan, dérober, est un mot de bonne race, employé par Shakspeare.
  2. Veut-on quelques exemples ? Je les prendrai parmi les mots anglais les plus usités. Bosh, ce monosyllabe dédaigneux par lequel on qualifie une absurdité, un non-qens, est d’origine persane et appartient au rommany (langue des bohémiens). Maund, mendier, est un mot hindou rapporté par les gypsies (mang ou maung). Car, dans le sens d’homme vil et rapace, vient d’ischur, schur ou chur, qui en hindostani veut dire voleur.
  3. Numéro 147.
  4. Les gypsies ou zingari anglais l’emploient du moins comme synonyme de rommany, langue bohème. Une autre étymologie, celle-ci très contestée, le fait venir du mot slangs, par lequel on désigne les fers dont certains prisonniers sont chargés, et dont ils allègent le poids au moyen d’une ficelle (sling).
  5. Bilbao était renommé comme Albacete, comme Tolède, pour la bonne qualité des armes blanches qu’on y fabriquait ou qu’on y achetait.
  6. Le don est l’opposé d’un muff (un nigaud), par conséquent un homme délié, retors, fertile en ressources. Dans le langage universitaire, les dons sont les maîtres et les gradués (master s and fellows).
  7. London Labour and London Poor, 3 volumes.
  8. Deogian, prétexter, tromper.
  9. On les a relevés dans un Dictionnaire des Coquins, — Scoundrel’s Dictionary, — publié pour la première fois, en 1710, à la suite d’un ouvrage intitulé Bacchus and Venus. Tous deux ont été réimprimés plusieurs fois, soit ensemble, soit séparément, en 1737,1754, etc. Nous pensons du reste que ces expressions y figuraient seulement comme néologismes illicites, car on ne voit pas dans quelle intention et pour quel usage les bandits du siècle dernier auraient importé ou créé des mots de cet ordre.
  10. La grammaire du capitaine Smith fait partie d’une collection formée par le prince Lucien Bonaparte.
  11. Classical Dictionary of the vulgar longue. « Les obscénités à part, dit l’antiquaire de Londres, c’est un livre hors ligne, et il faut reconnaître le soin extrême, le zèle bien entendu, sinon la moralité de l’écrivain à qui nous le devons. Duncombe, Caulfield, Clarke, Pierce Egan, ont puisé tour à tour a cette source sans se donner la peine de purifier ce qu’ils y dérobaient. »
  12. Die in one’s shoes, dance upon nothing, deux locutions qui expriment exactement la même idée : mourir à la potence. On dit aussi kick the bucket, donner du pied dans le seau, et cock one’s toes, armer ses orteils, les mettre au dernier cran. Cette dernière locution, si bizarre au premier coup d’œil, doit s’expliquer par un des phénomènes de la rétraction cadavérique : les pieds du mort, ramenés en arrière, ont pu rappeler la position que prend le chien de la batterie quand le fusil est armé.
  13. De conk, traduction libre du mot nose (nez). Il suffit d’avoir vu un buste, un portrait, surtout une caricature de notre illustre ennemi, pour apprécier la portée de ce sobriquet ironique.
  14. Snob vient-il de sine obolo, ou de sine nobilitate, ou de si (c’est-à-dire quasi) nob ? Voilà de ces questions qu’il faut simplement poser. Il nous suffira de reconnaître que nob., abréviation de nobleman, figure dans les anciens dictionnaires de slang au même titre que mob, dont Swift donne l’étymologie dans son Art de causer élégamment (Art of polite conversation). C’est, dit-il, l’abrégé de mobility.
  15. Ferricadouzer, un coup qui vous fait tomber ; slantingdicular, oblique, penché, par opposition à perpendicular.
  16. Absquatulate, s’enfuir, se cacher, disparaître. C’est une mauvaise forme donnée sans motif au verbe abscond, qui existait de longue date et traduisait exactement la même idée.
  17. Coon, abréviation de racoon, raton, animal que les savans ont étiqueté, sous le nom de procyon, dans la division des petits ours ou subursi. On pourra chercher dans le glossaire qui nous sert de texte l’anecdote historique à laquelle on doit l’expression de gone coon.
  18. Un de ces surnoms si communs dans la presse anglaise. — Le Tizer est le Morning Advertiser, qu’on a aussi surnommé Rap-tub et Gin and Gospel gazette. Jeames, nom presque générique des flunkeys, c’est-à-dire de la livrée, est acquis au Morning Post, l’oracle de « Belgravia, » c’est-à-dire de l’aristocratie et du monde officiel. Le Morning Herald et le Standard, réunis dans les mains du même propriétaire et se faisant valoir à qui mieux mieux par des courtoisies quotidiennes, avaient été baptisés « mistress Harris et mistress Gamp, » par allusion à deux personnages des romans de Dickens.
  19. Dans l’idiome spécial des courses, un « cheval obscur » (dark horse) est un cheval dont le mérite est douteux, dont les chances sont inconnues.
  20. 1) Image et calembour tout à la fois. La bécasse a un long bec ou bill. Bill est le nom générique de toute carte à payer.
  21. La guinée est une « fève » (bean) ou un canary (un serin), le billet de banque un chiffon (rag) ou un flimsy, le shilling « un crochet » (peg) ou un « pourceau » (hog). L’or est de l’ochre ou du blond (ochre, blunt) , l’argent est de l’étain, du fer-blanc (pewter, tin). Il y a quatre appellations différentes pour l’humble half-penny, qui est indifféremment un brun (brown), un mag, un posh, un rap, d’où les locutions familières : I don’t care a rap (je ne m’en soucie pas pour un sou), I have not a rap (je n’ai plus le sou), etc. Le mot stiff (raide), appliqué au papier de banque ou de commerce, exprime avec bonheur le caractère impérieux, inflexible, de l’échéance fixe, la rigueur de l’ordre porté sur le billet.
  22. Pub pour public house.
  23. Locution de vieille date. Johnson la signale comme abréviation de on ticket, sur billet ou parole.
  24. Lushington fut jadis un brasseur renommé. Dans Bow-street, Covent-Garden, on voyait, il y a quelques années, un club Lushington ; mais le mot lush signifie en général tout ce qui se boit en fait de liqueurs enivrantes, et lushy figure dans le dictionnaire de Johnson comme « le contraire de pâle, » c’est-à-dire « enluminé. » De là certains doutes étymologiques laissés à l’appréciation du lecteur.
  25. Cocher de fiacre.
  26. Chanteurs des rues, marchands de carrefour.
  27. > Soyons exact. Hum and haw appartient à la vieille langue et correspond à l’idée d’objection, d’hésitation, d’indécision. Humbug au contraire, c’est le mensonge, la parole creuse et gonflée de vent, bruit inutile, bourdonnement importun de vil insecte (hum-bug).