La guerre des dieux, poème en dix chants (éd, 1808)/06

Chez Debray, Libraire, au Grand-Buffon (p. 114-135).

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CHANT SIXIÈME.


Prise du Tartare par les diables du christianisme. Dispute amicale entre les trois personnes de la Trinité. Prise de l’Olympe. Les païens se retirent sur le territoire des dieux Scandinaves. Combat nocturne de Diane et de l’ange Gabriel.


J’ai vu l’Amour attaquer ta jeunesse,
Charmante Elma ; tendre et respectueux,
Vif et soumis, il était dangereux ;
À son pouvoir il unissait l’adresse.
Tu combattais, mais un trouble inconnu,
Adoucissant par degrés ta défense,
Faisait rêver ta sage indifférence ;
Tu combattais : mais l’Amour eût vaincu.
Alors, t’armant d’une force nouvelle,
Tu pris la fuite, et tu vainquis par elle.
Ah ! crains toujours des souvenirs confus.
Redoute même un danger qui n’est plus :

Il peut renaître. Une biche prudente,
Dont la vîtesse a lassé le chasseur,
Long-tems après conserve sa frayeur,
Et fuit encor devant la mort absente.
Si l’ange Esral avait à ses soldats
Bien répété ces utiles maximes,
Le ciel honteux n’aurait pas vu leurs crimes,
Et dans l’Olympe ils ne ronfleraient pas.
Les dieux riaient de l’étrange capture,
Et cependant félicitaient l’Amour.
« Hélas ! dit-il, ce triomphe d’un jour
Est incertain, et notre perte est sûre.
Oui, nous perdons Priape et ses vauriens.
Pris sur le fait, de la main des chrétiens
Ils ont gaîment accepté l’eau-bénite.
Ces apostats, bien froqués, bien tondus,
Sont sur la terre, où leur race maudite
Doit féconder la vigne de Jésus. »
Que dites-vous à ces tristes nouvelles,
Pauvres bloqués ? vous prévîtes alors
Que les chrétiens, par le nombre plus forts,
Vous chasseraient des plaines éternelles.

Minerve tarde, et vous craignez l’assaut
Qu’à vos remparts on livrera bientôt.
Pour ajouter à leur humeur chagrine,
Au milieu d’eux tombe le noir Pluton,
Qui par la main conduisait Proserpine.
On apperçoit aussi le vieux Caron
Qui, s’appuyant sur son vieux aviron,
Tient sur son dos la plus vieille des barques.
Viennent après les serpens d’Alecton,
Et Tisiphone, et Mégère, et les Parques.
« Quoi ! vous voilà ! s’écria Jupiter ;
D’où sortez-vous ? — Eh, pardieu, de l’enfer,
Lui dit Pluton. — Ô l’étrange figure !
Mais pourquoi donc déménager ainsi ?
Que voulez-vous, et par quelle aventure
L’enfer entier se trouve-t-il ici ?
— Malgré mes droits du Tartare on me chasse ;
Parmi les dieux je reviens prendre place.
— Par qui chassé ? — Par les diables chrétiens.
De résister avais-je les moyens ?
Leur aspect seul épouvanta Cerbère.
J’ai vu leur chef ; sa laideur est amère,

Et malgré moi devant lui j’ai pâli ;
Mais en revanche on est pas plus poli.
En apprenant ma disgrace soudaine,
Je descendis de mon trône d’ébène,
Et pour m’aider il me prêta sa main.
L’humanité peut entrer dans son ame,
Il me plaignit ; et, quoique libertin,
Avec respect il a traité ma femme.
Il fallut bien, sans espoir de retour,
Abandonner le ténébreux empire :
Tambour battant, jusqu’aux portes du jour,
Par ses démons Satan m’a fait conduire.
— De l’Élysée ils sont donc possesseurs !
— Oui ; mais fort mal ils s’y trouvent, je pense.
Leur premier soin, dans cette circonstance,
Fut de courir vers ces lieux enchanteurs
Où le printems prodiguait ses faveurs ;
Et qu’habitait, selon nous, l’innocence.
D’un œil avide ils cherchent le Léthé ;
Car le passé, dit-on, les importune.
On leur montra ce fleuve souhaité.
Tous aussitôt d’une ardeur peu commune

Sautent dans l’onde ; et l’implacable dieu
Qui les poursuit, change cette onde en feu.
En blasphémant ils gagnent le rivage ;
Dans l’Élysée ils vont se rafraîchir.
L’un présentait au souffle du zéphir
Ses bras rôtis et son rouge visage ;
L’autre s’étend sous un humide ombrage ;
L’autre tout nu se roule sur les fleurs,
Et les dessèche : on entend leur clameurs.
Ces noirs démons dans ce frais paysage
Couraient épars, et des légers ruisseaux
Leur soif ardente allait tarir les eaux.
Soudain le Styx gronde, bouillonne, écume,
Avec fracas s’élève sur ses bords,
Et sous des flots de souffre et de bitume
Il engloutit notre enfer et nos morts.
— Ah ! que je plains ces ombres vertueuses,
De l’Élysée habitantes heureuses !
— Ce changement les damne pour jamais,
Et leurs vertus deviennent des forfaits. »
À ce récit la céleste assemblée
Fut derechef incertaine et troublée.

Elle craint tout : la prise des enfers
Lui présageait le plus grand des revers.
Le dieu du Pinde assez mal la console,
Quand il répète : « À quoi bon s’attrister ?
L’homme est si sot, si dupe, et si frivole,
Que son encens n’est pas à regretter.
De cet Olympe enfin si l’on nous chasse,
N’avons-nous pas un asile au Parnasse ?
Là, sans rivaux nous régnerons toujours.
L’esprit, les arts, les graces, les amours,
Le don de plaire, et le talent d’instruire,
Sont pour jamais soumis à notre empire.
Ce pis aller me paraît assez doux.
Disgraciés par l’inconstance humaine,
Nos ennemis un jour, ainsi que nous,
Déguerpiront du céleste domaine :
Par-tout sifflés, ces gens à Te Deum,
Avec leur croix, leurs clous, et leurs épines,
Leur chant niais, et leurs tristes matines,
Iront pourrir dans quelque muséum. »
À nos dépens tandis qu’il prophétise,
Un cri d’alerte annonce les chrétiens.

Ils s’approchaient des murs olympiens,
Dont la conquête à leurs bras est promise.
Le grand Michel, sévère avec douceur,
Des premiers rangs gourmandait la lenteur ;
Et Jésus-Christ, placé sur les derrières,
Criait de loin aux phalanges dernières :
« Courage, enfans, et soutenez mes droits !
Sur cet Olympe il faut planter ma croix.
Pourquoi trembler et pâlir de la sorte ?
Quel risque enfin avez-vous à courir ?
On nous battra, dites-vous. Eh ! qu’importe ?
Vous pouvez bien être assommés, souffrir,
Souffrir long-tems, mais non pas remourir. »
Sa voix, son geste et sa mâle éloquence,
À ces poltrons rendirent l’assurance.
Les yeux fermés ils marchent en avant,
Et sous les murs arrivent en bronchant.
Les longs épieux, les lances meurtrières,
Les javelots, les flèches et les pierres,
Les flots brûlans de poix, d’huile, et de vin,
De mille clous les solives armées,
Le plomb fondu, les poutres enflammées,

Tombaient sur eux sans relâche et sans fin.
Combien alors de têtes entamées,
De fronts fêlés qu’on ne guérira pas,
De nez sans bout, de mains cherchant leurs bras,
De poils roussis et d’aîles consumées !
Ce beau spectacle échauffa par malheur
Du Saint-Esprit la verve psalmitique.
« Je veux, dit-il, par un brillant cantique
De nos soldats soutenir la valeur.

JÉSUS-CHRIST.

Quelle folie ! en vain sur le nuage
Vous vous perchez : dans cet affreux tapage
Votre fosset sera-t-il entendu ?
Je ne crois pas d’ailleurs qu’un impromptu
Dans un assaut puisse être fort utile.

LE PÈRE.

L’enfant dit vrai : triomphant et tranquille,
Vous reprendrez vos psaumes éternels.

LE SAINT-ESPRIT.

De votre goût je craindrai la finesse.

LE PÈRE.

Je ne suis pas savant, je le confesse,

Et j’en rends grace à messieurs les mortels.
Ils ont donné par faveur singulière
À vous l’esprit, à Jésus la douceur,
À moi la barbe et le titre de père.
Ce titre-là vaut bien celui d’auteur ;
Quant à ma barbe, elle est belle, j’espère ?

JÉSUS-CHRIST.

Pourquoi, Seigneur, ainsi vous courroucer ?

LE PÈRE.

Moi, du courroux ? pouvez-vous le penser ?
Le Saint-Esprit sait à quel point je l’aime.
Il est permis de se gronder soi-même. »
Les assiégeans durant ce beau discours,
Bravaient des coups la grêle renaissante.
Contre le mur flanqué de fortes tours
Ils ont dressé l’échelle menaçante ;
Mais sa hauteur glace nos champions.
« À toi. Nenni. Va donc. Ma foi, je n’ose.
Je crains la poix. Je crains les horions.
Moi, les soufflets. » Tous craignent quelque chose.
Grand, gros, cagneux, gothiquement sculpté,
Tel qui brillait naguère à Notre-Dame,

Christophe arrive : un saint amour l’enflamme
Pour Jésus-Christ que son dos a porté.
Le premier donc sur l’échelle il s’élance.
Trente guerriers y grimpent après lui.
Ils se prêtaient un mutuel appui ;
L’on est poussé, l’on pousse, et l’on avance.
Succès trompeur ! déjà notre héros
De sa main large empoignait les créneaux :
Le fougueux Mars rugit à cette vue.
Soudain il court à sa propre statue,
Qui sur le mur en marbre figurait ;
Il la saisit, non sans quelque regret,
Du piédestal son bras nerveux l’arrache ;
En l’élevant par-dessus son panache,
Il s’écriait en riant aux éclats :
« Voyez, amis, je ne m’épargne pas :
Ainsi que moi que chacun s’exécute. »
Notre gros Saint sur l’estomac reçoit
Ce poids énorme, et subite est sa chûte.
L’un après l’autre et l’un sur l’autre on voit
Dégringoler d’une vîtesse extrême
Ses compagnons renversés par lui-même.

L’ange Azaël, qui plus loin combattait,
D’un meilleur sort vainement se flattait.
À peine il touche au sommet de l’échelle,
Le dieu des mers le saisit par son aile.
À bout de bras il tient l’ange chétif,
Qui l’implorait du ton le plus honnête ;
Et par trois fois le tournant sur sa tête,
Sur les chrétiens il le lance tout vif.
Samson se fâche, et contre la muraille,
De son gros dos appuyant la largeur,
Pour l’ébranler il pousse avec vigueur,
Et tout son corps se roidit et travaille.
Ses reins charnus, son énorme fessier,
Font à-peu-près l’office du bélier,
Le mur tient bon, l’Hébreu pâlit de rage ;
Des pieds, des mains, de nouveau s’escrimant,
Il cogne, il rue, il heurte vainement,
Et la sueur inonde son visage.
Hercule alors cria d’un ton moqueur :
« Tes sept cheveux ont repoussé bien vîte,
Ami Samson, et je t’en félicite.
Mais apprends-nous pourquoi tout ce labeur.

Que prétends-tu ? La chétive masure
Qu’au tems jadis renversèrent tes mains
Ressemblait mal à notre architecture :
Nous bâtissons mieux que les Philistins.
Au reste, pousse, et vois si je t’abuse ;
Pousse, mon cher, puisque cela t’amuse. »
À quelques pas un brasier allumé
En flots brûlans changeait la douce olive :
Hercule y cherche un tison enflammé.
Prends garde à toi, Samson, la foudre arrive !
Il n’est plus tems, et notre champion
Droit sur le crâne a reçu le tison.
En un clin-d’œil le saint toupet s’allume,
En un clin-d’œil la flamme le consume.
Fut-on jamais plus brave et moins heureux ?
Il ressemblait avant cette disgrace,
Au coq superbe, au taureau vigoureux,
À l’étalon ardent et belliqueux.
Tous trois sont fiers, fougueux, brillans d’audace,
Grands tapageurs… Mais qu’un fer envieux
À ces héros retranche quelque chose,
Et des hauts faits supprime ainsi la cause,

Plus de taureau, de coq, ni d’étalon ;
Le nouveau bœuf, le désolé chapon,
Et le bidet dont le courage expire,
Baissent la tête, et la queue, et le ton.
Tel à-peu-près l’infortuné Samson,
Chauve et confus, dans les rangs se retire.
Par ces revers les chrétiens affaiblis
Changeaient déjà leur attaque en défense :
Par le succès les païens enhardis
Sentaient tripler leur force et leur vaillance :
Ils se battaient comme des furieux,
Comme des fous, enfin comme des dieux.
Leur noble ardeur passe jusqu’aux déesses.
Du haut des murs on voyait ces princesses
Jeter sans choix ce qui s’offre à leurs mains,
Les trônes d’or, les précieux coussins,
De leurs plaisirs ordinaire théâtre,
Les doux parfums de leurs vases divers,
Les beaux miroirs et les bidets d’albâtre
De pourpre fine avec soin recouverts.
Si Josué fameux par sa musique,
De Jéricho ne s’était souvenu,

Des assiégés le courage eût vaincu.
« Parbleu, dit-il, un concert hébraïque
Doit renverser ce rempart odieux.
À moi, tribus ! à moi, prêtres, lévites,
Chefs et soldats, sapeurs Israélites,
De Jéricho vainqueurs harmonieux !
Il dit, on vient, et l’orchestre s’arrange.
Des instrumens quel habile mélange !
Les gros serpens, les violons discords,
Le porte voix, la trompette, les cors,
Le fifre aigus, les cloches, la crecelle,
Et ces cornets qu’à bouquin l’on appelle,
Et les chaudrons que l’on frappe à grands coups.
Les assiégés d’un orchestre si doux
Avec raison redoutent les merveilles,
Et des deux mains ils pressent leurs oreilles.
Ils ont beau faire, ils n’esquiveront pas
De nos archets la sainte mélodie.
D’un sforzando tout-à-coup l’harmonie
Brise et remplit leurs tympans délicats.
Cette musique est pour eux infernale,
Pour nous céleste ; infernale sur-tout

Quand Josué, pour les pousser à bout,
Y fait entrer cent voix de cathédrale,
Et cent faussets dont vingt miaulent en sol,
Cinquante en ut, et trente en ré-bémol.
Pour les païens ce fut le coup de grace.
Ils essayaient de couvrir nos accords
Par de grands cris ; mais de nos fiers Stentors
Le beuglement redouble et les terrasse.
Tous en jurant désertent le rempart ;
Un long chorus presse encor leur départ.
Du saint Trio la personne première
En ce moment prit une voix guerrière,
Et s’écria : « Vaincus à coups d’archet !
Plus fort ! plus fort ! et votre œil satisfait
Verra ces tours long-tems inébranlables,
Sur les remparts soudain dégringoler,
Et les remparts sur leur base trembler,
Et du palais la voute s’écrouler.
Plus fort ! plus fort ! et l’Olympe est aux diables. »
Ces grands moyens devenaient superflus.
Les prisonniers qui, sans ordre étendus,
Depuis long-tems ronflaient sous les portiques,

Désenivrés, à leur bon sens rendus,
Ouvrent enfin les yeux, et tout confus,
Se rappelaient leurs sottises bachiques.
L’étonnement, la crainte, et le remords,
D’un pourpre vif colorent leur visage.
L’ange piqué se taisait, mais de rage ;
Saint Guignolet reprend son plat langage ;
Et Carpion était à peindre alors.
À deux genoux ils confessent leurs torts ;
Offrent à Dieu leur repentir sincère ;
Et se livrant à leur juste colère,
Sur ces païens déjà presque vaincus
Ils font pleuvoir des coups inattendus.
D’autres, forçant une garde revêche,
À leurs amis, dont les chants discordans
À la muraille avaient déjà fait brèche,
Ouvrent la porte, et les voilà dedans.
Les assiégés à leur prompte ruine
Cherchaient en vain dans leur tête divine
Quelque remède ; ils n’en trouvaient aucun.
Jupiter seul, dans ce trouble commun,
De sa raison conserve un faible reste ;

Et s’adressant à la troupe céleste :
« Ils ont vaincu : dans ce palais sacré
Demain peut-être ils brailleront des messes ;
Mais leur succès n’est pas très-assuré.
Vîte qu’on forme un bataillon carré ;
Que dans le centre on place les déesses,
En combattant, reculons vers le nord.
Là des chrétiens finit le territoire ;
Odin y règne. Odin aime la gloire ;
Et l’avenir peut changer notre sort. »
On obéit à cet ordre fort sage.
Ce bataillon subitement formé,
De javelots et de lances armé,
Frappant toujours, et jamais entamé,
De nos chrétiens étonne le courage.
Le fier Neptune, Apollon et sa sœur,
Bellone et Mars, le vaillant fils d’Alcmène,
Pluton, Bacchus, et les frères d’Hélène,
Faisaient souvent reculer le vainqueur.
De Jupiter l’œil perçant et rapide
Veillait à tout ; et son bras intrépide,
Armé du foudre inspirait la terreur.

En ordre ainsi s’opérait la retraite.
Le jour baissait ; un accident fâcheux,
Qui fut suivi d’un autre plus heureux,
Rendit alors la phalange incomplète.
Diane avait épuisé son carquois :
D’un fer tranchant elle s’était saisie,
Et hors des rangs s’avançait quelquefois,
Pour mieux frapper. Diane est très-jolie,
Chaste sur-tout ; mais de ses belles mains,
Elle rossait nos Anges et nos Saints.
Un ange donc, c’est Zéphirin, je pense,
Qui de son bras éprouva la puissance,
De se venger épia le moment,
Et par derrière il fondit bravement
Sur la déesse. Elle était sans cuirasse,
Leste et pieds nus, comme en un jour de chasse ;
Sur son beau cou le fer tombait en plein :
Un mouvement subit, involontaire,
Sauva ce cou ; mais le glaive assassin
Endommagea la tunique légère,
Et de la fesse effleura le satin.
Un sang vermeil rougit ce cul divin

Dont la blancheur faisait honte à l’ivoire.
Diane alors, comme vous pouvez croire,
Tourne la tête, court après Zéphirin.
Courir après, lui barrer le chemin,
Et du secours lui ravir l’espérance,
Suivre son vol avec persévérance,
Dans les détours qu’il fait pour échapper,
Le joindre enfin, ses deux ailes couper,
Changer en fouet un large cimeterre,
Et de sa fesse ainsi venger l’honneur,
Voilà, sans doute, équitable lecteur,
Ce qu’elle fit, et ce qu’elle dut faire.


Diane et Zéphirin.


Au nord ensuite elle tourne ses pas ;
Courant dans l’ombre, et cherchant les états
Du grand Odin, où s’était repliée
De ses amis la troupe humiliée.
Sur son chemin se trouve Gabriel,
Ange galant, ange qui sait le monde,
Ange à la mode, et le héros du ciel :
Il marchait seul, et commençait sa ronde.
Qui vive ? il dit ; la païenne aussitôt,
Levant sur lui sa redoutable épée,

Répond : Chrétien. Et du glaive et du mot
En même tems son oreille est frappée.
L’ange étourdi par ce coup imprévu,
Penche la tête, et recule, et chancelle.
Mais revenant à lui, le bras tendu,
Avec fureur il fond sur l’immortelle.
On le reçoit de même ; et les deux fers,
Se rencontrant, se brisent dans les airs.
L’ange irrité, saisissant la déesse,
De ses deux bras l’enveloppe et la presse.
Diane, ainsi, se voyant prise au corps,
Prend à son tour, et sa pudeur murmure ;
L’incognito cependant la rassure.
Lestes tous deux, tous deux souples et forts,
Jeunes et beaux, seuls dans la nuit obscure,
Ils pouvaient mieux employer leurs efforts,
Mais Gabriel était loin de connaître
Tout son bonheur. Il s’en douta peut-être
Lorsqu’étreignant le corps le plus parfait,
Il crut sentir, et sentit en effet
Je ne sais quoi de saillant, d’élastique,
Et d’arrondi, dont la douce chaleur

Trouble les sens, et passe jusqu’au cœur.
Il écarta ce soupçon pacifique,
Et se remit de son émotion.
Diane aussi faisait attention
À la peau fine, à la forme, à la grace,
Des membres nus qu’en luttant elle embrasse
De tels pensers prolongeaient le combat.
Mais Gabriel médite un coup d’éclat.
Il tire à lui son charmant adversaire ;
De son bras gauche avec force il le serre ;
Et l’autre main qu’il baisse adroitement,
S’en va saisir sa cuisse rondelette,
Croyant ainsi soulever aisément
Et renverser ce redoutable athlète.
De la victoire il était déjà sûr ;
Quand cette main, qui tient le blanc fémur,
Glisse dessus, un peu plus haut arrive,
Et reste-là : délicate et craintive,
Elle frémit sur cet endroit charmant,
N’ose presser, et presse doucement.
Nos champions dans un profond silence
Gardaient toujours la même contenance.

Mal-à-propos ils sont embarrassés :
Leurs bras d’albâtre étaient entrelacés ;
Leurs seins brûlans se touchaient ; quelle avance !
L’ange d’ailleurs avait déjà la main
Sur ses lauriers : il les cueillit enfin.
Muet il fut, ainsi que la déesse ;
Mortels bavards, imitez leur sagesse.
Muets encore, et soupirant un peu,
Du geste seul ils se dirent adieu.


Diane et Gabriel.


FIN DU SIXIÈME CHANT.